À quoi s'attendre d'une exposition sur le rock Metal à la Philharmonie si ce n'est à un univers gothique ? Le sujet devrait drainer une foule de visiteurs qui n'ont pas l'habitude de fréquenter ce temple de la musique classique et contemporaine. En tout cas, la scénographie, due à Achille Racine et Clémence La Sagna, sombre et labyrinthique, correspond bien à cet univers de grimaces et de strass qui joue sur l'humour noir et les décibels. Je n'ai pour ma part jamais senti la subversion représentée par ce qu'on appelait le hard rock, à l'époque où j'écoutais avec curiosité Black Sabbath, Deep Purple, Led Zeppelin, Grand Funk Railroad ou Steppenwolf. Il me semblait que Frank Zappa ou le free jazz étaient beaucoup plus incisifs, critiques du monde qui nous entourait, et le psychédélisme hippie correspondait mieux à mes utopies que la noirceur d'un rock trop carré à mon goût. C'est à l'adolescence de ma fille que je m'y suis intéressé, l'accompagnant par exemple à un concert d'Aerosmith. Est-ce un parcours habituel chez les ados de s'enticher de hard rock et de reggae ? Qu'y trouvent les nostalgiques qui ont vieilli sans en démordre si ce n'est une manière de s'échapper du train-train qui souvent les a rattrapés ? Le hard rock et les futures et nombreuses déclinaisons du Metal représentent la culture d'une classe sociale qui rejette les raffinements d'une bourgeoisie pourtant souvent aussi rebelle. C'est l'histoire de la musique. On retrouvera ce mouvement avec le punk. Ce n'est pas un hasard si le stand de bière était pris d'assaut au vernissage de l'expo.


Les amateurs s'y reconnaîtront, les autres le découvriront, même si, comme toutes les expositions sur la musique, l'ensemble est éminemment fétichiste. On peut admirer les guitares de Van Halen, Joe Satriani, Steve Vai, la batterie de John Bonham, les costumes de scène incroyables, des dizaines de T-Shirts qui se porteront comme des reliques d'un temps qu'on aura vécu, les posters, photographies et pochettes de disques provocantes, les couvertures du magazine Métal Hurlant.


Les vitraux d'Adrien Havet & Jesse Daubertes (Førtifem), responsables de la conception graphique, illuminent la chapelle. Les images de H.R. Giger sont nombreuses comme son Necronom (Alien III) qui nous accueille à l'entrée. On découvrira la tapisserie de Philippe Druillet d'après le tableau L’île des morts de Böcklin, les œuvres de John M. Armleder, le crucifix à double hélice de Wim Delvoye ou sa Porte du Paradis, fortement inspirées par le Metal ! Le magnifique catalogue en montre certaines qu'il aurait été difficile de présenter à la Philharmonie. L'ouvrage de 256 pages aborde La scène qui analyse les composants du Metal, L'imaginaire qui le confronte aux différentes formes d'art, et Le public qui interroge les collectionneurs.


Je me souviens d'un concert d'Alice Cooper en 1971 à l'Espace Cardin. La peur n'était pas venue du show grand guignol du chanteur de Detroit produit par Frank Zappa, mais la foule à l'entrée était si serrée, m'écrasant tant que mes pieds ne touchaient plus le sol. Pas de serpent python à la Philharmonie, mais sa guillotine de prestidigitateur qui lui fera plus tard perdre la tête ! Plus loin, une pièce est dédiée au Metal français dont j'ignorais tout.


Si la musique est présente dans les haut-parleurs, des casques permettant d'essayer les pédales d'effets et le proscénium à trois écrans diffusant du live de la mort, Hellfest oblige, l'exposition, conçue par Milan Garcin (historien de l'art qui était l'assistant de Jean-Hubert Martin pour l'exposition Carambolages au Grand Palais dont j'eus le bonheur de composer bande-son et musique en 2016 - cette affirmation du plaisir de la visite se retrouve d'ailleurs ici) et Corentin Charbonnier (anthropologue spécialiste des publics des musiques extrêmes), tourne autour des images théâtrales dont l'humour est un antidote à la puissance macabre de ces rocks martelés. Les masques effrayants font référence au cinéma d'épouvante. Le diable est inspirant avec les dissonances du triton (intervalle de quarte augmentée), surnommé le diabolus in musica, fortement utilisé dans le Metal qui se repaît autant des pompes et circonstances un peu ringardes de la musique symphonique.


Il ne manquait qu'une ligne de coke sur la table basse du salon reconstitué d'un groupe de Metal, mais nous sommes tout de même à la Philharmonie, et l'aspect trash du monde du rock, qu'il soit métal ou marshmallow, ne pourrait être représenté sans de multiples avertissements. Sex, drugs and rock n'roll ? Le sexe non plus n'est pas rappelé au profit des guitar heroes et du décorum saint-sulpicien. J'y ai croisé quelques rares groupies, mais c'était parmi les visiteuses, et encore ! Le Metal est-il si trash à regarder le monde dans lequel nous vivons ? Est-il si théâtral à décoder le storytelling servi dans les livres d'Histoire ou au Journal de vingt heures ? C'est peut-être justement cette projection perverse qui fait tout l'intérêt de ce carnaval morbide et bruyant.

Metal, Diabolus in Musica, exposition à la Philharmonie, jusqu'au 29 septembre 2024
→ Milan Garcin & Corentin Charbonnier, catalogue relié Metal avec couverture noir et argent, ed. Gründ / Musée de la Musique, 39,95€
→ Vétérans de la scène Metal européenne, les Polonais de Behemoth en concert le 30 avril dans la Grande Salle Pierre Boulez.