Le livre d'Aimé Agnel que m'offre une amie psychanalyste tombe à point nommé. Depuis quelques temps je me souviens de passages oubliés de mon enfance. Ce n'est pas innocent. J'essaie de comprendre ce que je suis devenu en me remémorant ce que je fus, et donc ce que j'ai toujours été. Car tout a commencé à l'âge des premières découvertes. Confronté à nos propres réactions dans diverses situations nous nous conformons de manière à les vivre, entendre qu'il est vital de trouver sa place dans un monde qui n'est pas toujours fait pour soi. Dans Un enfant voit un film Aimé Agnel n'analyse point, il se revit découvrant le cinéma lors de projections d'antan. Or les films qui l'ont marqué mettent presque tous en scène des enfants. Cette réflexion n'a rien d'étonnant, elle coule de source. Que l'enfant soit dans la salle ou sur l'écran, ces réminiscences vont construire l'homme à grandir. Comme jadis Aimé Agnel m'y aida dans ses cours sur le son à l'Idhec où je venais de rentrer à 18 ans, pas encore vraiment sorti de l'enfance. Il y était question d'écoute. D'apprendre à voir aussi. Avec tous ses sens. Quelques années plus tard, je lui succédai lorsqu'il se consacra à la psychanalyse. En janvier dernier j'avais déjà chroniqué son livre Sur quelques films vraiment sonores. Je suis encore plus sensible à ce nouvel opus, petit fascicule de 96 pages qui commence par une suite de photogrammes auxquels le grain du papier donne une impression de souvenirs nimbés de rêves. Le Chien des Baskerville. Le Père tranquille. Capitaines courageux. L’Extravagant Mr. Ruggles. Les Disparus de Saint-Agil. Le Voleur de bicyclette. Goodbye, Mr. Chips. Morocco. Sylvie et le fantôme. Les Verts Pâturages. Un grand amour de Beethoven. Les Aventures de Robin des Bois. La Chevauchée fantastique. Le Sergent York. Le Signe de Zorro. Tarzan, l’homme singe. Jour de fête.


Parmi ces films je reconnais certains qui m'ont marqué à mon tour, enfant. Des personnages auxquels m'identifier. Comme les Chiche-capons des Disparus de Saint-Agil, le majordome de L’Extravagant Mr. Ruggles, John Wayne dans La chevauchée fantastique, Gary Cooper dans Le Sergent York, et évidemment Robin des Bois. Il n'y avait pas que les films. Je me souviens des manteaux pliés sous mes fesses pour me réhausser sur mon fauteuil à bascule, des entr'actes avec "demandez bonbons, esquimaux, chocolats" où il fallait galoper pour ne pas rater le début du film après les actualités et le court métrage, du préau de l'école où j'ai vu Grand-père Miracle (Starik Khottabych) une fantaisie soviétique de 1956 réalisée par Gennadi Kazansky, de vieux comédiens qui faisaient la manche avec des enveloppes surprises de La Roue Tourne pour leurs maisons de retraite... Ce qui est formidable dans l'approche d'Aimé Agnel, c'est justement qu'il raconte son point de vue à hauteur d'enfant, les émotions que les films lui procurent alors, les larmes, les rires, la peur, la complicité, l'empathie, le désir, la justice, l'humour... Que ce soit dans la vie ou projeté sur l'écran l'enfant cherche à s'identifier. C'est le propre du cinéma. Il y est plus souvent question de reconnaître que connaître. Dans ses moments les plus magiques le jeune spectateur apprend à s'émanciper. Seul au milieu du public et dans la lumière de la salle obscure.

→ Aimé Agnel, Un enfant voit un film, Éditions de l'œil, 20€