Dans la famille jazz et musiques improvisées le pianiste Roberto Negro m'apparaît comme l'un des musiciens pouvant un jour devenir compositeur à part entière. Rares sont les Heiner Goebbels ou John Zorn à avoir ressenti le besoin d'étendre leur champ d'investigation vers la contemporanéité, avec un goût prononcé pour la narration et l'architecture musicales. Comme par exemple pour le saxophoniste-clarinettiste Antonin-Tri Hoang, passé ses qualités d'instrumentiste et d'improvisateur, ses œuvres montrent un regard véritablement personnel sur le monde, une interrogation qui dépasse le temps pour déborder sur l'espace. Voilà maintenant des années que ses disques et concerts m'enthousiasment en me faisant découvrir chacun de ses projets comme un pas vers l'inconnu, avec le risque de déplaire ou de se planter, ce qui représente souvent le gage de l'excellence.
En découvrant Newborn, œuvre réalisée par Roberto Negro avec l'Ensemble Intercontemporain, je n'ai pu m'empêcher de penser à la surprise que causa Professor Bad Trip composée de 1998 à 2000 par Fausto Romitelli pour une dizaine d'instrumentistes et électronique. L'instrumentation est proche, le travail sur les timbres remarquable, les transformations électroniques difficiles à déceler parmi les instruments acoustiques, l'œcuménisme musical évident pour aboutir à une pièce difficile à cerner tant elle recèle de surprises. Le trio que le pianiste-claviériste forme avec le délicat magicien des percussions Michele Rabbia et le contrebassiste inventif Nicolas Crosse s'est donc agrandi avec huit autres musiciens de l'Ensemble Intercontemporain ouverts à l'improvisation ou à partager une aventure fondamentalement expérimentale : Valéria Kafelnikov (harpe, harpe électrique), Emmanuelle Ophèle (flûte), Jérôme Comte (clarinette), Clément Saunier et Lucas Lipari-Mayer (trompette), Éric-Maria Couturier (violoncelle), Samuel Favre (percussions), Félix Roth sur l'album ou Baptiste Germser en concert (cor). Comme j'ai évoqué le souci de Roberto Negro de ne pas travailler seulement le son, ajoutons Caty Olive pour la lumière et la scénographie.


À la réécoute je crois reconnaître l'origine des sons cristallins joués au clavier et les effets de délai stéréophonique sur lesquels s'allonge une belle mélodie de cor. Aussi ronde, la flûte s'en mêle sur l'harmonie des cuivres. Le piano imite un arpégiateur erratique. Les percussions font rentrer tout le monde dans le rang avant qu'un free libertaire s'empare de l'ensemble jusqu'à gagner les archets frénétiques. Au tour de la harpe de calmer le jeu, après la tempête. Rappel du cor en point d'orgue. Pince-moi, c'est déjà la fin de la première des quatre parties. Cette modeste description culinaire suggère l'évidence narrative de la construction orchestrale. Miniature pour deux trompettes dans le haut du spectre. La suite sonne plus électroacoustique. J'imagine l'excitation joyeuse des musiciens à frotter, taper, souffler. On passe en douceur d'une météo à une autre. Flûte et électronique font bon ménage. Comme chez Romitelli, on a l'impression que le compositeur a absorbé l'univers, tous les sons du monde, sans se soucier des styles, pour les aimer ou les avoir aimés, quitte à les superposer, du gamelan aux fanfares méditerranéennes. Charles Ives est de la fête. Si le piano est préparé c'est à l'orchestre, comme des tentacules résonnantes. Enfin, Roberto Negro aime mettre des guillemets aux glissements progressifs du plaisir.

→ Roberto Negro & Ensemble Intercontemporain, Newborn, CD Parco della Musica
→ création à Paris le 26 septembre à l'Ermitage