Après celui de juin dernier, Rigobert Dittmann m'envoie la suite du texte qu'il a rédigé en allemand pour sa revue Bad Alchemy #120. Je le traduis vite fait mal fait, car je suis incapable de suivre son style...

Depuis fin 2014, Birgé accumule les rendez-vous galants encore plus accros au jeu qu'Ivo Perelman ou Udo Schindler. Le doit-il à son statut de retraité lorsqu'il eut 62 ans ? À découvrir les Oblique Strategies ? "Raves" (05/23, numérique) le montre stratège-obligé avec Fanny Méteier au tuba et Olivier Lété à la basse électrique. Elle, on l'a entendue en énorme et sombre coup de vent - musicalement seulement - avec le trompettiste Timothée Quost sur "Flatten the Curve" (Carton, 2021), à jouer sous la direction d'Alice Laloy dans la pièce de théâtre musical "Death Breath Orchestra". Lété a gratté ses cordes avec Louis Sclavis sur ECM, avec Emmanuel Scarpa sur Coax, avec Fidel Fourneyron sur le chant d'Élise Dabrowski ou dans le groupe de Marjolaine Reymond qui entonne des poèmes romantiques jazzés. Ici ils suivent les instructions du clavier échantillonneur de Birgé, comme 'Do something boring' (ronflant, avec des boucles et des sillons sans fin), 'Don't break the silence' (avec un son de timbre percussif et cuivres, un tuba discret), 'Turn it upside down' (avec des voix d'opérette paranormales, des bruits et des claquements contenus, guimbarde, guitare fantôme, gémissements de gorge de Fanny), 'Don't be afraid of things because they're easy to do' (enfantin, 'monotone' de manière détournée, avec boîte à musique), 'Retrace your steps' - jusque dans le berceau ? (avec un chant voilé, le contraste entre le pennywhistle et le tuba grincheux, des clés qui tremblent doucement)... Céleri & chou-rave, onirique et surréaliste, soigneusement mixé par JJB et perçu lui-même comme une succession de rêves éveillés [ainsi sur son blog le 6 juin].

Quel est ce magnétisme qui attire tout le monde au studio GRRR ? "Moite" (06/23, digital) reprend le jeu de cartes de Birgé avec Tatiana Paris à la guitare électrique (comme dans le Red Desert Orchestra d'Eve Risser ou en solo avec "Gibbon" sur Carton). Violaine Lochu est une chanteuse qui, sur les traces de Diamanda Galas, Luce Irigaray et Donna Haraway, a interprété Abécédaire vocal, Babel Babel, E.V.E. ou Meat Me. Elle propage ce dernier avec Meat me, meet me, I am made of meat, I am made of scream, I am nude, I am mud, I am blood and shit, I am not myself anymore : I am all of you, I am suffering. I am Bacon - et le résout de manière scandaleuse. Les cartes demandent des choses comme : 'Cède à ta pire impulsion', 'Autorisez un relâchement (c'est l'abandon d'un texte sacré)'. Paris rampe, gronde, ratisse comme Westerhus, comme Desprez. Lochu chante de manière chamanique et sacrée, elle jappe, crie ou croasse comme un corbeau. Birgé joue des percussions ou des vents avec ses boîtes magiques, ses synthétiseurs, il manipule sa guimbarde, frappe des cloches tubulaires, monte la radio, chante de la flûte. Ils nous emmènent ainsi dans des jungles tropicales humides, comme peintes par Rousseau, en faux ethno et langue postcoloniale. Il me vient à l'esprit "Ou Bien Le Débarquement Désastreux" et à nouveau le parallèle avec Heiner Goebbels. Lochu s'adonne pour cela à l'impulsion excessive de la férocité et de la colère, mais aussi du chagrin enfantin et de la souffrance animale, entrecoupés de lignes de Monique Wittig (Les guérillères), Christophe Tarkos (L'argent) et Sylvie Kandé (La quête infinie de l'autre rive) et de jeux de cordes 'africains'. Qui autorise ensuite l'évocation de Dowland, la marche arrière de la guitare dans le liquide amniotique, les frottements et les piaillements d'oiseaux ? Enfin, comme le suggèrent les cartes, Lochu est rongée par un soupçon sifflant (comme dans 'La Jalousie' de Robbe-Grillet ? - je n'arrive pas à me défaire de Goebbels), qu'elle rejette en vain dans son soliloque.

Ce que Birgé rêve et vit comme un métissage esthétique, c'est un monde qui définit le 'bien vivre' de manière radicalement différente. Il l'anticipe déjà à petite échelle dans le grand Paris, dans son ermitage, son auberge, en tant que cuisinier, épicurien, jardinier, cinéaste et mixeur hypercréatif, éloquent et sociable, dans lequel l'art de vivre - comme Dieu en France - se condense de manière attrayante. Pour qui le ciel n'est pas toujours bleu face à un monde qui marche sur la tête, et à qui j'aimerais donner la parole : "Les dérives du monde ne me surprennent pas tant j'y vois une poésie de l'absurde. Les ventres vides ne l'entendent pas de ce ton-là. La misère pousse à la révolte. La solidarité à la révolution. En face s'exprime l'arrogance qui de tout temps a sonné le glas de l'oppression. Leur violence ne peut les protéger éternellement. Mon immense tendresse est mise à mal. À cet instant je ne sais plus écrire. Il est tard. C'est flou. Le cri a supplanté les mots." [La difficulté d'être, 23.3.]