70 Cinéma & DVD - juillet 2023 - Jean-Jacques Birgé

Jean-Jacques Birgé

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mercredi 26 juillet 2023

La Turquie via deux excellentes séries


Comme j'avais beaucoup aimé La maison Von Kummerveldt et que nous avions évoqué les rares séries mettant en scène la psychanalyse, Michael Lemesre me suggère de regarder la série turque Bir Başkadır (traduit "C'est différent") que j'avais d'ailleurs récupérée sous le nom de Ethos. Le sujet s'appuie sur les différences entre ville et campagne, et surtout les conservateurs religieux et les laïcs révoltés par le voile. Si le point de vue politique n'est qu'effleuré, la lutte des classes un peu escamotée par une bonne conscience bourgeoise, il n'en demeure pas moins que Bir Başkadır renvoie tous les personnages au contradictions que révèle la psychanalyse et les rend tous particulièrement attachants. En montrant les faiblesses de chacun/e, le réalisateur Berkun Oya déchiffre les traumatismes individuels et les névroses familiales qui les poussent à leur mal de vivre. Le scénario montre également que la "guérison" peut passer par des voies diverses et que la psychanalyse n'est que l'une d'entre elles, du moins dans sa pratique. Énorme succès en Turquie, cette excellente série, servie par une remarquable direction d'acteurs et un regard acéré sur le paysage qui laisse une marque indélébile sur les individus, mérite d'être découverte, d'autant que ce n'est pas la seule réussite de son auteur.


Trois ans plus tôt, Berkun Oya avait signé Masum (traduit "Innocent"), une série policière aussi captivante, qui m'avait également échappé. Là aussi les trajectoires des personnages se trouvent étonnamment imbriquées, un peu à la manière d'un récit choral ; la folie les guette et les femmes y tiennent des rôles très forts dans un pays où le patriarcat s'exprime avec violence. La puissance de l'environnement social, mais également géographique, y est génialement rendue. Les questions posées par les uns laissent souvent sans voix celles et ceux à qui elles s'adressent, comme si le passé tu empêchait d'avancer. Bien qu'il n'y soit jamais fait référence, je ne peux m'empêcher de penser au génocide arménien dont le tabou marque forcément l'histoire du pays. Le mensonge, prétendument érigé par protection des êtres aimés, devient une arme à double tranchant. Comme dans l'autre mini-série (chacune se compose de huit épisodes), la rédemption, thème récurrent dans le cinéma turc, n'intervient qu'en faisant sortir les cadavres des placards. Les mots qui précèdent s'appliquent aux deux séries. Ajoutez la corruption pour la seconde...

Ces mini-séries sont diffusées sur Netflix comme nombreuses séries turques, deuxième producteur mondial après les États-Unis.

lundi 24 juillet 2023

La maison Von Kummerveldt, série féministe explosive


Suite à mon article sur des séries télé récentes, Michael Lemesre m'a suggéré de regarder La maison Von Kummerveldt, six très courts épisodes réalisés par le cinéaste et producteur allemand Mark Lorei. Je n'ai pas été déçu par ce pamphlet anti-patriarcal tout à fait d'actualité même si l'action se passe à l’avant-veille de la Première Guerre Mondiale, pendant le Second Reich. La défaite française de Sedan qui a marqué la fin de Napoléon III est plusieurs fois évoquée, mais l'orgueil et le conservatisme allemands sont explicitement visés par l'héroïne qui ne pense qu'à faire publier son roman sur la vie d'une prolétaire au service d'aristocrates. Ce culte absurde de la rigueur militaire se poursuivra jusqu'au nazisme. Dans cette satire féroce et provocatrice j'ai évidemment reconnu l'influence de Luis Buñuel, de L'âge d'or au Journal d'une femme de chambre, via Sade, Marx et une drôlerie quasi surréaliste ! La musique du groupe de rock Gurr remet les pendules à l'heure quand apparaît l'intertitre "où comment Louise a guéri de l'hystérie en criant jusqu'à faire exploser son corset à la gueule de la patrie...". Les comédiens sont très bien et la réalisation à la hauteur du scénario corrosif de la jeune Cécil Joyce Röski qui dresse le portrait d'une jeune femme en quête d'émancipation.


La bande-annonce est en V.O., mais sur Arte.tv la série est évidemment sous-titrée, et en accès libre !

jeudi 20 juillet 2023

Les gouttes de Dieu et autres séries


Ce ne peut être la grève des scénaristes à Hollywood, mais depuis quelque temps j'ai l'impression que les séries tirent en longueur. Mini-séries ou saisons à tire-larigot, le nombre d'épisodes requis réclame-t-il les redites au fil des épisodes ? Si j'en ai laissé pas mal en route, certaines m'ont poussé à binger tard dans la nuit !
Les gouttes de Dieu est la plus récente à m'avoir captivé. Comme je déteste déflorer les films, j'évoquerai simplement le monde du vin remarquablement restitué. Suspense, rapports psychologiques, direction d'acteurs, tout est soigné, et une plongée pédagogique qui m'a donné envie d'ouvrir une bonne bouteille en plein milieu de la projection ! Cette mini-série américano-franco-japonaise en huit épisodes a été créée par Quoc Dang Tran, adaptée d'un manga culte de Tadashi Agi et Shu Okimoto. Les deux protagonistes sont remarquablement interprétés par Tomohisa Yamashita et la Française Fleur Geffrier, alors que c'était deux japonais dans la bédé. Gustave Kervern y est très bien comme le reste de la distribution. J'aime bien découvrir un monde que je connais mal et je suis certain de mieux apprécier mes prochains verres. Toute ma cave risque de passer au peigne fin ! Au delà de cette passionnante plongée œnologique, le sujet se prête à une réflexion sur l'éducation et l'apprentissage, et surtout sur la filiation et l'héritage. Comme on peut l'imaginer pour toutes les familles, ce n'est jamais simple...
Lors de ma dernière revue des séries, j'en étais resté au premier épisode de Rabbit Hole avec Kiefer Sutherland. La série, compliquée et pleine de coups de théâtre, tient la route, même si parfois je m'y perds. J'ai retrouvé le souffle de 24 heures chrono dans ce complot à tiroirs sur les chapeaux de roue. À suivre.
Keri Russell, que j'avais découverte dans l'excellent The Americans, tient à bout de bras The Diplomat, dans ce thriller politique où elle incarne l'ambassadrice américaine en Grande-Bretagne lors d'une crise internationale. À suivre.
Le scénariste Steven Knight, à qui l'on doit le formidable Peaky Blinders, mais aussi Dirty Pretty Things de Stephen Frears et Eastern Promises de David Cronenberg, a écrit SAS Rogue Heroes sur les exploits héroïques du British Army Special Air Service (SAS) pendant la Guerre du Désert au cours de la Seconde Guerre Mondiale, qui n'était pas encore régiment, mais une équipée de têtes brulées. Dans le genre, c'est très réussi.
La mini-série de science-fiction Abysses mérite qu'on aille jusqu'au bout, car le dernier épisode propose une résolution meilleure que ce à quoi on pourrait s'attendre. Dans les thrillers et les films à enquête la fin est rarement à la hauteur de l'énigme. Ce conte dystopique où la mer se rebelle face à la pollution et au réchauffement climatique est hélas prophétique. Il est dommage que les petites histoires intimes entre les protagonistes soient totalement ratées, inutiles, comme souvent dans les films catastrophe, car le reste se tient remarquablement bien, avec un très bon casting international où figurent Cécile de France, Leonie Benesch, Barbara Sukowa, Joshua Odjick, Takuya Kimura, etc.
J'ai été déçu par la dystopique Silo qui sent le déjà vu et répète les mêmes scènes à foison, la population cantonnée dans un bunker en sous-sol de 144 étages par une élite dont on ne connaît pas les intentions. Pas terminé I'm a virgo de Boots Riley dont j'avais adoré le long métrage Sorry To Bother You et dont le pitch est savoureux, mais ça n'avance pas après plusieurs épisodes... Sinon j'ai essayé The Resort, American Born Chinese, Funny Woman, George and Tammy, Elvira, Minx, The Big Door Prize, etc. sans tenir la distance, et préférant regarder des longs métrages moins chronophages...