J'écris ces lignes comme un jeu de patience, luttant contre le temps qui ne file tout à coup pas assez vite. C'est aussi stérile que regarder une jauge sur l'écran d'un ordi. Les minutes semblent prises de hoquets, telle la bille dans le cylindre. On la pensait là, elle rebondit. Le cadran de la roulette s'ovalise, il devient mou comme une anamorphose de Figueras. Je sors le Yi Jing, le nouveau dont la couverture est bleue, revu par Pierre Faure ; j'ai définitivement remisé le vieux Wilhelm, beaucoup trop mystique et imprécis. J'étais bien sur la voie, celle aussi de la patience, mais je reviens de loin. Cela explique probablement pourquoi je suis incapable de procrastiner, encore que certaines démarches administratives soient sans cesse repoussées. Y aurait-il une coïncidence avec la peur ? Sauter du haut de la falaise plutôt que se ronger les freins, devancer l'appel.
Et puis il y a mes impatiences, le syndrome des jambes sans repos. Cela peut devenir une torture au théâtre. Depuis l'acquisition du Theragun j'arrive à les faire passer, mais je ne vais pas me masser les mollets en public, cela fait tout de même un peu de bruit et l'objet inquiéterait les spectateurs ! Peut-être que cela apparaît lorsque je résiste au sommeil, par crainte de me réveiller au milieu de la nuit et ne pas réussir à me rendormir.
La Bruyère avait-il raison lorsqu'il écrivit "Il n'y a point de chemin trop long à qui marche lentement et sans se presser : il n'y a point d'avantages trop éloignés à qui s'y prépare par la patience." ? Oui et non. C'est comme les miracles, ils ne surviennent que si l'on y travaille. Je me rappelle chaque fois la fin de Au pied de la lettre dans Trop d'adrénaline nuit, le premier vinyle d'Un Drame Musical Instantané enregistré en 1977. Sans que nous nous soyons concertés, sans que nous n'ayons rien prévu puisque nous étions en pleine improvisation, je clame "Tout homme détient dans ses mains son destin", extrait du scénario inédit Lignes de la main de Jean Vigo, tandis que Bernard prononce la phrase de Mallarmé, "Un coup de dés jamais n'abolira le hasard", exactement en même temps, et le bras du tourne-disque de se lever, puisqu'ainsi finissait la face A. Alors j'ai simplement retourné le disque... Et tout en est soudainement bouleversé.

N.B.: le photogramme de La vie est à nous de Jean Renoir où Léon Larive fait des yeux ronds illustre la pochette de Trop d'adrénaline nuit. Quant à "un drame musical instantané", il faut entendre drame au sens théâtral, et non dramatique, d'autant que drame musical est la traduction de melodrama, soit l'opéra en italien. Cela peut donc bien être une comédie !