70 Humeurs & opinions - novembre 2023 - Jean-Jacques Birgé

Jean-Jacques Birgé

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dimanche 5 novembre 2023

Un ami, qu'est-ce que c'est ?


Un vaut pour une. J'ai autant d'amies que d'amis. J'ai longtemps pensé en avoir autant que de doigts. Avec le temps j'ai compris que mon côté shivaïste polymathe me permettait d'en ajouter sur plusieurs bras. Probablement faut-il vieillir pour apprendre à les reconnaître. Par contre j'en perds toujours un ou une chaque année, mais j'en regagne autant, peut-être plus. La mort et la distance n'en sont pas. Mais un ami, une amie, qu'est-ce que c'est vraiment ? Et qu'est-ce qui différencie l'amitié de l'amour ?
Il me semble que l'amitié est une histoire de confiance et de fidélité. Un ami est quelqu'un à qui l'on peut tout dire, les pensées les plus inavouables parfois. Il ne vous juge pas, ne vous épargne pas non plus. Un ami vous parle et vous écoute. Il vous lit entre les lignes. Il connaît d'autres visages que celui que vous avez forgé pour vous conforter à la dureté du social. Il lui arrive même de soupçonner le je qui est un autre. J'en ai connu qui traversait la France, vous sachant en difficulté, ou la ville à pied pour vous remonter le moral, vous apporter une soupe chaude ou vous remonter les bretelles. Autodidacte, n'ayant jamais suivi de thérapie, j'ai toujours exprimé ce que sans œufs, sans ailes, je ne serais pas là. With a little help from my friends. J'espère seulement être à la hauteur quand vient mon tour de les secourir. Il n'y a pas que les coups durs. Il y a aussi la fête, le bonheur partagé, la joie comme si c'était la sienne.
À propos d'amitié, j'espère bien que vous serez là le 1er décembre au Café de Paris. Mes sorties sur scène sont si rares et la musique qui m'habite est si importante pour moi. C'est un portrait caché, la révélation d'une cire à fond perdu, un moment qu'on adorerait partager, avoir été présent quand c'est ce qui vous tient debout et vous permet de mettre un pied devant l'autre chaque matin. Pas besoin de mots des parents ou de votre employeur si vous ne pourrez vous joindre à nous, mais vous raterez une expérience mémorable, d'autant que c'est un spectacle où votre participation est déterminante. Je compte sur vous !
L'amour n'est pas si différent. Il repose autant sur la confiance. C'est à cette aune qu'on peut l'identifier. La fidélité est plus complexe si l'on n'est pas adepte du polyamour. Disons qu'elle ne dure que le temps de cette merveilleuse rencontre, lorsque la complicité fait de vous une meilleure personne. En ce qui me concerne, j'ai la chance d'avoir su transformer en amitié la plupart de mes amours passés. Il me semble que ce qui différencie ce qu'on appelle l'amour de l'amitié est la sexualité qui s'y ajoute. Il y a des amours platoniques, mais ce n'est pas ma tasse de thé. Cela ne m'empêche pas de vous aimer, de vous aimer très fort, de vous aimer passionnément. Cela équilibre la brutalité et l'absurdité du monde des animaux dénaturés auquel nous participons hélas.
Merci d'avance ou déjà à toutes celles et tous ceux qui ont la gentillesse de me souhaiter mon anniversaire, j'en suis très touché !

mercredi 1 novembre 2023

La mort pas encore


Douze ans après cet article du 18 octobre 2011, rien n'a vraiment changé. Je suis pour l'instant passé au travers, prenant à bras le corps les mauvaises nouvelles pour les retourner comme un gant. J'ai finalement accepté que l'âge ne signifie pas grand chose si ce n'est qu'on est vivant.

[À l'époque] la question de la mort [était] réapparue au moment de m'endormir ou parfois au réveil. Question sans réponse que Charles Ives accompagne tandis que je louvoie. L'angoisse n'a que peu d'intérêt tant la peur de mourir oblitère le temps de vivre. S'y complaire c'est lâcher la proie pour l'ombre. La plongée dans l'abîme est peine perdue. Chaque mort qui survient me rappelle que je suis vivant ; lorsque les mauvaises nouvelles s'éteindront c'est que mon tour sera venu ; j'en arrive à souhaiter en connaître d'innombrables.
Ayant longtemps dit que je préférais l'enterrement à l'incinération, je me rends compte que cela n'affectera que celles et ceux qui me survivront. À moi peu me chaut. Je ne suis sûr de rien, mais certain que les versions en vigueur chez les croyants ne tiennent pas la route. Le calcul de probabilité ne joue pas en leur faveur. Si je ne crois pas, je ne sais pas non plus. Accepter l'inconnu comme conceptualiser l'infini, plus ou moins, tendrement, tendre vers plus ou moins l'infini. Les mathématiques sont d'une aide précieuse.


Lorsque je sens monter le vertige de l'inconnu je m'imagine illico à Sarajevo fin 1993. C'est dans la ville assiégée que j'ai résolu mon problème avec la mort, c'est du moins ce que je feins de croire. En quelques secondes mon cœur reprend un rythme régulier et le calme le dessus. Je me souviens. On pouvait mourir à n'importe quel instant. Il suffisait que l'obus tombe ici plutôt que là. En me projetant dans le passé j'entends qu'aucun obus ne vient s'abattre où je suis, ici, maintenant. Mon heure n'a pas sonné. Il est trop tôt pour s'inquiéter et si je vis assez vieux j'espère m'en aller tranquillement, rassasié. La mort fait obstacle à ma curiosité, cet appétit de vivre et d'apprendre, une boulimie suspecte qui brûle les stops et confond l'utile et le vain dans l'accumulation.
Aux jeunes gens je répète qu'il est trop tôt pour s'en inquiéter. Encore qu'avec les vieux ils sont les seuls à traverser la rue sans regarder. Les uns ont fini par s'en ficher, les autres n'en ont pas encore conscience. Sauf accident ce n'est pas dans l'ordre des choses. La mort est parfois injuste lorsqu'elle est prématurée ou douloureuse, mais toutes et tous sont égaux devant elle. J'espère que l'on meure lorsque l'on en a marre de vivre. L'angoisse qui montre le bout de son nez vient peut-être des rares moments où je suis fatigué. Comme des signes avant-coureurs. Quand mon corps se relâche, sous la fièvre, et que je n'ai plus envie de penser. La course contre la montre, entendre qu'on la montre, ne mène nulle part, ici ou ailleurs. Et le spectre de se fondre dans les mots.