70 Jean-Jacques Birgé

Jean-Jacques Birgé

Aller au contenu | Aller au menu | Aller à la recherche

Résultats de votre recherche de romand.

mercredi 1 mai 2024

L'orchestre des uns les autres


À la fin du film Mix-Up ou Méli-Mélo de Françoise Romand, je me souviens que nous nous étions demandés comment traduire "we all belong one another" pour les sous-titres et que nous avions opté pour un truc du genre "nous nous appartenons tous les uns les autres". Ainsi ai-je traduit le One Another Orchestra par L'orchestre des uns les autres, dénomination que les protagonistes ont choisi pour revendiquer l'absence de chef et la solidarité du groupe. Rien d'étonnant à trouver ce recueil de chants et musiques résistantes sur le label nato, producteur des disques collectifs Buenaventura Durruti, Chroniques de résistance, de la trilogie sur les Indiens d'Amérique ou De l'origine du monde de Tony Hymas. Le pianiste anglais signe ici trois des titres, mais on découvrira aussi des pièces de Beb Guérin, Jacques Thollot, Michel Portal, Lol Coxhill, Nina Simone, Jef Lee Johnson, Sidney Bechet et François Corneloup... L'ensemble me rappelle les beaux arrangements de Carla Bley, les fanfares de la Nouvelle-Orléans ou les clins d'œil carabéens d'Eric Dolphy. C'est que le sextet est également composé de la clarinettiste Catherine Delaunay, des saxophonistes Nathan Hanson et François Corneloup, de la contrebassiste Hélène Labarrière et du batteur Davu Seru, tous et toutes chouchoux du label. Sur la Romance de la Guardia Civil española la rappeuse Billie Brelok a les accents de Violeta Ferrer qui avait l'habitude d'y déclamer les poèmes de Federico Garcia Lorca. Ajoutez les talents d'ingénieur du son de Jacky Molard et les illustrations de Nathalie Ferlut et vous obtenez un des plus beaux disques de ce printemps. La musique est festive. On sent le plaisir d'être ensemble. La musique est légère. On sent le poids de la passion. La musique est grave. On sent le lyrisme de la résistance. La musique est juste de la musique. On sent la chaleur qu'on a en soi et que l'hiver politique avait laissé refroidir.

→ One Another Orchestra, CD nato, dist. L'Autre Distribution, 15€, sortie le 24 mai 2024 (mais le 1er mai est forcément un bon jour pour l'évoquer)

lundi 1 avril 2024

Portée


Les petits sont arrivés sur le fil comme une bande de hooligans. Françoise Romand a dégainé sa caméra. Mes commentaires l'agaçaient. Ne pouvais-je me taire ? La voix humaine, hors-champ, souligne pourtant la perspective. Comment échapper au cliché animalier YouTube ? Françoise a monté le morceau que Bernard Vitet et moi avions enregistré à l'été 1976, au tout début de notre collaboration qui allait durer trente-deux ans [plus quelques années de simple amitié]. Celle avec Françoise date de bientôt dix [quinze au bout du conte]. Le violon, la contrebasse à tension variable et l'orgue à bouche se mélangeant aux piaillements et aux bruits d'ailes, l'évocation commune de la portée est devenue une réalité langagière bien que ce Poison soit paradoxalement une musique non écrite. Tout le monde fait semblant, les oiseaux, nous, Françoise, les spectateurs. Envie d'y croire. L'anthropomorphisme fait le succès des plans-séquences qui inondent la Toile. Retour à l'envoyeur. Les oiseaux ont donné corps à notre dialogue ornithologique. Clip.



Article du 28 mai 2012

lundi 18 septembre 2023

Revision


Jouant aux dix films à emporter sur une île déserte avec Jonathan, je fais une recherche dans mon Blog, et vlan, L'ile déserte sort du chapeau à la date du 18 mai 2007. Je ne m'étais alors autorisé que des films publiés en DVD. La donne a changé. Ma cinémathèque a considérablement augmenté. Aujourd'hui, 31 mai 2011, comme nos listes sont trop longues, nous choisissons seulement des films que nous pourrions revoir quel que soit le moment, là, à l'instant.
Dans le désordre, comme ils me viennent, je sélectionne :
Muriel (Alain Resnais) qui était déjà le premier de ma liste précédente et dont j'ai affublé ma fille en second prénom à son grand dam
La nuit du chasseur (Charles Laughton), film orphelin que Carlotta vient de ressortir au cinéma
Adieu Philippine (Jacques Rozier) dont je connais tous les dialogues par cœur
Johnny Guitare (Nicholas Ray), idem
L'âge d'or (Luis Buñuel) puisqu'il faut bien n'en choisir qu'un
Faust (F.W.Murnau) d'autant que le Drame en avait composé une partition complète et que nous ne l'avons jamais joué
Le testament du Dr Mabuse (Fritz Lang) comme M qui forme dyptique avec lui
Le testament d'Orphée (Jean Cocteau), son dernier film résume toute son œuvre
Anathan (Josef von Sternberg), un autre dernier film, en japonais, commenté par l'auteur
La grande illusion (Jean Renoir) pour ne pas prendre La règle du jeu que Jonathan emporte déjà !
Les demoiselles de Rochefort (Jacques Demy), mais c'eut pu être Les parapluies ou Une chambre en ville
Uccellacci e uccellini (Pier Paolo Pasolini) aussi bien que La ricotta
Histoire(s) du cinéma (Jean-Luc Godard), pirouette élargissant fabuleusement le champ
Cela fait déjà 14 et tous ceux ou celles qui se prêtent à l'exercice trichent en ajoutant qu'ils ont laissé de côté tel ou tel, comme moi Les petites marguerites (Vera Chytilova), Un chant d'amour (Jean Genet), La rue de la honte (Mizoguchi Kenji), Vertigo (Alfred Hitchcock), Mon oncle (Jacques Tati), Le guépard (Lucchino Visconti), Gertrude (Carl T.Dreyer), Persona (Ingmar Bergman), La glace à trois faces (Jean Epstein), A Movie (Bruce Conner), The Peeping Tom (Michael Powell), Hellzapoppin (H.C. Potter), La route parallèle (Ferdinand Khittl), L'homme à la caméra (Dziga Vertov), La face cachée de la lune, que je ne pourrais pas forcément regarder là, tout de suite, sans réfléchir. J'ai carrément oublié Welles, Pasolini, Dreyer, Moullet, Vigo, Bresson, Ophüls, Fuller, Chaplin, Keaton, Fassbinder, Oshima, Varda, Marker, Jacques Tourneur, Lynch, Pelechian, faute de n'avoir pas su choisir... Ni documentaires ni animations, ni ceux de Françoise Romand ou les miens, ni courts-métrages... Le pari est stupide.
Aussi subjectif que moi, Jonathan Buchsbaum sélectionne Muriel et L'âge d'or comme moi, mais ajoute La règle du jeu, Dead Man, Citizen Kane, Satantango, La terre tremble, M le maudit, Les mémoires du sous-développement, Point Blank, Le samouraï, L'éclipse et bien d'autres, parce que nous trichons définitivement tous ! Jonathan, qui m'a suggéré Hell in the Pacific de John Boorman pour illustrer notre île déserte, propose que la prochaine fois nous nommions dix films des vingt dernières années en espérant qu'on arrivera à dix...
L'exercice est un peu vain, mais il peut fournir des pistes. Les choix, forcément subjectifs, renvoient à l'histoire de chacun. Le cinéma a tout à voir avec le souvenir et le fantasme, l'identification à des histoires vécues et les perspectives que l'on se donne encore. Dans ma liste je note tout de même que la mémoire et le testament se complètent, que l'on peut toujours tourner la page et renaître, que tous mes chouchous sont des vecteurs tirant leurs sources dans le passé pour mieux affronter l'avenir et qu'ils incarnent tous une lutte contre la mort. Ce qui me ramène à mon interrogation initiale sur les raisons de ma veille. Le cinéma m'empêcherait de m'endormir, donc de mourir, mais c'est la musique qui me réveille, un merle en particulier, me rassurant chaque matin que je suis toujours en vie.

P.S.: probablement qu'aujourd'hui j'ajouterais quelques films plus récents, mais la cinéphilie demande parfois du temps pour que les raretés fassent surface...

mardi 14 février 2023

(Tapage) Nocturne par Birgé et Segal


L'article du 12 juin 2010 évoque la séance qui marqua le début d'une nouvelle époque où j'assumai de ne plus être "un drame musical instantané". Une page de 32 ans se tournait. C'est le premier index de ce qui deviendra Pique-nique au labo, rencontres régulières avec des improvisateurs enregistrées et publiées aussitôt en albums virtuels sur drame.org. Un double CD en témoigne, bientôt suivi par un deuxième volume courant 2023. C'est aussi un des premiers jalons de notre collaboration avec Vincent Segal et de notre longue amitié. Les photos avaient été prises par le regretté Bruno Riou-Maillard, l'assistant de Bruno Letort. La session est accessible gratuitement sous le titre Comme la rencontre fortuite sur une table de dissection d'une machine à coudre et d'un parapluie !

La radio nous permet de vérifier que nous sommes sur la même longueur d'ondes. La Passion du Vinyl avait été une performance, un jeu de réminiscences, une action-music à deux voix. Cet échange valide nos cordes sympathiques en jouant sans images. Le producteur Bruno Letort n'aurait pu en avoir l'initiative sans avoir entendu parler de notre visite-concert de l'exposition Vinyl à La Maison Rouge. Il n'avait pas vu le film tourné par Françoise Romand. Mais l'idée du duo lui avait plu. Attraper Vincent Segal entre deux trains lui semblait une épreuve. Le violoncelliste et moi avons instantanément sauté sur l'occasion. Sans n'avoir jamais répété ensemble, nous nous étions promenés parmi les pochettes de disques de la collection Schraenen. Sans n'avoir jamais répété ensemble, nous avons hoché la tête pour dire que oui, nous étions prêts. L'enregistrement tournait.
Tout était très doux. Comme la nuit. Nous avions passé deux heures à brancher la mixette, mais surtout à ne pas réussir à récupérer France Musique dans mon ordinateur. Question de câbles, d'asymétrie, d'impédance. Tant pis, fit Vincent, on fera sans. J'acquiesce. Ce n'est pas grave. Je voulais transformer le son de la modulation de fréquence en temps réel, comme dans les années 70 lorsque je montais en direct mes radiophonies. Il est comique de voir tout ce monde penché sur la question sans qu'aucun stress ne s'en dégage. Nous nous lançons donc dans une suite de mouvements courts dont la conversation est le fil rouge, avec en option majeure une ambiance acoustique à ce nocturne "tapageur".


Tapage nocturne est le nom de l'émission de Bruno Letort qui [passait] le dimanche à minuit sur France Musique. Plutôt que jouer aux casques, Vincent Segal proposa de ne pas amplifier son violoncelle tandis que je diffusais le son de mes machines au travers de deux enceintes, à une puissance acoustique s'entend. Tendre l'oreille, être sans cesse à l'écoute, nous réalisons que "nous" jouons ensemble, avec nos instruments relégués à leur rôle d'instruments. D'habitude, si nous sommes amplifiés ou lorsque nous nous coiffons d'un casque, ce sont nos sons qui jouent ensemble, pas nous.
La palette de Vincent me fait penser à un mobile de Calder. Chaque élément a sa forme, son timbre, et l'œuvre n'est équilibrée que par l'audacieuse composition qui l'unifie. Il alterne pizz et archet, joue plusieurs mélodies simultanément, écrase les accords ou rythme l'inexorable pulsion qui nous amène jusqu'à ce dimanche minuit, puisque ces compositions "instantanées" ont été mises en boîte il y a quelques jours. Débarrassé de mes claviers, je joue du Tenori-on sur lequel j'ai ajouté deux banques de sons personnels (la voix d'Elsa enfant et les percussions échantillonnées de mon VFX), ainsi que de la Mascarade machine, l'application conçue avec Antoine Schmitt pour notre duo ensemble. L'instrument constitué d'un ordinateur portable avec webcam et, par extension d'un spot et d'un NanoKontrol, est une sorte de Thérémine du XXIème siècle que l'on contrôle en bougeant les mains à la manière d'un montreur de marionnettes à gaine. Je fais l'appoint avec ma trompette à anche, une varinette et un appeau. Notre musique de chambre se joue d'une jeune complicité où chacun réagit au doigt et à l'œil. [...]

mardi 20 décembre 2022

Todd Solondz


Si vous connaissez Happiness, il vous a forcément marqué. Vous courrez donc voir la suite dix ans après. Nous avions ri d'un bout à l'autre de ce film à la noirceur sans pareil, qui décrit les terribles secrets d'une famille apparemment bien banale. Ne nous y trompons pas, toutes les familles ont des cadavres enfermés dans les placards, mais l'American Way of Life est bâtie sur cet aller et retour entre le pire et le meilleur, faisant mine de croire au pardon quand tout n'est qu'oubli programmé. La véritable violence se dessine dans ces interstices où l'être humain, recherchant un bonheur égoïste, espère faire croire à sa normalité alors qu'il combat avec plus ou moins de succès ses monstres dans l'intimité.


Life During Wartime retrouve la famille de Happiness dix ans plus tard avec de nouveaux acteurs pour les mêmes rôles et Todd Solondz, qui nous avait un peu déçus avec Storytelling et Palindromes, signe son meilleur film depuis son succès de 1998. Certains personnages sont également issus de son second long métrage Welcome to the Dollhouse (Bienvenue dans l'âge ingrat). Son premier, la comédie musicale très woodyallenienne Fear, Anxiety & Depression avait été reniée par son auteur. Si l'humour est toujours présent dans le regard acide que le réalisateur porte sur ses personnages, Life During Wartime provoque moins de rires que Happiness car il est plus tendre. Il n'en a pas la méchanceté, peut-être parce que le 11 septembre aura anesthésié les enfants de l'Oncle Sam. Et Solondz de rapprocher pédophilie et terrorisme, ce qui se trame dans la clandestinité, dans la clandestinité de leurs fantasmes offerts au grand jour en toute banalité. Les parents n'étant plus capables de distinguer ce qui caractérise l'âge adulte, la petite fille de sept ans s'avale du Prozac ou du lithium comme si c'était du Coca. Son frère s'en sortira peut-être mieux, pur produit de l'éducation juive, où le petit mâle naît à treize ans le jour de sa Bar Mitzvah. En l'absence du père annoncé comme mort alors qu'il sort d'une peine de dix ans de prison, le gamin endosse le rôle de chef de famille, caution morale à la fantaisie de sa mère qui voudrait refaire sa vie avec un type bien dont le fils atteint du syndrome d'Asperger (c'est très à la mode, le héros de My Name is Khan en est également atteint) est le seul à ne pas s'intéresser au sexe, plus préoccupé par l'accession de la Chine au premier rang mondial. L'une de ses tantes, scénariste à Hollywood qui a rompu avec sa famille pro-israélienne, s'est fait tatouer Jihad sur le bras, tandis que l'autre qui a quitté son pervers de mari est une sorte de fantôme qui converse avec les morts. À noter l'étonnant Paul Reubens, autrefois connu sous le nom de Pee Wee Herman, héros du premier long métrage de Tim Burton et de nombreux shows télévisés pour la jeunesse, dont la carrière avait été brisée après deux arrestations, la première pour s'être masturbé dans un cinéma porno, la seconde pour une affaire de pédophilie dont il s'était sorti mais qui avait laissé des traces dans l'opinion puritaine. [...]


L'oubli et le pardon sont justement le sujet du film, et lors de l'avant-première au Méliès à Montreuil où nous avait invités Dominique Cabrera, le réalisateur qui était présent, suggéra qu'une famille pieuse pardonnerait plus facilement qu'une famille laïque. Cette affirmation nous parut plus que douteuse si nous nous référons à la politique de l'État religieux d'Israël qui s'appuie sur la mémoire meurtrie du génocide en se vengeant sur une autre population qu'il a spoliée. Heureusement, Life During Wartime, le plus politique de tous ses films, est plus une divagation poétique portée par une analyse féroce de la normalité américaine.
Tourné en numérique par Ed Lachman avec une caméra RED, il aura permis à Solondz de fignoler la direction d'acteurs sans se préoccuper du prix de la pellicule. La scène avec Charlotte Rampling est absolument formidable, mais tout est remarquablement joué dans ce cauchemar éveillé où le quotidien semble lisse alors que les personnages sont perpétuellement en tension, sauf peut-être la petite fille qui est déjà perdue, avalée par les médicaments comme beaucoup d'enfants américains. Françoise fit remarquer à Solondz que s'il pensait que le petit garçon s'en sortirait mieux c'est parce qu'il s'y identifiait. Et le réalisateur de répondre comme tous ses personnages, en faisant semblant de ne pas entendre, mais en s'y résignant, parce que l'on ne peut choisir entre la mémoire et la vengeance, ou l'oubli et le pardon. Seule l'analyse peut nous permettre de rompre le cycle infernal. La compréhension des démons permet de les apprivoiser en remontant aux sources, ce que l'étude comportementale ne saurait résoudre par quelque traitement mécaniste.

Article du 11 avril 2010

mercredi 7 décembre 2022

Fictions documentaires de Lionel Rogosin


[...] Après The Savage Eye la semaine dernière, j'ai l'immense plaisir de revoir un autre film sorti en 1959, l'incontournable Come Back, Africa de Lionel Rogosin dans un coffret avec On The Bowery et Good Times, Wonderful Times [aujourd'hui épuisé]. Comparant ma copie 16mm, que je n'ai pas sortie de sa boîte depuis une éternité [et déposée depuis à la Cinémathèque Robert Lynen], avec ce nouveau master je suis stupéfait par la beauté de l'image. De plus le documentaire qui l'accompagne livre les clefs de ce film unique tourné clandestinement à Johannesburg pendant l'Apartheid. Si Rogosin s'y réclame de Flaherty et De Sica dans son approche du documentaire, sa fiction filmée in situ avec des non-acteurs n'a rien à voir avec le terme de cinéma-vérité si abusivement employé, et c'est tant mieux ! En regardant Come Back, Africa, on constate la distance entre la prétendue vérité défendue par Rouch ou, pire, Lanzmann et l'authenticité analytique de Strick, Rogosin, Cassavetes, Varda ou Romand qui font glisser leurs œuvres vers des formes de réalisme poétique qui ne trichent jamais avec l'illusion cinématographique. Dès qu'il pose un regard sur une scène, que la caméra soit cachée ou visible, dès qu'il cadre, le cinéaste fait des choix et leurs modèles, se sachant filmés, ne se comportent plus de la même façon. Il faut alors inventer autre chose...


Come Back, Africa est un témoignage époustouflant sur l'Afrique du Sud et le racisme, un brûlot politique généreux, une histoire terrible et émouvante, un film de cinéma avec des acteurs formidables. La chanteuse Miriam Makeba sera contrainte à l'exil pendant 31 ans suite à sa prestation merveilleuse. La musique est d'autant plus présente dans le film que Rogosin faisait semblant de faire un documentaire pittoresque pour échapper à la censure et à l'extradition.
On The Bowery, tourné trois ans plus tôt pour se faire la main et apprendre à filmer, utilise déjà le procédé du récit de fiction dans un univers documentaire. Je n'ai jamais supporté les histoires d'ivrognes, j'ignore pourquoi, mais, films ou romans sur le sujet me mettent terriblement mal à l'aise. Le film de Rogosin n'a pas la complaisance de La merditudes des choses (mk2) regardé la semaine dernière et qui m'a complètement déprimé. Les clochards, qui ne vivent que pour l'alcool et en crèvent, préservent une petite part de dignité ; s'ils sont parfaitement conscients de leur déchéance ils ne la portent pas en étendard. Ceux du film ont souvent eu du mal au retour de la guerre en Europe. Un long bonus éclaire l'histoire de la plus ancienne rue new-yorkaise devenue le refuge de tous les marginaux jusqu'à ce que Manhattan soit "nettoyé" au tournant du siècle comme le montre un autre court-métrage. Le regard humaniste que le réalisateur jette sur ses personnages donne leur originalité à ses films.
Good Times, Wonderful Times est un documentaire pacifiste de 1965 proche des idées de Bertrand Russell, pamphlet contre les armes nucléaires en forme de long ciné-tract qui oppose les invités futiles et conformistes d'un cocktail londonien et des images d'archives exceptionnelles sur les ravages de la seconde guerre mondiale. La gloire illusoire des jeunesses hitlériennes s'éteindra sous les décombres de l'Allemagne rasée, dans le froid glacial du Front de l'Est et les camps d'extermination qui sont le déclencheur de l'engagement de Rogosin. Les images d'Hiroshima sont tout autant insoutenables. L'utilisation contrapuntique d'un rock 'n roll souligne le danger de ne pas vouloir croire aux signaux d'alarme tandis que des comparses jouent les "barons" pour révéler l'idéologie des petits bourgeois de la party. Comme dans tous les films de Lionel Rogosin, aucun commentaire ne vient polluer la démonstration, laissant au spectateur la liberté de ses émotions.

Article du 7 avril 2010

lundi 5 décembre 2022

Vous aurais-je oublié ?


Sur le site du Drame le lien est discret, mais tout en bas de la page d'accueil il faut tomber sur les Crédits pour découvrir mes remerciements à toutes celles et tous ceux que j'ai accompagnés ou qui m'ont accompagné d'une manière ou d'une autre. Comme ma mémoire fait défaut, j'ai constitué cette liste au fur et à mesure depuis 1995, création du premier site, et 2010 lorsque Jacques Perconte m'aida à sa refonte. Hélas parfois le nom de certains ou certaines ne me dit plus rien et je dois faire des recherches compliquées pour raviver ma mémoire. L'important c'est qu'il ou elle soit là, y compris celles et ceux qui nous ont quittés et qui nous manquent souvent cruellement. Musiciens, cinéastes, plasticiens, comédiens, chorégraphes, écrivains, ingénieurs du son, techniciens, journalistes, illustrateurs, maquettistes, producteurs, organisateurs de spectacles, développeurs, scénographes, gens de radio ou de télévision, commissaires d'exposition, disquaires, photographes, assistants, je ne serais pas là sans elles et sans eux.

J'ai ainsi tenu à remercier Homeira Abrishami, Françoise Achard, Sophie Agnel, Paula Aisemberg, Lucien Alfonso, Pedro Almodóvar, Anne Amiand, Richard Arame, Steve Argüelles, Feodor Atkine, José Artur, Cyril Atef, Étienne Auger, Serge Autogue, Gérard Azoulay, Mourchid Baco, Mama Baer, Bradford Bailey, Balanescu String Quartet, Anilore Banon, Patrick Barbéris, Raùl Barboza, Luc Barnier, Patrice Barrat, Bruno Barré, Igor Barrère, Franpi Barriaux, Uriel Barthélémi, Hélène Bass, Blick Bassy, Michal Bathory, Nathalie Baudoin, Ruedi Baur, Michael Bazini, Sidney Bechet, Claudette Belliard, Dominique Belloir, Patrick Bensard, Samuel Ber, Antoine Berjeaut, Sophie Bernado, Sébastien Bernard, Maryse Bernatet, Jacques Berrocal, Michel Berto, Jacques Bidou, Christian Billette, Elsa Birgé, Geneviève et Jean Birgé, Jane Birkin, Charles Bitsch, Ludovic Blanchard, Daphna Blancherie, Emmanuelle Blanchet, Nico Bogaerts, Richard Bohringer, Marc Boisseau, François Bon, Antoine Bonfanti, Raymond Boni, Marianne Bonneau, Stéphane Bonnet, Marc Borgers, Irina Botea, Elisabeth Boudjema, Noémie Breen, Hélène Breschand, Dee Dee Bridgewater, Alex Broutard, Jean Bruller dit Vercors, Étienne Brunet, Menica Brunet-Fabulet, Jean-Yves Bouchicot, Jean-Louis Bucchi, Nicolas Buquet, Bumcello, Noël Burch, Christine Buri-Herscher, Michèle Buirette, Fara C, Geneviève Cabannes, Dominique Cabréra, Patrice Caillet, Philippe Caloni, Lulla Card, Phillipe Carles, Carolyn Carlson, Rafael Carlucci, Élise Caron, Kent Carter, Amandine Casadamont, Gwen Catalá, Stéphane Cattaneo, François Cavanna, Marc Cemin, Evan Chandlee, Dorothéee Charles, Denis Charolles, Christophe Charpenel, Jean-Louis Chautemps, Lulu Chedmail, Nicolas Chedmail, Nicholas Christenson, Mino Cinelu, Mikaël Cixous, Eric Clapton, Valentin Clastrier, Nicolas Clauss, Bass Clef, Annabel Clin, Alain Cluzeau, Gilles Cohen, David Coignard, Denis Colin, Médéric Collignon, Isabelle Collin, Hélène Collon, Henry Colomer, Pascal Contet, Controlled Bleeding, François Corneloup, Aude de Cornoulier, Gilles Coronado, Francisco Cossavella, Lol Coxhill, Valérie Crinière, Sonia Cruchon, Francisco Cruz, Pablo Cueco, Élise Dabrowski, Marwan Danoun, Philippe Danton, Louis Daquin, Corine Dardé, Isabelle Davy, Jon Dean, Françoise Degeorges, Olivier Degorce, Thierry Dehesdin, Benoît Delbecq, Marie-Reine Delpech, Éric Delva, Jacques Denis, Antoine Denize, Jean-Claude Deretout, Régis Deruelle, Xavier Desandre-Navarre, Philippe Deschepper, Pierre Desgraupes, Daniel Deshays, Agnès Desnos, Julien Desprez, Marie-Jésus Diaz, Dana Diminescu, Bernard-Pierre Donnadieu, Jimmy Doody, Yves Dormoy, Brigitte Dornès, Pierre-Étienne Dornès-Thiébaut, Iann Douarinou, Nicolas Dourlhès, Tom Drahos, Benoît Drouillat, Claudine Ducaté, Bernard Ducayron, Alain Durel, Frédéric Durieu, Pierre Durr, André Dussollier, Serge Duval, Antoine Duvernet, Éric Échampard, Linda Edsjö, Xavier Ehretsmann, Julien Eil, Youssef el Idrissi, Samy El Zobo, Ella & Pitr, Alix Ewandé, Pere Fages, Valéry Faidherbe, Fantazio, Pierre Favre, David Fenech, Roger Ferlet, Luc Ferrari, Jean Ferry, Véronique Fèvre, Jean-André Fieschi, Fillion-Guttin, Jean-Luc Fillon, Dominique Fonfrède, Brigitte Fontaine, Isabelle Fougère, Fidel Fourneyron, Régis Franc, Daniela Franco, Mathias Frank, André Franquin, Stéphane Frattini, Alan Freeman, Peter Gabor, Françoise Gagneux, Jalal Gajo, Vyacheslav Ganelin, Christophe Gans, Maurice Garrel, Olivier Gasnier, Sacha Gattino, mc gayffier, Lucas de Geyter, Raphaëlle Giaretto, Jean-Pierre Gillard, Bruno Girard, Gabriel Glissant, Vinko Globokar, Fred Goaty, Michel Godard, Corinne Godeau, Jean-Brice Godet, Alba Gomez-Ramirez, Zeev Gourarier, Alain Grange, Geoffrey Grangé, Jean-Loup Graton, Alexandra Grimal, Antoine Guerrero, Louis Hagen-William, Wassim Halal, Franck Hammoutène, Richard Hamon, Yoshihiro Hanno, Alain-René Hardy, George Harrison, Richard Hayon, Tincuta Heinzel, Annick Hémery, Jean-Jacques Henry, Werner Herzog, Kommissar Hjuler, Anh-Van Hoang, Antonin-Tri Hoang, Karsten Hochapfel, James et Liliane Hodges, Veronica Holguin, Hugh Hopper, Horace, Michel Houellebecq, Éric Houzelot, Régis Huby, Emmanuelle Huret, Tina Hurtis, Tony Hymas, Jean-Jacques Imerglik, Naïssam Jalal, Théo Jarrier, Werner Jeker, David Jisse, Eltron John, Jef Lee Johnson, Oliver Johnson, Matthieu Jouan, Patrick Joubert, Lors Jouin, Igor Juget, Wolf Ka, Hermine Karagheuz, Sylvain Kassap, Dill Katz, Ademir Kenovic, Nikoleta Kerinska, Klee, Olivier Koechlin, Jürgen Königer, Philippe Kotlarsky, Ivan Kozelka, György Kurtag Jr, Hélène Labarrière, Philippe Labat, Pascale Labbé, Hervé Lachize, Philip de La Croix, Alain Lacombe, Étienne Lalou, Daniel Laloux, Nathalie Lance, Jean-Pierre Laplanche, Mireille Larroche, Michèle Larue, Fanny Lasfargues, Pierre Lavoie, Daunik Lazro, Ronan Le Bars, Youenn Le Berre, Nicolas Le Du, Arnaud Le Gouëfflec, Anne-Sarah Le Meur, Le Tone, Joëlle Léandre, Pascal Lebègue, Madeleine Leclair, Jocelyne Leclercq, Irène Lecoq, Patrick Lefebvre, Murielle Lefèvre, Hervé Legeay, Pascal Légitimus, Philippe Legris, André Lejarre, Sylvain Lemêtre, Paul Lemos, Jean-Pierre Lentin, Corinne Léonet, William Leroux, Bruno Letort, Michel Levasseur, Mathias Lévy, Pierre Oscar Lévy, Marc Lichtig, Karl Lieppegaus, Éric Longuet, Michael Lonsdale, Bernard Loupias, Serge Loupien, Bernard Lubat, René Lussier, Birgitte Lyregaard, Jean-Pierre Mabille, Ahmed Madani, Jean-Marie Maddeddu, Colette Magny, Martin Maillardet, Sabine Maisonneuve, Kristine Malden, Didier Malherbe, Bernard Mallaterre, Frank Mallet, Sous-commandant Marcos, Christian Marin, Francis Marmande, Alexandre Martin, Arlette Martin, Jean-Hubert Martin, Lionel Martin, Jacques Marugg, Cesare Massarenti, Massimo Mattioli, Gary May, Dominique Meens, Mephisto, Annick Mevel, Olivier Mevel, Youval Micenmacher, Jocelyn Mienniel, Claire and Étienne Mineur, Jouk Minor, Valérie Moënne, Benoit Moerlen, Bernard Mollerat, Jacques Monory, Anne Montaron, Agnès and Philippe Monteillet, Alain Monvoisin, Nicolas Moog, Thurston Moore, Maxime Morel, Mathilde Morières, Pierre Morize, Ken Morris, Talia Mouracadé, Manolis Mourtzakis, Dolf Mulder, Michel Musseau, Judit Naranjo Rib, Basile Naudet, Laure Nbataï, Dj Nem, Louis-Julien Nicolaou, Lé Quan Ninh, Laura Ngo Minh Hong, Natacha Nisic, Stéphane Ollivier, Hugues Ometaxalia, Aki Onda, Nicolas Oppenot, Christian Orsini, Ben Osborne, Yuko Oshima, Jean-Éric Ougier, Kvèta Pacovská, Csaba Palotaï, Gérard Pangon, Guy Pannequin, Vilma Parado Dejoras, Jean-François Pauvros, Jacques Peillon, Hervé Péjaudier, Yves Pénaud, Jacques Perconte, Didier Périer, Edward Perraud, Didier Petit, Patrice Petitdidier, Claude Piéplu, Guy Piérauld, Max Pinson, Philippe Pochan, Laurent Poitrenaud, Michel Polizzi, Jean-Louis Pommier, Olivier Poncer, Jonathan Pontier, Daphné Postacioglu, Michel Potage, Hasse Poulsen, Anna Prangenberg, Xavier Prévost, Yves Prin, Maÿlis Puyfaucher, Sophie de Quatrebarbes, Jean Querlier, Joseph Racaille, Sylvain Ravasse, Jacques Rebotier, Luis Rego, François Reichenbach, Dominique Répécaud, Nathalie Richard, André Ricros, Michael Riessler, Sylvain Rifflet, Marie-Noëlle Rio, Bruno Riou-Maillard, Eve Risser, Annick Rivoire, Philippe Robert, Yves Robert, Walter Robotka, Jean Rochard, Gilles Rollet, Jean Rollin, Françoise Romand, Aldo Romano, Gwennaëlle Roulleau, Xavier Roux a.k.a Ravi Shardja, Jacques Rouxel, Guillaume Roy, Frank Royon Le Mée, Marie-Noëlle Sabatelli, Farhad S., Hélène Sage, Makiko Sakurai, John Sanborn, Raoul Sangla, Adriana Santini, Benjamin Sanz, Sapho, Raymond Sarti, Sylka Sauvion, Tuff Sherm, Antoine Schmitt, Bruno Schnebelin, Jean-Nicolas Schoeser, Louis Sclavis, Laura Seaton, Miroslav Sebestik, Vincent Segal, Boris Séméniako, Michel Séméniako, Pierre Senges, Christelle Séry, Romina Shama, Archie Shepp, Shiroc, Abdulah Sidran, Didier Silhol, Jean-Pierre Simard, Gérard Siracusa, Yassine Slami, Madeleine Sola, Marie-Christine Soma, Silvio Soave, Aldo Sperber, Alan Spira, Monika Stachowski, Steve Stapleton, Frédéric Stignani, Laurent Stoutzer, Fabiana Striffler, Frédéric Tachou, Christian Taillemite, Cécile Tamalet, Tamia, Henri Texier, Claude Thiébaut, Benoît Thiebergien, Michel Thion, Jean Tholance, Florian Tirot, Toffe, Benoît Tonnerre, Topper, Gérard Touren, Michel Tournier, Luigee Trademarq, Bernard Treton, Claudia Triozzi, Élisa Trocmé, François Tusques, Richard Ugolini, Valentina Vallerga, Serge Valletti, Monique Veaute, Brigitte Vée, Jorge Velez, André Velter, David Venitucci, Daniel Verdier, Éric Vernhes, Isabelle Veyrier, Magali Viallefond, Antoine Viard, Martine Viard, Lucinda Vieira Monteiro, Franck Vigroux, Edgar Vincensini, Boris de Vinogradov, Jacques Vivante, Jean-Pierre Vivante, Jean-François Vrod, Michaëla Watteaux, Gershon Wayserfirer, Joël Weiss, Robert Weiss, Benoît Widemann, Mary Wooten, Sun Sun Yip, Otomo Yoshihide, Meidad Zaharia, Hervé Zenouda, Valérie Ziegler, Carlos Zingaro et toutes les belles personnes avec qui nous avons partagé de délicieux moments.

Dédicace spéciale à Frank Zappa, John Cage, Robert Wyatt, Michel Portal dont les encouragements furent précieux à mes débuts. Pensée quotidienne à Bernard Vitet. Je n'ai évidemment pas cité Francis Gorgé avec qui j'ai commencé, l'autre pilier d'Un drame musical instantané et toujours mon ami. Pour les autres, se reporter aux paroles de l'index 1 de l'album Chansons.

vendredi 4 novembre 2022

Le son de Vinyl



LA PASSION DU VINYLE

Après la première station sous le signe de la musique d'ameublement d'Erik Satie, nous avons gravi le chemin transportant l'un sa boîte de violoncelle et un tourne-disques, l'autre sa valise remplie de disques et d'instruments électroniques. Passés devant le Domaine Musical, Eskimo des Residents, Portal par Alechinsky, nous nous sommes arrêtés pour piétiner et diffuser les Footsteps de Christian Marclay. Depuis son acquisition, plus le vinyle est esquinté plus le son est intéressant. Quelques mètres plus loin, pour interpréter un duo de musique répétitive devant les Philip Glass de Sol LeWitt, je sors mon Tenori-on dont le son est plus discret que je ne m'y attendais, obligeant Vincent Segal à jouer pianissimo. Tandis que je diffuse lithurgiquement le 45 tours souple de L'Apothéose du Dollar par Salvador Dali, Vincent glisse un petit Bach (photo 1) ! Sous la vitrine, nous découvrons un disque en chewing gum qui aurait plu au Catalan.


Vincent attaque O Superman, qu'il a déjà fait avec Laurie Anderson, en jouant simultanément la pédale rythmique et la mélodie. Mes boucles vocales au Tenori-on prennent quelques libertés avec l'original (photo 6). Nous sommes plus révérencieux avec 4'33 de John Cage ; j'ignore si c'est une première mondiale de l'interpréter en duo, mais nous jouons parfaitement ensemble (photo 3) ! Vincent déploie une partition très annotée de Ligeti et une autre, autographe, de Pierre Boulez. J'accompagne au Kaossilator Martin Fournier, spectateur anglophone, récitant magnifiquement un texte d'Allen Ginsberg, avant que mon camarade s'interroge sur le Johnny Griffin de Warhol et que je conte mes aventures adolescentes avec les Beatles. J'offre quelques exemplaires de Rideau ! à la cantonade après que nous ayons exécuté un playback à la flûte et au violoncelle sur M'enfin (photo 2). Ce n'est pas tous les jours que les visiteurs d'une exposition d'art contemporain repartent avec une des œuvres sous le bras ! Nouveau duo avec flûte devant The Last LP de Michael Snow où nous prétendons avoir arrangé un morceau d'une tribu disparue, à l'image du canular de l'artiste canadien. Auparavant j'ai montré les pochettes doubles d'un autre album de Snow et du trio Laurie Anderson / John Giorno / William Burroughs. À cette occasion je suggère à Vincent de faire l'expérience du triple sillon de la quatrième face : le choix du morceau est aléatoire.


J'ai apporté des extraits de 3/3 par 1/2 (trois tiers par Un DMI) que nous avions enregistré sur Machiavel avec trois bouts de vinyle de trois différents disques du Drame (écoutable ici). La force centrifuge du tourne-disques portable expulse les tranches de gâteau noires qui scratchent toutes seules sous l'aiguille, composant un morceau inédit surprenant, d'autant que j'ai placé dessous l'une des faces bruitistes du Snow (photos 4-5). Terminant par un hommage à Fluxus, Vincent trace un sillon avec un clou sur la surface vierge du disque à graver soi-même de Maurice Lemaître, puis il joue des Keuss Keuss tandis que je hurle, un susu dans la bouche, sur deux de ses poèmes, L'équipée sauvage et Valse japonaise ! C'est terminé, Vinyl ferme pour ce soir, nous avons improvisé un programme de près de deux heures. Le public est aussi enchanté que nous deux qui nous sommes bien amusés...

Photos © Mathilde Morières, sauf n°3 Corinne Dardé (celle où l'on voit Françoise Romand filmer, ce qui laisse présager d'un futur YouTube qui sera également en ligne sur le site de La Maison Rouge). Merci les filles !

Article du 23 mars 2010

LE SON DE VINYL


Françoise Romand a terminé le montage du film tourné lors du concert-visite que nous avons réalisé avec le violoncelliste Vincent Segal le 21 mars à La Maison Rouge (Photo Mathilde Morières). Filmé avec une HandyCam, le court-métrage rend bien l'ambiance de la performance qui dura près de deux heures. Nous avons exclu l'interprétation mémorable de 4'33 de John Cage qui se prête mal à une diffusion cinématographique et avons écourté nombre de stations. De même, nous ne nous sommes pas attardés sur les dizaines de pochettes que nous avons commentées en direct, préférant privilégier les séquences musicales. Pour rendre digeste la diffusion sur Internet, nous avons découpé le film de 23'23 en trois parties.


Première Partie (8'37)
Vincent Segal (violoncelle) et Jean-Jacques Birgé (Tenori-on)
autour de Christian Marclay, Helio Oiticica, Philip Glass, Laurie Anderson...


Seconde Partie (5'46)
Jean-Jacques Birgé (Kaossilator), Vincent Segal (violoncelle) et la participation de Martin Fournier (voix)
autour de Laurie Anderson, William Burroughs, John Giorno, Allen Ginsberg, Salvador Dali, Iannis Xenakis, Pierre Boulez...


Troisième Partie (9'00)
Vincent Segal (violoncelle, tourne-disques, keuss keuss) et Jean-Jacques Birgé (flûte, tourne-disques, susu, varinette)
autour d'Un Drame Musical Instantané, Michael Snow, Maurice Lemaître...

J'ai choisi de placer le film à la fois sur DailyMotion, YouTube et Vimeo, ici dans l'ordre croissant de qualité constatée avec le même fichier. Il est intéressant de noter que la meilleure reproduction s'avère celle du site le moins fréquenté.

P.S. : je remarque seulement ce matin que le 33 tours d'Hélène Sage et Bernard Vitet, Supposons le problème résolu paru chez GRRR également, figurait dans le catalogue de l'exposition, aux côtés de Rideau ! et À travail égal salaire égal d'Un Drame Musical Instantané.

Article du 5 avril 2010

FACE B, EN CLÔTURE DE LA MAISON ROUGE

La fin de cette aventure se tiendra huit ans plus tard à l'occasion de la soirée de clôture de La Maison Rouge. Le 27 octobre 2018, Vincent Segal, Antonin-Tri Hoang et moi-même y avons joué Face B en direct sur un montage de Daniela Franco. Le film de cette soirée est sur le lien ci-dessus agrémenté d'un dernier article daté du 17 mai 2019.

jeudi 30 juin 2022

Électrocution au révolver


Cette soirée du 13 janvier 2010 aura été une soirée mémorable, car c'est probablement la dernière à laquelle mon camarade Bernard Vitet s'est rendu avant de tomber malade. Elle revêt aussi une certaine importance pour le pianiste Benoît Delbecq qui avait émis depuis longtemps le souhait de passer une soirée avec notre ami, exceptionnel compositeur et trompettiste. Bernard s'est éteint le 3 juillet 2013 après deux ans et demi qui lui furent très pénibles.

Bernard Vitet se promène toujours avec de drôles de briquets qu'il achète à une Chinoise de son quartier. Il ne craint pas qu'un convive les embarque par inattention. Ce sont souvent des chalumeaux qui permettent d'orienter la flamme horizontalement. L'engin qu'il tient à la main pendant qu'il discute avec Benoît Delbecq est particulièrement pervers. Si l'on actionne la gâchette on reçoit une décharge électrique terriblement puissante. Le choc semble aussi fort que lorsque l'on touche du 220 volts. Pour allumer ses cigarettes, qu'il enchaîne les unes sur les autres malgré ses poumons fragiles, il doit agir sur le chien. L'atmosphère est enfumée. Fut un temps où nous travaillions quotidiennement ensemble avec Francis Gorgé. L'odeur de ses blondes court-circuitaient celle des Bastos de Bernard, mais à la fin de la journée le studio était envahi d'un nuage de poison. Je devais aérer pendant des heures après leur départ et j'avais fini par installer un avaleur de fumée faisant également office d'ionisateur. Aujourd'hui le moindre mégot empuantit l'espace clos et je dois vider les cendriers au fur et à mesure pour ne pas me sentir oppressé. Nous ne sommes plus habitués. L'atmosphère du salon est moins confinée, mais Françoise fait des courants d'air à nous faire attraper la crève.


Après le dîner, Benoît nous fait écouter son nouvel album en quartet avec le trompettiste norvégien Arve Henriksen, le batteur Lars Juul et son vieux complice Steve Argüelles trafiquant les sons aux commandes du logiciel Usine et de son filtre Sherman. Ce Way Below the Surface des Poolplayers est coolissime, nous attirant vers les grands fonds où la pesanteur est un vague souvenir. Je me sens plus proche de la musique de Benoît quand il prépare son piano que lorsqu'il en joue "nature". Le Bösendorfer du studio de La Mise en Circuit sonne alors comme un orchestre. J'apprécie toujours son élégance et le raffinement de son jeu tout en nuances, plus varié et évidemment mieux mis en valeur sur son nouvel album solo, The Civitella Project, également produit chez Songlines.
Nous réécoutons aussi Machiavel sur lequel nous jouons tous les trois. Le disque d'Un Drame Musical Instantané a été enregistré en 1998. Déjà douze ans [24 aujourd'hui] ! Benoît figure au sampleur et au synthé sur le premier morceau Night Knight avec Bernard à la trompette, Steve à la batterie et Philippe Deschepper à la guitare. Je produis les nappes de cordes et introduis pour la première fois du Theremin dans un morceau. Il joue aussi sur L'aiguille creuse, toujours avec Bernard, mais cette fois je me sers d'un processeur vocal et DJ Nem scratche remarquablement ses platines. Le disque a beau rassembler des pièces que nous avons composées Bernard, Francis et moi de 1980 à 1982, des remix d'Agnès Desnos, Étienne Auger, Luigee Trademarq et Steve, un faux vieux morceau avec le trombone Yves Robert, le puzzling de 3/3 par 1/2 où nous avions découpé trois disques noirs du Drame en trois morceaux égaux comme les parts d'une tarte, puis recollé trois tiers différents ensemble sur la platine du tourne-disques, et mon préféré, Crimes parfaits, avec la radiophonie de centaines d'échantillons que l'on appellerait aujourd'hui "plunderphonics", l'album, très électro, est étonnamment homogène. Antoine Schmitt a réalisé l'adaptation pour Mac et PC de la partie CD-Rom de Machiavel qui ne tournait plus sur les nouvelles machines et qui [est] téléchargeable gratuitement sur le site Internet qui lui [est] dédié.

Article du 14 janvier 2010

vendredi 14 janvier 2022

Neuf articles avec Agnès Varda

<img src=

UNE LEÇON DE JEUNESSE
20 juin 2006


Agnès Varda s'expose à la Fondation Cartier à Paris [...]. La cinéaste qui inaugura la Nouvelle Vague avec La pointe courte (1954) et Cléo de 5 à 7 (1961), avant la bande de garçons des Cahiers du Cinéma, est célèbre pour ses films L'une chante l'autre pas, Sans toit ni loi, Jacquot de Nantes (sur son mari Jacques Demy), Les glaneurs et la glaneuse et nombreux courts-métrages.
L'année dernière, nous avions déjà admiré le travail de cette jeune femme de 78 ans à la Galerie Martine Aboucaya où elle présentait Le triptique de Noirmoutier jouant sur le hors champ par un amusant coulissement de persiennes, et surtout Les veuves de Noirmoutier, où 14 écrans entourent un quinzième central. En face, sont installées 14 chaises avec 14 casques audio. À chaque chaise et casque correspond le son de l'une des séquences, les chaises dessinant en miroir le même damier que l'ensemble des séquences projetées. L'image composite reste la même, mais le son change. À soi de retrouver la veuve à qui il appartient... L'une d'entre elles est évidemment l'auteur. Ces deux installations sont présentées au sous-sol avec trois autres, celles-ci conçues, comme celles du rez-de-chaussée, à l'occasion de cette exposition dont le thème est l'île de Noirmoutier où la cinéaste possède une propriété. En 2005, Agnès Varda recevait ses amis déguisée en patate (sic), clin d'œil à ses premiers pas d'artiste plasticienne à la Biennale de Venise en 2003 où elle avait présenté Patatutopia et à sa taille, haute comme trois pommes (de terre) !
Au rez-de-chaussée de l'immeuble dessiné par Jean Nouvel, sont installées trois œuvres. Ping Pong Tong et Camping est un petit film de plage en boucle, projeté sur un matelas gonflable, avec en alternance le percussionniste Bernard Lubat qui tapote bombardé de balles de ping pong ou le BACHotron de Roland Moreno, le génial inventeur de la carte à puces (aussi allumé que le fut Einstein dans sa vie quotidienne, voyez son site si vous pouvez en croire vos oreilles !). Seaux, raquettes, pelles en plastique aux couleurs vives, encadrent l'écran, et sur le côté, une autre boucle vidéo montre des tongs encore plus fantaisistes que celles accrochées tout en haut. C'est gai, ludique et charmant. Dans La cabane aux portraits sont accrochés d'un côté 30 hommes et de l'autre 30 femmes ; c'est plus sévère, sauf si les cartes se mélangent quand la nuit tombe et que la Fondation ferme ses portes ? N'oublions pas qu'Agnès Varda commença au théâtre comme photographe de plateau, en particulier en Avignon avec Jean Vilar ! Dans le catalogue de l'exposition ressemblant à un très beau livre pour enfants et particulièrement réussi, elle fait appel au décorateur de l'expo, Christophe Vallaux, pour ses dessins (voir ci-dessus). Ma cabane de l'échec est une serre dont les murs sont constitués des chutes de pellicule du film Les créatures, déjà tourné dans l'île, flop de l'année 1966 avec Catherine Deneuve et Michel Piccoli, dont on ne peut voir que les images anamorphosées pendant le long des murs ou un extrait, plus loin, sur une vieille table de montage...

Au sous-sol, Le passage du Gois simule la route submersible qui relie l'île au continent, une barrière automatique scande les marées, empêchant ou laissant passer les visiteurs. Le Tombeau de Zgougou est représenté par un tumulus sur lequel est projeté un petit film d'animation avec des coquillages. On connaissait déjà l'Hommage à Zgougou, bonus du film Les glaneurs et la glaneuse, mais ce dernier épisode est si tendre qu'on pense encore à un rituel pour atténuer la douleur des enfants. Ceux d'Agnès, Mathieu et Rosalie, sont grands, mais elle tient très bien sa place de grand-mère gâteau. Enfin, près d'un tas de sel, les fenêtres de La grande carte postale ou Souvenir de Noirmoutier s'ouvrent sur cinq petites scénettes cinématographiques : la main de Demy malade sur le sable, des enfants farceurs montrent leurs fesses, des oiseaux mazoutés agonisent, est-ce un noyé qui flotte entre deux eaux ?
Le site de la Fondation Cartier est très bien fait, beaucoup d'informations et d'images sur L'île et Elle, si ce n'est une insupportable (par sa répétitivité) boucle de percussion du camarade Lubat. La conception sonore du site n'est vraiment pas à la hauteur du reste, mais on a hélas si souvent l'habitude de couper le son sur Internet, n'est-ce pas ?
On peut être étonnés que ce soit deux cinéastes dont la carte vermeille commence à s'effacer qui réalisent parmi ce qui se fait de plus intéressant et de plus émouvant dans le domaine des nouvelles technologies, et ce de manière totalement artisannale. Je pense aux films de Chris Marker et à son CD-Rom "Immemory'', comme à Agnès Varda dont les boni sont amoureusement composés pour accompagner la réédition de ses films ou ceux de son mari, le très regretté Jacques Demy, et ici l'amorce d'une nouvelle carrière d'artiste plasticienne à bientôt 80 ans ! Car ce n'est pas la prouesse technique qui fait sens, mais le regard que ces deux amoureux des chats portent sur le monde, et sur ces formes d'expression modernes leur offrant de nouveaux champs d'expérimentation, terrain de jeu où se mêlent ici une véritable tendresse et la plus grande fantaisie.

LES JUSTES
22 janvier 2007


Si vous habitez Paris, allez au Panthéon voir la formidable installation artistique de la juvénile Agnès Varda sur les Justes ! L'entrée est gratuite. C'est aussi une occasion de visiter le monument qui d'habitude est d'une froideur absolue et d'un kitsch achevé.
La réalisatrice Agnès Varda accomplit là un miracle. Comment rendre hommage aux Français et Françaises qui, pendant la seconde guerre mondiale, ont pris le risque de cacher des Juifs, désobéissant aux Nazis et au régime de Vichy ? Des citadins ont été sauvés par des paysans. Des enfants eurent la vie sauve grâce au courage de ces hommes et de ces femmes dont les photographies occupent le centre de la nef. Certains ont été arrêtés et déportés à leur tour. À la fin de la projection, des spectateurs ne peuvent s'empêcher de laisser couler une larme. Agnès Varda réussit l'exploit de réaliser une œuvre contemporaine qui s'adresse au plus grand nombre.
Quatre écrans encerclent les cadres photographiques. Deux films sont projetés deux par deux sur des murs de pierre reconstitués et dressés pour masquer les quatre habituelles statues ringardes. Le premier est tourné en noir et blanc comme un document d'époque ; le second, en couleurs, est une évocation dramatique. Les deux films, aux plans très semblables, sont synchrones, le temps de neuf minutes d'un montage magiquement rythmé, sonorisé par les bruits du drame, par une berceuse yiddish et un violon alto l'imitant en tournant autour du sol. La fiction et le documentaire se rejoignent dans notre imaginaire. Paradoxalement, Agnès Varda a cherché des visages de Justes qui ressemblent à ses acteurs. Elle joue de toutes les dialectiques pour atteindre l'émotion juste. On peut marcher autour de l'installation, rester figé devant le spectacle de la résistance, laisser ses yeux errer d'un écran à l'autre, il est impossible de perdre le fil de la narration.
Au fond, sur un cinquième écran, est projetée l'image d'un arbre. La nature entre au Panthéon. Grâce soit rendue également à la cinéaste qui réussit à inverser la proportion de femmes dans ce mausolée des grands hommes. Sous la coupole, on peut voir sur leurs beaux visages combien elles furent aussi à résister à l'occupant et à la collaboration... Agnès Varda nous avait ravis avec ses installations ludiques à la galerie Martine Aboucaya ou à la Fondation Cartier, elle nous pousse ici à réfléchir au-delà de ce qui est montré.


L'installation a été inaugurée sous la coupole par le Président de la République, le 18 janvier, date anniversaire de la libération d'Auschwitz par l'Armée Rouge. Dans ce camp, mon grand-père est mort asphyxié sous une douche de gaz Zyklon B. Pourtant, je ne peux m'empêcher de penser que cette cérémonie est une manœuvre de la droite au pouvoir pour récolter les votes de la communauté juive aux prochaines élections. Tandis que l'on célèbre justement ces "Justes parmi les Nations", où se cachent celles et ceux de notre actualité ? N'y-t-il pas quelque cynisme à célébrer ces Justes d'hier tandis que des enfants sont extirpés aujourd'hui de leurs classes pour être expulsés vers leur pays où parfois les attend le pire ? Ceux et celles qui les cachent en cet instant ne risquent certainement pas la mort. Les camps n'existent plus, pensez-vous. Rappelez-vous les derniers mots de Jean Cayrol à la fin du film d'Alain Resnais, Nuit et brouillard
''Qui de nous veille dans cet étrange observatoire pour nous avertir de la venue de nouveaux bourreaux ? Ont-ils vraiment un autre visage que le nôtre ?
Quelque part, parmi nous, il y a des kapos chanceux, des chefs récupérés, des dénonciateurs inconnus.
Il y a tous ceux qui n'y croyaient pas, ou seulement de temps en temps.
Et il y a nous qui regardons sincèrement ces ruines comme si le vieux monstre concentrationnaire était mort sous les décombres, qui feignons de reprendre espoir devant cette image qui s'éloigne, comme si on guérissait de la peste concentrationnaire, nous qui feignons de croire que tout cela est d'un seul temps et d'un seul pays, et qui ne pensons pas à regarder autour de nous, et qui n'entendons pas qu'on crie sans fin.''
Heureusement il y a des Justes... Mais ce ne sont pas toujours les mêmes.

Agnès Varda, à la lecture du billet, nous donne la primeur de la bonne nouvelle :
Vu les 27 OOO visiteurs , “ils” ont décidé la prolongation. Donc installation en place juska dimanche 28 - 17 heures, et fermeture à 18h. Je l’ ai appris en allant organiser le repliage des photos ce soir... Salut et amitié.

LA PETITE DAME EST UNE GRANDE
23 décembre 2007


[...] je souhaite vous parler d'Agnès Varda et de son double-dvd Tous Courts. J'ai beau connaître et apprécier ses longs métrages, j'ai réalisé la dimension de son travail à la projection de l'ensemble de ses courts publiés intégralement par sa maison de production, Ciné-Tamaris. Je voulais les avoir tous vus avant de les chroniquer, mais le coffret est si copieux (6 heures) qu'il n'est pas prudent d'attendre plus longtemps pour vous les conseiller.
L'invention et la fantaisie d'Agnès Varda, sans cesse renouvelées, en font l'égal de Jean-Luc Godard ou de Chris Marker. D'ailleurs, les critiques oublient trop souvent qu'elle réalisa en 1954 le premier film de la Nouvelle Vague, intitulé La pointe courte, bien avant tous les autres. Seulement Agnès Varda est une femme, ce qui fait tâche dans le monde de machos du cinématographe. La plupart des cinéastes de la Nouvelle Vague ont simplement poussé leurs aînés vers la sortie pour prendre, vite assagis, leur place encore chaude en s'engouffrant dans un nouveau clacissisme qui n'avait pas même l'élégance des anciens. Varda, elle, n'a jamais cessé d'inventer et de bouleverser les usages. Son compagnonnage avec son mari, le sublime et lyrique Jacques Demy, permit aux imbéciles de la reléguer au second plan. Demy lui-même n'a pas encore la renommée qu'il mérite, auteur aussi politique que sensible.
Varda commence donc par garder les enfants de Jean Vilar et deviendra la photographe officielle du Festival d'Avignon. Elle passe ensuite au cinéma et ces dernières années elle se lance dans l'art contemporain avec des installations multimédia parmi les rares à produire du sens et à porter la marque d'un auteur. Seuls Godard et Marker ont garder cette ferveur, remettant leur titre en jeu, travaillant sans relâche, explorant les nouveaux supports (télévision, expositions, CD-Roms...). Sachant manier le verbe comme Perec, Agnès Varda est une artiste complète et une productrice hors pair. Les petites variations qui introduisent chaque court métrage sont d'une grande intelligence critique et d'une simplicité qui parlera à chacun. Ses "boni" et l'interface sont soignés comme seuls les indépendants prennent le temps de le faire. Un luxe d'artisan pour une œuvre d'art !
Éternelle jeunesse... La cinéaste octogénaire a conservé la vivacité de ses débuts. Inventif, précis, copieux, drôle, fascinant, Tous Courts est chapitré en Courts touristiques, Cinevardaphoto, Courts « contestataires » et « parisiens », sans compter l’essai 7 P., cuis., s. de b. plus quatorze mini-films de la série Une minute pour une image dont elle a écrit et dit le commentaire. Chacun des 16 films est une surprise, un rayon de soleil, un éclat de lumière. Je découvre l'euphorique Oncle Yanco et le poétique Ulysse, mais je n'ai pas encore tout vu ni tout entendu. Sa Réponse de femmes réfléchit une époque fameuse où les filles affirmaient leur pouvoir. Celui d'Agnès Varda est celui de l'imagination. Que rêver de mieux ?

CE TEMPS DE LATENCE
4 mars 2008


J'ai souvent envie de changer d'appareil-photo. Mon vieux CoolPix a l'avantage d'avoir un viseur rotatif me permettant de faire des photos sans me faire repérer. Je peux viser sans mettre l'œil en tenant l'appareil sur mon ventre ou prendre des images en plongée en le tendant au-dessus de ma tête. Mais le délai d'une seconde entre le moment où j'appuie et le déclenchement m'interdit de faire des instantanés. C'est très frustrant pour les portraits que j'aime prendre dans le feu de l'action. Je me fiche de la définition, puisqu'il s'agit la plupart du temps d'illustrer les billets de mon blog. Les cinq millions de pixels suffisent généralement à tous les documents imprimés. [...]
J'ai une idée derrière la tête depuis un moment déjà. Je voudrais tirer le portrait des personnes que je rencontre, jour après jour. Cela me plairait. Nous en avons discuté avec Agnès Varda lorsqu'elle est passée à la maison, un dimanche où je travaillais avec Franck. Il n'y avait pas beaucoup de lumière, mais cela ne l'a pas empêchée de l'encadrer sur le canapé. Agnès a commencé comme photographe, elle a couvert le Festival d'Avignon à l'époque de Jean Vilar. J'aime beaucoup l'écouter lorsqu'elle parle de ses projets ou qu'elle évoque Jacques Demy. Je ne sais pas si je réussirai à faire cette série de portraits, parce que chaque fois que je décide de m'y mettre, j'oublie de le faire, et je m'en aperçois seulement quand la personne est partie. Je me rends compte que dans les arcanes de ma mémoire, c'est ce qui me manque. J'ai plus souvent conservé les voix, les écrits, mais rarement les figures. Ce dimanche-là, j'ai commencé avec Franck en copiant Agnès. Mais j'avais déjà oublié le lendemain. [...] Il faut que je trouve un moyen de me discipliner ou peut-être ne m'y résoudrai-je jamais ? Est-ce de la timidité, le besoin d'être bien là, une fausse bonne idée ? Temps différé ou temps de latence ? Celui de voir ou celui de revoir ?

SES 80 BALAIS
31 mai 2008


Elle les a même eu hier soir, et c'est le fils de 16 ans du scénographe Christophe Vallaux qui a eu l'idée de demander aux amis d'Agnès de venir chacun chacune avec un balai pour en faire un bouquet d'anniversaire. La photo prise devant sa porte, sur le trottoir de la rue Daguerre, montre l'octogénaire du jour, toujours aussi pimpante, étreignant celui que Françoise a customisé en le bombant de rose fluo, d'orange sanguine et d'or. J'y ai noué un petit cadeau et Yolande Moreau a réussi à raccrocher le pompon fuschia qui s'était décollé du manche. Les deux nôtres détonent au milieu de la rutilance de l'ensemble. Les seuls à avoir servi, ils possèdent une histoire, atterrissant chez Agnès après de très nombreuses heures de vol. Au milieu de la foule des amis, j'en retrouve deux qui me touchent particulièrement.
La première est Luce Vigo qui me rappelle que je fus le premier à mettre en musique À propos de Nice, le film muet de son père, le cinéaste Jean Vigo. C'est aussi le premier ciné-concert que le Drame créa, c'était en 1976. Vingt-cinq autres chefs d'œuvre cinématographiques suivront, qui nous firent faire le tour du monde. Nous abandonnâmes lorsque le genre devint une mode, lassés peut-être aussi de rester trop longtemps dans la fosse d'orchestre ou derrière l'écran. La dernière fois que j'avais été en contact avec Luce, c'était pour l'annuaire des anciens élèves de l'Idhec qu'elle aura mis trois ans au lieu de trois mois à rassembler.
Le second est un autre vieux monsieur dont j'ai toujours aimé le travail. Un des tableaux de Jacques Monory illustrait la pochette de Carnage, le dernier 33 tours d'Un Drame Musical Instantané. Plus tard, l'Ekta "Technicolor" d'une toile détruite nous servit de carte postale. Enfin, nous composâmes la musique du film que la vidéaste Dominique Belloir réalisa sur ses toiles pour la Cité des Sciences et de l'Industrie et qui accompagne, je crois, encore le public qui fait la queue devant le Planétarium. Monory, un sourire toujours aussi charmeur, me parle de la vanité du monde qui ne cesse de croître, un monde stupide et terrible auquel il continue paradoxalement de s'accrocher. N'est-ce que de la curiosité ? Un jour où nous parlions de ses monochromes bleus, il me confia : "la nature m'écœure !". Je pensai bizarrement à Varèse dont le titre Déserts est souvent compris de travers.
Si, au détour d'un couloir, une pancarte clame "J'ai mal partout", en voilà trois qui n'ont pas de quoi se plaindre. La vie est belle, à condition de s'exprimer dans la résistance et le partage. Hier soir, Agnès rayonnait.

LES PLAGES D'AGNÈS
17 décembre 2008


Ce jour-là sortait Les plages d'Agnès, autoportrait d'Agnès Varda qui feint de se peindre à reculons alors que la "grand-mère de la nouvelle vague" volète parmi ses souvenirs avec toujours autant d'humour, d'intelligence et d'émotion comme elle le fit le long de 33 longs et courts-métrages, après avoir été photographe, avant de se plonger dans le bain de ses installations contemporaines... Mais là ce sont des plages, comme celles d'un disque, ou bien les pages d'un livre qu'on tourne, jeux de mots survolés à tire d'ailes, jeux de plage qu'on partage avec ses enfants et petits enfants, pas seulement la famille, mais aussi celles qu'elles a influencées, ceux qu'elles a croisés. Jacques Demy est évidemment présent partout, mais lors de la projection au Cinéma des Cinéastes je fus particulièrement ému par son évocation de Jean Vilar et de tous les comédiens disparus, comme plus tard Delphine Seyrig... Les deux bandes-annonces résument bien la boule à facettes qui fait tourner sa tête couronnée : à la fois coquète et drôle, elle a laissé pousser ses cheveux teints en conservant une calotte grise sur le dessus de son crâne !


À la fin du film, la cinéaste interrompt le générique pour ajouter quelques plans "volés aux copains". C'est la séquence de ses 80 balais et là, sur l'écran, je me vois au milieu de la fête. À la sortie, Agnès me dit "Tu as vu, on ne voit que toi !". Trop mignonne ! Moi, je m'étais laissé porter par les vagues, par les jeux de miroirs sur la plage du Nord, par la beauté de Sète, par le sable sous les pavés de la rue Daguerre, par les retrouvailles à Venice et Santa Monica, par les embruns de Noirmoutier, avec une irrésistible envie de découvrir les quelques films que je ne connais pas encore...

IMAGO
5 juin 2009

<img src=
Voilà déjà un an que 80 balais ont salué la naissance de l'artiste. Si Agnès Varda est un bourreau de travail, elle a appris à prendre son temps, profitant des fleurs de son jardin en forme de couloir rue Daguerre. À l'heure du thé elle s'endort régulièrement pour récupérer de ses longues journées de labeur. Sa vivacité, son intérêt pour les nouvelles technologies et son enthousiasme sont rafraîchissants. Tandis qu'elle prépare l'édition DVD des Plages d'Agnès, elle œuvre déjà à une nouvelle installation pour la Biennale de Lyon. Elle nous raconte le tournage sur la Seine à bord du voilier qu'il a fallu transporter depuis Sète, la douzaine d'autorisations nécessaires, le vent, la lumière, les bateaux-mouches, les horaires impossibles imposés par les autorités, le propriétaire inquiet caché dans la cale qui redresse la tête au mauvais moment, l'absence de toilettes sur les quais... Le cinéma est affaire de patience, de calculs savants et d'improvisation de dernière minute. Cela me manque parfois. J'en retrouve quelque chose quand j'improvise sur scène ou lorsque je dois défendre mes choix devant un client, mais rien n'est plus excitant que de capter ces moments fugaces que l'on figera sur ce qui tient lieu de pellicule comme on épingle un papillon. Cruel et magnifique.

FURTIVEMENT
9 novembre 2009


Après son succès en salles, Les Plages d'Agnès sort en DVD, agrémenté de petits boni comme elle dit : Trapézistes et voltigeurs (8'), Daguerre-Plage (6'), une planche de quatre magnets d'après l'affiche de Christophe Vallaux (en chemise bleue sur la seconde photo) et un livret de seize pages. Si l'on m'aperçoit à la toute fin du film d'Agnès Varda, lors de ses 80 balais, nous pensions que Françoise avait disparu du montage. Que nenni ! Un arrêt sur image m'a permis de saisir le photogramme. Quatre images, c'est un sixième de seconde, juste le temps d'apercevoir son ensemble rose et vert, mais pas assez pour reconnaître sa frimousse.


Quant à moi, je suis bêtement fier d'apparaître tout sourire au milieu du générique. Le mois qui a suivi la sortie du film il n'y eut pas un jour sans que l'on m'accoste dans la rue. Pour deux secondes à l'écran ! On peut imaginer le calvaire des acteurs et actrices à sortir dans le monde. Lunettes noires et vitres fumées, déguisement et postiches, négation de son identité et réclusion, tous les moyens sont bons pour gagner l'anonymat.
Michael Lonsdale me raconta qu'un soir où il dînait à Strasbourg avec Roger Moore et Mireille Mathieu, appréciez l'improbable trio, quelle ne fut pas l'angoisse de découvrir 2000 personnes à la sortie du restaurant ! Un autre jour, un chauffeur de taxi étale son admiration pour le comédien, pour terminer pas lui demander d'avoir la gentillesse de lui signer un autographe, "Monsieur Galabru...", et Michael de signer Michel Galabru pour ne pas décevoir "son" admirateur ! Je me souviens des fans se couchant sous les pneus de la voiture de George Harrison avec qui je venais de jouer, des crises d'hystérie des admirateurs de Richard Bohringer pendant les répétitions du K ou simplement du malaise des autres artistes à la table de Robert De Niro.
Lorsque j'étais adolescent je rêvais de célébrité. À fréquenter et travailler avec des stars, j'appris plus tard la rançon de la gloire et appréciai, en tant que compositeur, d'en percevoir les bénéfices sans en subir les préjudices...

IL N'Y A PLUS D'ABONNÉE AU NUMÉRO QUE VOUS AVEZ DEMANDÉ
29 mars 2019


Agnès, j'apprends ton départ par cette application nécrologique qu'est FaceBook. Décidément c'est l'hécatombe des mamans cette année. Tu n'appelleras plus. Tu ne t'endormiras plus en prévenant que c'est bon signe si ma musique te berce. C'est une idée très pénible de penser à tous ces balais qui ne serviront plus à personne probablement. Mais beaucoup de monde vont penser à toi aujourd'hui. Il en aura fallu du temps pour une aventurière comme toi. Tu y es allée souvent à la machette. Cette fois la communication est définitivement coupée. Ça fait mal.

lundi 3 janvier 2022

En quête de mes doubles


Depuis cet article du 27 février 2009, Bernard nous a quittés il y a déjà huit ans, les autres ont pris l'envergure que je leur souhaitais, mais ne plus avoir de partenaires réguliers quotidiens pour partager mes élucubrations et mes interrogations musicales me manque cruellement.

Si je n'ai pas reproduit le système initiatique qui me fut transmis par Jean-André Fieschi, lui-même instruit par l'écrivain Claude Ollier, je n'en ai pas moins toujours cherché mes doubles, d'autres moi-même en somme parmi les générations qui me suivent. Ne rêvant pas d'en faire à leur tour mes élèves, j'ai préféré les considérer comme des collaborateurs avec qui partager mes jeux. Le désir de revivre sans nostalgie les épisodes passés de ma jeunesse, probablement de la comprendre, la tendresse complaisante que j'éprouve pour mon passé, m'ont souvent poussé vers celles et ceux avec qui je sens des points communs, ce qui les différencie a priori de mes compléments, pièces d'un puzzle dont l'équilibre est la clef de voûte. Aucun pseudo double ne peut pour autant être autrement qu'un complément et chaque complément est à sa manière un autre double. Mais je sens bien la différence entre les opposés qui s'attirent et les semblables qui partagent. Bernard Vitet et Francis Gorgé incarnent l'accord parfait de trois individus radicalement différents embarqués sur le même navire, en l'occurrence Un Drame Musical Instantané, près de [cinquante] ans d'amitié, trois tiers d'Un dmi, pour jouer sur les mots comme sur les touches. 3/3 d'1/2 est d'ailleurs le titre que je donnai à l'une des pièces de l'album Machiavel après que nous ayons découpé en trois les vinyles du Drame pour en reconstituer un seul sur la platine tourne-disques ! La joie fut immense de marcher ensemble, de tout casser parfois, de reconstruire aussi le monde à nos mesures, microscopique dans les effets, immense par nos ambitions de rêveurs. Il en fut de même avec mes compagnes [...].
Pourtant la tendresse que j'éprouvai, par exemple, pour les élucubrations instrumentales d'Hélène Sage, les constructions provocantes d'Ève Risser, la rigueur obsessionnelle de Laure Nbataï, la fantaisie gastronomique de Sacha Gattino, la soif d'apprendre d'Antonin Tri Hoang, sans oublier ma propre fille, ne ressembla jamais à la fascination que je ressentais pour les autres, ceux qui savent ce dont j'ignore tout, les peintres, les conteurs, les virtuoses, les ouvriers, les ingénieurs, les voyous... Mes doubles m'émeuvent, mes compléments m'épatent. Les uns valident mes choix, les autres les certifient. Tous à la fois me rassurent et me font marcher au bord d'un précipice où l'écho me demande d'abord qui je suis.

Depuis 2009, j'ai eu la joie de partager des instants magiques avec encore d'autres musiciens/ciennes (Vincent Segal, Edward Perraud, Birgitte Lyregaard, Linda Edsjö, Alexandra Grimal, Pascale Labbé, Joce Mienniel, Sylvain Kassap, Fanny Lasfargues, Ravi Shardja, Bass Clef, Jorge Velez, Benoît Delbecq, Fantazio, Lucien Alfonso, Hervé Legeay, Laurent Stoutzer, Francisco Cossavella, Controlled Bleeding, Quatuor Ixi, Ronan Le Bars, David Venitucci, Jef Lee Johnson, Hélène Bass, Samuel Ber, Médéric Collignon, Julien Desprez, Pascal Contet, Sophie Bernado, Bumcello, Sylvain Lemêtre, Sylvain Rifflet, Amandine Casadamont, Tony Hymas, Mathias Lévy, Élise Dabrowski, Cyril Atef, Wassim Halal, Hasse Poulsen, Christelle Séry, Jonathan Pontier, Jean-François Vrod, Karsten Hochapfel, Nicholas Christenson, Jean-Brice Godet, Naïssam Jalal, Fidel Fourneyron, Élise Caron, Lionel Martin, Basile Naudet, Gilles Coronado, Philippe Deschepper, François Corneloup, Uriel Barthélémi, Hélène Breschand, Michèle Buirette, Nicolas Chedmail, Maxime Morel, Denis Charolles, Julien Eil, Antoine Viard, Benjamin Sanz, etc.), des chorégraphes (Claudia Triozzi, Sandrine Maisonneuve), des plasticiens/ciennes (Antoine Schmitt, Nicolas Clauss, Sun Sun Yip, Anne-Sarah Le Meur, John Sanborn, Jacques Perconte, Valéry Faidherbe, Éric Vernhes, Ella & Pitr, Daniela Franco, David Coignard, mc gayffier, Romina Shama), des graphistes (Claire et Étienne Mineur, Mikaël Cixous, Étienne Auger, Ruedi Baur, Nicolas Moog), des réalisateurs/trices (Françoise Romand, Pierre Oscar Lévy, Sonia Cruchon, Nicolas Le Du, Olivier Koechlin, Gila, Martin Maillardet, Corinne Dardé, Mathilde Morières), des écrivains (Jacques Rebotier, Pierre Senges, Michel Houellebecq, Isabelle Fougere, Dana Diminescu, Arnaud Le Gouëfflec), des photographes (Raymond Depardon, Elliott Erwitt, Hiroshi Sugimoto, Dulce Pinzon, Alec Soth, Simon Norfolk, Tendance Floue, Magnum, Olivier Degorce, etc.), un commissaire d'exposition (Jean-Hubert Martin), un inventeur (Olivier Mevel), des producteurs/trices (Madeleine Leclair, Walter Robotka, Théo Jarrier et Bernard Ducayron, Jean Rochard, Jean-Pierre Mabille, Sophie de Quatrebarbes, Yassine Slami, Xavier Ehretsmann), mais pas le moindre raton-laveur. Nous nous appelons, je vais les écouter, ils passent me voir, mais ce n'est pas pareil. Heureusement il y a plein d'ami/e/s qui ne figurent pas dans la liste...

mercredi 22 décembre 2021

Des livres incopiables


Je n'ai pas encore eu le temps de les lire, mais j'ai feuilleté les quatre petits ouvrages publiés par l'éditeur indépendant Tendance Négative après qu'Étienne Mineur m'ait indiqué Un Étrange phénomène de H. G. Wells, le dernier paru. Si Étienne est un des plus célèbres infographistes, il s'est toujours intéressé au papier, réalisant de magnifiques pochettes de disques pour mon label GRRR ou pour les DVD de Françoise Romand. Récemment il s'est d'ailleurs mis à produire des spirogami, incroyables sculptures en papier découpé au laser et présentées en spirales sous cloche de verre. J'ai la chance d'en posséder deux de la collection précédente, mais celle de 2021 est encore plus fascinante. Depuis 1995 nous avons en outre collaboré ensemble à de nombreux projets multimédia.
La particularité du fascicule de H.G. Wells est la nécessité de plier certaines pages pour pouvoir les lire, analogie de la feuille de papier pliée pour rapprocher deux points distants. Cette facétie est dictée par le récit, Un étrange phénomène "devançant d’une quarantaine d’années la théorie du « trou de ver », sorte de raccourci à travers l’espace-temps, dont l’existence n’a été suggérée par Einstein et Rosen qu’en 1935" ! Chaque publication de Tendance Négative obéit à des lois suggérées par les romans. Un Petit homme de Fiodor Sologoub est un ouvrage à géométrie variable dont les pages et le texte rétrécissent petit à petit, comme le haut fonctionnaire petit de corps et d’esprit a l’obsession de réduire sa femme à sa mesure. Le papier peint jaune de Charlotte Perkins Gilman nécessite un coupe papier pour découvrir ce que cache le papier peint où se projettent hallucinations et apparitions fantomatiques de ce "récit psychologique empreint d’un engagement féministe d’avant-garde, charge contre le patriarcat et l’obscurantisme médical de la fin du XIXe siècle". Les pages du Horla de Guy de Maupassant semblent s'effacer au fur et à mesure. Tous deux épuisés, L’Étrange histoire de Benjamin Button de F. Scott Fitzgerald était constitué d'un miroir et différents papiers, Carmilla de Sheridan Le Fanu était mordu et recouvert de sang...
Si je lis romans et essais autant que possible sur ma liseuse, ces livres, comme les disques dont le livret ou le graphisme sont liés à l'objet matériel, ou les livres d'images, de photos et de bandes dessinées, justifient qu'on les acquiert dans leur forme "archaïque", a fortiori, la plus pérenne.

vendredi 24 septembre 2021

Appelez-moi Madame


Il y a deux bandes-annonces du film Appelez-Moi Madame de Françoise Romand, la première date de la sortie du film en 1986, la seconde lors de sa remasterisation exécutée en 2020 après la sortie du DVD.

Le sujet du film ? Dans un petit village normand, un militant communiste, marié et père d'un adolescent, devient transsexuel à 55 ans, aidé par sa femme.
À sa sortie en 1987, le célèbre critique du New-York Times, Vincent Canby, écrivait "Miss Romand fait des documentaires uniques. Elle s'attache aux faits mais il y a certaines réalités que peu de romanciers ou écrivains supposés sérieux traiteraient si ce n'est sous des pseudonymes... Dans Appelez-moi Madame, la cinéaste nous fait partager sa curiosité, son étonnement et son regard..." Pour cette édition dont Étienne Mineur a conçu la pochette, Françoise a réalisé deux entretiens, l'un en français, l'autre en anglais, compléments de programme qui tranchent radicalement avec les bonus habituels !


Documentaires ou fictions, tous les films de Françoise Romand interrogent l'identité de ses personnages. Dans Mix-up ou Méli-mélo des bébés sont échangés à la naissance, dans Appelez-moi Madame un militant communiste devient transsexuel à 55 ans, dans Les miettes du purgatoire deux jumeaux vivent en symbiose avec leurs parents très âgés, dans Passé Composé un homme à la recherche douloureuse de son passé rencontre une femme amnésique qui fuit le sien, dans Vice Vertu et Vice Versa deux voisines de palier s'échangent leurs vies, l'une prostituée de luxe l'autre intellectuelle au chômage, jusqu'à Thème Je où la cinéaste retourne sur elle la caméra en fouillant les histoires de famille et les réinventant, se permettant avec elle-même ce qu'elle n'aurait jamais osé avec qui que soit d'autre. [Baiser d'encre est un conte moral sur le couple d'artistes Ella & Pitr.]
Documentaires ou fictions, la cinéaste mord le trait et met en scène les hommes et les femmes de la vie réelle comme s'ils étaient des personnages de roman. Pour elle, la vérité n'a jamais existé au cinéma. Les regards face caméra renvoient au miroir du spectateur. Avec tendresse et compassion, Françoise Romand recompose le passé en faisant jouer aux protagonistes leurs propres rôles. Espiègle et complice, elle ouvre la porte à toutes leurs fantaisies.


Dès le début d'Appelez-moi Madame le ton est donné. Ovida Delect fait un signe de connivence à la caméra et raconte ses fantasmes que la cinéaste concrétisera en images. La musique de Nicolas Frize accompagne la mariée qui court au ralenti sur la plage. En 1986 dans un petit village normand, devenir transsexuel à 55 ans avec l'aide de sa femme n'est pas une mince affaire pour ce communiste et poète, ancien résistant resté muet sous la torture. L'amour d'Huguette pour son mari devenu femme transcende tous les poncifs et son douloureux sacrifice réfléchit le statut de toutes les femmes. Avoir été directrice de l'école maternelle fait passer la pilule auprès des villageois. Dans un micro-trottoir rythmé par le hachoir du boucher, la réalisatrice se débarrasse rapidement des remarques grivoises que le curé couronne. Les deux mamies tournent le dos à ces commérages. Les films de Françoise Romand évitent les commentaires, ils parlent d'eux-mêmes, réfléchissant les vies ordinaires de personnages extraordinaires sous l'œil fantasque de la mise en scène. Le drame se joue toujours dans la comédie. La distance n'est pas celle de l'auteur à son sujet, mais du sujet au filmage, rapprochant le spectateur au plus près de l'émotion en le faisant entrer incidemment dans les arcanes du cinéma.

Hier jeudi 23 septembre 2021, Françoise Romand a reçu le Prix Charles Brabant de la SCAM 2020 pour l'ensemble de son œuvre.

Ses 6 DVD sont sur SuperAlibi/BigCartel, dont Appelez-moi Madame, 20€

Article du 23 octobre 2008

lundi 20 septembre 2021

Ping Pong pour deux somnambules


Article du 11 octobre 2008

[...] Depuis que je joue en duo avec Nicolas Clauss, je suis aux anges lorsque nous nous produisons en spectacle. Sous le nom des Somnambules, nous avions adoré jouer avec d'autres musiciens tels Pascale Labbé, Didier Petit, Étienne Brunet, Éric Échampard, mais j'étais trop préoccupé par l'orchestre pour me fondre totalement aux tableaux interactifs de Nicolas.
Bien que je sois capable de produire autant de bruit qu'un grand orchestre, je n'ai jamais apprécié le solo, pas tant pour la musique que pour le plaisir du ping pong. Les images que mon camarade anime en direct me renvoient une critique, des propositions, un univers qui me stimulent et me permettent d'improviser librement. D'un spectacle à l'autre, nos interprétations à tous deux peuvent différer radicalement, nous créons de nouvelles œuvres, nous en donnant à cœur-joie. Ce billet n'apporte aucune analyse, les films parlent d'eux-mêmes, aujourd'hui mes notes livrent seulement quelques informations "techniques"...


Durée de chaque film :
Jumeau Bar 4'08 - Modified 6'07 - L'ardoise 5'33 - Les dormeurs 3'17

Ainsi, nous commençons souvent avec Jumeau Bar dont je transforme les sons avec mon Eventide H3000, une sorte de synthétiseur d'effets que j'ai programmé pour passer les sons à la moulinette. Nicolas construit également ses boucles en proposant sa propre version du module interactif original. [...] Pervertir le travail que j'ai réalisé il y a quelques années est une opération très amusante. Je tire le scénario vers l'humour, en trafiquant les sons synchronisés, en exagérant les nuances par des effets appropriés à chaque plan.


J'ai placé les quatre films sur DailyMotion et YouTube, mais je préfère en général le premier qui n'incruste pas son nom dans l'image comme on marque les troupeaux. Modified est le dernier tableau de Nicolas Clauss, pas encore en ligne, le plasticien hésitant à l'heure actuelle entre exposer ses tableaux animés sur le Net ou off line dans des espaces réels. La rareté produirait-elle plus de désir ? Le plus souvent, ses œuvres rendent mieux leur jus lorsqu'elles sont projetées sur de grands écrans, les ordinateurs ne rendant pas la beauté du détail, l'émotion de l'immersion...
En modifiant électroniquement ma voix, une cythare inanga (rapportée de Stockholm en 1972), un erhu (violon vietnamien acheté deux ans plus tard rue Xavier Privas) et une flûte roumaine (je ne me souviens plus d'où elle vient, mais ses sons stridents passent au-dessus de n'importe quel ensemble ou magma électro-acoustique), je suis la logique du tableau interactif joué en direct par Nicolas, un Organisme Programmatiquement Modifiable...


Avec deux petits instruments électroniques, un Tenori-on et un Kaossilator, j'accompagne les divagations dessinées d'une bande de gamins avec qui Nicolas a élaboré l'installation interactive de L'ardoise. J'ai réussi à m'approprier le Tenori-on depuis que j'y ai glissé mes propres sons. Il n'y a hélas que trois banques personnelles pour 125 timbres d'usine. J'utilise ici des échantillons de mon VFX. Le Kaossilator me sert de joker. Lorsqu'on improvise, il est toujours utile d'avoir plus de matériel que ce dont on a besoin. Au dernier moment, j'ai décidé d'ajouter une radiophonie réalisée en 1976, premier mouvement de mon inédite Elfe's Symphonie que je diffuse avec un cassettophone pourri. Depuis, je l'ai numérisée pour pouvoir la traiter électro-acoustiquement avec l'AirFx, un autre effet qui permet, par exemple, de scratcher n'importe quelle source sonore comme un DJ sur sa platine, mais sans y toucher, en jouant avec un rayon infra-rouge en 3D !


Le dernier film qu'a tourné Françoise Romand à La Comète 347 montre Les dormeurs, une pièce de Nicolas de 2002 que j'aime beaucoup et que j'accompagne à la trompette à anche. Comme Jumeau Bar, vous pouviez jouer vous-même [à l'époque de cet article, soit avant que Shockwave ne fonctionne plus]...

jeudi 6 mai 2021

Qu'est devenu Martin Arnold ?


On se souvient peut-être des magnifiques détournements de films hollywoodiens que Martin Arnold réalisait à la fin du siècle dernier. Je reproduis mon article de 2009 pour mémoire en bas de celui-ci, ce qui vous permettra d'apprécier trois de ses œuvres les plus célèbres et particulièrement brillantes. Or, dès l'année suivante, Martin Arnold s'attaquait aux Mickey animés qu'il déconstruit en boucles tout aussi bégayantes, mais en maniant la gomme comme ses prédécesseurs le pinceau, avec toujours le principe qu'une histoire peut en cacher une autre. Sur son site, on pourra ainsi découvrir nombreux films courts : Shadow Cuts, Soft Palate, Self Control, Haunted House, Tooth Eruption, Whistle Stop, Black Holes, Elsewhere, ainsi que Full Reheasal qui inaugure peut-être une nouvelle direction. Dans l'obscurité d'un noir profond, Martin Arnold révèle ainsi le rire, le ronflement, la douleur, la peur, la raillerie, le désespoir, le suicide, l'euphorie, qui se succèdent en épures ironiques.

Et tout en bas, j'ai ajouté un extrait de Deanimated: The Invisible Ghost (2002), qui fait le pont entre sa première période et sa seconde. Grâce aux effets numériques, Martin Arnold efface progressivment les personnages du film d'épouvante The Invisible Ghost (1941) pour ne conserver que les décors et les mouvements de caméra.

L'ATTAQUE DE MARTIN ARNOLD
Article du 19 mai 2009


Ayant accompagné Françoise au Point Éphémère pour la signature de ses deux premiers DVD au Salon des éditeurs indépendants, j'ai fait quelques trouvailles dont les œuvres cinématographiques quasi complètes de Martin Arnold, un cinéaste autrichien qui rappelle étonnamment le Steve Reich des débuts lorsque le compositeur répétitif américain travaillait sur du "found footage" pour It's Gonna Rain ou Come Out. Ici rien de systématique, mais une science du cut-up microscopique et du bégaiement sémiologique à couper le souffle. Martin Arnold fait des boucles avec des films trouvés. Les photogrammes lui dictent des effets que son imagination cultive comme dans une champignonnière. Ondulations, glissements, flashbacks, renversements, kaléidoscopes, pas de deux diabolique dont on ne voudrait manquer aucun instant pour un en pire, parsèment Pièce touchée (1989), manège diabolique où le spectateur est pris d'un vertige hypnotique qui se développera de manière encore plus perverse dans les films suivants.


Pour Passage à l'acte (1993, ces deux premiers titres sont en français), l'artiste autrichien intègre le son à la boucle pour tailler un short (les films font chacun environ un quart d'heure) à la famille américaine et aux mâles dominants en pleine crise d'autorité. Si la scène devient cocasse, elle n'en demeure pas moins fascinante, hypnotique. Les effets stroboscopiques du "flicker film", ralentissant l'action, génèrent une analyse cruelle du principe cinématographique. The Cineseizure, titre du DVD édité à Vienne par Index en partenariat avec Re:Voir, pourrait d'ailleurs se traduire "Ciné-attaque" comme dans une apoplexie.


Le troisième film de la trilogie (la suite des œuvres d'Arnold est constituée essentiellement d'installations), Alone. Life Wastes Andy Hardy (1998) détourne une comédie musicale avec une virulence inattendue. Mickey Rooney, mais plus encore Judy Garland sont torturés par le hachoir du cinéaste transformant en drame œdipien l'original par des tremblements où le mouvement des lèvres et le frémissement de la peau révèlent la sexualité refoulée des films de l'époque. Martin Arnold fait partie, comme Mark Rappoport, de ces entomologistes du cinéma qui en révèlent les beautés cachées, inconscientes et convulsives, sans ne jamais sortir du cadre.
Comme toujours, les films sont à voir sur grand écran pour que la magie fonctionne à plein. Le DVD offre en prime quelques "pubs" pas piquées des hannetons, de l'humoristique Jesus Walking On Screen à la douche de Vertigo pour la Viennale. Terriblement drôle et monstrueusement juste.

DE L'AUTRE CÔTÉ DU PONT
Post scriptum de mai 2021


L'installation Deanimated: The Invisible Ghost, dont la durée totale est de 60 minutes, est plus fantômatique que le film original. Bela Lugosi, Polly Ann Young et John McGuire ne laissent plus passer que leurs ombres, un peu de poussière, les balles qui explosent... La narration devenue incohérente interroge notre incarnation et notre disparition.

lundi 12 avril 2021

Un livre GROS comme ÇA


Une fois de plus je suis bluffé par la nouvelle production d'Ella & Pitr. Les papierspeintres ont publié eux-mêmes le répertoire chronologique de la soixantaine de Géants qu'ils ont peints sur les toits du monde. Depuis 8 ans, ils dessinent de grands Colosses endormis sur des supports horizontaux, voire verticaux comme le barrage désaffecté du Piney haut de 45 mètres. Ils détiennent aussi le record de la plus grande œuvre urbaine du monde sur le toit du Parc Expo de Paris, à la Porte de Versailles, d'une surface de 25 000 mètres carrés. De Saint-Étienne au Chili, en passant par l'Inde et le Canada, la Bulgarie ou la Norvège, ce livre raconte les coulisses, les esquisses de leur projet démesuré. Leurs textes, et ceux de Stéphanie Lemoine, Thomas Schlesser, Emmanuel Grange constituent un discours de la méthode, ou comment l'idée leur est venue et comment ils se sont donnés les moyens de cette idée folle. Elle peut même paraître absurde si l'on pense que la plupart de leurs Colosses ne sont visibles que du ciel ! Ils existent évidemment par les magnifiques photos reproduites dans ce livre relié Gros comme ça dont la couverture cartonnée, toilée et étoilée, est marquée et gaufrée à chaud à l'argent. Ces farceurs adorent les paradoxes. Leur humour incisif et leur autocritique sincère s'insinue dans le moindre détail. Ce n'est pas avec ces œuvres quasi participatives qu'ils vivent, mais plus certainement avec les peintures vendues via la Galerie Lefeuvre & Roze rue du Faubourg Saint-Honoré ! Ils prennent l'argent où il est, tout en offrant généreusement leur travail aux anonymes passants de la rue.


Tout au long des 250 pages de cet épais volume 30.5 x 22 cm, on pourra admirer les détails des fresques, les draps souillés d'abstractions incontrôlées, les notes passionnantes et drôles racontées par les deux joyeux drilles, les circonstances dramatiques, laborieuses ou comiques qui ont accompagné leurs créations. Ella & Pitr ne s'occupent pas seulement de créer, ils détruisent aussi leurs œuvres si le temps qui passe ne fait pas la sienne. Ils peignent sur la neige qui fond, sur le sable que la mer submerge, sur l'herbe qui jaunit, sur la terre labourée par les bulldozers, sur les falaises de carrières dynamitées... Je pense évidemment aux machines suicidaires de Tinguely qui s'autodétruisent, comme on en voit une dans le film Mickey One d'Arthur Penn, à l'autodafé de Tania Mouraud, à la démolition de la maison de Jean-Pierre Raynaud, à Girl with Balloon déchiquetée par Banksy chez Sotheby's...


Dans leur passé de street artistes, leurs affiches finissent toujours par se décoller et se déchirer. L'éphémérité de toute chose, de ce que nous sommes, est soulignée par leurs mises en scène. Ces nouvelles "vanités" ne sont jamais innocentes. Ne vivons-nous pas tous et toutes dans un réseau inextricable de contradictions ? Dans l'incapacité de les résoudre, il peut être sain de trouver un compromis ; ainsi nos deux artistes vendaient en galerie un morceau d'une œuvre plus grande laissée à la rue. Aujourd'hui ils filment des rideaux de scène qui s'écroulent, demain qu'inventeront-ils encore pour se renouveler et garder leur âme d'enfant, secret de l'art, mais que trop de faiseurs oublient.


Sur leur site de vente Superbalais, il n'y a pas seulement ce livre de 1,5 kg. On trouve des T-shirts marrants, des petits livres sympas, des bananes, des sérigraphies pour casser sa tire-lire, et même le DVD du film Baiser d'encre que Françoise Romand leur a consacré en 2015, un conte moral qui deviendra forcément culte avec le temps, d'autant que j'en ai composé la musique !

→ Ella & Pitr, Gros comme ça, 35€

vendredi 12 mars 2021

Fausto Romitelli (1963-2004)


Pour défendre les jeunes musiciens ou les défunts méconnus, et écrire quotidiennement sur leurs créations, j'exerce une veille permanente. Ma solidarité s'appuie également sur les conseils de rabatteurs amis qui m'indiquent ce que j'appelle "des biscuits pour l'hiver". Fin des années 60, mon camarade de lycée Michel Polizzi et François qui travaillait chez Givaudan, magasin de disques au carrefour Raspail-St Germain, m'initièrent à la pop et au free jazz, aussi bien qu'au reggae ou Harry Partch. Jean-André Fieschi me réconcilia avec le classique et l'opéra. André Ricros m'apprit la différence entre musiques folklorique et traditionnelle. Depuis, je bénéficie des suggestions épisodiques de quelques uns qui connaissent ma curiosité, tels Jean Rochard, Stéphane Berland, Franpi, Antonin-Tri Hoang et quelques autres.

PROFESSOR BAD TRIP
Article du 26 avril 2008

Si Franck Vigroux ne jouait pas ce soir au Zebulon de New York avec l'accordéoniste Andrea Parkins, il serait venu écouter l'interprétation de Professor Bad Trip par l'Ensemble Intercontemporain à la Cité de la Musique. Hervé Zénouda m'en avait déjà parlé en 2005. Vigroux m'a fait connaître l'œuvre de Fausto Romitelli comme les étudiants de l'Ircam m'avait parlé de Salvatore Sciarrino six ans plus tôt à Valenciennes. Lorsqu'ils ne sont pas versés dans les sempiternels revivals, ce que les plus jeunes écoutent est toujours riche d'enseignement. J'avais noté la date en septembre et nous y voilà !
La première partie réunit l'enivrant Steve Reich avec Eight Lines et le plus conventionnel Philippe Hurel avec son concerto pour piano, Aura. Si Reich continue de nous donner le vertige en nous entraînant dans les méandres de la musique répétitive, Hurel nous laisse de marbre malgré son intéressant travail sur les quarts de ton. Musique bourgeoise de rigueur : comme la plupart des compositeurs dits "contemporains", par son acceptation surannée de la modernité, il la caricature en défendant les attributs de la classe sociale qui l'a engendré(e). Entr'acte.
Françoise remarque qu'elle a rarement entendu un compositeur contemporain aussi contemporain que Romitelli, et Sylvain Kassap de renchérir en insistant sur la réécoute indispensable de la version discographique de Professor Bad Trip par l'Ensemble Ictus, dont le répertoire correspond mieux au génial italien disparu en 2004 à l'âge de 41 ans que l'E.I.C. C'était tout de même amusant de voir Pierre Strauch s'escrimer au violoncelle électrique fuzz aux côtés de Vincent Segal à la basse, le seul de l'orchestre à oser hocher la tête ! Des trois leçons de Romitelli, la dernière laissa la mieux transparaître la magie de son art, mélange réussi de toutes les musiques "contemporaines ", au sens propre cette fois, au sein d'un langage et d'une syntaxe parfaitement maîtrisés. Les trois cordes, les trois vents, le piano, la percussion y côtoient la guitare et la basse électriques comme la bande électronique sans que cela choque à aucun moment. Romitelli se permet même de faire jouer du kazoo et de l'harmonica miniature à ses interprètes. Tout coule de source, même si c'est celle du Styx.
Pendant le concert, je scrute la salle et constate à quel point elle est éclairée. Généralement, on la noie dans le noir pour focaliser l'attention sur la scène. Dans les concerts de rock, de jazz ou de variétés, on sent bien que ça remue, on n'a pas besoin de souligner sa présence par l'image. Rien à cacher, tout le monde se tient bien. Franchement, même si c'était une belle soirée, cela manquait furieusement de soufre.

PERLES DE CULTURE
Article du 21 février 2007


Professor Bad Trip et An Index of Metals (Cypress Records) de Fausto Romitelli, compositeur contemporain autant inspiré par le free que le rock, par l'école spectrale que par l'électro-acoustique, sont d'authentiques chefs d'œuvre. Même s'il touche à une probable et relative immortalité, son prénom ne l'aura hélas pas empêché d'être emporté par un cancer en 2004, à l'âge de 41 ans. La musique est d'une puissance incroyable, la richesse du matériau sonore inépuisable, l'architecture une cathédrale. Donnez à un adepte psychédélique de Henri Michaux, un fanatique de l'impureté, un enfant de "l'artificiel, du distordu et du filtré", les moyens proprets de l'institution contemporaine, et vous pourriez réussir le cocktail alchimique explosif qui a cramé ma galette argentée. L'ensemble belge Ictus le suit dans ses expérimentations démentes. Avec ou sans électronique ajoutée, la musique sonne inouïe. Dans le disque intitulé Professor Bad Trip, à côté des pièces d'ensemble, il y a un solo de flûte à bec contrebasse qui sonne comme de grandes orgues et Trash TV Trance, un solo de guitare électrique dont pourraient s'inspirer à leur tour les expérimentateurs les plus aventureux.


An Index of Metals est un double, version audio et version dvd en vidéo-opéra cosigné avec Paolo Pachini. La musique est encore plus corrosive que dans les œuvres précédentes. Utilisation de tous les bruits parasites, grattements de vinyle, friture numérique, clics, infrabasses, dans un univers varèsien adapté au nouveau siècle... On passe d'un monde à l'autre sans ne jamais quitter l'univers. La guitare électrique se même parfaitement à l'orchestre. Qu'écoutait donc Romitelli pour se détendre lorsqu'il rentrait chez lui ? A-t-il jamais fait de la scène lorsqu'il était adolescent ? Qu'y a-t-il vu et entendu ? Tant de questions sans réponse me brûlent les lèvres tandis que je suis assailli par les sons qui m'entourent et "ignorant des choses qui le concernent". Deux versions image, un ou trois écrans. Deux versions son, stéréo ou 5.1. Le travail vidéographique est décent, mais la "modernité" (comprendre "qui suit la mode") affadit le propos musical beaucoup plus ouvert et généreux. Le texte lui-même propose des hallucinations autrement plus originales (Drowninggirl, Risinggirl, Earpiercingbells). J'imagine une interprétation à la Godard dans son Histoire(s) du cinéma plutôt que ces textures cliniques, fussent-elles empruntées au réel (exercice de style que de fabriquer des images de synthèse sans aucun artifice ; je choisis ici mes moments préférés comme illustrations). Mais quel bonheur de découvrir un nouveau compositeur que l'on ignorait encore la veille ! Romitelli s'est éteint à Milan le 27 juin 2004. An Index of Metals est son requiem.
Ces albums sont sous-tendus par des dramaturgies de matière qui racontent une histoire, poèmes tremblés parfaitement maîtrisés. Ils mènent inexorablement au travail de Vigroux. Je me reconnais dans le drame (entendre théâtre et plus précisément théâtre musical radiophonique) comme dans le Drame (comprendre Un Drame Musical Instantané). Lorsque j'entends ou que je vois des choses qui me plaisent, je n'ai plus à les réaliser moi-même, ça me fait des vacances. Quel soulagement !

P.S.: en 2016, à La Scala de Paris, j'eus la chance d'assister à une version d'An Index of Metals par la soprano Donatienne Michel-Dansac, créatrice du "rôle" avec Ictus, accompagnée par United Instruments of Lucilin dirigés par Julien Leroy. Pas de vidéo, mais des lumières de François Menou, peut-être plus adaptées à l'œuvre.

mercredi 17 février 2021

Retour sur mon duo avec Nicolas Clauss


Il ne nous reste que des souvenirs, aujourd'hui un autre d'il y a treize ans.
Leur morne absurdité condamne des générations d'artistes, les plus jeunes plus fragiles que tous les autres. Notre création Perspectives du XXIIe siècle est ajournée sine die. Alors nous nous replions sur nos pénates. Notre force de résistance est intacte. Ils ont tout à craindre. Elle explosera. En attendant, dans le mois qui vient j'enregistrerai deux trios, le premier avec Naïssam Jalal et Mathias Lévy, le second avec Élise Caron et Fidel Fourneyron. C'est dire si je ne me laisse pas abattre !

Article du 18 mars 2008

Donc, le lendemain, pour mon duo avec Nicolas Clauss à L'Échangeur, je n'emporterai pas de clavier. Mon instrument principal devient mon micro devant lequel je chante, joue de la flûte et de la trompette à anche. Je transforme tous les sons en temps réel, les miens comme ceux que Nicolas produit en jouant de ses modules interactifs, avec mon Eventide (une sorte de synthétiseur d'effets que j'ai programmés) et mon AirFX que je module sans le toucher en faisant au dessus de lui des passes "magnétiques" (en fait, optiques, puisqu'il s'agit d'un rayon avec un système de repères en 3D). Jamais nous ne sommes parvenus à faire aussi bien ressortir l'humour grinçant de Jumeau Bar, les effets amplifiant les intentions critiques que véhicule ce petit bar de campagne. Après un White Rituals des plus SM, voix et flûte aidant, j'accompagne L'ardoise avec mon Tenori-on dont je joue ce soir pour la première fois. J'oscille entre le côté kawaï (mignon) des dessins d'enfants et les sujets graves qu'ils évoquent. Lorsque je n'installe pas le cadre, décor qui permettra tous les possibles et parfois même l'impossible, je cherche surtout la complémentarité avec les images projetées par Nicolas. Nous terminons notre petite prestation par de délicats et lugubres Dormeurs qui s'écroulent au combat comme des quilles s'affalant sous leur propre poids et font sonner leur marche ralentie au son d'une martiale trompette à anche. Rebelote. Nicolas et moi sommes aux anges, impatients de recommencer l'expérience du duo, et heureux d'avoir participé à une si belle soirée. Françoise Romand a réagencé quelques extraits de notre prestation pour le petit film qu'elle a réalisé.


Mirtha Pozzi et Pablo Cueco avaient ouvert le bal par leur duo de percussion, avec Étienne Bultingaire aux manettes. Grosse surprise du remarquable jeu théâtral de Didier Petit qui partage la scène avec son violoncelle et le chorégraphe Mic Guillaumes. Final avec Jean-François Pauvros transformant son instrument en vielle et revenant progressivement vers ce qu'elle est, une guitare électrique vrombissante.
Le surlendemain, je vais écouter Pascal Contet maltraitant délicatement son accordéon devant l'installation végétale de Johnny Lebigot, Lucia Recio donnant la réplique aux sculptures en bois que José Lepiez caresse astucieusement, et les WormHoles dirigés de main de maître à l'archet par l'ami Didier Petit, grand organisateur de ce somptueux et malin mini-festival, hôte parfait, qui sait mieux que personne ce que signifie la générosité... Lucia passe d'un registre à l'autre, tantôt grave et bruitiste, tantôt rock et coupant ; Camel Zekri à la guitare en demi-teintes et Edward Perraud au jeu inventif et grinçant, Bultingaire aux effets métropolitains complètent ce quintet original dont la clarinettiste Carol Robinson est l'invitée et que je n'avais pas revue depuis l'enregistrement de Sarajevo (Suite). À l'entrée (et à la sortie !), Théo Jarrier et Hervé Péjaudier tiennent la boutique de disques installée sur des tréteaux de fortune et ça marche. Lors du concert au Triton, les vinyles du Drame étaient partis comme des petits pains, les plus jeunes étant friands de 33 tours. [...]

mardi 16 février 2021

Retour sur le concert avec Donkey Monkey


Treize ans ont passé depuis ce concert avec Ève Risser et Yūko Ōshima. L'année précédente j'avais évoqué un concert de leur duo, Donkey Monkey. En 2011 je les avais engagées en Arles alors que j'étais directeur musical des Soirées des Rencontres de la Photographie ; ainsi, au Théâtre Antique, elles accompagnèrent brillamment le Mano a mano entre les agences VII et Tendance Floue. Je ne me souviens pas avoir rejoué avec Yūko dont j'adore le mélange de percussion, voix et électronique. Quant à Ève, en 2014 nous avons enregistré l'album Game Bling, trio avec Jocelyn Mienniel dont une pièce figure sur le récent double CD, Pique-nique au labo. Yūko vit toujours à Strasbourg, travaillant beaucoup pour le théâtre et Ève poursuit ses projets mirobolants... Enfin, évoquer des concerts après bientôt un an de disette, fruit pourri de la gestion désastreuse et criminelle de notre gouvernement, est-ce une si bonne idée ? Y revenir sonnera comme une victoire contre cette période quasi vichyssoise ; Macron parlait de guerre, il faudra bien lui jouer la Libération !

Article du 17 mars 2008

J'attendais que Françoise Romand ait monté cet extrait de notre concert pour revenir sur ma rencontre musicale avec Donkey Monkey, le duo formé par la pianiste alsacienne Ève Risser et la percussionniste japonaise Yūko Ōshima. Le résultat fut à la hauteur de nos espérances. La complicité humainement partagée s'est laissée transposer naturellement sur la scène du Triton. La première partie, s'appuyant sur des morceaux du duo, était plus popisante tandis que la seconde, basée sur mes programmations virtuelles, était plus explosée. Comme chaque fois, il en faut pour tous les goûts et nous avons entendu assez de commentaires pour saisir que les uns ou les autres préfèrent tel ou tel morceau. C'est toujours ainsi. Si l'on écoute les avis des spectateurs, il faut en récolter suffisamment pour que tous les passages trouvent leurs admirateurs ou leurs détracteurs. Tout entendre, mais n'en faire qu'à sa tête, en l'occurrence un être tricéphale dont les méninges carburent au-delà de la vitesse autorisée. Après cette première rencontre sans véritable répétition, nous nous sommes découverts dans l'action. Je perçois ce que je pourrais améliorer à mon niveau : soigner les codas et développer les complicités avec chaque musicienne indépendamment de leur duo, dramatiser mon apport par des ambiances de reportage et des évènements narratifs, étoffer mon instrumentation acoustique lorsque les morceaux durent plus que prévu, par exemple j'emporterais bien le trombone et le violon vietnamien, mais je supprimerais les projections sur écran difficilement compréhensibles pour le public en les remplaçant par des compositions où l'improvisation libre se construit autour de modèles dramatiques.


J'en saurai plus après avoir écouté l'enregistrement de la radio. Nous avions en effet commencé la soirée par un petit entretien avec Anne Montaron puisque France Musique diffusera la soirée [...] dans le cadre de son émission "À l'improviste".
Les filles ont lancé le mouvement, je les ai rejointes en commençant à jouer depuis les coulisses avec un petit instrument improbable que j'ai acheté dans un magasin de farces et attrapes il y a près de 40 ans ! C'est une sorte d'appeau dans lequel je dois souffler comme un malade pour en sortir de puissants sons de sax suraigus. Sur le dessus de cet instrument tricolore affublé d'une petite percussion en métal sur bois, je bouche le trou unique pour rythmer mes phrases. J'accompagne mon solo de déhanchements suggestifs tandis que je rencontre l'objectif d'Agnès Varda venue filmer notre performance en vue de son prochain film intitulé Les plages d'Agnès [P.S.: la séquence n'y figuera pas, Agnès ayant oublié de brancher le son (!), mais j'apparais dans le dernier plan du film pour ses 80 balais !]. Mes guimbardes tiennent alternativement le rôle de basse et de contrepoint rythmique au duo excité du piano et de la batterie. Le second morceau est plein d'humour, Ève et Yūko chantant en japonais un blues nippon que j'accompagne avec des effets vocaux qui vont de l'électroacoustique déglinguée à des imitations yakuzesques de comédiens nô. La première partie se clôt sur un longue pièce de pluie où les sons tournent des unes à l'autre sans que l'on ne sache plus à qui sont les gouttes qui éclatent ici et là. Ève a préparé le piano avec des tas de petits objets étranges tandis que Yūko est passée au sampleur... Après l'entr'acte, les filles s'amusent à suivre ou contrarier de nouvelles gouttes, cette fois sorties tout droit du diagramme de FluxTunes projeté sur l'écran derrière nous, ping-pong qui nous oblige à rattraper les notes comme si c'était des balles. Les trois garnements étalent ensuite leurs jouets pour trois petits solos et une coda en trio (carillon, toy-piano, jeu de cloches, synthétiseurs et Theremin à deux balles) suivi d'un duo de pianos où Ève doit sans cesse rebondir face à mes quarts de ton renversés. Nous terminons par un zapping de ouf où je joue du module Big Bang face aux deux filles qui usent, abusent et rusent irrévérencieusement avec leur répertoire pour me couper systématiquement et alternativement la chique. Le petit rappel est on ne peut plus tendre, Ève s'étant saisie de sa flûte traversière, Yūko nous enchantant de sa langue maternelle et ma pomme terminant dans le grave de ma trompette à anche. Nous espérons maintenant pouvoir remettre ça un de ces soirs, ça, une véritable partie de plaisir !
Sauf les rares jam-sessions où je ne jouais que du Theremin, c'est la première fois que je jouais aussi peu de clavier. Mes touches noires et blanches et mes programmes construits au fil des années incarnent une sécurité dont je souhaite me débarrasser. Aussi, le lendemain, pour mon duo avec Nicolas Clauss à L'Échangeur, je n'en emporterai carrément pas... (à suivre)

mardi 9 février 2021

Les miettes du purgatoire


Article du 21 février 2008

Formidable ! Des téléspectateurs ont enregistré le court-métrage que Françoise Romand avait réalisé en 1992 pour Strip-Tease et l'ont mis en ligne, ce qu'elle ne pouvait se permettre [P.S.: depuis, elle a remasterisé le film et "changé quelques petites choses" ; c'est cette version qui est offerte ici]. En effet, la nièce des deux jumeaux a demandé que Les miettes du purgatoire ne soit plus diffusé à la télévision. Or cette interdiction a fait plus de publicité au film que si il était resté un épisode parmi d'autres de la célèbre série. Il est, grâce à elle, devenu "culte" et Internet permet de découvrir ce petit joyau qui tranchait déjà avec le style de Strip-Tease. Car Françoise ne se moque pas de ses personnages, elle vibre en compassion avec eux comme dans toutes ses autres œuvres. Cette tendresse a chaque fois tissé une complicité avec celles et ceux qu'elle filmait, lui permettant de tourner comme personne.


Les deux parents sont aujourd'hui décédés, et seul reste en vie l'un des deux frères, Yves, qui ne voit d'ailleurs aucun inconvénient à ce que le film soit projeté [P.S.: Je crois me souvenir qu'il est décédé lui aussi, depuis]. À la mort d'Alain, la famille aurait aimé brûler tous ses tableaux, effaçant ainsi ce qui pouvait sembler incorrect dans cette morale morbide qui compose le charme discret de la bourgeoisie.
Il est passionnant de mettre en relation Les miettes du purgatoire et le long-métrage Mix-Up ou Méli-Mélo que Françoise tourna sur deux bébés échangés à la naissance, jumelles à leur manière croisée. À propos de Mix-Up, voir le site DVDBeaver qui a réalisé une page autour du film avec de belles captures d'écran.

P.S. de 2021 : Françoise Romand a reçu cette année le Prix de la SCAM pour l'ensemble de son œuvre.

jeudi 17 septembre 2020

Newsletter de septembre 2020

Le déroulant qui défile ci-dessous est une capture-écran de ma copieuse newsletter envoyée hier soir. Pour bénéficier de tous les liens, voir les films, lire correctement les textes, etc., il faut cliquer ICI !!!












Et encore, on ne vous dit pas tout !
Par exemple, que je suis fier d'avoir composé la musique de 4 des 6 DVD (et pas mal de petits machins) de Françoise Romand qui reçoit le Prix de la SCAM pour l'ensemble de son œuvre pour laquelle je me suis battu pendant quinze ans.
Ou qu'il y a deux autres albums sur le feu et des projets incroyables de performances live ou d'ateliers hirsutes...

mardi 11 août 2020

Saga de Xam [archive]


Article du 8 mars 2007

C'est incroyable comme les nouveaux médias font remonter les souvenirs à la surface. On croirait être resté en apnée pendant des siècles, et puis une question suivie d'une évocation font boule de neige. Pan ! Dans le mille. On en reprend pour trente ans. Les événements s'enchaînent comme un fait exprès. Jean-Denis Bonan était mon professeur de montage en première année d'Idhec. Il avait beaucoup d'imagination ou bien des nuits très agitées. Chaque matin il nous racontait son rêve en arrivant à l'école. Je l'ai toujours connu souriant. Je l'avais revu il y a quinze ans alors qu'il exposait des bouteilles de sable peint chez Alberto Bali, un voisin de mon immeuble en face du Père Lachaise. J'ai eu le plaisir de le retrouver grâce à Françoise qui avait été son assistante.
Googlisant le dessinateur "Nicolas Devil", Jean-Denis tombe hier soir sur son nom dans un de mes premiers billets d'août 2005.


Jean-Denis m'écrit qu'ils étaient très proches dans les années 70, exposant ensemble à Zurich. Il possède même une des planches originales de Saga de Xam, le livre fondateur de la nouvelle bande dessinée française, où il figure au moins deux fois : "en chanteur (mais on ne voit pas que je chante) et une fois (cette fois-là sans ressemblance) en moine lubrique dont le cerveau est composée de femmes nues (c'est cette planche que Nicolas m'a offerte il y a longtemps)". Il lui en avait aussi donné un exemplaire "avec une splendide dédicace, mais on (lui) a volé." Comment Jean-Denis sait-il que je connais Saga de Xam et que j'ai récupéré l'exemplaire de mon père l'année dernière ? Sait-il que je fus l'assistant de Jean Rollin, l'auteur du scénario, et que j'ai raconté le tournage de son film Lèvres de sang [hier] ici-même ? Ou bien est-il tombé par hasard sur le commentaire que j'écrivis en marge d'un billet du blog d'Étienne Mineur le 9 mars dernier [2006], il y a presque un an jour pour jour, ce qui expliquerait tout, enfin, pas tout, mais le début du tout :

Réalisé par Nicolas Devil d'après un scénario de Jean Rollin, épais cadavrexquis de Barabara Girard, Merri, Nicolas Kapnist, Philippe Druillet, Devil, photos de Tony Frank, couleurs de J-P Gressin, Annie Merlin, Jacqueline Sieger...On y croise des dizaines de personnages : Gingsberg, Artaud, Barbarella, Dylan, les Stones, Étienne Roblot, Zappa, J-J Schul, Kalfon, Julian Beck, Lovecraft, Valérie Lagrange, Patryck Bauchau, Edouard Niermans, Lennon, Cassius Clay, les Hell's Angels, les provos, dans une explosion graphique digne d'une bible psychédélique. Livré avec une loupe ! (éd. Éric Losfeld, 1967)

Mon père avait été contrebandier avec Losfeld, passant des livres érotiques à la frontière belge ! Tout s'enchaîne. C'est toi qui emploie le mot Incroyable ! dans ton mail, mon cher Jean-Denis, mais tu ne savais pas à quel point. Xam, Rollin, Losfeld, mon père, l'Idhec, Françoise... Le livre est devant moi. C'est cet épais volume aux pages cartonnées qui m'initia à la bande dessinée adulte. C'était aussi la seule trace de culture psychédélique à la maison avant mon voyage aux États Unis en 68. Glissées entre les pages de Saga de Xam, je découvre les fiches où j'avais recopié les phrases déchiffrées en m'aidant du code pour lire les dialogues cachés du livre. J'avais 15 ans, mais déjà plus toutes mes dents, conséquence d'un accident en cour de récréation. Si je reproduis quelques pages du livre, c'est l'ensemble que j'aurais aimé feuilleter avec vous...

Et avec toi, mon cher Jean-Denis, qui me donna le goût du montage cinématographique lorsque j'avais 18 ans. Cette fois encore, de l'autre côté du pont, les fantômes vinrent à (notre) rencontre !

P.S: Nicolas Deville, titulaire d'un doctorat de sociologie, est devenu professeur de philosophie au CEGEP de Matane, une petite ville du Bas Saint-Laurent au Québec, aujourd'hui à la retraite, et écologiste. Il n'aurait plus touché un crayon depuis des années.

lundi 11 novembre 2019

Dans la terrible jungle


Dans la terrible jungle, le film d'Ombline Ley et Caroline Capelle est enfin sorti en DVD, de quoi vous réconcilier avec ce que l'on appelle documentaire, mais qui trop souvent ressemble à un reportage ou à de la radio filmée. Associant leurs talents réciproques, les deux jeunes réalisatrices nous offrent un film positif et foncièrement humain sur un sujet que d'autres auraient rendu larmoyant, explicatif ou condescendant. En cela elles me rappellent les fictions d'Aki Kaurismaki qui lui aussi porte ce rare regard poétique et bienveillant sur ses personnages en soignant ses décors, et puis Jacques Tati pour leur sens de l'observation. Ombline Ley et Caroline Capelle ont passé une semaine par mois pendant un an et demi à l'I.M.E. (Institut Médico-Éducatif) La Pépinière, centre fermé mais qui accueille des résidences d'artistes, où une dizaine d'adolescents handicapés, atteints entre autres de mal-voyance, sont devenus les héros d'un film réalisé "avec" eux et non "sur" eux. Si vous ne l'avez pas vu en salles, courez acheter ce DVD, comédie musicale pleine d'humour et de tendresse ! Il avait été soutenu par l'ACID (Association du Cinéma Indépendant pour sa Diffusion) dont le site propose extraits, teasers, dépliant et qui l'avaient porté au Festival de Cannes l'an passé. C'est d'ailleurs à l'ACID que je dois la "promotion" de mon film Le sniper, tourné à Sarajevo pendant le siège, il y a 25 ans ! Les deux réalisatrices font donc le tour de France avec leur film, tout en préparant la suite qui pourrait bien être une fiction documentaire d'anticipation sur des principes identiques, soit savoir capturer la fantaisie du réel...


Le DVD a l'avantage de présenter une collection de bonus à la hauteur du film. Leur entretien avec leur monteuse Céline Perreard est un petit bijou d'impertinence drôlatique et les teasers vont piocher dans des rushes que j'imagine imposantes. Les 5 épisodes de Duo Kor, avec ses percussions corporelles, révèlent l'humour pince-sans-rire d'Ombline Ley et son sens du rythme tandis que le précédent court métrage de Caroline Capelle, Et puis tout passe, possédait déjà la justesse de ses cadres et un humour délicat où le comique de répétition n'a rien de statique. On peut aussi télécharger un dossier pédagogique que je n'ai pas encore regardé. Je connaissais Caroline lorsqu'elle avait été l'assistante de Françoise Romand, cinéaste que j'admire au plus haut point pour sa manière d'assumer la mise en scène de ses documentaires. Toutes se moquent du cinéma-vérité, sachant que, dès que l'on pose une caméra ou que l'on effectue le moindre montage, la prétendue objectivité s'évanouit aussitôt. Autant assumer ses choix, en choisissant des cadres qui font sens, en travaillant le son avec le même soin que les images, et surtout en cherchant la complicité de celles et ceux qui sont filmés.
Montrer les paysages juste avant que les personnages entrent dans le champ valorise la nature qui entoure ces jeunes expérimentateurs qui semblent bénéficier d'un encadrement totalement à l'écoute de leurs angoisses. La musique constitue un exutoire exceptionnel, que ce soit en montant un groupe de rock épatant ou dans une danse époustouflante. Le texte au dos du boîtier résume parfaitement cette petite merveille aussi belle à regarder qu'à écouter, n'imposant aucune lecture par son absence de commentaire, fut-il même suggéré : "Dans la terrible jungle réunit tous les ingrédients d’un bon blockbuster d’auteur : un super héros, des cascades, un peu de sensualité mais pas trop, un jeune en fauteuil roulant turbo speed, des adolescents en ébullition, une fille populaire, un groupe de rock et quelques lapins pour les amateurs de nature... Normalement tout y est."

→ Ombline Ley et Caroline Capelle, Dans la terrible jungle, DVD ESC, 16,99€

mardi 18 juin 2019

Quel temps fera-t-il demain...


Lundi dernier l'empereur, sa femme et les petits princes sont venus chez moi pour me serrer la pince... Sauf qu'aucun d'eux ne se prend réellement au sérieux, ou plus exactement qu'Ella & Pitr forment un duo égalitaire qui ont fondu le style de chacun/e dans une signature commune à laquelle participent de temps en temps leurs deux jeunes enfants. Des affiches détourées et découpées comme jadis Ernest Pignon Ernest ils sont passés aux anamorphoses à la Georges Rousse avant de réaliser les plus grandes œuvres de la planète, peintures éphémères que l'on ne voit totalement que depuis l'espace ! Eux-mêmes utilisent un drone pour voir comment étaler les 1500 litres de peinture acrylique qu'ils pulvérisent en même temps que leur propre record, peignant la dernière en date sur le toit du Parc des Expositions à la Porte de Versailles, soit 25 000 mètres carrés. Elle représente une nouvelle géante, vieille dame pensive devant la futilité orgueilleuse des petites voitures roulant sure le Boulevard Périphérique parisien, un sac en plastique s'envolant polluer notre univers absurde... L'ont-ils appelé Quel temps fera-t-il demain... en référence au seul lien qui relie l'ensemble de ces automobilistes tournant en rond, les infos diffusées par FIP ?


J'étais donc tout heureux de leur montrer le bleu ciel sur lequel se détache maintenant Bientôt, le personnage qu'ils avaient peint tout en haut de ma façade. Leur empire n'est que celui de l'imagination et les deux petits princes facétieux étaient restés à Saint-Étienne où la famille Trapp des arts plastiques a élu domicile. Pour fêter leur venue à Bagnolet j'avais préparé un poulet à la grecque consistant à cuire au four cuisses et ailes immergées dans l'origan et le citron, recette familiale que je tiens de ma maman. Le dessert dont ils raffolent ne pouvait provenir que du plus célèbre glacier parisien auquel je suis maladivement abonné. Ils n'ont pourtant jamais encore travaillé sur ce support alors qu'ils préparent un nouvel emballage pour le chocolat stéphanois Weiss après le succulent blanc aux fruits rouges qu'ils ont orné d'un cœur qui s'envole !


Je ne pouvais partager les images d'Ella & Pitr avant la diffusion du reportage de TF1. Aussitôt l'embargo levé et lu le superbe article d'Emmanuelle Jardonnet dans le Monde dressant le portrait de ce couple d'artistes qu'on affuble "de rue", mais qui se moquent du street art comme jadis, disent-ils, le trio des Inconnus épinglaient le rap ! Cela n'empêche pas Loïc dit Pitr de m'indiquer le sulfureux Booba tandis que nous regardons les épatants clips d'OrelSan. Ella & Pitr critiquent essentiellement les fresques murales qui ne tiennent pas compte du contexte urbain... Leurs interventions tiennent toujours compte de l'espace social et géographique dans lequel se lovent leurs géants, souvent des laissés pour compte de notre société malade. Leurs personnages "énormissimes" n'étant pas visibles à l'œil nu le couple d'artistes prend de la hauteur sans en rajouter à la pollution visuelle qu'engendre entre autres la publicité. Entre ces encombrements et ceux des automobiles, véritable cancer de la ville, ils nous renvoient à notre condition humaine de fourmis dans l'immensité du cosmos, éphémérité n'empêchant pourtant pas le gâchis dont nous sommes les auteurs.


Comme on peut le voir dans le long métrage Baiser d'encre que leur avait consacré Françoise Romand et dont j'avais composé la partition sonore, l'univers pictural d'Ella & Pitr alimente leur quotidien autant que celui-ci les inspire. Leurs fantaisies narratives sont composées d'une vision critique du réel et d'une poésie de l'enfance qui s'interpénètrent au point de créer un réalisme poétique laissant deviner un imaginaire plus vrai que nature...

lundi 1 avril 2019

Le nouveau Blog d'Étienne Mineur


Le 4 août 2005 je mettais en ligne mon premier article de blog. Comme j'avais l'intention d'imaginer une œuvre artistique en m'appuyant sur ce nouveau mode d'expression, j'étais allé voir le graphiste Étienne Mineur qui publiait quotidiennement des choses passionnantes depuis le début de l'année. Mon ami m'aida à installer l'application DotClear que j'utilise toujours. Je fus instantanément happé par cette nouvelle addiction, le blog lui-même devenant au fil des années une de mes œuvres les plus importantes, totalisant plus de 4000 articles aujourd'hui !


De son côté, jusqu'en août 2012 Étienne Mineur s'appuya sur DotClear qu'il quitta après 1670 articles pour construire un nouveau blog d'Archives qu'il abandonna au bout d'un an. C'est donc avec surprise et ravissement que j'apprends qu'il remet le couvert avec une troisième mouture ! Cette fois le site d'Étienne rassemble son nouveau blog, un safari typographique à travers le monde où il photographie la signalétique urbaine sauvage (enseignes, graffitis, peinture murale, affiches, stickers…), un portfolio, des croquis et bientôt ses enthousiasmantes conférences filmées.


Lorsqu'on connaît l'entrain et la passion partagée généreusement de mon camarade on ne peut que se réjouir d'avoir à découvrir des merveilles dégottées par ce chercheur de trésors. Que ce soit pour sa fougue communicative et son insatiable appétit d'étonnements je me reconnais évidemment dans ce zébulon avec qui je commençai à travailler en 1995 sur le CD-Rom Au cirque avec Seurat chez Hyptique dont il était directeur artistique. Nous avons ensuite collaboré sur mon CD-Rom Carton, l'habillage télévisuel d'EuroPrix 98 à Vienne en Autriche, pour Gallimard avec Moebius le site Magado qui ne verra jamais le jour, La Maison Fantôme avec Sacha Gattino, la série Zéphyr des 5 Balloons et l'incroyable jeu World of Yo-Ho chez Volumique, les emballages des DVD de Françoise Romand, les pochettes et livrets de mes derniers disques (El Strøm et mon Centenaire), et pas mal d'autres projets...


Internet est devenue une encyclopédie vivante, une médiathèque tentaculaire, qu'il serait plus que regrettable, voire dangereux, de voir muselée, censurée, marchandisée par les gouvernements et leurs commanditaires sous les prétextes les plus fallacieux. Si les informations sont toujours à prendre avec des pincettes, cette règle vaut d'abord pour les organismes contrôlés par l'État et la presse traditionnelle qui ne s'est jamais privée de fake news et autres manipulations à des fins mercantiles ou politiques. Les blogueurs n'étant pour la plupart pas rémunérés pour leurs partages restent libres d'écrire ce qui leur chante...

vendredi 1 mars 2019

Chasseurs


Je me souviens de mon embarras il y a 16 ans lorsque Françoise m'avait raconté que son père était chasseur. En 1983, sur le disque Les bons contes font les bons amis d'Un Drame Musical Instantané, nous avions enregistré Ne pas être admiré, être cru qui était une pièce contre la chasse et Bernard Vitet en avait remis une couche avec Bonne Nouvelle en 1987. J'avais accompagné des chasseurs en Sologne pour en capter l'ambiance dans la forêt. Après avoir longtemps discuté avec mon ex-beau-père, qui est aussi pêcheur et cueilleur, ainsi que lu son livre Passion Chasse, ma critique était plus nuancée, même si la fréquentation des chasseurs ne m'est pas particulièrement agréable. Jean-Claude cachait d'ailleurs à ses camarades du Parti Communiste qu'il était chasseur et il évitait de parler du PCF à ses amis de la Fédération de Chasse. Je n'avais jamais rencontré personne qui connaissait aussi bien la nature. Comme j'apprécie toujours le gibier, la viande et le foie gras, il m'est difficile de rejeter les chasseurs, les éleveurs et les bouchers dont je paie les basses œuvres ! Contrairement aux végétariens et végans je n'ignore pas le cri de la carotte. Je pense sérieusement que les plantes communiquent entre elles et que nous ne connaissons rien de leur vie et de leur mort. J'avoue avoir même des doutes sur le fauteuil sur lequel je suis assis en train de taper ces lignes. Aucun mysticisme là-dedans, mais une interrogation fondamentale sur les atomes et leurs combinaisons, puisque rien ne se perd ni ne se crée.


En écoutant Chasseurs, l'œuvre radiophonique qu'Amandine Casadamont présentait mercredi soir au Musée de la Chasse et de la Nature en son spatialisé pour 20 haut-parleurs, j'étais rassuré d'entendre un autre son de cloche à la fin de la pièce après avoir été immergé pendant une heure dans une battue magnifiquement rendue. J'ai fondamentalement besoin de dialectique pour comprendre la moindre chose. Dans le cadre de la Saison France-Roumanie 2019 avec l'Institut français et l'Institut culturel roumain, elle a réalisé ce documentaire pour l’Atelier de Création Radiophonique et la nouvelle émission de France Culture, L’Expérience, enregistrant avec deux systèmes de prise de son, le premier, immersif, tenu par Bruno Mourlan, et un couple stéréo ou deux micros mono dont un canon qu'elle tenait au bout d'une perche pour avoir des sons de proximité. Elle a ensuite monté trois battues pour rendre cette impression étonnante d'y participer, du moins en auditeur libre ! Comme l'a souligné la sociologue Dana Diminescu à l'issue de l'avant première au Musée de la Chasse, Amandine a relevé les traces des chasseurs comme eux-mêmes le font avec les sangliers, les lynx ou les chacals. On suit ainsi les "respirations, marches à travers la neige et les feuilles, cris lancés dans l’écho des montagnes, coups de feu et feux de joie" dans cette Transylvanie, restée pays fantasmé dans l'obscurité de l'auditorium. En choisissant la voix enfantine d'India Hair pour traduire et accompagner les voix roumaines, Amandine indique le jeu puéril de cette ambiance virile. Parallèlement à ce que nous improvisons ensemble avec Harpon, les évocations radiophoniques d'Amandine Casadamont, que ce soit au Costa Rica avec les courriers de la drogue, à Fukushima en zone interdite, au Mexique sur le silence ou en Birmanie, abordent toujours des zones d'inconfort qui l'interrogent en nous entraînant avec elle.

Photos : Mirela Popa - Amandine Casadamont

Chasseurs, diffusion stéréophonique sur France Culture dimanche 3 mars 2019 à 23h
Le site de l'émission avec le podcast et plein de photos !

vendredi 15 février 2019

Le son sur l'image (27) - Rien que du cinéma ! 3.6.2


Rien que du cinéma - 2

Depuis mes balbutiements à l’époque du light-show, j’ai toujours été inspiré par les montages photographiques. Je réalisai les partitions sonores de nombreux audiovisuels didactiques de Michel Séméniako et Marie-Jésus Diaz. C’est un plaisir de devoir produire du sens, de faire passer des intentions claires par la musique et les articulations qu’elle compose avec les images. Récemment, responsable des Soirées des Rencontres Internationales de la Photographie en Arles, grâce à Olivier Koechlin j’ai eu la joie de me confronter à nouveau au montage d’images fixes. En plein air, dans le Théâtre Antique ou devant les anciens entrepôts de la SNCF, Olivier projette des images de douze mètres sur douze montées sur ordinateur avec un logiciel de son invention, iSlide, qui permet de caler très facilement les photos sur la musique et réciproquement. Il s’agit alors de donner une unité à l’ensemble des images fixes que l’auteur a conçues individuellement et qu’il n’a jamais imaginées autrement que muettes. Le récit qui n’a jamais existé que dans l’intention ou l’inconscient de l’artiste doit être structuré, ce hors champ psychique doit apparaître comme un nouveau discours critique, le seul but étant de réussir à produire un spectacle qui fascine ou provoque les spectateurs réunis sous les étoiles. En général, j’essaye de ne pas zapper les séquences musicales pour éviter de souligner encore un peu plus le morcellement de ces montages photographiques souvent découpés en courts chapitres. Musiques préexistantes ou originales, je recherche ou compose des pièces qui se transforment et s’articulent sans coupure. Si je peux tout sonoriser avec une seule pièce, je suis aux anges. Parfois, un silence me permet d’en changer. Je recherche toujours l’unité, l’élément commun à toutes les images. Le reste est affaire de rythme. Si je ne réalise pas moi-même certains des montages, je cherche des illustrateurs sonores ou des compositeurs en adéquation avec les photographes, soit dans leur sensibilité partagée, soit dans la critique qu’ils suggèrent. Il m’arrive de construire un dispositif comme ce quiz où les musiques suggéraient le pays d’origine des estivants en maillots de bain de Paolo Verzone et Allessandro Albert. Parfois, je théâtralise, au sens dramatique du terme mes références restant toujours cinématographiques, tel reportage sur Tchernobyl, une assistante sociale chinoise, les inondations d’Arles ou un abri anti-atomique en Suisse… Parfois, je recherche des effets comiques comme pour les autoportraits de Martin Parr, ou un rythme comme pour la mode en Chine. Je me débrouille pour que puisse toujours s’exercer l’alternance tension-détente, pour surprendre quand cela est possible.


Pour la remise des prix, je suggère toujours un orchestre sur scène pour contrecarrer l’aspect guindé de ces festivités autoglorifiantes. J’arrive à l’imposer deux fois. En 2003, la soirée est chamboulée par le mouvement des intermittents auquel nous participons. Bernard est juste devant moi à la trompette et au piano, Didier Petit singe les simagrées du jury avec humour et violoncelle, Éric Échampard me fait oublier qu’il est batteur mais musicien. Nous improvisons sans aucune conduite pendant plus de trois heures. Après chaque intervention musicale, je n’ai que quelques secondes pour aller m’informer de la suite des événements et transmettre le message à mes trois camarades. Un orchestre d’improvisateurs est l’ensemble rêvé pour ponctuer et accompagner ce genre de festivité, capable de réagir au moindre accident ou changement de programme, redonnant vie à ce qui est compassé… Nous recommençons en juillet 2005, cette fois en trio, avec le clarinettiste basse Denis Colin et le guitariste Philippe Deschepper. Accompagnant la comédienne et chanteuse Élise Caron qui fait office de maîtresse de cérémonie, nous improvisons, même si j’ai préparé le déroulant de la soirée, attribuant une ambiance à chaque présentation des photographies des nominés selon leur caractère, affublé d’un thème la montée des marches et organisé des petits ensembles instrumentaux divers et variés.

Il y a peu, j’adorai imaginer la musique du film 1+1, une histoire naturelle du sexe de Pierre Morize . Comme c’est urgent, comme d’habitude, je choisis de travailler en improvisation, en me concentrant sur le sens du film, sur ce qui doit être compris ou suggéré. Je réunis un quatuor d’improvisateurs chevronnés et nous travaillons à l’écran pendant trois jours. Je regrette de n’avoir pu me mêler de la bande-son elle-même, tant le film est sensible et intelligent. Je livre néanmoins suffisamment de sons isolés pour sonoriser la partie dvd-rom de cette édition. C’est étonnant à quel point il est possible de changer le sens d’un film en y adjoignant telle ou telle musique. Pour Profession, femme de… de Françoise Romand, je considère son personnage, une agricultrice volontaire, secrétaire générale de la Confédération Paysanne, comme le héros positif d’un film soviétique des années 30 et compose une musique symphonique à la Prokofiev, dynamique et colorée. Pour son précédent film, sur l’adoption internationale, Si toi aussi tu m’abandonnes, j’improvise de grandes parties sur l’orgue de Sainte Elizabeth pour montrer la puissance de l’église, imite une vallenato colombienne pour rappeler les origines du personnage principal, détourne un module de notre site somnambules.net avec le violoncelle lyrique de Didier Petit ou retravaille les voix synchrones prises en reportage en les mélangeant à des cris d’hyènes pour la scène du cauchemar. Le moment où l’on trouve le traitement exact qui convient à chaque projet est des plus excitants.


En 1993, je suis retourné à la réalisation avec un épisode de la série Vis à Vis produite par Point du Jour. Il s’agit de faire dialoguer, pendant trois jours et en vidéo compressée, deux artistes à deux bouts de la planète (le premier est kabyle dans une Algérie où monte la tension, le second est un anglais, juif de surcroît, adopté par les zoulous dans une Afrique du Sud dont Mandela n’est pas encore président !), deux artistes qui résistent au pouvoir dominant par la culture et par leur art. Au bout de trois quarts d’heure, Idir et Johnny Clegg a capella glisse vers une sorte de film psychanalytique, où les deux chanteurs parlent de leurs mamans, et tandis que Idir joue de la guitare Clegg se met à danser zoulou au milieu de son salon. Surréaliste ! Je n’ai pas osé demander à Clegg de me fabriquer un arc vocal tel celui qu’il confectionna devant la caméra, après être allé cueillir un bambou au fond de son jardin. Je me serais bien vu jouer de son archet en transformant le son avec ma cavité buccale comme je le fais avec ma collection de guimbardes.

Quelques mois plus tard, je me retrouve à diriger une douzaine de courts-métrages de la série Sarajevo, a street under siege, toujours produits par Point du Jour, cette fois en coproduction avec la BBC et Saga. Mille obus par vingt-quatre heures, le plus grand dénuement, une expérience humaine hors du commun où règne une solidarité totale et absolue. Je me lave en crachant dans mes mains, m’endors en comptant les obus comme si c’était des moutons, une partition sublime qui me fait penser à Ionisation de Varèse, je n’ai jamais aussi bien dormi de ma vie. Le réveil est plus brutal, chaque matin vers cinq heures, je suis soulevé de mon lit par une énorme explosion. Revenu transformé, je n’ai plus peur de la mort, mais je mets un an à m’en remettre. Je filme en langue bosniaque sans comprendre immédiatement les réponses à mes questions. Nous sommes neuf réalisateurs à nous relayer toutes les trois semaines et à filmer la vie d’une rue au quotidien. Tournage le matin, montage l’après-midi dans les locaux de Saga, diffusion le soir par satellite après avoir emprunté Sniper Allée tous feux éteints, le pied au plancher, avec des malades qui nous canardent de chaque côté. Vingt millions de téléspectateurs chaque soir. Je filme un chirurgien à l’œuvre, un accordéoniste qui interprète Grana od bora, une famille qui se préoccupe de leurs animaux de compagnie mieux que d’elle-même, un sketch sur la cuisine de la pénurie, un herboriste au marché de Markala, une séance de cinéma où nous montrons nos films aux gens du quartier… Un de mes films est censuré, interdit d’antenne par la production, parce que j’y parle à la première personne : on voit de belles images esthétisantes des bâtiments grêlés par les éclats d’obus sur fond de ciel bleu tandis qu’on entend ma voix lisant une carte postale à ma compagne et à ma fille. J’y emploie des mots qui ne seront acceptables que deux semaines plus tard au Parlement Européen. Le dernier film que je tourne va faire le tour du monde, il s’agit du Sniper, deux minutes comme les cent vingt autres épisodes de la série. On y entend la voix de celui qui est visé et qui pense à voix haute tandis que l’on voit la cible dans la lunette du fusil du tchetnik. C’est un champ-contrechamp audio-visuel. Imaginez le geste de celui qui hésite entre tirer sur un enfant, sur un chien, une vieille femme, un bidon, pour montrer sa puissance, son pouvoir de vie et de mort, tandis que Feodor Atkine dit le texte que j’ai demandé d’écrire à Ademir Kenović, celui qu’il me racontait chaque soir dans la voiture sur Sniper Allée et que je n’ai jamais écouté. Car pour ma part, je rentrais le ventre en essayant de me prendre pour une feuille de papier à cigarette, imaginant donner moins de prises aux balles qui risquaient d’arriver de chaque côté.


« Je décide toujours avec soin comment, quand et où passer : près des bâtiments ou au milieu de la rue ? Je zigzague ? Je traverse vite ou lentement ? Je fais en sorte qu'on me voit le moins possible des collines qui sont beaucoup trop proches de nous et que personne n'aime plus regarder... Parfois en marchant j'essaie d'imaginer ce que c'est que d'être touché par un sniper... Est-ce qu'on peut sentir la balle vous transpercer le corps ? Est-ce que ça fait mal ou chaud ? Je me demande si je tomberai, si j'entendrai le sifflement de la balle avant qu'elle me touche... Ou après...? Quel bruit font les os en craquant ? Le cycliste qui s'est fait décapité par une mitrailleuse antiaérienne, a-t-il été conscient de quoi que ce soit ? Je continue de croire que je serai "juste" blessé, je ne pense jamais que je serai tué. Je me demande si j'aurai le temps de voir voler une partie de mon corps devant moi après avoir été touché ? Est-ce que ça produit une odeur, un goût ? À quoi pense l'homme qui se cache la tête derrière son journal en traversant là où tirent les snipers ? Je pense : ai-je peur ou suis-je seulement curieux parce que je déteste ignorer les choses qui me concernent ? Et puis je me demande pourquoi certains marchent sans rien comprendre, l'air hagard, pourquoi certains en protègent d'autres et pourquoi d'autres encore courent machinalement ? D'autres enfin essaient de vaincre leur peur en marmonnant des explications stupides... Parfois je pense à ceux qui tirent : comment choisissent-ils leurs victimes, homme ou chien, femme ou enfant, quelqu'un de jeune ou de célèbre, ou peut-être que c'est par la couleur de leurs vêtements ? Est-ce que le tireur est heureux quand il fait mouche ? Je pense souvent au mépris profond des habitants de Sarajevo pour ceux qui disent qu'ils ne savent pas qui et d'où l’on tire et pour tous ceux qui font semblant de les croire. Ils regardent simplement les futurs fascistes, autour d'eux, qui tirent sur leurs enfants...»

Après Alger, Johannesburg et Sarajevo, je refuse de m’envoler pour Belfast, et j’écris le scénario d’un long-métrage inspiré par un roman de Ramuz dont le sujet n’enchante personne, la fin du monde ! Je compose même la musique de L’astre avec Bernard Vitet, comme une préparation au tournage. Hanna Schygulla accepte de jouer le rôle de la récitante, je suis fasciné par certaines voix, Delphine Seyrig, Marlene Dietrich, Lauren Bacall, mais aussi Cocteau, Guitry, Godard, Lacan… Celle d’Hanna Schygulla me fait fondre. Phénomène historique, l’avance sur recettes ne m’est ni accordée ni refusée, deux fois de suite. Je perds courage et retourne à mes moutons, naturel pour un birgé !

Précédents chapitres :
Fruits de saison : La liberté de l’autodidacte / Déjà un siècle / Transmettre
I. Une histoire de l’audiovisuel : Hémiplégie / Avant le cinématographe / Invention du muet / Régression du parlant / La partition sonore
II. Design sonore : La technique pour pouvoir l’oublier / Discours de la méthode / La charte sonore / Expositions-spectacles / Au cirque avec Seurat / Casting / Musique originale ou préexistante / Bruitages et un peu de technique 1 / 2 / Le synchronisme accidentel / La musique interactive
III. Un drame musical instantané : Un drame musical instantané / Un collectif / Des films pour les aveugles 1 / 2 / L'image du son / La nouvelle musique du muet / Rien que du cinéma ! 1 / 2
IV. L'auteur multimédia (à suivre)

mardi 27 novembre 2018

Souvenir de La Maison Rouge


En feuilletant l'ouvrage rétrospectif 2004-2018 de La Maison Rouge, j'ai la surprise de trouver notre photo en double page lorsqu'avec Vincent Segal nous avions imaginé une visite commentée en musique de l'exposition Vinyl, disques et pochettes d'artistes, de la collection Guy Schraenen. Il faut dire que la petite bible bleue fait tout de même 880 pages dont 736 illustrées ! Notre intervention du 21 mars 2010 est immortalisée ici devant le disque souple de Salvador Dali dont j'avais moi-même copie et que je fais tourner sur l'électrophone pendant que Vincent l'accompagne au violoncelle.


J'avais raconté ici notre petite aventure et Françoise Romand l'avait filmée de station en station.
La première partie (8'37) tourne autour de Christian Marclay, Helio Oiticica, Philip Glass, Laurie Anderson et je suis au Tenori-on...


Dans la seconde (5'46) je suis au Kaossilator et Martin Fournier nous prête sa voix pour Allen Ginsberg, mais nous continuons également avec Laurie Anderson, William Burroughs, John Giorno, Salvador Dali, Iannis Xenakis, Pierre Boulez...
Pour la troisième (9'00) Vincent joue aussi du tourne-disques et de ses keuss keuss en plus du violoncelle tandis que je passe à la flûte, au tourne-disques, au susu et à la varinette ! Comme le 33 tours d'Hélène Sage et Bernard Vitet, Supposons le problème résolu paru chez GRRR figurait dans le catalogue de l'exposition aux côtés de Rideau ! et À travail égal salaire égal nous nous arrêtons devant ceux d'Un Drame Musical Instantané ainsi que Michael Snow et Maurice Lemaître...


Filmé avec une HandyCam, le court-métrage rend bien l'ambiance de la performance qui dura près de deux heures. Nous avions exclu l'interprétation mémorable de 4'33 de John Cage qui se prêtait mal à une diffusion cinématographique et avions écourté nombre de stations. De même, nous ne nous sommes pas attardés sur les dizaines de pochettes que nous avons commentées en direct, préférant privilégier les séquences musicales. Pour rendre digeste la diffusion sur Internet, nous avions découpé le film de 23'23 en trois parties.

Sur la photo de Pauline Seckel parue sur l'ouvrage rétrospectif 2004-2018, on reconnaît Gary May venu nous écouter...

lundi 22 octobre 2018

À la découverte des Yatzkan


L'histoire est totalement différente, mais la démarche est la même. Parvenus à un âge où nos anciens nous quittent, il nous faut fouiller, remontant le temps comme s’il y avait dans les archives une clef d’accès à notre identité. J'ignorais les ascendances juives d'Anna-Celia, je la croyais anglaise, mais Kendall n'était que le nom de guerre de son père. En 1978 je faisais partie du jury qui l'a reçue à l'Idhec (l'ancêtre de La Femis) et je fus le responsable de la pédagogie de sa Promotion lors de l'année qui suivit. Le concours d'entrée exigeait de déceler les aptitudes créatrices des candidats. Nous ne nous sommes pas trompés.
Cette année j'ai découvert les archives familiales en haut de l'armoire dans la chambre de ma mère, j'ai constitué mon arbre généalogique et même séquencé mon génome. Je savais d'où je venais, mais j'ignorais maints détails. Les dossiers concernant la déportation de mon grand-père, l'évasion de mon père après les sévices subis par la Gestapo, les documents historiques concernant mes deux parents issus de la communauté juive d'Alsace m'ont poussé à creuser cette piste digne des meilleurs feuilletons.
De son côté, avec des outils similaires, Anna fit ce travail de deuil et de renaissance après la mort de sa mère. Il fallait trier, choisir quoi conserver, jeter, vendre, donner. Mais il était aussi nécessaire de lever certains dénis, contrebalancer le refus de se souvenir des aînés par l'étonnant champ de recherche que constitue Internet, avoir le courage de retourner là où les crimes avaient été commis. La caméra suit la réalisatrice dans son enquête jusqu'en Pologne où l'antisémitisme est toujours présent. Découvrant des Yatzkan survivants des massacres de 1941 perpétrés en Lituanie, et d’autres issus d’une autre branche ayant fui les pogromes de la fin du XIXe siècle et réfugiés aux États-Unis, Anna renoue avec eux et devient elle-même une Yatzkan, ajoutant le patronyme de sa mère au sien et devenant ainsi Anna-Célia Kendall-Yatzkan. À la suite, entre autres, de cinéastes d'origine juive, elle a recours à l’autodérision, une manière d'assumer la souffrance pour continuer d'avancer. Si Les Yatzkan est un film fondamentalement tendre, il peut être aussi drôle que passionnant. Je n'ai pu retenir mes larmes lorsque les cousins venus d'Europe, d'Amérique ou d'Afrique du Sud débarquent à l'aéroport, mais j'ai ri des petits poings rageurs d'Anna face à l'agressivité d'un rougeaud ou devant cette fille qui tente en vain de se débarrasser des affaires de sa mère lors d'un vide-grenier.


Adepte de l'auto-fiction comme Françoise Romand, Agnès Varda, Dominique Cabrera, Sophie Calle, Maïwenn, beaucoup de femmes, mais aussi Alain Cavalier, Nanni Moretti, Alejandro Jodorowsky et quelques autres, la cinéaste se met en scène et façonne le réel avec les ressources d'une fantaisie lui offrant de faire éclater la vérité de l'imaginaire. Elle plie et déplie les papiers qui se transforment en origamis ou en affiches géantes, photographies collées sur les lieux-mêmes où elles furent prises le siècle précédent. La langue yiddish devient le vecteur d'une histoire lituanienne qui a traversé les siècles et l'Europe. Lorsqu'elle n'arpente pas les rues ou les bois à la recherche des traces du drame, notre Kendall-Yatzkan est rivée à son ordinateur. Elle fait l'acquisition de documents rares sur eBay, retrouve les lieux sur Googgle, contacte les membres de sa famille perdue et retrouvée et se fait traduire mot à mot ce qu'elle ne comprend pas. Et l'inconscient fait son travail, car le non-dit est souvent explicite sous l'évocation poétique. Les artistes ont cette chance terrible de transposer et sublimer leurs émotions. La performance de sa cousine Doris avec le sang et le lait est d'autant plus poignante. Anna est une petite souris comme celles que dessine Art Spiegelman dans Maus. Elle est tenace, impertinente, amusée, rêveuse, et elle se sait maintenant faire partie de sa famille souris, les Yatzkan.

→ Anna-Célia Kendall-Yatzkan, Les Yatzkan, à 13h du 7 au 20 novembre (sauf le 13) et le 27 au cinéma Le Saint-André-des-Arts,
avec, à l'issue de chaque projection, la présence d'une personnalité (Doris Bloom ou d'autres Yatzkan telles que Diana Huidobro et Nathalie Weksler accompagnée de Jean-Gabriel Davis, l'historienne et chanteuse Éléonore Biezunski, les historiens Annette Wieviorka et Philippe Boukara, le psychanalyste Daniel Sibony, les sociologues Nathalie Heinich et Claudine Dardy, la psychologue clinicienne Yaelle Sibony-Malpertu, le professeur de yiddish Arnaud Bikard, les cinéastes Jérôme Prieur, Yves Jeuland, Dominique Cabrera, Amalia Escriva, Pauline Horowitz, Jacques Royer).

vendredi 22 juin 2018

CINÉ-ROMAND, happening cinématographique ce soir à Bagnolet


Dix ans après l'évènement qui avait donné lieu à un DVD, Françoise Romand reprend son happening cinématographique, CINÉ-ROMAND, cette fois autour du Cin'Hoche à Bagnolet et dans une dizaine d'appartements où les films de la cinéaste s'enchaînent. Les spectateurs accompagnés d'anges déambulent dans le centre de Bagnolet pour assister subrepticement aux projections des films en situation chez les voisins qui jouent là du théâtre documentaire… C'est un évènement rare, c'est gratuit et c'est plein de fantaisie.

La bande-annonce du DVD :


Jeu de piste avec la complicité des voisins, chez eux, entre fiction et réalité. Le spectateur se perd dans un labyrinthe de ruelles en passant par des appartements aux portes entrouvertes où il surprend des scènes de la vie quotidienne avec la télé diffusant en boucle les films de Françoise Romand. À partir de son travail de réalisatrice, l'artiste génère une création à la croisée du théâtre documentaire et du cinéma. L'ensemble réfléchit la fantaisie et la profondeur de son œuvre avec humour et générosité. Un long métrage de fiction est projeté au Cin'Hoche, un autre dans une maison en face de la médiathèque, des films documentaires, des petits sujets impertinents un peu partout...

La bande-annonce d'un précédent Ciné-Romand :



L'entretien de lundi dernier sur Radio Aligre avec Géraldine Cance

→ Dernières inscriptions sur alibifilms@gmail.com
→ Rendez-vous au Cin'Hoche de Bagnolet ce vendredi 22 juin 2018 à partir de 18h30
Site de Françoise Romand
→ Articles sur les précédents Ciné-Romand :
en 2007 : Façon Gala 1 /Façon Gala 2 (qui reconnaîtrez-vous sur mes photos riquiqui ?)
en 2008 : à la Bellevilloise / Une traversée du miroir / Le film (illustrés des magnifiques photos d'Aldo Sperber comme celle d'en haut)
en 2009 : Le DVD (design graphique de Claire et Étienne Mineur) / Le site (design graphique de Caroline Capelle) / Sur Univers-Ciné

lundi 9 avril 2018

Les mystères d'Agatha Christie au cinéma


Il est tard. Si je regarde encore un film, je me coucherai vers une heure du matin. Cela fera quatre ou cinq heures de sommeil, ce n'est pas si mal pour un petit dormeur. Alors je choisis quelque chose de facile. Carlotta m'a envoyé quatre films réalisés d'après Agatha Christie qui sortent en salles dans des versions restaurées inédites. J'ai sauté Le crime de l'Orient Express de Sidney Lumet (1974) parce que j'avais regardé le remake de Kenneth Branagh il y a peu de temps et que je pense bien me souvenir de l'original avec Albert Finney dans le rôle d'Hercule Poirot.
Dans Mort sur le Nil de John Guillermin (1978) et Meurtre au soleil de Guy Hamilton (1981) Peter Ustinov avait repris le rôle du détective belge. Je suis sidéré par les décors naturels de l'Égypte ancienne, vierges de toute trace touristique, superbement photographiées par Jack Cardiff. Lors de ma propre croisière sur le Nil il y a une vingtaine d'années une enseigne MacDo défigurait déjà Louxor. Mais c'était vingt-cinq ans plus tard. On a tout fichu en l'air en si peu de temps ! Je m'étais servi des pistes audio du film que j'y avais tourné pour la bande-son du CD-Rom Sethi et la couronne d'Égypte. À la même époque, Françoise avait réalisé un feuilleton documentaire de huit fois 26 minutes pour France 3 intitulé Croisière sur le Nil dans son style habituel, plein de fantaisie.


Dans les quatre longs métrages, la première heure de chaque film est consacré à la présentation des personnages, sachant que le meurtrier est toujours le plus improbable. La règle des "dix petits nègres" se retrouve presque toujours. Les ressorts de l'intrigue sont le point faible de tous les auteurs de romans policiers dont on finit par comprendre la démarche systématique, si l'on en lit suffisamment. Les mobiles du crime sont ici la vengeance ou l'appât du gain, mais chaque protagoniste est successivement suspecté jusqu'au coup de théâtre final.
Le quatrième film, Le miroir se brisa de Guy Hamilton (1980), met en scène la détective amateur Miss Marple jouée par Angela Lansbury, future héroïne d'Arabesque, entourée d'Elizabeth Taylor, Geraldine Chaplin, Tony Curtis, Rock Hudson et Kim Novak. La distribution est toujours étoilée, Lauren Bacall, Ingrid Bergman, Jacqueline Bisset, Jean-Pierre Cassel, Sean Connery, Anthony Perkins, Vanessa Redgrave, Richard Widmark, Michael York dans l'Orient Express, Jane Birkin, Bette Davis, Mia Farrow, David Niven, Maggie Smith sur le Nil, James Mason, Diana Rigg, encore Birkin et Smith au soleil, etc. L'intrigue se déroule cette fois dans un cottage anglais parmi des gens du cinéma, tandis que Meurtre au soleil a pour cadre une île au large de la Yougoslavie. Dans tous les cas j'ai passé une très agréable fin de soirée.

jeudi 22 mars 2018

José Maria Berzosa, cinéaste insolent et baroque


Il y a des aberrations flagrantes dans la production DVD, mais avant tout dans le travail que devrait réaliser l'INA pour diffuser son immense patrimoine vidéographique. Que dis-je en employant le singulier possessif, car, service public, c'est de "notre" patrimoine dont il est question ! Ainsi les films de José Maria Berzosa sont presque invisibles alors qu'ils sont d'une profonde originalité. La seule filmographie accessible, à moitié complète puisqu'on n'y trouve répertoriées qu'une cinquantaine d'œuvres, vient du Festival Punto da Vista qui s'est tenue récemment en Navarre. Je le salue une fois de plus au lendemain de sa mort en me rendant compte de l'influence majeure qu'il exerça sur les œuvres de Françoise qui fut pendant dix ans sa première assistante !
Il y a quelques jours les Ateliers Varan organisaient deux projections, la première constituée d'extraits à commencer par son premier film en 1967, visite du Musée de la Police dont le responsable est incapable de retirer les menottes qu'il a enfilées à Michel Simon. Suivait un interview hilarant où Berzosa répond courtoisement malgré l'inanité des questions, en nous offrant une remarquable leçon de cinéma. L'humour sophistiqué et glacé, comme disait Gotlib, est particulièrement corrosif, mais la tendresse se révèle face aux personnages qui la suscitent. Il filme souvent ceux-ci en gros plan tandis qu'il prend ses distances avec ceux qu'il fustige. Le programme comportait également un extrait d'un film sur la Bretagne titré Des choses vues et entendues ou rêvées en Bretagne à partir desquelles Dieu nous garde de généraliser, deux extraits de La sainteté et le chapitre Les pompiers de Santiago tiré de Chili Impressions.
La salle était comble le second soir pour Pinochet et ses trois généraux (en prime time en 1977, remonté dans une version courte en 2004), Berzosa ayant réussi à déjouer la méfiance de la junte en pénétrant leur vie familiale. Le pot aux roses fut dévoilé seulement lorsque la presse évoqua le pamphlet terrible, camouflet à la figure de la dictature chilienne. Épousant les théories de Hannah Arendt sur la banalité du mal, le réalisateur dévoile la médiocrité de ces monstres, par ses questions a priori innocentes, mais en réalité retorses. Malgré la gravité des conséquences meurtrières, on est plié de rire devant l'inculture et les mensonges odieux des quatre généraux. Ce procédé sera largement utilisé plus tard par des humoristes comme Pierre Desproges ou Raphaël Mizrahi. La sombre et grandiloquente musique symphonique accompagnant chaque apparition des quatre Dark Vador en Antarctique, les marches militaires, les charmants petits oiseaux, les aboiements du berger allemand participent au recul brechtien dont use Berzosa avec la délectation enfantine d'un Buñuel.
Dans un CV à l'image de son auteur, Berzosa raconte sa formation d'avocat et son entrée à l'Idhec sur la recommandation de Juan Antonio Bardem qui le présente à Georges Sadoul (13e promotion avec Bernard Gesbert, Roman Polanski, James Blue, Annie Tresgot, Christian de Chalonge, Costa-Gavras...). Il fut l'assistant de Jean Renoir sur Le testament du Docteur Cordelier, puis de Robert Valey, Jean-Marie Drot, Michel Mitrani, Michel Drach, André S. Labarthe, Stellio Lorenzi, Marcel Bluwal, soit la crème des beaux jours de la télévision française. Il réalise quantité de films exceptionnels sur des peintres (Dubuffet, Picasso, Zurbarán, Matisse, Greco, Daumier, Bacon, Giacometti, Antonio Saura, Magritte, Fernand Léger...) et sur des écrivains (Asturias, Borges, Rafael Alberti, Montaigne, Colette/Sido, Juan Carlos Onetti, Charles Fourier...) cosignant parfois avec d'autres. Ses films les plus connus sont Chili Impressions (l'original de 1977 dure 5 heures), De la sainteté (sous-titré Quatre épîtres perplexes autour de la foi, de la crédulité et de la croyance, 4 heures, 1985-86), L'élection d'une miss, Iconoclasme (avec Henri Cueco)...
S'il mélange fiction et documentaire dont les limites lui échappent, ses quatre longs métrages de fiction sont Entre-temps ("Deux récits parallèles. Un employé de bureau de trente cinq ans voit un matin sa vie future compressée en 24 heures, une journée qui correspond à 40 ans de la perception "la plus fréquente" du temps. Simultanément un nain, ancien artiste de cirque, se voit catapulté à l'époque de Napoléon III où il devient l'ami d'une petite fille violoniste qui vieillira d'un siècle en 24 heures..."), Passe-temps (écrit avec Julio Cortázar et Danielle Obadia ; "une femme quitte son domicile et fuit un danger que nous ne connaîtrons jamais. Après un long chemin émaillé d'aventures initiatiques, elle s'installe dans la salle vide d'un musée et attend la solution à des problèmes qui nous échapperont toujours"), Joseph et Marie ("La vie quotidienne d'un couple de retraités, très très vieux, généreux, lucides et extraordinairement doués pour le bonheur"), Mourir sage et vivre fou ("Une femme noire dans une Rolls Royce conduite par un chauffeur aveugle et sourd-muet se promène sur la route de Don Quichotte. Un troisième voyageur, un enfant de 10 ans habillé en blanc leur permet de communiquer").
L'Espagne est un sujet d'inspiration permanent. Ainsi il tourne ¡Arriba España! avec Tierno Galván, Ramon Chaó et André Camp, Cinquante ans depuis la guerre civile et Le diable en Galicie avec Ramón Chao, Trois mythes espagnols avec André Camp (Comment se débarrasser des restes du Cid, Don Quichotte Mourir sage et vivre fou, Dom Juan l'amour et la charité), Franco un fiancé de la mort...


Partout José Maria Berzosa affirme sa subjectivité pour dénoncer quelque prétendue objectivité de la télévision. Il le fait avec un humour cruel qui rappelle celui de Luis Buñuel et sa fantaisie s'exerce parmi les sujets les plus graves, "au risque de faire réfléchir les spectateurs" !
L'excellent article d'Antoine Perraud paru sur Mediapart renvoie à d'autres extraits...

mardi 20 février 2018

Mes 24 documentaires résonnants


Il y a peu j'avais listé les "24 films que j'ai encore envie de projeter à des amis qui ne les connaissent pas ou qui auraient comme moi envie de les revoir." J'avais volontairement omis les documentaires, citant néanmoins Ceux de chez nous de Sacha Guitry, A Movie de Bruce Conner et Histoire(s) du cinéma de Jean-Luc Godard qui sont essentiellement des montages d'archives, ainsi que l'autofiction Thème Je de Françoise Romand et le court métrage L'île aux fleurs de Jorge Furtado. C'est bien la frontière ténue entre fiction et documentaire qui m'intéresse, que l'on en apprenne autant dans les fictions et que les documentaires soient mis en scène avec les ressources qu'offre le cinématographe. J'ai donc cette fois sélectionné 24 nouveaux films qui me touchent particulièrement. Il ne s'agit pas de pointer les meilleurs, mais ceux qui subjectivement font vibrer quelque chose en moi comme une corde sympathique.

Chelovek s kino-apparatom (L'homme à la caméra), Dziga Vertov, 1929 - ce n'est pas un hasard si avec Un Drame Musical Instantané nous l'avons accompagné en grand orchestre, l'idée étant de reconstituer le Laboratoire de l'ouïe de Vertov, voir le lien !
Tabu (Tabou), F.W. Murnau, 1931 - malédiction !
Les maîtres fous, Jean Rouch, 1955 - après une scène de transe, les plus beaux sourires jamais filmés. Voir le film !
Lourdes et ses miracles, Georges Rouquier, 1955 - cette commande du Diocèse n'a pas effacé l'humour de Rouquier, un miracle !
Nuit et brouillard, Alain Resnais, 1956 - pour les derniers mots de Jean Cayrol...
Come Back, Africa, Lionel Rogosin, 1959 - docu-fiction tourné clandestinement pendant l'apartheid, avec la jeune et sublime Myriam Makeba, voir le lien !
The Savage Eye, Ben Maddow, Sidney Meyers et Joseph Strick, 1959 - d'une invention à couper le souffle, aussi pour la voix off et la musique, voir le lien !
Pasolini l'enragé, Jean-André Fieschi, 1966 - un témoignage inestimable de Jean-André qui fut mon maître et de P.P.P. en français à ses débuts, voir le film !
Tarva Yeghanaknere ou Vremena goda (Les saisons), Artavazd Pelechian, 1972 - voir l'article, poème symphonique en hommage à la nature, voir le film !
Fellini Roma, Frederico Fellini, 1972 - j'ai toujours préféré ses faux documentaires à ses vraies fictions, comme Les clowns et Prova d'orchestra...
Télévision ou Jacques Lacan : La psychanalyse, Benoit Jacquot, 1973 - fascinant, on a l'impression qu'on pourrait devenir intelligent, voir le film !
Genèse d'un repas, Luc Moullet, 1978 - j'aurais pu choisir Anatomie d'un rapport ou Essai d'ouverture, mais celui-ci est une critique fantastique et si drôle de notre civilisation marchande.
Filming Othello, Orson Welles, 1978 - un making of passionnant avant la lettre, voir le film ! J'aurais pu choisir tout aussi bien F For Fake (Vérités et mensonges) dont le titre justifie le tour de passe-passe sur l'illustration de cet article. Il me manque d'ailleurs pas mal de boîtiers à prendre en photo...
Mix-Up ou Méli-Mélo, Françoise Romand, 1985 - j'ai choisi son premier plutôt que Appelez-moi Madame parce que sa complicité avec ses acteurs est encore plus évidente dans sa mise en scène du réel. Voir le lien !
L'abécédaire de Gilles Deleuze, Pierre-André Boutang, 1988 - un souvenir d'Arte des débuts...
Step Across The Border, Nicolas Humbert & Werner Penzel, 1990 - un des plus beaux films sur la musique, il faudra d'ailleurs que je fasse une liste de ce genre qui n'existe pas vraiment, voir le lien !
La Commune, Peter Watkins, 2000 - six heures de reportage sur le vif dans une Commune reconstituée, déjà avec The War Game (La bombe) Watkins avait inventé un modèle infalsifiable, voir le lien !
Eux et moi, Stéphane Breton, 2001 - la caméra devient l'enjeu de cette excursion burlesque chez les Papous...
Decasia, Bill Morrison, 2002 - j'aurais pu choisir n'importe quel autre film de Morrison, celui-ci est un des plus évidents, avec la musique Michael Gordon, voir le lien !
Capturing The Friedmans, Anrdew Jarecki, 2004 - la sérenpidité est un des meilleurs atouts du documentaire ; il est absurde de réclamer un synopsis aux réalisateurs...
La mécanique de l'orange, Eyal Sivan, 2009 - le film le plus explicite sur le story-telling qui sévit en Israël à propos de la Palestine; le tout en chansons.
It Felt Like a Kiss, Adam Curtis, 2009 - Les nombreux films radicalement politiques de ce réalisateur britannique de la BBC multiprimé, mais inconnu du public français, sont à découvrir séance tenante. Contrairement aux autres comme The Century of the Self, The Power of Nightmares, Biitter Lake ou HyperNormalisation, celui-ci ne possède aucun commentaire off, mais si je vous dis qu'à la distribution participent Eldridge Cleaver, Doris Day, Philip K Dick, Rock Hudson, Saddam Hussein, Richard Nixon, Lee Harvey Oswald, Lou Reed, Mobutu Sese Seko, Phil Spector, Tina Turner et le chimpanzé Enos, peut-être aurez-vous envie de voir le film ! J'ai découvert ce documentariste grâce à une erreur. Je cherchais des films de Bill Morrison et je suis tombé sur celui-ci par hasard. Heureux hasard !
The Queen of Versailles, Lauren Greenfield, 2012 - délirant, j'adore, voir le lien !
Le temps de quelques jours, Nicolas Gayraud, 2014 - inattendu, beaucoup de tendresse, voir le lien !

J'en oublie probablement certains qui furent pour moi déterminants. Un autre jour la liste aurait été probablement différente, mais je n'ai pas su quel film choisir de José Berzosa (sa disparition récente poussera peut-être l'INA à exhumer ses films), William Klein (pour le cinéma et la télévision), Chris Marker ( je ne suis pas certain de préférer La jetée), Jean Painlevé (pas seulement pour ses choix musicaux, mais pour ses univers où l'humain n'a de place qu'en observateur), Roberto Rossellini (je me souviens bien de La Prise de pouvoir par Louis XIV, mais il y a toutes ses fictions presque documentaires et ses reconstitutions historiques), Barbet Schroeder (par exemple, comment choisir entre Général Idi Amin Dada : Autoportrait et L'avocat de la terreur ?), Agnès Varda (il y en a tant ; j'aime évidemment bien le plan de fin des Plages d'Agnès où je figure), et puis toute la série des Cinéastes de notre temps initiée par Janine Bazin et André S. Labarthe. J'aurais pu choisir Nanook de Flaherty ou Le sang des bêtes de Franju, Le tempestaire d'Epstein ou un film plus récent comme l'amusant Meet The Patels de Geeta V. Patel & Ravi V. Patel, mais non, c'est une liste qui s'est imposée d'elle-même ce soir-là... Ou bien je triche à rallonger la liste en faisant semblant de n'en livrer que 24 ?

lundi 19 février 2018

Dans vos œuvres, vous êtes-vous dicté des règles incontournables, voire intransgressibles ?


Toujours La Question, celle-ci publiée à l'origine dans le n°8 (janvier 2003) du Journal des Allumés du Jazz. Merci à Serge Adam, José Maria Berzosa, Denis Colin, Luc Courchesne, Jean-François Pauvros, Françoise Romand d'avoir répondu à la question "Dans vos œuvres, vous êtes-vous dicté des règles incontournables, voire intransgressibles ?"

Depuis le n°1 du Journal, jamais question ne rencontra autant de difficulté à provoquer des réponses. Nombreux artistes ou penseurs sollicités invoquèrent leur incompétence plus souvent qu'un refus. J'eus beau accumuler coups de téléphone, courriels, cartes postales, évoquer la liberté de ton et du nombre de signes, rien n'y fit. Ce travail devint si pénible et laborieux que j'en viens à croire que l'heure est venue d'abandonner la rubrique, et d'imaginer d'autres formes (P.S.: ce que je fis, mais j'y revins plus tard comme on pourra le constater bientôt). Pourtant, la question des limites, du cadre, du "jusqu'où peut-on aller trop loin ?" chère à Cocteau (encore lui, n'en déplaise aux coupeurs de têtes) suggère l'existence d'un ailleurs, d'un hors d'œuvre comme on dit d'un hors-champ. Définir son champ d'action n'est-ce pas concevoir généreusement, lucidement ou exclusivement, qu'il existe d'autres formes de pensée que la sienne, des territoires étrangers, pour certains hostiles ou inhospitaliers, des gestes qu'on ne voudrait reproduire sous aucun prétexte ? Qu'on la conçoive techniquement ou moralement, la question souligne l'existence ou l'absence du choix. N'existe-t-il, en amont, aucun principe répulsif, aucune révolte qui poussent le créateur dans telle ou telle direction, voire tout simplement à se définir comme tel ? A une époque où les lois sont plus iniques que jamais, où seule règne celle du profit et du crime organisé, avec le mensonge et la manipulation d'opinion comme principaux corps d'armée, n'est-ce pas de son devoir que d'affirmer son indépendance de pensée en refusant la complicité du flou, qui ici, soulignons-le, n'a plus rien d'artistique. S'interroger soi-même sur ce qui est acceptable ou pas, et par conséquent, "que faire ?", n'est-ce pas ce qui dessine les œuvres, et, au-delà, la dignité de vivre, ensemble et seul ?

Serge Adam, musicien
Lorsqu’on est étudiant en composition, en orchestration, en arrangement, on apprend un certain nombre de règles " intransgressibles " (succession et structures d’intervalles, formes, fugues, séries). Ensuite, l’analyse des œuvres nous montre que le non-respect de certaines règles projette la musique ailleurs. La plupart du temps, les règles incontournables sont dictées par des contraintes extérieures : nomenclature et niveau de l’orchestre, temps de répétition, publics visés, technologies mises en place.
Ces paramètres intégrés, il est nécessaire d’établir un cadre de travail : plus il sera rigoureux, plus le travail d’écriture sera précis. Cela peut paraître banal, mais on ne peut se poser la question de la transgression des règles que si elles ont été posées. C’est la première étape du travail : développer les idiomes que l’on s’est fixés (une série, un module rythmique, une enveloppe de timbre par exemple).
Dans cette première étape, il s’agit de constituer " une base de données " des déclinaisons du cadre fixé, comme on le ferait pour un sujet de dissertation, en rassemblant les idées.
Ensuite, vient la deuxième étape : organiser la pensée pour dégager l’essentiel (sélectionner les meilleurs éléments et structurer). L’idée d’une transgression ne serait alors vécue que comme une trahison du cadre que l’on s’est fixé - librement. Mais la vie est ainsi faite : pleine de petites trahisons et d’heureuses transgressions…
Une œuvre musicale, si elle veut rester "juste et honnête", tentera d’échapper à ces petites transgressions mais ira-t-elle jusqu’au bout, au risque de ne pas séduire ?

José Maria Berzosa, cinéaste
Non.
Il y en a assez de ces règles qui nous sont dictées par les autres. Les contourner ou les transgresser presque tout le temps est l'occupation la plus épuisante, la plus "incontournable" et la plus salutaire de mon activité.
Si les règles deviennent incontournables, si l'on sent que l'obstination dans le refus va vous empêcher de commencer votre projet, vous les acceptez. Soyez patient. Le travail démarre et les rapports de force vous seront de plus en plus favorables. Et alors que la rétractation est très improbable, vous entrez dans la phase du DÉTOURNEMENT, longue et compliquée ; très souvent couronnée de succès. Ces manœuvres, qui n'ont rien de cynique, ne sont que de la légitime défense et on devrait les enseigner dans les écoles de cinématographe aux futurs cinéastes angéliques. Le détournement a été pratiqué par les plus grands : Stroheim, Eisenstein, Welles, Fellini, Godard... Nous aussi, malgré la modestie de nos talents, pouvons suivre cette méthode, à condition bien sûr, de procéder pour chaque travail comme s'il était le dernier de notre vie - selon le conseil de Maurice Pialat et de Guy Olivier - évitant ainsi les sirènes de l'avilissant "plan de carrière". Je ne voudrais quand même pas inciter au suicide : il est souhaitable de respecter la logistique contractuelle (rémunérations, moyens techniques, durée des étapes de production...) quitte à jongler avec les dépenses sans sortir du devis.
La transgression est un choc de plein fouet entre l'auteur insoumis et les valeurs établies protégées par les censures. Le front s'élargit, mais parfois, heureusement, industriels et financiers viennent à votre aide : la bataille a presque toujours lieu une fois que le film est fini ; le mal (les investissements) étant irréversible, on trouvera donc alliés les défenseurs de la liberté d'expression avec les responsables économiques qui veulent, au moins, récupérer leur mise. Je ne vois pas quel commandement pourrait m'empêcher de traiter un tabou, un mythe diabolique, un récit de mœurs insupportable afin de conforter une morale soi-disant universelle et permanente. Je ne peux pas accepter des règles générales. Une œuvre, personnelle par définition, est toujours une exception. Devant chaque problème moral, je réfléchis. Pour la forme, je me laisse aller à mes intuitions sans chercher à comprendre et encore moins à faire comprendre. Lorsque je me sens menacé par l'explication, je change de route... L'interprétation est ouverte. À chacun sa lecture. La merveilleuse ambiguïté s'installe. Le canular triomphe. Le rêve.

Denis Colin, musicien
Je me suis dicté des tas de règles. On m'en a dictées aussi, depuis si longtemps que je ne m'en souviens plus. Elles ne m'apparaissent probablement plus commes des règles, mais comme des choses naturelles, allant de soi. Je fouille avec nonchalance pour les détecter, les observer et les archiver. J'ai une étagère pour ça. Un vrai bordel. Je m'en dicte encore et "on" m'en dicte encore.
De toutes ces règles à œuvre dans mon travail, aucune n'est à l'abri d'un contournement voire d'une transgression. Parfois par décision, dans un mouvement libératoire abouti - une règle reconnue périmée ! - parfois à mon corps défendant, par une sorte de nécessité - une digue cède. L'œuvre parle d'elle- même, c'est sa fonction. Je ne suis pas tout-à-fait maître à bord.

Luc Courchesne, artiste, designer et professeur
Autant que possible, j'essaie d'éviter la décoration, les effets, l'artifice... Je cherche la plus simple expression d'une idée, au risque qu'elle disparaisse d'ellemême ou qu'il devienne inutile d'en faire un plat. Pour moi, le miracle se produit lorsque je me dis en voyant l'ouvrage : "Évidemment ! Comment n'y ai-je pas pensé avant ". La règle serait alors de se donner le temps d'y arriver, un luxe souvent inabordable.

Jean-François Pauvros, musicien
Je ne peux répondre qu'un mot à cette question : NON et je ne peux faire ni commentaire ni expliquer pourquoi. C'est viscéral : c'est vraiment non.

Françoise Romand, cinéaste
À chaque film documentaire une position déontologique.
Je filme mes personnages en me posant toujours la question des limites que je n'aimerais pas enfreindre. En m'imaginant à leur place, je sais ce que je n'aimerais pas que l’on m'impose. Paradoxalement j'ai douloureusement expérimenté mon dernier film comme un carnet intime et je suis allée beaucoup plus loin que ce que je ne m'autoriserais avec d'autres. J'ai été beaucoup plus dure avec moi-même que ce que je n'oserais jamais imposer à autrui. Une règle est quasiment récurrente dans tous mes films, pas de commentaire, pas de voix objective qui dicte ce qu'il faut penser.
Chaque spectateur est confronté à sa propre interprétation. À chacun de recréer le réel pour se l'approprier parce que sa vision orientera son comportement, il faut qu'il la forge lui-même. J'aime faire des films dérangeants où le spectateur est perdu et obligé de réagir. Remettre en question ses certitudes pour ne pas rester dans une position confortable avec des réponses dictées. Un film m'intéresse s'il sème le doute en moi, m'oblige à penser différemment, interroge ma propre morale, ma propre motivation. Une autre règle dans mes films, ne pas faire semblant de capter un évènement sur le vif parce qu’à partir du moment où une caméra intervient dans un milieu, elle le corrompt. Les gens ne se comportent plus de la même façon et ce qui est intéressant, c'est justement d'affirmer que la caméra a changé quelque chose de fondamental. Le rapport à la caméra - on l'affronte, on l'interroge, on l'apprivoise - implique la conscience des personnages face à la caméra, en fiction comme en documentaire, ils jouent avec elle, lui adressent des signes de reconnaissance qui placent le spectateur en position d'alter ego.

mardi 13 février 2018

Mes 24 films résonnants


Pourquoi d'abord se limiter à 10 ? Ensuite sur quels critères se baser ? Comment se fier à sa mémoire ? J'ai donc sélectionné 24 films que j'ai encore envie de projeter à des amis qui ne les connaissent pas ou qui auraient comme moi envie de les revoir. 24 comme 24 images par seconde d'un ruban de celluloïd. Je ne prétends pas que ce sont les meilleurs, mais ceux qui me font vibrer par un système d'identification qui parfois m'échappe... J'ai ajouté chaque fois un petit commentaire résonnant qui n'a rien à voir avec une critique raisonnée !

Ceux de chez nous, Sacha Guitry, 1915-1952 - quelle idée géniale que d'avoir immortalisé ces grands artistes qui allaient disparaître, avec cette nouvelle invention qu'est le cinématographe !
Faust - Eine deutsche Volkssage (Faust, une légende allemande), F.W. Murnau, 1926 - signerais-je ?
Das Testament des Dr. Mabuse (Le testament du docteur Mabuse), Fritz Lang, 1933 - la partition sonore y est plus remarquable que tant de films actuels !
La règle du jeu, Jean Renoir, 1939 - Roland Toutain était un ami de mes parents, et puis j'aime me rappeler des dialogues avec Jonathan Buchsbaum en imitant les voix...
Hellzapoppin, H.C. Potter, 1941 - pour des dizaines de fois depuis que mon père me l'a montré quand j'avais 8 ans, voir le lien !
I Know Where I'm Going (Je sais où je vais), Michael Powell, 1945 - bouleversant, un grand film féministe comme L'amour d'une femme de Jean Grémillon ; Powell est l'équivalent de Renoir en Grande-Bretagne.
Anatahan, Josef von Sternberg, 1953 - Sternberg commente le film parlé en japonais, voir le lien !
The 5000 Fingers of Dr T (Les 5000 doigts du Dr T), Roy Rowland, 1953 - comédie musicale freudienne pour les petits et grands...
Johnny Guitar, Nicholas Ray, 1954 - le pianiste de l'Holiday Inn jouait la chanson de Victor Young quand je suis arrivé à Sarajevo sous les bombes... Freudien aussi !
The Night of The Hunter (La nuit du chasseur), Charles Laughton, 1955 - Le making of de 2h40 publié en 2010 est passionnant, on entend Laughton diriger...
A Movie, Bruce Conner, 1958 - j'ai longtemps dit que s'il n'en restait qu'un ce serait celui-là, voir le lien !
Adieu Philippine, Jacques Rozier, 1962 - je connais le moindre dialogue de cette comédie par cœur ! Un des rares films de l'époque avec Les parapluies de Cherbourg et Muriel où la guerre d'Algérie est le moteur du drame
Die Parallelstraße (La route parallèle), Ferdinand Khittl, 1962 - le moins connu de la liste, et pourtant ! Un OVNI total qui nous avait tant impressionné lorsque j'étais étudiant à l'Idhec. Voir le lien !
Muriel ou le temps d'un retour, Alain Resnais, 1963 - le chef d'œuvre de Resnais, il a donné son second prénom à ma fille.
Sedmikrásky (Les petites marguerites), Věra Chytilová, 1966 - il n'y a que Françoise qui ait cette fantaisie dans la vie ;-)
Uccellacci e uccellini (Des oiseaux, petits et grands), Pier Paolo Pasolini, 1966 - avec les courts métrages La Terre vue de la Lune et Che cosa sono le nuvole? mes favoris de PPP...
La voie lactée, Luis Buñuel, 1969 - l'absurdité de la foi, je suis écroulé de rire pendant tout le film !
Une chambre en ville, Jacques Demy, 1982 - j'ai mis du temps à apprécier le récitatif de Michel Colombier tant j'aimais les chansons des Parapluies, des Demoiselles et de Peau d'Âne ; c'est un film bouleversant qui comme Adieu Philippine fait un flop à chaque sortie et personne ne comprend jamais pourquoi ! Rien que le début est à tomber...
Welcome in Vienna, Axel Corti, 1982-1986 - le meilleur film (en fait c'est un tryptique) sur l'époque 1940-45, on a l'impression de voir un documentaire ou d'en être tant on plonge dans le réel...
Beetlejuice, Tim Burton, 1988 - là c'est régressif, on le regardait en boucle quand ma fille était enfant... De toute manière les premiers Burton sont les seuls qui valent la peine.
Ilha das Flores (L'île aux fleurs), Jorge Furtado, 1989 - qu'est-ce que ce court métrage fait là ? Ce n'est même pas une fiction, mais si vous avez "le téléencéphale hautement développé et le pouce préhenseur" comme tous les êtres humains, ne le manquez pas !
Histoire(s) du cinéma, Jean-Luc Godard, 1988-1998 - aujourd'hui s'il n'en restait qu'un c'est celui que j'emporterais sur l'île déserte, mais il y a une manière de le regarder sans attraper la migraine : diffusez-le en continu en vaquant à vos occupations et de temps en temps il vous prendra par la main pendant dix minutes, en vous laissant croire que vous deviendrez plus intelligent, un peu comme écouter Radiophonie de Lacan ou Télévision... Cocteau, Godard et Lacan sont parmi les voix que j'aime le plus. C'est un travail qui fonctionne à la reconnaissance, le propre des émotions cinématographiques...
La face cachée de la lune, Robert Lepage, 2003 - alliage de la poésie et de la science que Lepage semble avoir dillué ces dernières années, dommage !
Thème Je, Françoise Romand, 2011 - impudique et provoquant, Françoise a retourné la caméra sur elle sans la compassion qu'elle a d'habitude pour ses personnages ni celle dont font preuve les réalisateurs qui se prêtent à l'autofiction, probablement aussi son film le plus inventif !

Un autre jour la liste aurait été probablement différente, mais je n'ai pas su quel film choisir de Jacques Becker (que je préfère à Renoir), Robert Bresson (d'une modernité inégalée), John Cassavetes (mais Shadows tout de même...), Jean Cocteau (mon auteur de prédilection), David Cronenberg (qui caresse à rebrousse-poil), Carl T. Dreyer (mais Gertrud tout de même...), Jean Epstein (dont j'ai accompagné vingt fois La glace à trois faces et La chute de la Maison Usher et dont les écrits sont pour moi des modèles), John Ford (jusqu'à 7 Women !), Samuel Fuller (direct et uppercut), Jean Grémillon (comme Becker), Alfred Hitchcock (jusqu'à Family Plot !), Aki Kaurismaki (pour une fois qu'il y a un cinéaste positif et foncièrement humain), Neil La Bute (lui ce serait plutôt le contraire qui me plaît, sa brutale amertume), Ernst Lubitsch (du Luft, comme une pâtisserie de chez Demmel à Vienne !), David Lynch (actuellement le plus gonflé, en plus c'est un des rares à soigner le son sans redondance avec l'image), Mizoguchi Kenji (jusqu'à La rue de la honte), Luc Moullet (surtout Genèse d'un repas et Anatomie d'un rapport), Max Ophuls (quelle élégance !), Paolo Sorrentino (des films comme on n'en fait plus), Jacques Tati (une tarte à la crème, d'accord, mais je n'ai cité aucun burlesque, et pourtant !), Paul Verhoeven (j'adore le commentaire audio de Starship Troopers), Jean Vigo (absolument tout), Lucchino Visconti (jusqu'à L'innocente !), Orson Welles (presque tout) et bien d'autres dont vous saurez me rafraîchir la mémoire, même si mes choix sont explicitement subjectifs ! Pas question de refaire ici l'Histoire du Cinéma. J'ai également laissé de côté les plus récents qui passeront au crible de l'oubli avant de rejoindre cette concession à perpétuité.
Il y a de grands réalisateurs que je n'ai pas cités tout simplement parce que l'estime que je leur porte ne peut se substituer à la subjectivité des émotions que leurs films provoquent en moi. Il n'y a pas non plus ici de films d'animation ni de documentaires proprement dits. Ils feront plus tard l'objet d'une liste particulière, justement parce qu'ils produisent des effets différents des fictions ou des films non narratifs (dits expérimentaux) sur mon ciboulot. Le système d'identification n'y fonctionne pas de la même manière. J'en ai pourtant listé trois ou quatre qui pourraient être aussi considérés comme des documentaires. La frontière est parfois floue. Pour ceux que j'ai choisis, je ne fais pas de différence avec les fictions, parce qu'ils font vibrer en moi des cordes sympathiques. Il n'est question que de ça dans cette liste.

lundi 22 janvier 2018

Ella & Pitr persistent et signent


Samedi à la Galerie Le Feuvre qui avait organisé un nouvel accrochage (jusqu'au 17 février), Ella & Pitr signaient les derniers exemplaires de leur monographie Comme des fourmis parue chez Alternatives, en soignant chaque dessin en fonction de l'acquéreur. La patience des amateurs qui font la queue est largement récompensée.


Si on connaît leurs Hamlet, de celles qu'on "ne peut faire sans casser des œufs", dans le couloir on peut admirer leurs personnages épinglés "comme des papillons".


Au sous-sol sont exposées de très grandes affiches de cinéma X détournées...


Il ne manque que le DVD Baiser d'encre que Françoise Romand leur a consacré, un conte moral de long métrage réalisé sur plusieurs années à suivre cette famille Fenouillard avec leurs deux enfants qui sillonnent la planète en peignant d'immenses fresques sur des toits d'immeubles ou de hangars, sur des barrages hydrauliques ou des pistes d'aéroport.


On peut encore commander le magnifique DVD sur Alibi Prod ou Big Cartel...

mardi 19 décembre 2017

L’art de désynchroniser


Pour le n°11 du Journal des Allumés du Jazz paru à l'automne 2004, je prenais la casquette de designer sonore et de compositeur pour effleurer les relations qu’entretiennent images et sons au cinéma et dans le multimédia. J'y expose certains aspects de ma démarche, en particulier celui de l’asynchronisme.

L’audiovisuel hémiplégique

Dans audiovisuel, le premier terme est audio. Or le son est paradoxalement ignoré par la majorité des acteurs de ce secteur, ou du moins sous-estimé et mal employé. Il est le plus souvent considéré comme de la post-production, là où il devrait intervenir dès les premiers stades de l’écriture. Son budget est d’ailleurs à l’image de cette conception bancale et inadaptée.
Ce qui est vrai pour le cinéma l’est également pour le multimédia, car tous deux appartiennent à la même histoire, celle de l’audiovisuel, qui commença à la fin du XIXe siècle avec Émile Reynaud, Thomas Edison et les frères Lumière. Ainsi devrions-nous tirer profit des découvertes réalisées tout au long du siècle dernier pour écrire et produire les œuvres audiovisuelles d’aujourd’hui et de demain, quels que soient les supports et les ressources qu’engendrent les nouveaux médias.

Pas illustratif mais complémentaire

Au commencement de l’histoire du cinématographe, les films étaient muets. En fait, ils étaient toujours projetés avec du son. Même dans les plus petites salles, il y avait toujours un orchestre, un pianiste ou un autre soliste, voire des bruitistes, un bonimenteur ou un simple Gramophone (c’est ce qui me donna l’idée d’accompagner des films muets avec Un Drame Musical Instantané, dès 1976 et pour plus d’une vingtaine de créations). Pendant toute la période du muet, pour raconter des histoires sans paroles, le cinématographe n’eut d’autre choix que de développer un langage très inventif. Les intertitres pouvaient éventuellement aider à la compréhension de l’histoire. Au début des années 30, les films devinrent parlants, plutôt que sonores. Une catastrophe ! Pendant les décennies qui suivirent peu de metteurs en scène comprirent l’importance du son, oubliant même l’extraordinaire potentiel des images, au profit d’un bavardage explicatif devant une caméra filmant au mieux de beaux plans soulignés par des musiques convenues.
Heureusement, de Fritz Lang à Jean-Luc Godard, de Jacques Tourneur à Luis Buñuel, de Jacques Tati à David Lynch, ils furent quelques uns à chercher à utiliser le son de manière complémentaire aux images, et non comme une redondance illustrative de ce qui se passe sur l’écran. Au début du Testament du Dr Mabuse, la musique du générique se fond dans le vacarme assourdissant de la presse à billets qui envahit tout l’espace sonore pour créer l’angoisse. Le spectateur ne peut deviner ce que disent les acteurs de Fritz Lang qu’en regardant l’action, suspense lent et étouffant, soutenu par l’impressionnant rythme répétitif de la machine. Dans M le Maudit, le thème de Grieg, issu de Peer Gynt, sifflé par l’assassin, est le moteur de l’intrigue. Dans La femme mariée, Jean-Luc Godard montre Macha Méril lisant un magazine de la presse féminine au café tandis que deux jeunes filles ont une conversation sur le sexe à une autre table. Godard pose la question du mixage censé privilégier le dialogue. Dans Lola Montes, Max Ophüls signale un flash-back par une phrase répétée en écho qui s’évanouit dans le lointain : « La Comtesse se souvient-elle du passé, s’en souvient-elle ? S’en souvient-elle ?… ». Jacques Audiard, dans Sur mes lèvres, nous fait entendre un autre monde, celui de celle qui n’entend pas, et exploite ce handicap pour écrire son scénario… Le son peut aussi élargir le cadre en faisant entendre ce qui n’est pas montré. Par exemple, à faire écouter le paysage pendant un gros plan, on peut suggérer un autre espace, un autre temps, que celui de l’écran. Les bords du cadre deviennent la frontière qui sépare l’image du son. L’acteur en gros plan, s’il est placé dans un espace qu’on ne voit pas, pourrait aussi bien imaginer qu’il est ailleurs, ou dans une autre situation. Au début de Psychose, Alfred Hitchcock montre Janet Leigh imaginant ce qui est supposé se passer à l’endroit qu’elle vient de quitter après y avoir commis un vol. Raoul Sangla me faisait récemment remarquer pourquoi, à la télévision, montrer celui qui parle plutôt que celui qui écoute ? Histoire de langage cinématographique. Le son suggère plus qu’il ne montre.
Pour un designer sonore, l’important n’est pas ce qui est montré mais ce qui est suggéré. Je me souviendrai toujours de ce que Jean-Luc Godard disait du montage : «l’important n’est pas ce qui est conservé, mais ce qui est supprimé». Comme les bords du cadre pour le son, il pointe ici la collure, l’ellipse, no man’s land qui n’appartient ni à un plan ni à l’autre. L’intérêt découle de ce que l’on devine. Nous sommes loin de la télévision actuelle, ou du cinéma le plus courant, qui mâche tout de façon à être certain que le spectateur a bien compris. Quelle place reste-t-il à l’imagination ? Quelle liberté d’interprétation est laissée au spectateur ? La leçon prend le pas sur l’émotion.
Alors que l’illustrateur sonore appuie ce qui est montré à l’écran, le designer sonore travaille sur la couleur du son, de manière à le rendre triste ou drôle, inquiétant ou rassurant, il joue des consonances et dissonances pour créer des effets dramatiques. Il peut produire des émotions, du désir, de la colère, de la légèreté ou du drame, donner des clefs sur ce qui est en train de se passer ou sur ce qui pourrait arriver…
Dans Raging Bull, Martin Scorcese sonorise le match de boxe avec des cris d’animaux, renforçant l’aspect bestial de la scène. Dans ses derniers films, Jean Epstein invente le gros plan sonore en ralentissant certains sons. Dans Lancelot, Robert Bresson semble ne jouer qu’une seule piste à la fois, en mixant tous les sons au même niveau, effet saisissant des armures et des pas qui agissent comme les rimes d’un poème, et le sang qui s’échappe d’un corps décapité coule comme une rivière. Dans tous ses films, Mizoguchi mixe les effets sonores et la musique comme s’ils appartenaient à la même partition. Michel Fano avança ainsi, pour les films d’Alain Robbe-Grillet, le concept de partition sonore, qui englobe tous les sons, voix, bruits, ambiances, musique. Écoutez les films de David Lynch ou même la bande-son d’Amélie Poulain !

Partition sonore et charte sonore

Il pourrait y avoir une charte sonore comme il existe une charte graphique. Tout projet audiovisuel devrait faire appel à un designer sonore comme l’image d’un film est travaillée par un créateur lumière ou que le projet multimédia est supervisé par un directeur graphique. Cela produirait une homogénéité sonore, une identité, exactement comme le chef opérateur façonne lumières et couleurs. Cela participerait à la forme et au style de l’ensemble. Si c’est de plus en plus courant aux États-Unis, il est encore extrêmement rare de voir au générique d’un film français le poste de designer sonore. Ainsi les voix, les bruits, la musique, composent tous la partition, et leur choix, la manière de les enregistrer, de les filtrer, de les traiter, de les monter, de les mixer, sont parties fondamentales de cet art audiovisuel.
S’il est rare que le designer sonore puisse avoir son mot à dire sur le casting, le timbre d’une voix peut pourtant être déterminant dans le mixage final. J’ai pris l’habitude de classer les bruits en deux catégories, les courts (effets) et les longs (ambiances). C’est techniquement plus simple, mais cela réfléchit également la différence entre action et situation. En ce qui concerne la musique, j’ai découvert très tôt que n’importe quel morceau pouvait fonctionner avec n’importe quelle scène de film. C’est fondamentalement le sens qui change ! Le rôle du designer sonore est de contrôler ce sens en fonction des besoins du scénario. Il y a aussi l’éternelle question de l’utilisation de musique originale ou préexistante. L’intérêt et le défaut de cette dernière est qu’elle apporte son lot de références. Cela peut être utile lorsqu’on recherche quelque référence culturelle : la cinquième symphonie de Beethoven dans Verboten de Samuel Fuller, la valse de Strauss dans 2001, l’odyssée de l’espace de Stanley Kubrick, ou encore, je ne sais où, la Marche Nuptiale de Mendelssohn ! Méfions-nous par contre des références individuelles : un souvenir agréable pour les uns peut être un cauchemar pour d’autres (par exemple une chanson entendue lors d’une rencontre pourrait rappeler à quelqu’un d’autre une rupture). Sans parler du coût des droits qui peut carrément ruiner la production…
N’oublions pas qu’une musique, même du domaine public, appartient à son éditeur, celui qui a financé son enregistrement. Prudence donc, d’autant que tant de compositeurs ne demanderaient pas mieux que de composer des musiques totalement adaptées au propos du réalisateur, avec la durée nécessaire, la couleur exacte recherchée, la cohésion de l’ensemble, etc. Dans certains cas, la musique, préalablement composée ou enregistrée, peut même aider au tournage, comme le firent D.W. Griffith, Michael Powell, Jacques Rivette et bien d’autres. Synchronisme accidentel. N’y a-t-il rien de pire que les vidéo-clips où images et sons sont parfaitement synchrones ? Quel est l’intérêt de cette hypnose quasi militaire ? Redondance courante dans les films de long-métrage qui ressassent des musiques convenues en fonction des climax. Il est difficile d’échapper aux cordes sirupeuses dans les passages sentimentaux, et aux rythmes trépidants des scènes d’action.
De mon côté, j’ai souvent préféré suivre le synchronisme accidentel inventé par Jean Cocteau dans La belle et la bête. Cocteau avait commandé à Georges Auric de la musique pour les différentes scènes. Au montage, il permuta les morceaux, couchant la musique d’une scène le long d’une autre et réciproquement. La magie se fit, la musique correspondant à la pensée du film, et Cocteau joua ainsi d’effets d’annonce, de retard, d’écho, plus sophistiqués que toute redondance illustrative. Il n’y a en général aucune nécessité de synchronisme, sauf si l’on désire tel effet de suspense, coup de théâtre, ou une ponctuation particulière… De la même manière, lorsque je compose pour des médias audiovisuels, je m’intéresse d’abord aux idées générales, aux raisons des choix du réalisateur, puis, ayant mémorisé les images, j’écris ou je joue en me calant dans les temps chronométrés. La musique obéit à des lois temporelles, mesurées, telles que toute tentative de la soumettre à celles du montage image risque de saccager. Je ne regarde donc que très rarement l’écran au moment où j’enregistre, et cela colle toujours bien mieux que si j’avais suivi chaque mouvement, chaque respiration. Si le propos est juste, de nouveaux effets de synchronisme apparaissent comme par enchantement. Il est toujours possible, ensuite, de décaler la musique ; il est étonnant de constater comment un décalage d’une image ou deux peut changer le sens d’une scène. Le synchronisme est un leurre. Le design sonore n’a rien à voir avec. Si j’osais, je me résumerais en avançant qu’une plastique appropriée donne sa forme à une œuvre, mais que son fond vient de l’art de désynchroniser !

Medias interactifs

Le son dans les medias interactifs suit les mêmes règles que dans les médias linéaires comme la télévision ou le cinéma, même si certains aspects sont spécifiques, dus aux impératifs techniques. Mais les possibilités offertes par l’interactivité sont réellement déterminantes.
Les objets off-line comme les CD-Roms ou on-line comme sur Internet, sont soumis à des exigences de taille de fichiers, au nombre de pistes utilisables, à la vitesse des processeurs, des connexions ou du temps de chargement. Cela nous oblige à livrer chaque son séparément, en le fabriquant le plus petit possible, à faire des boucles plutôt que de longues ambiances, et ainsi, à composer spécialement pour le support. Mais ces contraintes nous poussent aussi à de nouvelles façons de penser et de composer.
Les questions techniques ne sont pas les plus passionnantes, et j’aime citer Jean Renoir lorsqu’il affirme que la technique n’a d’intérêt que pour pouvoir l’oublier. Selon les projets, j’utilise des instruments acoustiques et électroniques, des sons naturels et ma propre voix, des traitements informatiques et l’enregistrement en temps réel, des séquenceurs et des logiciels de son, etc. À chaque projet correspond une manière originale de procéder. Lorsque je commence un nouveau projet, je recherche d’abord l’orchestration appropriée (la charte sonore, la voici !) et cela ne peut jamais être arbitraire. J’ai différentes petites manies, l’une d’elles consiste, à un certain stade avancé du projet, de ne plus fabriquer de nouveaux éléments, mais de partir de ceux qui existent déjà, pour ne pas risquer d’altérer l’unité de l’ensemble. En dehors de cela, je crois en la rigueur, rigueur du sujet et de ses motivations, rigueur des méthodes de travail, etc.

Humaniser les machines

La question primordiale concernant les médias interactifs est de donner vie aux machines. Rien de plus stupide, de plus servile, qu’un logiciel informatique ! Un ordinateur ne se révolte jamais (en dehors des bugs qui sont, reconnaissons-le, une forme de révolte peu créative), un logiciel est toujours académique… Seul l’homme peut faire de ses erreurs un art. Errare humanum est ! Si un artiste suit parfaitement les lois qui lui ont été enseignées, il ne produira que des œuvres académiques. Ses erreurs forgent son style. Le guitariste autodidacte Hector Berlioz ne savait pas orchestrer, et ainsi inventa-t-il une nouvelle façon de le faire. Les symphonies de Mahler sont trop longues, c’est ce qui fait leur charme. Apollinaire imite Anatole France avec maladresse et invente les poèmes d’Alcools, etc. Comparez une œuvre interprétée par des musiciens vivants et la même programmée mécaniquement sur un séquenceur ! C’est ainsi que j’eus l’idée d’intégrer les erreurs dans le système, pour l’humaniser. Je décidai donc de placer trois sons plutôt qu’un seul pour la même action et de les jouer alternativement en aléatoire. Je choisis de faire de légères variations, et parfois certaines radicales, lorsqu’on revient dans une scène déjà visitée, car le temps a passé. Je trouvai des façons de construire mes boucles pour éviter toute lassitude, en les rendant banales mais en y ajoutant quelques événements sonores isolés, joués aléatoirement à des intervalles irréguliers. Chaque fichier sonore peut être considéré comme un début et une fin, ou appartenir au corpus, pour ne pas briser la continuité de la partition… J’ai ainsi fixé de nouvelles lois que je devrai plus tard à leur tour transgresser…



Musique interactive

Considérant tous ces sons (il y a par exemple 1500 fichiers sonores dans le CD-Rom Alphabet) comme une entité unique, travaillant sur l’interactivité pour éviter toute rupture de rythme, continuant à en découvrir toutes les possibilités au fur et à mesure des avancées technologiques, je fus amené à concevoir, composer et enregistrer de la musique interactive. De mon point de vue, très personnel, design sonore et musique sont très proches l’un de l’autre. Il est vrai que j’ai adopté dès mes débuts une conception varésienne qui consiste à penser que la musique est l’organisation des sons.
Pour produire de la musique interactive, je livre donc au programmeur (appelé aussi développeur) des fichiers sonores séparés et des principes compositionnels. Cette collaboration est une nécessité. Tous les grands programmeurs avec qui je travaille sont des ingénieurs de haut niveau et des mathématiciens totalement allumés : sans Antoine Schmitt, Frédéric Durieu, Xavier Boissarie, je n’aurais pu réaliser ce dont j’avais rêvé, car chaque fois j’ai dû traduire en mots ce qui était intuitif, pour qu’à leur tour, ils traduisent mes idées, concepts, mélodies, harmonies, en algorithmes. En bout de course, et après maints ajustements, c’est censé sonner comme je l’avais imaginé à l’origine ! Cela a réellement commencé ave la lettre L du CD-Rom Alphabet, un trio à cordes que chacun, chacune, peut interpréter à son goût. Cela s’est poursuivi sur le site Internet LeCielEstBleu.org avec les animaux virtuels du Zoo et les trois modules musicaux de Time, enfin avec notre dernière machine infernale, une étonnante boîte à musique programmable intitulée La Pâte à Son (commande de la Cité de la Musique). Je souhaite enfin citer le travail réalisé en collaboration avec le peintre Nicolas Clauss (entretien dans le précédent numéro du Journal et modules sur le site des Allumés) sur les sites flyingpuppet.com et somnambules.net, et avec qui je prépare un spectacle et des installations d’art contemporain.

N.B. : La Pâte à Son était alors exposée au Centre Pompidou (Atelier des enfants) ainsi qu’à Ars Electronica (Musée du Futur). Somnambules était également à Ars Electronica.
P.S. : l'accès à ces œuvres en ligne est devenu difficile aux nouvelles machines et surtout aux nouveaux systèmes. Comme les CD-Rom dont le patrimoine culturel a dramatiquement disparu à vitesse V, le format QuickTime, les plug-ins Flash et Director utilisés pour ces modules interactifs ont été abandonnés. Dans tout ce gâchis il reste des failles qui vous permettront peut-être de vous réenchanter. Cela dépend du système de votre ordinateur et des plug-ins que vous y avez installés...
Aujourd'hui on appréciera des œuvres sur tablette comme La machine à rêves de Leonardo da Vinci (téléchargement gratuit !) ou Boum ! réalisés avec l'équipe des Inéditeurs, ou encore mon travail pour les éditions Volumiques (World of Yo-Ho, La maison fantôme, la collection Zéphyr). Côté cinéma je recommande les DVD Thème Je ou, plus récemment, Baiser d'encre de Françoise Romand dont j'ai composé la partition sonore et la musique...

vendredi 29 septembre 2017

Ella & Pitr, comme des fourmis


Les éditions Alternatives publient une superbe monographie du couple d'artistes Ella & Pitr. Les 248 pages ne suffisent pas à couvrir leurs dix ans d'activité depuis leur rencontre amoureuse tant leur production est prolifique. Tandis que le long métrage de Françoise Romand, Baiser d'encre, les suivait dans les rues en Papiers-Peintres, feuilletait leurs carnets intimes, chassait les cadres de tableaux à remplir soi-même ou les immortalisait sur scène avec leurs amis que l'on retrouvait souvent ensuite croqués avec humour, l'ouvrage Comme des fourmis insiste sur leurs anamorphoses, leurs œuvres monumentales peintes sur les sols et les toits, leurs détournements des panneaux d'affichage, leurs œuvres vendues en galerie ou leur petit vandalisme du dimanche.
Si le film est aussi un conte moral sur la manière dont les deux plasticiens pirates élèvent leurs enfants, le pavé de papier est un kaléidoscope de points de vue où une vingtaine d'amateurs choisissent les angles qui leur parlent. À la demande des artistes, je me suis d'ailleurs prêté au jeu comme Babouillec, Yoann Bourgeois, Alexandre Chemetoff, Gilles Hittinger-Roux, Denis Lavant, Franck Le Feuvre, Maguy Marin, Pierre Meunier, François Rancillac, Martyn Reed, Rufus, Thomas Schlesser, Jordan Seiler. Si chacune et chacun se projette dans leurs récits graphiques suggestifs avec beaucoup de tendresse et de poésie, j'ai un petit faible pour les témoignages de l'ostéopathe Pierre Guichard ou l'auteur de spectacle Joël Pommerat qui dessinent merveilleusement les lignes vectorielles qu'Ella & Pitr tracent à l'encre sympathique. Les images sont somptueuses et le reportage littéraire qu'en livrent en prologue Sabine Bledniak, Sophie Pujas et Claartje van Haaften éclairent la démarche originale d'Ella & Pitr.
On arpente ainsi d'un pas de somnambule les rues de la planète dont les habitants sont parfois emboîtés dans des carcans géants ou au contraire sortent des murs comme des passe-muraille. Les contributions hétéroclites évitent les ronds de jambes en participant à cet univers magique où l'amour des gens n'évite pas la critique aiguisée et humoristique de notre société.

→ Ella & Pitr, Comme des fourmis, broché et couverture cartonnée, 22,2x26 cm, Ed. Alternatives (Gallimard), 35€, à paraître le 12 octobre 2017

mardi 11 juillet 2017

Tentative d'expulsion des Baras à Gallieni


Alors que Libération (qui l'a finalement publiée une heure après ce blog) et Le Monde tergiversaient depuis cinq jours en exigeant l'un et l'autre l'exclusivité de cette tribune à contenu humanitaire, les Baras repoussaient une nouvelle expulsion à Gallieni. Les soutiens appelèrent un maximum de monde à s'y rendre, mais tout est craindre dans les heures qui viennent...

Redonnons sens à notre tradition d’asile, Monsieur le Premier ministre !
… à commencer par les deux cents Baras, Africains sans papiers, expulsés et à la rue dans le 93

Elle n’était pas jolie la tradition d’asile de la France, jeudi 29 juin, lors de l’expulsion par les CRS de deux cents Africains sans papiers, installés depuis plus de trois ans à Bagnolet (93) dans un bâtiment inoccupé. Pourtant, Monsieur le Premier ministre, n’est-ce pas à cette tradition que vous voulez redonner sens, ces prochains jours, par un ambitieux plan d’action ?
Ces Baras (travailleurs en bambara) vivaient et travaillaient en Libye, jusqu’à ce que la guerre les contraigne, en 2011, à fuir et à se réfugier en France. Depuis, ils n'ont connu pour toit que la rue, ou au mieux des bâtiments inoccupés, comme celui de la rue René Alazard à Bagnolet. Chaque fois, ils en ont été expulsés. Comme jeudi dernier !
Alors où est-elle, Monsieur le Premier ministre, cette tradition française d’asile que vous invoquez ? Certainement pas à Bagnolet, où ces hommes contribuaient au vivre ensemble du quartier de la Dhuys : ils surprenaient par leur dignité les riverains. Chaque matin, les Baras quittaient Bagnolet pour aller travailler « au noir », qui dans le nettoyage, qui dans le bâtiment, le gardiennage ou la restauration. Exploités, comme tant d'autres sans-papiers. Aujourd'hui expulsés, ces hommes se retrouvent sur le trottoir, à la sortie du métro Gallieni sous le pont de l'échangeur. Bénéficiant de la solidarité de leurs anciens voisins et soutiens qui leur apportent nourriture et équipements, ils dorment à même le sol, le préfet leur interdisant matelas et tentes.
Monsieur le Premier ministre, puisque vous semblez attaché à redorer cette tradition d’asile à laquelle vous vous référez, commencez donc par ces hommes, qui vivent et travaillent en France depuis des années, s’organisent comme ils peuvent avec leur collectif dans une remarquable dignité. Écoutez-les, écoutez leurs voisins, répondez enfin à leurs demandes, démarches entreprises depuis des années auprès des pouvoirs publics et qui, toutes, ont été rejetées. Donnez des instructions pour étudier leur dossier de régularisation, pour leur trouver des hébergements pérennes qu’ils sont prêts à louer.
Monsieur le Premier ministre, refusez avec nous, signataires de cet appel, cette logique répressive et haineuse à l'égard des Baras de Bagnolet, comme des migrants en général, qui salit l’image de notre pays. Faites cesser les traitements humiliants et dégradants dont tous sont victimes !

Christophe Abric, producteur La Blogothèque / Aline Archimbaud, sénatrice / Blick Bassy, musicien / Elsa Birgé, chanteuse / Jean-Jacques Birgé, compositeur de musique / Laurent Bizot, producteur de disques / Geneviève Brisac, écrivaine / Étienne Brunet, musicien / Marie-Laure Buisson-Yip, professeur d’arts plastiques / Dominique Cabrera, cinéaste / Robin Campillo, cinéaste / Laurent Cantet, cinéaste / Denis Charolles, musicien / Nicolas Chedmail, musicien / Catherine Corsini, cinéaste / Didier Daeninckx, écrivain / Corinne Dardé, vidéaste / Benoit Delbecq, musicien / Pascal Delmont, directeur d'entreprise / Alice Diop, cinéaste / Ella & Pitr, peintres / Éric Fassin, sociologue / Léa Fehner, cinéaste / Pascale Ferran, cinéaste / Emmanuel Finkiel, cinéaste / Marie-Christine Gayffier, peintre / Thomas Gilou, cinéaste / Speedy Graphito, peintre / Antonin-Tri Hoang, musicien / Nicolas Klotz, cinéaste / Rémi Lainé, cinéaste / Olivier Marboeuf, directeur de Khiasma / Yolande Moreau, comédienne et réalisatrice / Elisabeth Perceval, cinéaste / Laurence Petit-Jouvet, cinéaste / Fiona Reverdy, peintre / Jean Reverdy, peintre / Colas et Mathias Rifkiss, cinéastes / Denis Robert, journaliste et écrivain / Françoise Romand, cinéaste / Christophe Ruggia, cinéaste / Raymond Sarti, scénographe / Céline Sciamma, cinéaste / Vincent Segal, musicien / Pierre Serne, conseiller régional / Claire Simon, cinéaste / Bernard Stiegler / philosophe, Henri Texier, musicen / Élise Thiébaut, écrivaine / Sun Sun Yip, plasticien / LDH Les Lilas/Bagnolet / RESF Les Lilas / Bagnolet

(pour information, le communiqué de la LDH sur la déclaration du premier ministre)

page Facebook des Baras et de certains soutiens

mercredi 17 mai 2017

Cinq allitérations musicales par Bernado-Birgé-Edsjö (vidéos)


Mon incisive manquante m'avait donné l'idée du thème du concert de la semaine dernière au Triton, Défauts de prononciation. J'ai photographié mon plus beau sourire avec le vide intersidéral plongeant, mais c'était vraiment trop gore pour illustrer ce billet, déjà que je ferme les yeux à chaque opération de la série The Knick que je regarde ces soirs-ci. Clive Owen y est très bien dans le rôle du chirurgien junkie, et Steven Soderbergh a réalisé tous les épisodes, fait la lumière sous le pseudonyme de Peter Andrews et le montage sous celui de Mary Ann Bernard, encore un Shivaïste ! Le trou dentaire ne collait pas avec la délicatesse du concert de vendredi dernier. Nous avons donc virtuellement renfilé les doudounes de l'hiver 2015 et clic clac c'était déjà dans la boîte. Je passe récupérer le multipistes ce matin aux Lilas, mais en attendant j'ai monté les rushes que Françoise a tournés depuis le balcon...


La première allitération en ligne est Flyg fula fluga och den fula flugan flög (Envole-toi, mouche moche, et la mouche moche s'est envolée, 2'51). Le basson de Sophie Bernado répond à la voix de Linda Edsjö tandis que je joue du cristal au clavier. Le fait que la phrase soit suédoise convient évidemment parfaitement à Linda, native de Stockholm.


L'accent nordique de Linda et celui du sud de Sophie ont validé mon idée de prendre pour titres et thèmatiques des allitérations. La seconde ici est danoise. Oh miracle, Linda s'y entend aussi dans cette langue, d'autant qu'elle est diplômée de l'Académie Royale de Copenhague ! Sur Ringeren i Ringe ringer ringere end ringeren ringer i Ringsted (Le clocher de Ringe sonne moins bien que celui de Ringsted, 6'30) elle joue aussi du vibraphone et de la batterie. Sophie se contente de sa voix, elle qui est du Gers, le CNSM ne l'ayant pas formatée à l'accent pointu. Enfin, seul autodidacte de la bande, il est rare que je n'entende qu'un son, puisque je joue de plusieurs cloches au clavier, plus une touche de zoziaux printaniers.


Sju sjösjuka sjöman sköttes av sju sköna sköterskor på skeppet Shanghai (7 jolies infirmières se chargent de 7 marins qui ont le mal de mer sur le navire Shangaï, 6'36) ne se prononce pas du tout comme on pourrait le croire. Linda est encore à l'honneur pour essuyer les plâtres. Remarquez que j'ai réussi à taper le å avec son petit rond sur la tête, on dit "a rond en chef", en tenant alt-majuscule-§ sur mon Mac ! J'enchaîne le navire dans la tempête, le koto, le rythme des machines, une flûte tandis que Linda vocalise, vibraphonise et percute, Sophie se cramponnant à son grave instrument à anche double.


Nous avons aussi dialogué sur Pour qui sont ces serpents qui sifflent sur nos têtes / Peter Piper picked a peck of pickled peppers. If Peter Piper picked a peck of pickled peppers, where's the peck of pickled peppers Peter Piper picked? / Tas de riz, tas de rats, tas de riz tentant, tas de rats tentés, tas de riz tentant tenta tas de rats tentés, tas de rats tentés tâta tas de riz tentant / She sells seashells by the seashore. The shells she sells are surely seashells. So if she sells shells on the seashore, I'm sure she sells seashore shells, mais je n'avais pas matière cinématographique pour en réaliser un petit montage. Contentons-nous de Y a pas d'hélice hélas, c'est là qu'est l'os (6'06) issu du dialogue du film La grande vadrouille. Je joue de la trompette à anche et du clavier, Linda de la batterie et Sophie chante et passe au basson.


Comme nous avions épuisé notre répertoire au demeurant totalement improvisé, j'ai demandé si quelqu'un dans la salle pouvait nous proposer une de ces phrases vachardes que nous serions heureux d'exécuter aussitôt comme un dit d'un condamné. Avant que Jean Bonnefoy nous suggère Si six scies scient six cyprès, combien scient six cent six scies ? Si six scies scient six cyprès, six cent six scies scieront six cent six cyprès (7'05), Pépito Matéo, qui était probablement entré là parce qu'il avait vu de la lumière, nous propose Six chats chauves assis sous six souches de sauge sèche. Nous en fûmes très inspirés, même si à la maison nous n'en avons actuellement que cinq en comptant les trois chatons d'un mois qui seront appelés à voler de leurs propres ailes dès juillet prochain... Mes deux camarades miaulent ainsi un duo adéquat que j'accompagne au Tenori-on, avant que Linda ne passe au vibra et que je dégonfle ma baudruche... Pour terminer, l'ordinateur a travaillé toute la nuit pour que ces instantanés voient le jour.

lundi 15 mai 2017

Au jour le jour pour toujours


Lors du vernissage de l'exposition Au jour le jour pour toujours à la Galerie Lefeuvre (jusqu'au 10 juin 2017), Ella & Pitr dédicacent leur très beau catalogue dont je reproduis ici le texte de présentation qu'ils m'ont commandé et qui se retrouvera également dans la monographie que publieront en septembre prochain les Éditions Gallimard dans la collection Alternatives...

La mélodie du bonheur

Les images d’Ella & Pitr ont quelque chose de cinématographique, saynètes muettes dont la partition sonore se déroule hors-champ, mixée avec les bruits de la rue ou les murmures d’une galerie d’art dont les commentaires sont souvent décalés. Insérés dans des décors qu’ils choisissent avec soin, leurs contrepoints figuratifs invitent à des interprétations variées que les amateurs de tableaux et de bandes dessinées peuvent retrouver dans l’Histoire de la peinture, depuis les Carpaccio de la Scuola di San Giorgio degli Schiavoni à Venise jusqu’aux monochromes de Jacques Monory. Ces instants saisis dans le feu de l’action ouvrent souvent vers un ailleurs simplement suggéré. La part du rêve est encore plus évidente chez leurs géants endormis, la ville entière glissant alors dans le monde des songes, encadrée par un immense phylactère virtuel tendant vers l’infini, car c’est bien de la Lune que l’effet est le plus réussi.

En voyant arriver le couple accompagné de leurs deux fils, Piel et Äki, je pense chaque fois à la famille Trapp dans le film de Robert Wise, The Sound of Music (La mélodie du bonheur). Si la chanson My Favorite Things, tirée de la comédie musicale originale sur Broadway, est devenue un des plus fameux standards du jazz grâce à John Coltrane, elle évoque les souvenirs délicieux que chacun collectionne comme autant de petites madeleines qui forgent le caractère et dessinent son autoportrait. Pourtant, dès que l’un des membres du quartet familial déploie l’humour incisif qui les caractérise, je devrais plutôt me référer à celui du japonais Takashi Miike, Katakuri-ke no kōfuku (The Happiness of the Katakuris ou La mélodie du malheur), pastiche d’épouvante hilarant, lui-même remake du film coréen Choyonghan kajok (The Quiet Family) ! Les associations d’idées et les jeux de mots font aussi partie de la panoplie du couple.

Raconte-moi une histoire !

Ella & Pitr sont des conteurs. Comme les caricaturistes de presse, ils croquent leurs personnages, ou plus exactement des situations. Elles nous interrogent, parce qu’il suffit d’un léger décalage par rapport au réel pour que nous soyons à même de nous faire notre propre cinéma. Orson Welles suggérait d’enlever ne serait-ce qu’un seul paramètre à la réalité, comme par exemple la couleur, pour qu’aussitôt naisse la poésie. Sans paroles, les œuvres d’Ella & Pitr laissent libre champ à l’interprétation de chacun. Or, dans notre monde saturé d’informations audiovisuelles, le son s’insinue partout sans que nous y prenions garde. De cet aller et retour entre leurs images et les sons involontaires qui les accompagnent, naissent de nouvelles histoires qui se renouvellent selon l’heure, le lieu et les spectateurs. Chez nombreux artistes, certains tableaux laissent songeurs les visiteurs, les laissant imaginer des scénarios inattendus que leurs auteurs n’auraient jamais supposés.

Or le son a toujours possédé un pouvoir évocateur bien supérieur à l’image, bénéficiant justement d’un hors-champ poussant les limites du cadre jusqu’à perte de vue. Découpant certaines de leurs affiches aux ciseaux et au cutter, détourant leurs personnages, Ella & Pitr suppriment le cadre en les insérant dans le décor. Ici et là ils suggèrent un élément sonore, dans le feu d’un mouvement ou l’immobilité d’un sommeil inéluctablement fragile. Mais leur meilleur allié est l’inconnu, l’impondérable, l’accident, l’éphémère, produisant chaque fois une nouvelle interprétation, autant d’histoires qui commencent par « Il était une fois… »

Ami, qu’entends-tu ?


J’ignore pourquoi j’entends, si ce n’est par (dé)formation professionnelle. Mon rôle de compositeur m’est dicté par ma sensibilité au contrechamp face à l’accumulation d’images que notre société empile jusqu’à l’étouffement. La simplicité de celles d’Ella & Pitr, version contemporaine d’une ligne claire réactualisée, ou leur taille démesurée sur le toit des immeubles, les extraient du brouhaha de la ville. Ainsi me font-elles tendre l’oreille ! Quel bruit fait l’affiche que l’on arrache du mur ? Que vous évoque le son de la brosse s’enfonçant dans la colle ? Ella & Pitr murmurent-ils lorsqu’ils arpentent la nuit pour placarder leurs histoires sans paroles ? Quelle fascination les images produisent-elles chez les musiciens ?

Je n’ai pas besoin d’imaginer ce que tout cela m’évoque puisque je me suis déjà plusieurs fois plié à l’exercice, en particulier pour Baiser d’encre, long métrage réalisé par Françoise Romand dont les héros sont Ella & Pitr ! Sa partition sonore que j’ai composée mélange des sons d’animaux, des ambiances urbaines ou météorologiques, des bruitages fantaisistes, des instrumentaux choisis pour leurs matières et des chansons dont les paroles révèlent les coulisses de l’exploit. Leurs animaux font carnaval comme celui de Camille Saint-Saëns qui y avait sarcastiquement inclus les pianistes ! Le cheval hennit, l’éléphant barrit, le corbeau croasse, les grenouilles coassent, les flamants roses cancanent, la pieuvre s’étale, le chien aboie, la caravane passe… L’usage des instruments, marimba, lithophone, harmonica, guimbarde et sons électroniques, est probablement hérité des facéties de Sergueï Prokofiev dans Pierre et le loup, écouté lorsque j’étais enfant. Quant à la chanson Mécaniques Cantiques, elle s’inspire de Jean Cocteau qui suggère qu’il n’existe rien de petit ni grand, mais seulement de loin ou de proche. S’y ajoute une métaphore polissonne incitant à la reproduction dont le drame surréaliste d’Apollinaire, Les mamelles de Tirésias, est probablement à l’origine, cousin de L’homme-tétons d’Ella & Pitr.

L’ensemble doit créer un univers à part, comme leurs créations, qu’elles soient miniatures ou démesurées. Elles empruntent au quotidien leur inspiration, fictions qui à leur tour s’immiscent dans leurs échanges familiaux pour vivre comme dans un rêve avec les contingences que la société impose. Françoise Romand a su capter cet aller et retour où les contradictions et les interrogations deviennent le moteur d’un conte moral. La mélodie du bonheur, vous disais-je !

Revenons à nos boutons…


Les machines d’Ella & Pitr ne sont nullement célibataires, mais conjugales, voire familiales. Ils ont commencé par mêler leurs pinceaux en un ballet érotique où chacun ne reconnaît plus ses membres. Devenus rapidement parents, ils exploitent parfois les dessins de leurs jeunes enfants en les mêlant aux leurs, avec une honnêteté dont il faut proscrire toute naïveté. Nous savons bien que les enfants développent une créativité incroyable jusqu’à l’entrée à l’école primaire. On leur impose alors hélas les réponses avant qu’ils n’aient le temps de formuler les questions. Piel et Äki ont des chances de plus tard conserver leur âme d’enfant comme leurs parents artistes. On le leur souhaite, passé les révoltes indispensables de l’adolescence ! C’est bien dans le refus de la norme que réside la créativité. Ne pouvant accepter le monde tel qu’il est, les artistes s’en inventent de nouveaux. Ceux d’Ella & Pitr peuvent être critiques, ils sont toujours joyeux, pleins d’un bonheur de vivre communicatif.

Pour se faire, tous les moyens sont bons. Entendre qu’ils utilisent tous les outils de leur temps, à commencer par les bombes de peinture qui valurent à Pitr quelques mésaventures avec la loi. Ils utilisent aussi bien le dessin dans leurs carnets de croquis que la peinture à l’huile sur les toiles vendues rue du Faubourg Saint-Honoré. Mais la photographie, la vidéo, l’ordinateur sont requis tout autant. Pour leurs hyper grands formats ils utilisent un drone qu’ils téléguident. Dans la rue ils ne peuvent faire un pas sans coller des stickers ici et là. Certains jours ils construisent le Cacatelec, un étron en résine téléguidé, ou décorent une plaquette de chocolat. Ils montent des spectacles incroyables avec leurs amis et construisent d’immenses anamorphoses… Leur fantaisie n’étant pas guidée par l’appât du gain, ils ont la liberté d’inventer sans penser au rendement. Ils collent généreusement dans l’espace public, sachant qu’aujourd’hui leurs œuvres se vendront ailleurs, dans des espaces réservés aux collectionneurs, effet mérité de l’éphémère initial.

La route à quatre voix

Depuis qu’Ella & Pitr se sont rencontrés il y a une dizaine d’années, ils n’ont pas cessé de bouger. Il est impossible de deviner ou leur imagination les mènera. Sur la Lune s’ils continuent à grandir ou gravant des grains de riz si l’envie les en prend ? S’ils passaient au cinéma, serait-il d’animation ou choisiraient-ils des acteurs ressemblant à leurs anges et autres clochards célestes ? Si c’était en musique Pitr s’affranchirait-il du rap ou inventeraient-ils le son de ce dont sont faits les rêves ? Il est possible qu’à trimbaler Piel et Äki sur tous les chemins de la planète, les deux mômes finiront par prendre le dessus et faire virer les vieux de bord. Chez eux la jeunesse semble pourtant éternelle, or le temps n’est qu’un mille-feuilles quantique auquel nous participons pour si peu. En attendant, Ella & Pitr nous font sourire en interrogeant l’univers dans lequel nous gravitons et en instillant un peu de poésie dans notre quotidien qui a bien besoin d’une révolution.

Tableaux : Ella & Pitr, Carnaval dans le miroir, L'effrontée et deux Fonds de tiroir

jeudi 27 octobre 2016

Macha Gharibian entre Paris, New York et Erevan


J'avais quantité de raisons d'écouter le nouvel album de Macha Gharibian. D'abord pour avoir été impressionnée il y a quelques années lorsqu'elle chantait avec les Glotte-Trotters de Martina A. Catella en même temps que ma fille Elsa. Les "fils de" et les "filles de" sont parfois énervants, comme si il y avait une évidence aux familles de musiciens. Mais si l'on dit que les chiens ne font pas des chats, le piston ne fait pas grand chose quand il s'agit de la voix, parce qu'il faut avoir de l'oreille et que c'est beaucoup de travail, d'exigence et d'écoute envers celles et ceux qui les entourent. Dan, le papa de Macha est donc l'un des fondateurs du groupe Bratsch comme BabX est le fils de Martina, professeur géniale chez qui tant sont passés avec succès... À la contrebasse Théo Girard est le fils de Bruno Girard, un autre fondateur de Bratsch qui fut le violoniste du grand orchestre d'Un Drame Musical Instantané pendant quelques années... Aux saxophones soprano et ténor on retrouve Alexandra Grimal, la sœur de David, violoniste et fondateur des Dissonances, ça se complique si je commence à citer le reste de la famille... J'ai eu le plaisir d'enregistrer deux albums en duo avec Alexandra, Transformation et Récréation. Il n'y a pas non plus de loi ni d'évidence. Personne de ma famille n'avait de don pour la musique, sauf peut-être ma grand-mère maternelle, soprano dramatique amateur qui avait chanté sous la direction de Paul Paray, mais nous fuyions bêtement ses vocalises lorsque nous étions enfants...


Les arbres généalogiques sont bien anecdotiques face au talent de chacune et chacun. Pourtant, pour une arrière-petite-fille du génocide arménien (la grand-mère de ma compagne y a survécu miraculeusement), cela fait sens. Il est ici question de transmission, des voix que l'on n'a pas connues et que l'on ne doit pas oublier. Mais lorsqu'on a la vie devant soi, le passé importe moins que l'avenir ; et la terre dont on a hérité, il faut savoir l'entretenir. L'espoir nous fait avancer, parce qu'aucune bataille n'est jamais perdue, tant qu'il reste des combattants. La musique est une arme merveilleuse, surtout là, où elle est havre de paix et chant d'amour. Macha Gharibian, en plus d'avoir une belle voix grave, joue magnifiquement du piano. J'ai véritablement accroché à partir du troisième morceau, Let The World Re-Begin, peut-être parce qu'il me rappelle Linda Sharrock que j'avais enregistrée avec Wolfgang Puschnig pour Sarajevo Suite, juste avant de m'occuper de Musiques du Front pour le label Silex, l'album sur le Haut-Karabagh. Je me rends compte que depuis que je tape ces lignes je cherche des points de concordance, des ramifications, avec cet album chamarré, entre jazz et musiques du monde, entre orient et occident. Rien d'étonnant. Paris est à mi-chemin entre New York et Erevan. Les villes, qu'elle vous ait vue grandir, que vous l'ayez adoptée ou qu'elle vous inspire, dessinent des histoires où le quotidien rejoint le mythe. Et ces voyages initiatiques forment la jeunesse, sur la trace des anciens.
Macha est ce qu'on appelle une artiste complète. Elle écrit ses paroles, compose et chante en anglais et en arménien. D'ici à ce que j'apprenne qu'elle danse aussi bien, il n'y a pas loin ! J'adore particulièrement les arrangements jazz où sont aussi présents le trombone Mathias Mahler (Trio Journal Intime), les batteurs Fabrice Moreau ou Dré Pallemaerts, le guitariste David Potaux-Razel et le soprano-clarinettiste-flûtiste Tosha Vukmirovic, mais un souffle romantique habite autant les morceaux plus traditionnels que le piano modernise par son traitement ciselé, à la fois mélodique et rythmique, une sorte de ligne claire qui détoure les thèmes en faisant ressortir les couleurs.

→ Macha Gharibian, Trans Extended, CD Jazz Village, dist. Pias, 19,65€

mercredi 15 juin 2016

Journal éolien : 9/Stromboli


Après une dernière journée à arpenter l'île de Lipari, particulièrement belle sur son flanc occidental, nous réembarquons pour une dernière escale avant le retour à Napoli, Stromboli dont le volcan occupe la quasi totalité de l'île, jusqu'à son sous-sol puisqu'il s'enfonce à 2000 mètres sous la surface.


Les rues de Stromboli sont si étroites que seules de minuscules voitures électriques ou des triporteurs peuvent les emprunter en rasant les murs de chaque côté. Pas question de laisser traîner une phalange à l'extérieur du véhicule ! De toute manière nous marchons, car l'île est toute petite, du moins en surface. Si les maisons de Lipari étaient de toutes les couleurs, un peu comme à Burrano près de Venise, celles d'ici sont toutes blanches. Partout les arrondis et arabesques rappellent l'influence maure.
Nous avons rendez-vous à 16h30 pour gravir le volcan et assister au spectacle nocturne de la lave en fusion. De temps en temps un toupet d'épaisse fumée noire semble s'échapper du sommet qui nous attend. Façon de parler car la bouche d'enfer crache son sang depuis des millénaires sans que les hommes n'y puissent rien.


Depuis la nuit du 31 décembre 2002 au 1er janvier 2003 où une éruption déclencha l'évacuation de l'île, la présence d'un guide est obligatoire. Avant, l'on pouvait monter comme on voulait, et même dormir là-haut. Des imprudents y laissèrent parfois la vie. J'ai vécu cette approche du danger sur l'Etna dans les années 60 et il faudrait que je retrouve les photos où nous sommes au bord du cratère tandis que des bombes incandescentes jaillissent derrière nous. Coïncidence troublante, la date de cette explosion correspond à la nuit électrique où Françoise et moi nous sommes mis ensemble, rencontre fabuleuse que j'ai plusieurs fois racontée, en particulier dans l'émission de France Culture, Sur les docks, consacrée à ma compagne cinéaste.


Notre équipement comprend des chaussures de marche, un T-shirt de rechange quand on sera arrivés en haut, un pull et un coupe-vent car il y fait frais, un foulard pour affronter la poussière, une lampe frontale pour redescendre, de quoi boire et manger. Magmatrek fournit casque et masque, et nous avons loué deux paires de bâtons qui soulagent les cuisses en montée et les genoux en descente. Nous voilà partis !


L'escalade se révèle ardue comme nous nous y attendions. La pente est très raide et le guide a de longues jambes. Je suis les pas de celle ou celui qui me précède sans beaucoup lever le nez ou regarder les maisons qui rapetissent à vue d'œil au bord de l'eau. Passé les hautes herbes que nous traversons comme une jungle, le paysage devient lunaire. Toutes les trente minutes les pauses en durent à peine cinq. Il faut éviter de faire glisser des pierres qui pourraient blesser d'autres grimpeurs en aval. Nous sommes une vingtaine à souffler à la queue-leu-leu.


918 mètres plus haut nous nous posons devant le soleil qui se couche tandis que nous tournons le dos à la pleine lune devenue rouge orangé. En dessous de nous, trois cratères crachent le feu. Spectacle époustouflant que je ne suis pas certain d'apprécier pleinement tant nous sommes à la fois crevés et émus. La fumée noire obscurcit le ciel étoilé tandis que des bombes rouge sang jaillissent des gigantesques bouches incendiaires. Mon sandwich prosciutto-mozzarella a du mal à passer tandis que je filme et photographie sans vraiment faire attention. Tous les randonneurs sont alignés sur l'arête du sommet l'œil rivé à l'objectif. Le trouble est évident. L'histoire et la géographie puisent leur source dans ce phénomène, mais la poésie et la métaphysique s'en mêlent.


Dans la nuit devenue noire nos lampes frontales éclairent nos chaussures s'enfonçant dans la cendre jusqu'aux chevilles comme si nous descendions debout un toboggan. Les trois quarts d'heure de cette dégringolade de poudreuse gris foncé sont hallucinants. Puis nous enfilons un masque pour nous protéger de la poussière que nous soulevons. Les randonneurs aguerris ne subissent évidemment pas notre douleur. Éreintés, nous regagnons l'hôtel où la douche est une bénédiction après le baptème du feu. Je fais mes exercices pour remettre mon dos d'aplomb, mais mon genou gauche exigera une petite remise en forme.


La renommée de l'île doit beaucoup au film de Roberto Rossellini, Stromboli terra di Dio, avec Ingrid Bergman. Nous nous embrassons devant la maison qui abrita leurs amours. Les pêcheurs ne massacrent plus les thons comme alors, d'autant qu'il n'y a plus de gros poissons. Thons et espadons ont beau être des spécialités du pays, il n'y a plus que des importations surgelées. Un grand bateau vient deux fois par semaine de Naples livrer l'eau inexistante sur l'île. Les épiciers en profitent pour tripler les prix par rapport à n'importe où ailleurs.


Rentrés à Paris, nous nous rendons compte que Vulcano, le film de Dieterle avec Anna Magnani réalisé en même temps que celui de Rosselini, est beaucoup plus intéressant. Rivalité des deux femmes, la délaissée qui avait apporté le scénario et remporté avec elle, la nouvelle délaissant Hollywood pour l'admiration puis l'amour pour le réalisateur italien, même scénario donc, même scènes, l'histoire des deux films est étonnante... Celui de Dieterle est moins mystique et plus proche des habitants de l'île...


Comme en Bretagne le temps change très vite. Pour notre escalade nous avons eu la chance de bénéficier d'un ciel d'azur avec peu de vent. La veille là-haut il faisait un froid de canard et le vent aurait décorné les bœufs si ces espèces étaient présentes sur l'île, mais nous n'avons vu que des oiseaux, des lézards, une couleuvre et quantité de chats et chiens alanguis. Les félins ont souvent une robe en écaille de tortue. Le lendemain matin nous nous baignons sur la petite plage de sable fin et noir qui brille au soleil, entourée de blocs de lave. J'ignore si ce sont des pierres ponces et de l'obsidienne, mais je ramasse trois petits cailloux qui y ressemblent. Le soir le ciel est devenu gris, il fait frais, nous faisons nos valises pour une dernière traversée jusqu'à Naples au bord de la Laurana.

mercredi 4 mai 2016

Un carton ?


Jeudi dernier je publiai la chanson Toï et Moï qui me valut tant de retours que je succombe aujourd'hui à la tentation de livrer un autre extrait de l'album Carton réalisé avec Bernard Vitet. Nous avions eu la prétention ou la naïveté de renouveler la chanson française, mais malgré les excellentes critiques qui accompagnèrent sa sortie en 1997 il n'y eut pas même de tempête dans mon verre d'eau, Bernard préférant de son côté un breuvage plus alcoolisé. De plus, les compliments s'adressaient essentiellement à la partie interactive de l'album, puisque c'était un des tous premiers CD-Rom d'artiste. Conçu à partir des étonnantes photographies de Michel Séméniako, je l'avais réalisé avec le graphiste Étienne Mineur et Antoine Schmitt à la direction technique.
J'avais écrit la chanson éponyme en utilisant des titres de films que j'aimais particulièrement. Les paroles se réfèrent entre autres à des œuvres d'Alfred Hitchcock, Elia Kazan, F.W. Murnau, Karl-Heinz Martin, Ferdinand Khittl, Luchino Visconti, Michael Snow, Ingmar Bergman, Jean Epstein, Pier Paolo Pasolini. Quant aux extraits sonores ils viennent de Max Ophüls, Jean Cocteau, John Huston, Fritz Lang, Alain Resnais... Je vous laisse deviner de quels films il s'agit, que ce soit les mots chantés par Bernard ou les bandes-sons originales. Avant la vidéo et les VHS, lorsque je voulais conserver la trace d'un film autrement que dans mon souvenir ou ma bibliothèque, je ne pouvais en enregistrer que le son. J'ai donc écrit une chanson d'amour, j'imagine mal de vivre avec quelqu'un qui ne partage pas ma passion, et aussi pour le cinématographe, en particulier pour la période muette qui paradoxalement m'apparaît comme la plus sonore. Car au début des années 30 le cinéma est surtout devenu parlant. C'est peut-être cette démarche réductrice, du moins d'un point de vue poétique, qui me fit initier le retour au ciné-concert avec Un Drame Musical Instantané dès 1976. Nous avons ainsi accompagné 26 films muets, fait le tour du monde grâce à ces spectacles, et lancé une mode qui fleurit depuis lors. Notre sens de la contradiction, notre peu d'appétence pour les affaires et notre soif d'invention nous firent abandonner le genre justement lorsque c'est devenu une mode, en 1985 après le Festival d'Avignon. Carton se réfère aux textes apparaissant sur l'écran, souvent intercalés entre les images.
La voix de Bernard me manque, comme son merveilleux sens mélodique, et lui-même plus que quiconque. Pour les refrains j'ai pitché la voix de ma fille Elsa lorsqu'elle avait 8 ans. En 2011 Françoise Romand a utilisé les chansons de l'album Carton, et celle-ci en particulier, dans son film Thème Je qui est aussi une histoire du cinéma, à sa manière, une histoire d'amour qui, pour une fois, finit bien, soit par où l'on a commencé.



CARTON

Elle habitait La Muette
Elle avait peur des mouettes
Il adorait le muet
Et rêvait d'un tramway,
A la Cinémathèque
Ils se sont rencontrés
Pour un film d'Hitchcock
Ils se sont rapprochés.

De l'autre côté du pont
Les fantômes vinrent à leur rencontre...

Il lui demanda son nom
Elle répondit Désir
Il en coupa le son
Ça s'appelait L'aurore,
Et de l'aube à minuit
Sur la route parallèle
Ils oubliaient le bruit
De leurs propres paroles.

De l'autre côté du pont
Les fantômes vinrent à leur rencontre...

Admirant les étoiles
Sans drap vague ma Grande Ourse
C'est la région centrale
Qui devenait leur source,
Dans la glace à trois faces
De ces deux cinéphages
Voyez-vous, s'ils s'embrassent,
Ce que sont les nuages.

dimanche 3 avril 2016

Jonathan Rosenbaum sur "Baiser d'encre"


Le plus exquis de "Baiser d'encre", le nouveau film de Françoise Romand (DVD multizone disponible sur romand.org avec bonus et sous-titres anglais, français et espagnols), est comment le travail et la vie d’Ella et Pitr, un couple d’artistes hippie très inspiré qui «peint leur amour et leurs fantasmes sur les murs du monde" (leur propre site web ellapitr.com est là pour le prouver, vous pouvez en apprécier les effets), ont poussé un autre couple - Romand elle-même à l’image et Jean-Jacques Birgé au son - à développer une quantité égale de fantaisie critique pour nous les faire connaître. Le site web de Romand présente la bande-annonce ainsi qu'un lien vers un livre éponyme du couple filmé que je n'ai pas encore vu.
Jonathan Rosenbaum, Cinema Scope #66, Mars 2016
Global Discoveries on DVD: Niche Market Refugees

Depuis six ans je n'écris en général plus le week-end, mais si c'est pour laisser la parole à Jonathan Rosenbaum dont le blog est le seul consacré au cinéma que je suis régulièrement, alors... D'autant qu'il a l'oreille de me citer pour la partition sonore aux petits oignons que j'ai composée pour Françoise avec le soutien de la chanteuse danoise Birgitte Lyregaard, du multi-instrumentiste Sacha Gattino, du saxophoniste Antonin-Tri Hoang, du violoncelliste Vincent Segal, de l'ici-contrebassiste Hélène Sage et du batteur Edward Perraud ! Je n'aurais jamais assumé ce rôle où les bruits, la musique et les voix participent d'un même ensemble sans Aimé Agnel et Michel Fano qui m'apprirent à écouter lors de mes études à l'Idhec au début des années 70. Pendant que j'y suis je salue la mémoire de Frank Zappa qui déclencha ma passion pour la musique, Jean-André Fieschi qui me donna les moyens de continuer à apprendre jusqu'à aujourd'hui et Bernard Vitet qui, entre autres, m'enseigna le silence... On dirait que je répète un discours à une remise de prix, mais si cela se produisait encore, je crois que mon intervention serait autrement plus politique, en particulier pour affirmer que sans le statut d'intermittent je n'aurais jamais eu la liberté de faire ce qui me chante en toute indépendance.

mardi 22 mars 2016

Iconoclash, toujours !


Il est intéressant de revoir treize ans plus tard le petit film que Françoise Romand avait réalisé sur l'exposition Iconoclash organisée au ZKM en 2002 par Bruno Latour et Peter Weibel. Les interrogations sur l'importance des images au travers des siècles n'ont pas changé. La réalité est d'autant plus difficile à cerner que les nouvelles technologies rendent les manipulations de plus en plus invisibles. La critique des images s'exerce au milieu d'un capharnaüm qui brouille les cartes en s'accompagnant d'un storytelling toujours aussi persistant. La simplification tend à faire croire à une complexité camouflant la simplicité des intérêts du pouvoir sur la crédulité des masses. La spirale où nous entraîne notre désir d'apprendre trouve dans l'art une résolution certes plus satisfaisante qu'en politique, mais aussi troublante que dans les sciences. Le point de vue passionnant de Latour se réfère à des siècles de christianisme où les hommes se sont entredéchirés sur ces questions d'images et sur leur destruction. L'effacement est intimement lié au dessin comme la déchirure au dessein.


Iconoclash renvoyait dos à dos les iconophiles et les iconoclastes, sans que les uns se distinguent radicalement des autres, les deux mouvements procédant généralement de la même intention. Si l'inconscient ignore les contraires, la question de l'image ou pas renvoie non à son affirmation ou à sa négation, mais à son sujet, l'image, toujours aussi puissante depuis que les êtres humains s'en sont emparés. La religion, la politique, l'art et les sciences exploitent la crise de la représentation pour fédérer les communautés dans le progrès et la régression. Les artistes exposés, de Rembrandt à Boltanski, sont forcément dans le blasphème ; c'est le rôle de l'art de bousculer les idoles, quitte à les remplacer périodiquement. Les meneurs d'opinion cherchent au contraire à entériner des concepts, à installer des certitudes. Si la fonction des uns est d'interroger ce que l'on voit, celle des autres est d'apporter les réponses avant que l'on ait le temps d'y réfléchir. L'art est bien le dernier rempart contre la barbarie.

mardi 8 mars 2016

Apéro Boulot Château


Pour cette Journée Internationale des Femmes, aussi condescendante et machiste que la galanterie, j'ai eu envie de ressortir de ses cartons un court métrage apéritif tourné dans les années 80 par Françoise Romand. Portrait d'une entreprise paternaliste de 1800 salariés, il pointe le rôle des femmes dans la société française comme dans celle fondée par Paul Ricard. Les chaînes dansent autour de la bouteille, réunion de "famille" élargie où le syndicat est maison et où les ouvrières sont estampillées Ricard. Il y est question d'héritage et de classes sociales, des perspectives d'emploi des enfants des uns et des autres, et d'une philosophie de l'entreprise où les salariés parlent à la première personne du pluriel pour évoquer leur employeur. Quel pastis !


Le titre de ce petit film livre évidemment une piste sur l'angle choisi par la réalisatrice pour suggérer la manière dont le patronat tient son personnel. Il est facile d'imaginer ensuite comment les élites gouvernent un pays à grand renfort de communication et de bourrage de crânes. Dans Apéro Boulot Château on retrouve le style de Françoise Romand, mise en scène explicite du documentaire, entretiens face caméra, effets de montage où le décor fait partie des protagonistes... Le thème de l'identité y est aussi présent que dans ses longs métrages Mix-Up, Appelez-moi Madame, Vice Vertu et Vice Versa, Passé Composé, Thème Je ou Baiser d'encre. Quel que soit son sujet Françoise Romand n'abandonne jamais la fantaisie, façon habile de prendre du recul avec des évidences présupposées. Ces petits décalages replacent le réel dans la mise en scène sociale qui exploite quotidiennement la naïveté de ses acteurs transformés en spectateurs de leur propre aliénation. La réalisatrice, ici comme dans ses films plus "sérieux", se sert des codes pour les transgresser avec humour, en jouant de sa complicité avec celles et ceux qu'elle filme. Santé !

→ Six films de Françoise Romand sont déjà sortis en DVD, commandables sur son site.

jeudi 14 janvier 2016

Cacatelec, la crotte téléguidée


Certaines mamans disent que leur bébé leur a laissé un petit cadeau lorsque leur progéniture a fait caca dans ses couches. Loin de moi l'idée d'analyser les tenants et aboutissants freudiens de cette remarque charmante, mais je me demande tout de même à quoi pensent les artistes Ella & Pitr lorsqu'ils nous envoient pour les fêtes une superbe crotte téléguidée ? Est-ce une critique ou un hommage à l'art conceptuel de Piero Manzoni avec ses 90 boîtes de conserve, à l'étron gonflable de Paul McCarthy, à la machine à caca de Wim Delvoye, à l'auto-portrait de merde du photographe Andres Serrano, aux peintures de Jacques Liziène, à la Shit Fountain de Jerzy S. Kenar, à la Vénus de Milo en caca de panda de Zhu Cheng, aux toiles de Christopher Ofili en caca d'éléphant, à celles en béton de Kamiel Verschuren, à The Home-Coming of Navel Strings de Noritoshi Hirakawa, au collectif Sprinkle Brigade, au street artist Gold Poo et tous les anomymes à avoir recouvert l'étron de peinture dorée ? L'idée était tentante, il est vrai.
Comme je fais avancer, reculer, tourner Cacatelec pour le plus grand bonheur des scatologistes de mes amis je repense au gag du porte-feuilles attaché à un fil invisible que l'on tire lorsqu'un passant essaie de le ramasser. Mais qui irait ramasser une crotte qui ne lui appartient pas ? Déjà que la plupart des propriétaires de chiens de mon quartier laissent leurs bêtes chier sur le trottoir avant de filer à l'anglaise... Ella et Pitr ont l'habitude de fabriquer toutes sortes d'objets dérivés à partir de leurs affiches, et c'est probablement dans leurs carnets intimes où ils croquent leur vie quotidienne avec leurs deux enfants qu'il faut chercher la référence à leur amusante provocation. J'ai entendu dire qu'ils pourraient produire bientôt quelques unes de ces drôles de machines qui interrogent néanmoins fondamentalement nos objets de consommation, et notre consommation tout court. Pas question pour autant de marcher dessus du pied gauche sans la casser ! Mon père écrivait W6496 qu'il retournait dans le miroir, on jurait en commençant par M... que l'on terminait par "... ercredi prochain !", ma grand-mère avait coutume de me dire "merde !" avant chaque composition, mais il ne fallait surtout pas répondre "merci" pour que cela porte bonheur... Cette histoire me laisse perplexe, car je n'ai ni roulettes pour filer, ni télécommande qui oriente ma réflexion, ni rien, mais rien du tout, c'est juste la merde à l'image de l'année qui vient de se terminer !

N.B.: dans un tout autre esprit que Cacatelec (rue du faubourg Saint-Honoré oblige !), ce soir jeudi à la Galerie Lefeuvre a lieu le vernissage de l'exposition collective Paper ℗arty 3 avec Paul Insect, Mist, Pixel Pancho, Daniel Muñoz 'San') où Ella et Pitr signeront leur nouveau livre Baiser d'encre, recueil de dessins de leurs carnets intimes (attention, même titre que le film que Françoise Romand leur a consacré, DVD également disponible sur Superbalais).

P.S.: puisqu'on en est là je recommande très sérieusement la lecture passionnante du livre Le charme discret de l'intestin de Giulia Enders chez Actes Sud, somme fabuleuse d'informations sur notre second cerveau racontée avec humour et perspicacité !

lundi 11 janvier 2016

La langouste sauve la mise


Ayant déjà évoqué Carol, The Diary of a Teenage Girl, Chi-raq, Youth, Love & Mercy dans cette colonne, je fais un rapide petit tour d'horizon de films récents projetés en grand sur mon mur blanc.
Les blockbusters sentent le rance. Le western Les huit salopards, dont le titre anglais The Hateful Eight insinue que le huitième film de Quentin Tarantino est plein de haine, est un interminable huis clos machiste rappelant Reservoir Dogs. Seul sur Mars de Ridley Scott, variation cosmique moins ennuyeuse qu'Interstellar ou Gravity, comme Spectre, énième James Bond signé Sam Mendes, se regardent sans arrière-pensée, grave défaut du cinéma de masse américain. Dans le genre cinéma forain, les films de poursuite Mad Max: Fury Road de George Miller ou Fast & Furious 7 de James Wan sont totalement ridicules, mais leurs attractions de montagnes russes vous en mettent plein la vue. Je me demande si je n'ai pas préféré les effets spéciaux du super-héros Ant Man de Peyton Reed ? Idem avec Mission: Impossible - Rogue Nation de Christopher McQuarrie que j'ai déjà oublié ou Le pont des espions de Steven Spielberg dont l'exposition des faits ne laisse aucune place à la moindre réflexion sur la guerre froide.


L'homme irrationnel de Woody Allen est une nouvelle version tourmentée des amours entre un vieux et une jeune, pitoyable. Mistress America est une nouvelle variation insipide de Noah Baumbach autour de sa compagne Greta Gerwig, minauderie boboïsante new-yorkaise aux prétentions arty. Préférer la nouvelle comédie dramatique de Neil LaBute, Dirty Weekend avec Matthew Broderick et Alice Eve, autopsie des rapports homme-femme toujours aussi cruelle et méticuleuse. Côté porno arty on évitera soigneusement Love de Gaspar Noé dont le scénario indigent n'est que prétexte à des scènes de cul sans intérêt.


Les occasions de se marrer ne sont pas courantes, aussi Les Minions de Kyle Balda et Pierre Coffin remporte la palme cette année, et au moins celui-là on peut le voir en famille puisque c'est un film d'animation pour les enfants. À noter qu'il a été réalisé essentiellement par une équipe technique française et que l'absurde de la langue cosmopolite des gélules jaunes sur pattes est à l'image du comique du film (ci-dessus quelques clips inédits, les Minions ont généré plus de variations marketing que le film lui-même). Dans la catégorie thriller on pourra voir Sicario du canadien Denis Villeneuve, mais dans le genre, franchement, le grand film de 2015 est la saison 2 de la série télévisée Fargo produite par les frères Coen. Scénario rebondissant et inattendu, acteurs fantastiques dont l'épatante Kirsten Dunst, musique d'accompagnement fabuleusement choisie, l'histoire est indépendante du film et de la saison 1 déjà formidable. Des personnages banals y sont confrontés accidentellement à une situation exceptionnelle qui les fait déjanter. Oubliez vos a priori sur la télé, c'est le cinéma adulte américain, le reste est conçu pour des adolescents de 15 ans.


Heureusement il y a The Lobster de Yórgos Lánthimos avec Colin Farrell, Rachel Weisz, Léa Seydoux, seule œuvre radicalement différente parmi tous les films récents que j'ai pu voir ces derniers temps. On lui devait déjà Canine et Alps qui sortaient résolument de l'ordinaire. Le changement de repères sociaux qu'affectionne le cinéaste grec est cette fois encore plus explicite. À travers une histoire à dormir debout il interroge la cellule du couple et de la famille, la sexualité et ses tabous, le pouvoir et ses déviances abusives, l'organisation et l'anarchie, le sacrifice et la désobéissance, la vie et la mort. Ce n'est certainement pas un hasard si c'est en Grèce que l'impossible est mis à l'épreuve de la réalité. Lánthimos pulvérise le réel en lui conférant le statut d'un scénario parmi tant d'autres.


Le documentaire The Wolfpack de la jeune Crystal Moselle rappelle diablement la fiction Canine de Lánthimos, puisqu'il s'agit d'une fratrie de six garçons et une fille enfermés pendant quinze ans au seizième étage d'un immeuble du Lower East Side de New York par un père pensant épargner à sa progéniture les mauvaises influences de notre société. Les gamins rejouent intégralement les blockbusters de Tarantino en se confectionnant costumes et accessoires, et lorsqu'ils s'échappent enfin dans la rue ils portent l'uniforme des acteurs de Pulp Fiction ! Le glissement de repères est évidemment passionnant et l'interprétation psychanalytique terriblement concluante. Les documentaires étant presque exclusivement phagocytés par les drames, Amy de Asif Kapadia sur la chanteuse Amy Winehouse est une réussite, bouleversant et terriblement triste. J'en profite donc pour signaler la comédie documentaire de Françoise Romand, Baiser d'encre, dont j'ai composé la musique et qui cache un stimulant conte moral sur la famille autour des artistes Ella & Pitr.

jeudi 31 décembre 2015

Birgé Contet Hoang - dernière livraison vidéo


Dernière livraison vidéo du concert du 12 novembre dernier au Triton, Les Lilas, du spectacle Un coup de dés jamais n'abolira le hasard avec l'accordéoniste Pascal Contet et le clarinettiste-saxophoniste Antonin-Tri Hoang, dont on retrouvera la version audio quasi intégrale sur drame.org en écoute et téléchargement gratuits. J'avais déjà proposé cet exercice de voltige, soit improviser le thème tiré au hasard par les spectateurs parmi le jeu de cartes imaginé par Brian Eno et Peter Schmidt, à d'autres musiciens et musiciennes avec qui nous nous étions déjà bien amusés. Ainsi se succédèrent Ève Risser et Joce Mienniel (album Game Bling), Birgitte Lyregaard et Linda Edsjö (Radio France et Atelier du Plateau), Médéric Collignon et Julien Desprez (Le Triton)...


Il n'est pas certain que nous ayons vraiment évité de briser le silence, mais nous l'avons cajolé. 5'02 dont le ton est donné par la trompette à anche, repris par la clarinette et l'accordéon avant que le H3000 enveloppe l'ensemble de ses nappes faussement électroniques. Elles ne sont en réalité que le prolongement de mon souffle...


Pas de doute ici, nous avons obéi scrupuleusement à la carte Be Dirty ! Jouer salement, c'est y mettre tous les doigts et la langue, lécher son assiette, envoyer la purée pour commencer en se disant que les deux autres devront bien s'en accommoder, c'est péter, roter, éructer, alors franchement en 5'17 nous aurions pu être plus crades...


Si certains jours les cartes sont avec nous, d'autres fois elles nous jouent des tours. Ainsi elles ne nous ont jamais posé autant de chausse-trappes que ce jeudi-là. "Utilisez des personnes non qualifiées !" annonce le dernier tirage, et nous voilà essayant de convaincre des spectateurs de se joindre à nous... Xavier Ehretsmann n'est pas musicien, il n'a jamais soufflé dans un saxophone, mais il connaît la musique pour être le producteur des Disques DDD et le disquaire du magasin La Source. Courageux, il grimpe sur scène et Antonin lui prête son alto tandis qu'il conserve sa clarinette. J'amorce au hou-kin, un violon vietnamien, avant de convoquer tout l'orchestre auquel se joint Pascal Contet. Dans ces occasions soit tu joues free, soit tu joues tzigane ; Xavier n'a pas vraiment le choix, et grâce lui soit rendue car il nous permet de terminer le concert en soulignant la participation formidable du public à ce projet acrobatique qui me fit grimper et dévaler l'escalier du balcon à toute vitesse entre chaque pièce.

Dernière livraison vidéo de notre trio improvisé, dernière livraison du blog avant la fin de l'année, je vous souhaite un bon réveillon, mais ne mettez pas de musique pendant le repas, cela gâche la nourriture, si elle est trop faible elle ne fait que brouiller les échanges, si elle est trop forte elle empêche les convives qui ne se connaissent pas de s'immiscer dans les conversations, si elle est créative elle doit s'écouter pour elle-même comme on lit un roman, comme on regarde un film... Plus tard, si vous aimez danser, alors ce sera le moment de choisir la musique qui convient, mais ce ne sera pas la mienne, à moins que vous attendiez le 29 janvier lorsque j'inviterai Bumcello à me rejoindre au Triton !

Photo © Gérard Touren
Vidéo : Françoise Romand et Armagan Uslu (caméras), JJB (montage)

jeudi 24 décembre 2015

Birgé Contet Hoang - 2ème livraison vidéo


Jouer avec Pascal Contet et Antonin-Tri Hoang c'est s'attendre à l'imprévisible. Dit autrement, et c'est visible dans les vidéos du concert du 12 novembre dernier au Triton, Les Lilas, improviser avec ces deux musiciens incroyables c'est ne s'attendre à rien. Être surpris, découvrir, répondre, proposer, échanger, partager... J'aime rappeler que l'improvisation n'est rien d'autre que raccourcir le temps au minimum entre composition et interprétation.


Regardez Pascal jouer de son accordéon en intégrant tout ce qui le constitue tandis qu'Antonin outrepasse la consigne "Face à un choix jouer les deux" en alternant sans cesse ses trois instruments, clarinette, sax alto et clarinette basse. De mon côté j'associe des ambiances humaines et naturelles à un triple piano programmé en quarts et demis tons...


Après 7'30 de Faced With a Choice Do Both, je vous propose 1'49 de Destroy: Nothing... The Most Important Thing où je passe la voix de ma fille à la moulinette du Tenori-on pendant que Pascal Contet massacre quelques pièces du répertoire accordéonistique et qu'Antonin-Tri Hoang brise en petits morceaux une de ses anches préférées. Je ne suis pas sûr de n'avoir rien détruit, mais nous avons certainement attaqué ce à quoi nous tenons le plus !


J'illustre le blog d'aujourd'hui avec trois pièces d'un coup pour ne pas abuser du feuilleton musical, même si cela peut paraître un peu copieux aux oreilles non averties ;-) Ainsi Don't Be Afraid of Things Because They're Easy To Do, 3'30 où nous ne craignons pas de faire des choses faciles, clôt cette seconde mise en ligne de cette énième version originale du spectacle Un coup de dés jamais n'abolira le hasard dont on peut écouter et télécharger l'album complet sur drame.org. Face à mes rythmes électroniques attaqués au clavier, Antonin décide de ne jouer qu'une seule note et Pascal répète inlassablement ses gammes. La suite au prochain numéro...

Photo © Gérard Touren
Vidéo : Françoise Romand et Armagan Uslu (caméras), JJB (montage)

mardi 22 décembre 2015

Birgé Contet Hoang "Accumulation"


Jean Renoir racontait qu'il ne filmait pas des tranches de vie, mais des tranches de gâteau. J'ignore quel est le nom de la pâtisserie que nous confectionnons à l'énoncé du thème tiré au hasard par un spectateur le 12 novembre dernier au Triton, mais Accretion signifiant Accumulation, nous cuisinons illico un soufflet qui nous met en appétit.


En effet Pascal Contet attaquant à l'accordéon me souffle qu'il aimerait que je transforme le son de son instrument avec mon Eventide H3000. C'est un processeur d'effets extrêmement puissant dont j'ai préparé les programmes il y a près de trente ans et que j'utilise lors de presque tous mes concerts. Antonin-Tri Hoang bat aussitôt les œufs en neige avec sa clarinette basse qu'il délaissera pour la clarinette après que j'ai ajouté une radiophonie à l'édifice. Ce sont des extraits radiophoniques très courts datant d'il y a encore plus longtemps que l'Eventide. En musique le recyclage prenant des formes insoupçonnées, la cuisine nous offre des timbres inédits qui se superposent dans le temps, terminant cette pièce montée qui se déguste aussi vite qu'on l'a élaborée. Le tourbillon ne laisse ainsi rien voir qu'un envol de notes sucrées.

Photo © Gérard Touren
Vidéo : Françoise Romand et Armagan Uslu (caméras), JJB (montage)
Album Un coup de dés jamais n'abolira le hasard 2 en écoute et téléchargement gratuit sur drame.org

jeudi 10 décembre 2015

Survol pour ne pas y passer la nuit


Très vite parce que je ne voudrais pas y passer la nuit, ni manquer un seul jour (ça fait onze ans que je blogue quotidiennement sans faille, contre vents et marées...) !
Excellent concert de Das Kapital à l'Ermitage pour le lancement de leur nouvel album, Kind of Red, qui s'étoffe avec la scène ; son chaud et mat des saxophones de l'Allemand Daniel Erdmann, précision de jongleur du batteur tourangeau Edward Perraud, jeu incisif du guitariste danois Hasse Poulsen ; ils interprètent pour la première fois leurs propres compositions en s'inspirant du jazz, du rock, du blues, du folk, etc., tout en livrant une musique très personnelle, à la fois riche et épurée ; ils terminent en rappel avec une sensationnelle version ivesienne (néologisme relatif au compositeur américain visionnaire Charles Ives) de l'Internationale qui aurait dû être de saison, mais comme on marche sur la tête cela sonne comme du siècle dernier...
Passionnante rencontre avec la créatrice radiophonique Amandine Casadamont dont nous avons admiré la prestation live aux platines la semaine dernière au Silencio et qui devrait aboutir à une collaboration en 2016, excellente nouvelle... À cette occasion j'ai ressorti FluxTune, La pâte à son, Alphabet, Somnambules et surtout la Mascarade Machine !
Presque terminé le n°34 du Journal des Allumés du Jazz, excellente cuvée dans laquelle je me suis fendu de deux pages sur l'histoire du son d'Edison à Internet. Pas encore commencé le n°9 de la Revue du Cube sur le thème de la refondation qui devrait paraître aujourd'hui et pour lequel j'aborde La question sans réponse (nouveau clin d'œil ivesien). Dévoré une flopée de polars dont tous les Bernard Minier et Ian Manook, parfaitement adaptés aux transports en commun. À peine entamé le nouveau Schnock autour de Choron et Cavanna, mais il doit être aussi chouettement schnock que les précédents. Lu chaque lundi la newsletter du spirituel Philippe Dumez. Toujours en plein Crépuscule de l'Histoire de Shlomo Sand, forcément indispensable. Passé trop de temps à lire les commentaires des FaceBookiens. Désespéré devant le manque de perspectives politiques de trop de camarades qui n'ont plus que des visions à court terme...
Quitte à ne pas dire grand chose aujourd'hui, autant m'arrêter là, je développerai plus tard, la suite au prochain numéro...

Rappel : si vous désirez m'attraper au vol je serai ce soir à 20h30 au Cin'Hoche à Bagnolet pour la projection de Baiser d'encre, le film de Françoise Romand avec Ella et Pitr

mercredi 9 décembre 2015

Baiser d'encre en projection et DVD


D'abord l'affiche !
Celle de l'homme-tétons (84x60cm) est offerte avec l'achat du nouveau DVD de Françoise Romand, Baiser d'encre, une fantaisie documentaire sur les artistes Ella & Pitr. C'est un vrai film, un film de cinéma qui met du baume au cœur en cette période bien noire. Ici seule l'encre a cette couleur. Elle coule à flots sur le couple qui affiche leur amour et leurs histoires à dormir debout sur les murs du monde. Génération Y, la vie et l'œuvre intrinsèquement liées, ils puisent leur inspiration dans leur vie quotidienne dont les rêves composent une nouvelle réalité pleine d'humour et de tendresse. Ils sillonnent la planète avec leurs deux jeunes enfants, exposant leurs affiches dans les rues ou en galeries, manière généreuse de coller à tous leurs publics.
Ensuite la musique !
J'ai composé la partition sonore en m'inspirant des images, mais en évitant soigneusement l'illustration. Je préfère la complémentarité, base de la dialectique audiovisuelle. La musique étant plus drôle à jouer à plusieurs, la chanteuse Birgitte Lyregaard, le multi-instrumentiste Sacha Gattino, le saxophoniste Antonin-Tri Hoang, le violoncelliste Vincent Segal, l'ici-contrebassiste Hélène Sage et le batteur Edward Perraud m'ont prêté main forte. J'ai puisé parmi les pièces que nous avions enregistrées ensemble et ajouté des parties au clavier plus quantité de clins d'œil, ambiances immersives et un bestiaire imaginaire inspiré par Ella & Pitr aussi bien que par les bestioles saisies par Françoise. Le son jouant du hors-champ donne à voir des éléments invisibles qui participent à cette poésie du quotidien.
Le film enfin !
Baiser d'encre, projeté demain jeudi au Cin'Hoche à Bagnolet et mardi prochain au Triton aux Lilas en présence de la réalisatrice, sort en DVD avec en bonus Ta mère le loup, court métrage d'animation d'Ella & Pitr que j'accompagne par de sombres accords et une fantômatique mélodie au Novachord !

→ Jeudi 10 décembre 20h30 au Cin'Hoche (grande salle), 6 rue Hoche 93170 Bagnolet, M° Galieni (à côté de la mairie de Bagnolet) - Tarif unique 3€50
→ Mardi 15 décembre 19h30 au Triton (petite salle avec balcon), 11 bis rue du Coq français 93260 Les Lilas, M° Mairie des Lilas (en face de la maternité) - Entrée libre sous réserve des places disponibles
→ Prix de lancement : Baiser d'encre, DVD+affiche+port=18€ (16€ sur place) à commander par mail
→ Les DVD de Mix-Up, Appelez-moi Madame, Ciné-Romand, Gais Gay Games et Thème Je sont également disponibles sur romand.org

mardi 27 octobre 2015

Résurrection de la femme-bourreau


Mais qui est Jean-Denis Bonan ? Un provocateur ? Un humoriste ? Un héraut de son temps (y aurait-il aussi un os dans l'air ?) ? Certainement tout cela et bien d'autres, mais d'abord cinéaste et plasticien dont les points d'interrogation trouvent leurs réponses dans le bonus En marge, entretien palpitant avec le réalisateur de La femme-bourreau figurant sur le DVD que publie enfin Luna Park Films accompagné de trois courts métrages aussi sulfureux que ce film mythique tourné au printemps 1968 et pendant les événements de mai. Là encore les questions se bousculent, les qualificatifs allant de thriller à surréaliste en passant par expressionniste et nouvelle vague. Ajoutons que sa réputation de film maudit précède cette sortie qui aura attendu 45 ans dans le noir.
Pourtant Jean-Denis Bonan est l'opposé d'un triste sire. Lutin facétieux, il tourna ces films un peu potaches de 1966 à 1968 avant de fonder le collectif Cinélutte en 1973, de créer Métropolis avec Pierre-André Boutang sur Arte, également en charge de divers magazines sur France 2 et France 3 dont Aléas, ainsi que Histoires d’Amour, Les Moments de la Folie et Traces qu'il initie.
Ma compagne, Françoise Romand, fut son assistante, et il fut mon professeur de montage et le responsable des études pour la première année lorsque je suis entré à l'Idhec en 1971 (il formait un triumvirat avec Richard Copans et Jean-André Fieschi à l'appel de Louis Daquin). Chaque matin, le sourire aux lèvres, il nous racontait le rêve incroyable qui avait meublé sa nuit, courts métrages imaginaires qui l'inspiraient probablement ensuite. Avec quelques années de décalage les coïncidences s'accumulent. Mon camarade Bernard Vitet compose la musique de La femme-bourreau et Daniel Laloux (qui sera le narrateur de notre K et de Jeune fille qui tombe... tombe pour Un drame musical instantané) les chansons ; il est l'ami de Jean Rollin, le pape du porno-vampire que j'assistai sur Lèvres de sang (vous n'êtes pas au bout de vos surprises !) et Nicolas Devil, l'illustrateur de Saga de Xam, bande dessinée culte et fondatrice qu'ils réalisèrent ensemble et dans laquelle figure Bonan, éclairant mon adolescence et m'initiant au genre, dessine l'affiche et le générique de son court métrage Tristesse des anthropophages.
C'est avec ce court métrage que les ennuis ont commencé ! Cette farce politique et sociale, plus scatologique qu'anthropophage, est interdite en 1966 par la censure gaulliste. Le film sera projeté au cinéma Les 3 Luxembourg occupé par les étudiants contestataires de mai 68. Le fast-food où l'on sert de la merde est tout à fait prémonitoire, "dans un monde où tout est interdit sauf ce qui est obligatoire". Dès La vie brève de Monsieur Meucieu en 1962, on reconnaît la fantaisie débridée de Bonan et Une saison chez les hommes, détournement d'images des Actualités cinématographiques, enfoncera le clou en 1967.


Dans La femme-bourreau les travellings en caméra portée profitent à l'enquête policière de cette histoire de tueur en série et au sentiment de poursuite hantant tous les films de Bonan qui a fui enfant la Tunisie. Les décalages entre le commentaire froidement informatif et les images souvent sensuelles renforcent la distance critique. Le montage explosé déglingue la continuité. L'invention musicale de Vitet, grinçante et tendue, répond aux chansons ironiques de Laloux et aux bruitages ostensiblement décalés. Claude Merlin (père de Blaise !) tient le rôle principal aux côtés de Solange Pradel, Myriam Mézières, Jackie Raynal, Jean Rollin... La variété de tons, policier, poétique, absurde, érotique, pamphlétaire, comique, genre, reportage, citations, empêche le film d'être catalogué dans aucun genre si ce n'est celui de l'hétéroclicité, caractéristique fondamentale de son époque où l'imagination prenait le pouvoir, mais que la réaction n'eut de cesse de brider ensuite.

La femme-boureau, Jean-Denis Bonan, avec en bonus En marge, Tristesse des anthropophages, Une saison chez les hommes, La vie brève de Monsieur Meucieu, Un crime d'amour..., tous remarquablement restaurés, DVD Luna Park Films (à paraître le 18 novembre)

vendredi 23 octobre 2015

Arlequin est en ligne !


L'excitation est à son comble. Enregistré lundi, livré vendredi, l'album Arlequin est en écoute et téléchargement gratuits sur drame.org. J'ai passé trois jours à améliorer le mixage des dix pièces que nous avons conservées avec la bassoniste-chanteuse Sophie Bernado et la vibraphoniste-percussionniste Linda Edsjö. La Suédoise m'envoyait ses suggestions depuis Copenhague et la Gersoise lorsqu'elle réapparaissait à Montreuil. L'annonce de la nouvelle sur FaceBook avait déjà fait son petit effet, probablement grâce à ma garde-robes prêtée à mes deux comparses. Le quart d'heure chiffons est aussi indispensable que le menu de midi et que la photo prise par Françoise pour détendre l'atmosphère. L'ambiance était ludique et enjouée, mais enchaîner autant d'improvisations entre l'installation et le rangement du matériel demande une concentration épuisante. Ce fut donc soupe de cresson, saumon bio accompagné de trois sortes de navets et sorbets. Quant aux vestes, j'ai acheté 20 euros le bibendum rouge à une vente jeunes créateurs, trouvé la disco à New York dans une friperie et acquis ma première doudoune deux jours plus tôt en connaissance du thème de nos improvisations.
Arlequin vient d'un jeu de mots de Sophie à propos d'Arles où j'avais engagé Linda pour accompagner le photographe Elliott Erwitt. J'ai saisi la balle au bond et proposé que nous improvisions d'après des couleurs. Dans le feu de l'action nos arlequinades ont souvent mélangé les tons sur la palette, mais l'ensemble montre une incroyable unité alors que ni Linda ni moi-même n'avions jamais joué avec Sophie que nous ne connaissions que par son travail avec Art Sonic, mais dont j'avais regardé maintes vidéos sur le Net. La complicité tient essentiellement aux échanges informels que nous avions eus en amont. Linda et moi avons déjà réalisé plusieurs performances en trio avec la chanteuse Birgitte Lyregaard que l'on peut retrouver sur l'album La chambre de Swedenborg (également en vidéo) et sur le site vidéo de France Musique. La séance de Paris a donc entériné nos accords nord-sud, quitte à en voir de toutes couleurs.
Si je connaissais les talents de chanteuse de Linda, j'ignorais ceux de Sophie. Elle passe sans temps mort de la voix au basson tandis que Linda avait apporté quelques percussions en plus de son vibraphone. De mon côté je me concentrai sur le clavier, ajoutant ça et là une contrebasse à tension variable et une trompette à anche plongée dans une cuvette remplie d'eau (lutherie Vitet), hou-kin (c'est un violon vietnamien), harmonica et flûte. Comme d'habitude je n'ai pas la moindre idée de la manière dont cette musique sera entendue, mais nous nous sommes bien amusés. Que rêver de mieux ?

mardi 8 septembre 2015

Carnet d'Arménie, 1915-1918


À force de remettre au lendemain les tâches les plus enquiquinantes on laisse s'accumuler quantité de papiers que l'on oublie jusqu'à ce que quelqu'un un jour les découvre ou les fiche à la poubelle. Lors de l'un de ces ménages salutaires où l'on finit par trier les affaires de celles et ceux qui nous ont quittés, Anny Romand, la sœur aînée de Françoise, a trouvé un vieux carnet écrit d'une belle écriture calligraphiée. Témoignage formidable d'une époque douloureuse, il avait appartenu à leur grand-mère arménienne qui avait fui et survécu au génocide de 1915. Il y avait aussi des pages rédigées en français et d'autres en grec ! Cent ans plus tard, le déchiffrage permet de comprendre qu'il accompagna la jeune femme lors de sa marche forcée de 1915 à 1918. Ainsi Serpouhi Kapamadjian née Hovaghian décrit la barbarie dont elle est témoin et victime sur les routes d'Anatolie, comment sa famille disparaît et grâce à quelles péripéties elle échappe au massacre. Trois ans après avoir confié à des paysans turcs son fils de quatre ans, seul rescapé avec elle, elle le retrouvera par miracle grâce à l'armée russe. Réfugiée en France, elle accouchera mystérieusement d'une nouvelle fille, Rosette, qui donnera naissance à son tour à Anny et Françoise. Anny alterne les pages du carnet et ses propres souvenirs sous sa plume de petite fille de huit ans pour reconstituer le portrait étonnant de sa grand-mère, s'enfonçant dans l'Histoire au point d'investir ce passé qu'elle n'a pas vécu, mais qui hante tous les descendants des martyrs. La littérature permettant tous les sauts temporels, nous sommes à notre tour transportés par ce témoignage exemplaire, 120 pages illustrées de petites photos que j'ai dévorées d'une traite, évocation plus réussie que tant de cinéastes s'étant essayés récemment à évoquer le sujet (Henri Verneuil, Atom Egoyan, Robert Guédiguian, les frères Taviani, Fatih Akin), alourdis par un pathos que l'auteure évite pour se concentrer sur l'amour qu'elle portait à sa grand'mère d'Arménie et leur complicité.

→ Anny Romand, Ma grand'mère d'Arménie, Ed. Michel de Maule, coll. Je me souviens..., 9 €

jeudi 3 septembre 2015

Transparent


Le préfixe trans permet quantité de jeux de mots depuis que le mouvement LGBT a fait son coming out. Les titres pulluleront probablement à l'instar de l'excellent film Transamerica réalisé il y a déjà dix ans par Duncan Tucker avec Felicity Huffman. Cette fois la nouvelle série télévisée, fine et caustique, se nomme Transparent en référence à la saga familiale dont le patriarche change de sexe dès le premier épisode. Ses trois enfants ont des vies bien barrées, mais en y réfléchissant sérieusement ne sommes-nous pas tous et toutes dans ce cas ? La famille (et j'm la faille) est une source intarissable de névroses que l'on réussit plus ou moins bien à gérer.


La première saison de 10 épisodes de 26 minutes est drôle, provocante et donne vraiment envie de voir la prochaine. Jill Soloway, sa scénariste et réalisatrice féministe qui a fait ses armes entre autres avec Six Feet Under, s'est inspirée de la vie de son propre père, mais je ne peux m'empêcher de comparer le pitch avec Appelez-moi Madame, le savoureux documentaire réalisé par Françoise Romand en 1986 et qui connut un succès considérable aux États-Unis. Au thème du genre particulièrement en vogue, l'humour juif rajoute une couche de comédie qui ravira les amateurs.

Diffusion en France sur OCS City.

jeudi 23 juillet 2015

Mémoire et aide-mémoire de Philippe Dumez


Il est surprenant et encourageant de rencontrer une personne dont les goûts, si ce n'est les couleurs, se rapprochent des vôtres. Entendre que ses références sont aussi particulières que les miennes, du moins dans certains domaines. Ainsi Philippe Dumez, attiré par les disques d'Un Drame Musical Instantané et ayant acheté un DVD de Françoise au vide-grenier d'où la pluie nous avait chassés dès midi, avait eu l'astuce de prendre nos coordonnées tandis que nous sauvions les meubles. Happé par Mix-Up, il était repassé à la maison chercher Appelez-moi Madame et Thème Je. À cette occasion nous avions échangé quelques pistes tant dans le domaine de la musique (grand consommateur de concerts de rock, Philippe Dumez place de la musique sur des films pour une major) que du cinéma (cinéphile curieux d'objets sortant de l'ordinaire). En regardant le blog qu'il a tenu quotidiennement jusqu'à la fin de l'année dernière, je comprends mieux son enthousiasme pour le documentaire Vinyl du Canadien Alan Zweig, cousin du High Fidelity de Nick Hornsby, où des collectionneurs racontent leur addiction.
L'organisation poétique qui guide son travail se retrouve dans l'aspect obsessionnel de ses écrits, petits fascicules, tirés chaque fois à une centaine, qu'il illustre en général avec une photo trouvée aux Puces, évidemment différente pour chaque exemplaire. Le vernaculaire y croise le système des listes où l'ordre n'est qu'un cadre à l'imagination. Je reconnais cette méthode de création qui pallie mon amnésie ! Ainsi son Trombinoscope, sur le modèle du Je me souviens de Perec, évoque le souvenir déterminant relié à chaque personne qu'il a croisée. La saveur de ces réminiscences, sortes d'aide-mémoire ciblés, tient dans la variété de l'accumulation et dans l'humour que génère sa franchise. Un second petit livre, 42+1, égrène chacune des années de sa vie, autres éléments déterminants depuis la plus tendre enfance jusqu'à son dernier anniversaire. Là aussi, la drôlerie des situations rivalise avec la réussite des évocations en quelques mots. J'ignore si ces ouvrages sont trouvables autrement qu'en rencontrant leur auteur, mais ils mériteraient une publication beaucoup plus large. Philippe Dumez tient un journal intime par mailing-list, récit de sa semaine passée, qu'il envoie tous les lundis à une petite centaine de destinataires dont je ne fais hélas pas partie !

vendredi 10 juillet 2015

La musique s'expose aux Rencontres d'Arles


La mode est aux disques vinyles même si cela reste un marché de niches. Les collectionneurs d'albums 30 cm peuvent sortir leurs trésors comme le fit Guy Schraenen il y a cinq ans à La Maison Rouge. J'eus la joie et le privilège d'y jouer avec le violoncelliste Vincent Segal, visite guidée filmée par Françoise Romand. Un magasin de disques comme Le Souffle Continu à Paris fait 80% de son chiffre d'affaires avec les vinyles et celui de La Source ne vend que cela. Pour ma part j'ai conservé tous mes disques noirs, même si j'achète des CD depuis déjà 30 ans ! Passé la polémique sur les qualités de tel ou tel support ou sur la perte encyclopédique des jeunes adeptes du flux mp3, la surface de 30 centimètres sur 30 fut un lieu expérimental et hautement créatif pour quantité de graphistes.


Aux Rencontres d'Arles deux expositions sont consacrées aux pochettes de disques ornées de photographies. La première et la plus importante, Total Records, est proposée par Antoine de Beaupré, Serge Vincendet et Sam Stourdzé avec la complicité de Jacques Denis. J'ignore si leur pari de représenter l'histoire de la photographie au travers du parcours qui s'étale sur deux niveaux est totalement gagné, mais le choix distille un plaisir sans mélange aux amateurs en tous genres grâce à la variété des styles et des techniques dont se sont emparés les photographes. Le magnifique catalogue de 450 pages rend également merveilleusement l'histoire et la géographie de nos amours musicaux. Voir les agrandissements des couvertures Blue Note par Francis Wolff, découvrir des pochettes signées Michael Snow, Jean-Paul Goude, Jean-Baptiste Mondino, Andy Warhol, David Bailey, Lucien Clergue, Lee Friedlander, retrouver les partis-pris de certains labels, exhume quantité de madeleines encore chaudes. L'accrochage fourmille de clins d'œil vus au travers de l'objectif. (N.B. : la vidéo projetée dans l'expo et reproduite ci-dessus est Mayokero de Roy Kafri, clip réalisé par Vania Heymann)
The LP Company, les trésors cachés de la musique underground est une exposition plus conceptuelle de Laurent Schlittler et Patrick Claudel. Si j'ai bien compris, Laurent et Patrick, leurs initiales formant LP comme Long Play (terme anglais désignant les 33 tours 30 cm), s'appuient sur leur collection de disques méconnus pour composer textes, disques et performances, en une sorte de discographie imaginaire.


MMM est la troisième exposition "musicale", coup médiatique conçu par le chanteur Matthieu Chedid et Martin Parr. Telle série de photos de l'un inspire un instrument à l'autre. À l'Église des Frères-Prêcheurs, chaque évocation est circonscrite à une alcôve et l'ensemble constitue un seul morceau grâce aux ressources du multipistes et de la diffusion spatialisée. Si l'enjeu de l'orchestre est l'unité, les collections de Parr sont évidemment disparates. L'instrumental de Chedid sonnant très new age, il est difficile d'en comprendre le lien avec les thèmes photographiques. La signalétique dessinée à la main avec le nom des instruments ne permet pas plus d'en saisir la finalité autrement qu'un habillage agréable, comme le jeu de mots/initiales du titre.
Mardi soir, lors de la soirée consacrée au duo dans un Théâtre Antique bondé, la première partie commentée par Martin Parr présentait son parcours de photographe avec un humour anglais manquant à la seconde lorsque Matthieu Chedid improvisa un rock musclé sur les photos projetées sur écran géant. Là encore, si n'importe quelle musique fonctionne avec toutes les images, le sens diffère selon les choix et son absence la relègue au papier peint. Le public était néanmoins ravi, le chanteur terminant en récital, invitant ses fans à monter sur scène...

Total Records, catalogue, Ed. 2-13, 45 €

mardi 23 juin 2015

Trop loin, trop proche


Pas la moindre idée de vacances. Cela me semble très loin. Changer d'air est pourtant nécessaire à la réinitialisation de mon système interne. De son côté, Françoise part quelques jours à La Ciotat où seront projetés jeudi et samedi ses deux longs métrages de fiction, la comédie Vice Vertu et Vice Versa et le polar Passé Composé, première partie de sa rétrospective qui se tiendra dans le plus vieux cinéma du monde, le mythique Eden des Frères Lumière. Son opération à l'œil gauche lui interdit de prendre l'avion ou d'aller à la montagne pour l'instant. Nous déciderons donc plus tard si et où nous bougeons pendant l'été...
Je travaille d'arrache-pied sur plusieurs projets dont certains doivent être bouclés avant mon départ pour Arles où j'accompagne le Prix Découverte le 8 juillet. Sous le grand écran du Théâtre Antique je jonglerai avec les sons sur mon clavier, ajoutant la trompette à anche, l'harmonica et un peu de percussion à mon incroyable panoplie.
Entre temps je sonorise un jeu de donjons et dragons avec des pions sur iPad selon le modèle de Spellshot et je termine le design sonore du Monde de Yo-Ho des Éditions Volumiques. La même fine équipe est également susceptible de terminer le jeu de la Famille Fantôme pour lequel Sacha Gattino et moi avons livré la musique il y a trois ans ! Tous les deux ayant récemment gagné l'appel d'offre de l'exposition Darwin qui se tiendra à l'automne à la Cité des Sciences et de l'Industrie, nous démarrons la production de la dizaine d'attractions que nous devons sonorisées. Au jour le jour je choisis aussi des musiques pour certaines projections des Rencontres d'Arles, et cet été l'étude du métro du Grand Paris sera enfin bouclée.
Beaucoup de travail, et pourtant j'ignore totalement quoi fabriquer à la rentrée. Aucun projet personnel d'envergure n'est encore défini. C'est à cela que servent les vacances. Prendre le recul nécessaire pour sortir des habitudes qui vous plaquent le nez contre la vitre.

lundi 22 juin 2015

Lettre ouverte au Maire de Bagnolet au sujet des Baras


Il est important d'agir avant l'été, période propice aux expulsions quand nombreux riverains solidaires sont en vacances ! L'année dernière c'est justement début août que les Baras avaient été chassés. Ils avaient trouvé refuge in extremis dans l'ancien local vide de Pôle-Emploi à Bagnolet...

Monsieur le Maire de Bagnolet,
Madame, Monsieur la Président(e) de groupe…
Comme vous le savez, un groupe de 160 personnes originaires d’Afrique occupent les anciens locaux de Pôle-Emploi. Tous doivent leur vie à leur départ précipité de Lybie où ils travaillaient et où la France avait engagé des hostilités pour lesquelles ils ne portaient aucune responsabilité. Les membres de ce collectif connu sous le nom des Baras ne sont pas des sans-papiers comme on a coutume de les qualifier. Ils ont des papiers de leurs pays respectifs ainsi que des papiers européens homologués en Italie qui ne sont hélas pas reconnus par notre pays, patrie des Droits de l’Homme !
L’an passé, ils ont été chassés de leur local précédent à la suite d’un incendie. Après une errance difficile ils ont abouti au 72 rue René Alazard à Bagnolet, propriété de Natixis, banque de financement, de gestion et de services financiers du groupe BPCE. La majorité municipale à la suite de cet événement avait pris des engagements. Depuis, ils ne cessent de venir au Conseil interpeller les élus de la majorité.
Il n’y a malheureusement rien de concret. Pire, la Mairie a signé un arrêt permettant à Véolia de leur couper l’eau, faisant peser un risque sanitaire grave aux occupants. Depuis peu, ce genre de manœuvre honteuse est heureusement devenue hors-la-loi.
La décision d’évacuation est aujourd’hui suspendue au dessus des têtes des 160 personnes résidant dans ces locaux.
Il est clair qu’une collectivité à elle seule ne peut résoudre toute les situations dramatiques. Mais elle se doit de montrer l’exemple et l’on voit dans plusieurs collectivités des initiatives positives permettant de régler ce genre de situations et démontrant qu’il est possible d’avoir d’autres choix que la répression et l’errance.
Il est indispensable que les membres du collectif des Baras obtiennent une domiciliation pour faire valoir leurs droits et permettre à terme le règlement de leurs situations administratives. Réaction totalement absurde de la part de la municipalité, cette domiciliation leur a été refusée encore récemment par le CCAS de notre ville. Sans cette domiciliation ils ne peuvent par exemple pas avoir de compte bancaire. Ce serait un pas vers une régularisation de leur statut. Sans, ils sont une main d’œuvre corvéable et exploitable à merci, favorisant le travail au noir qui profite essentiellement à des employeurs sans scrupules qui les rétribuent en dessous du SMIC et sans payer les charges sociales. Les Baras, terme qui signifie travailleur en langue bambara, sont avant tout des travailleurs.
Nous demandons donc aujourd’hui que tous ces travailleurs, dont le comportement civil est exemplaire dans le quartier, soient régularisés par la Préfecture et que la municipalité intervienne en ce sens par tous les moyens possibles. En attendant, et ce serait le début d’une solution nécessaire, nous demandons que la municipalité leur accorde la domiciliation dont ils ont besoin, décision qui incombe exclusivement à la municipalité.
Après un an d’engagements non tenus et de refus incompréhensibles, nous demandons à la municipalité des actes et que ceux-ci aillent dans le sens d’une reconnaissance indispensable qui mettent fin à une situation qui déshonore la République.

Les représentants du Collectif Citoyen de Bagnolet
Christophe Biet, Jean-Jacques Birgé, Pascal Delmont, Céline Gayon, André Maudet, Youenn Plouhinec, Françoise Romand…

P.S. : Réponse du Maire le 17 juin - "Cher Monsieur, Je prends connaissance de votre courrier auquel je vais répondre de manière précise et circonstanciée. Celui-ci contient en effet un certain nombre d'erreurs voire des passages totalement mensongers. Recevez mes salutations les meilleures. Tony Di Martino, Maire de Bagnolet."

vendredi 12 juin 2015

Décollement de la rétine


Commençons par les bonnes nouvelles ! Françoise se remet doucement, mais sûrement, de l'opération après son décollement de la rétine. C'est arrivé après des années d'embêtements suite à des négligences avec ses lentilles de contact, quantité de cicatrisations au laser et deux implants pour ses cataractes. Les céphalées auraient dû la pousser à aller plus tôt consulter, mais elle a attendu de ne plus voir que la moitié de l'image de l'œil gauche pour foncer aux urgences de la Fondation Rothschild, service public impeccable, équipe chirurgicale irréprochable du Dr Le Mer. Il avait même eu la curiosité d'aller voir son site romand.org. C'est au réveil que les choses se sont corsées...
Contrairement au reste de l'équipe, une caricature d'infirmière désagréable vire Françoise de son lit dès son réveil de l'anesthésie locale. Mais une douleur pharamineuse la pousse à nouveau vers les urgences deux jours plus tard, cette fois ambulance et brancard. Heureusement la dernière visite est rassurante, l'œil est stabilisé, même si une bulle de gaz a glissé sur la rétine. Interdiction de prendre l'avion ou d'aller en montagne. Sur son bracelet est écrit : "Risque de cécité, patient porteur de gaz ophtalmique, etc." Mais ce n'est pas tout...
Revenons en arrière. Au moment de se faire opérer, la carte vitale semble périmée et l'administration annonce qu'elle doit donc surseoir à l'opération. Françoise n'a jamais reçu d'avis de fin de prise en charge de la Sécurité Sociale. Une solution est trouvée avec un chèque de caution de 888,44 € que j'apporte à sa sortie. J'appelle la Sécu qui me confirme la non couverture depuis le 31 décembre dernier. J'inscris donc ma compagne sur ma carte illico, la prise en charge devant être rétroactive. Quelle angoisse pour les personnes qui ne sont plus prises en charge ! En gros, elles peuvent crever, même s'il existe la CMU, cela ne règle pas les questions d'urgence !


Avec tout cela Françoise rate le festival des Bobines Rebelles, en Limousin, dont son film Appelez-moi Madame a fait l'ouverture ce soir sous l'égide de Federico Rossin au Magasin Général de Tarnac !

mardi 10 mars 2015

Françoise


Voilà plus de treize ans que nous vivons ensemble pour mon plus grand bonheur. Notre rencontre représente ma quatrième naissance après ma venue au monde, mai 68 et le siège de Sarajevo. Je n'avais jamais vécu telle complicité, confiance réciproque qui nous fait grandir à en toucher le plafond. Nos araignées qui y ont pris leurs quartiers chantent et dansent jour et nuit. Nous avons appris à trier nos petits grains de l'ivraie, et cela ne se fait jamais sans mal. Tu es à l'image de tes films, pleine de fantaisie et d'invention. Tu es aussi à l'image du travail qu'ils te donnent pour correspondre à tes désirs, remettant sans cesse l'ouvrage sur le métier, repoussant l'échéance tant que tu n'es pas satisfaite. J'admire ton infatigable engagement politique qui se manifeste au quotidien, compassion pour les personnages de tes documentaires et de tes fictions, soutien des plus fragiles et utopies insatiables pour lesquelles tu te bats comme une diablesse. J'adore ton petit minois rieur et la douceur de ta peau. Joyeux anniversaire, mon amour !

Photo de Françoise Romand par Steve Ujlaki, Los Angeles, 2014

vendredi 6 mars 2015

Carnage, Un d.m.i. 2014


Après Trop d'adrénaline nuit, Rideau !, À travail égal salaire égal, nous avons improvisé des évocations d'autres albums d'Un Drame Musical Instantané. Hélène Sage a chanté L'invitation au voyage (Baudelaire-Duparc, 1857) que Bernard interprétait sur Les bons contes font les bons amis, Le roi de Thulé (Barbier-Gounod, 1859) et Carton (Birgé-Vitet, 1997). La violoncelliste Hélène Bass a ouvert L'homme à la caméra et avec Francis Gorgé et Hélène Sage aux freins (contrebasses à tension variable) ils ont formé un trio à cordes en référence à l'album Qui vive ? dont je diffusai une radiophonie. Au tour du percussionniste Francisco Cossavella d'attaquer Urgent Meeting. Sans oublier Carnage où l'on retrouve le saxophoniste Antonin-Tri Hoang, toujours à propos, qu'il mélodise, rythme ou sorte des sons inouïs de ses instruments :


Nous avons terminé par Opération Blow Up en rappel, onzième vidéo de ce concert unique au Théâtre Berthelot à Montreuil le 12 décembre 2014. Les liens dirigent vers chacune des captations vidéo dont les caméras étaient tenues par Alain Longuet, Françoise Romand et Armagan Uslu.

Photo N&B : Christian Taillemite (Citizen Jazz)

lundi 16 février 2015

Trop d'adrénaline nuit


Résurrection inattendue d'Un drame musical instantané. Après 32 ans j'avais dissous le groupe faute de combattants. Francis Gorgé l'avait quitté en 1992, Bernard Vitet avait cessé de souffler en 2004, ses dernières compositions datant de 2007. Seul rescapé de notre collectif, j'avais finalement décidé de me produire sous mon nom en 2008. À la mort de Bernard en 2013, chacun avait joué avec son groupe tandis que Hélène Sage était bloquée à Toulouse, aussi avions-nous décidé de remonter le Drame pour un soir lorsque l'occasion se présenterait. L'invitation de Patrice Caillet à la Semaine du Bizarre tomba à propos. Pour ce concert exceptionnel nous étions accompagnés du saxophoniste-clarinettiste Antonin-Tri Hoang, du percussionniste Francisco Cossavella et de la violoncelliste Hélène Bass. Je n'avais pas joué avec Francis depuis son départ, avec la grande Hélène depuis 1997, avec la petite Hélène depuis 1983 et le jeune argentin remplaçant au pied levé Edward Perraud, souffrant, n'a même pas eu le temps de faire une balance ! Le seul avec qui je joue régulièrement est Antonin. L'aventure était risquée, car si le spectacle suivait la chronologie discographique du groupe tous les morceaux, hormis les chansons préparées par Hélène Sage et Francis, étaient improvisés. Entre chacun j'illustrai notre histoire de petites anecdotes amusantes. Avec le recul même les drames nous font rire.


C'est dans ce même Théâtre Berthelot à Montreuil que nous avons joué maints ciné-concerts dans les années 70 et créé le grand orchestre du Drame en 1981. Alain Longuet, Françoise Romand, Armagan Uslu ont filmé depuis la salle avec leurs petites caméras, me permettant de monter des séquences pour une fois dans leur intégralité. Mieux que l'audio seule, la vidéo aide à percevoir les mouvements musicaux. Il est néanmoins préférable de brancher le son sur des enceintes plutôt que de se contenter des enceintes criardes de l'ordinateur.

mercredi 28 janvier 2015

Birgé Hoang Fantazio filmés à La Java


Comme je cherchais une idée appropriée à l'hommage que nous désirions rendre à Jacques Thollot, Jean Rochard me rappelle que Jacques adorait Henri Michaux. Il en avait même tiré le titre de son fabuleux disque Quand le son devient aigu, jeter la girafe à la mer ! Me voilà aussitôt en quête d'un comédien capable de dire ses poèmes accompagné par des musiciens, et que l'ensemble fasse corps. Qui de plus fou et de plus sensé que Fantazio pour relever le défi ? J'en parle à Antonin-Tri Hoang qui arrive à la maison avec une dizaine d'ouvrages de l'écrivain. Ailleurs, Face aux verrous, La vie dans les plis me sourient. Les textes courts se prêtant mieux à l'exercice, nous choisissons ce dernier recueil avec Fantazio qui rapplique aussitôt comme il habite deux rues plus haut. Pas le temps de fixer les choses, les uns et les autres sommes accaparés par les fêtes de fin d'année et les obligations familiales. Nous nous retrouvons donc le 4 janvier 2015 à La Java pour participer à une magnifique soirée au cours de laquelle une trentaine de musiciens dédieront leur prestation à l'extraordinaire batteur-compositeur disparu récemment.
Fantazio ouvre le bal en égrainant un B.O.N.S.O.I.R. de circonstance, enchaîne rapidement avec la mitrailleuse à gifles et nous voilà partis, sans n'avoir rien préparé qu'une lecture assidue du génial poète. J'attaque au piano préparé, Antonin à l'alto, Fantazio passant des alexandrins dont il a le secret au texte de La vie dans les plis. Pour les instrumentaux il fait subir à sa contrebasse les outrages dont elle a l'habitude. Une chose est certaine : nous nous amusons comme des petits fous.


Grenouilles, piano-jouet, percussions électros dessinent ma palette. Les Meidosems donnent à Fantazio le terreau dont il a besoin. Je dois moi-même à Henri Michaux mon apprentissage de la douleur, ou plutôt son apprivoisement, grâce au Bras cassé que Jean-André Fieschi me donna à lire lorsque j'avais vingt ans et un panaris ! L'exergue que je rabâche depuis en est issu : "Nous ne sommes pas un siècle à paradis, mais un siècle à savoir". Cette phrase m'a probablement sauvé la vie plus d'une fois. Il ne me restait plus qu'à monter la scène filmée par Françoise Romand depuis jardin... Et le tour est joué.

lundi 26 janvier 2015

Birgé Collignon Desprez (10/10) - À fond !


Pour le rappel notre dernière carte nous suggérait de demander un conseil. Dans le public le réalisateur Jean-Denis Bonan hurla "Allez-y à fond !" Nous ne nous sommes pas faits prier. J'envoyai l'artillerie lourde. Médéric Collignon attrapa son cornet. Julien Desprez fit un dernier baroud d'honneur.


Médéric fit un dernier solo vocal d'une étonnante virtuosité comme je battais les cartes de mon synthétiseur et que Julien grattait, pincait, frappait pour un ultime solo soutenu par le tambourin de Médéric.


Il ne nous restait plus qu'à saluer, remercier l'équipe du Triton pour le son et lumière, Françoise Romand pour sa captation vidéo, et d'espérer recommencer l'expérience un de ces jours ailleurs. Nous sautions de joie comme des garnements qui s'étaient bien amusés, car rien de tout cela n'avait été prévu, répété ou structuré. Seules les cartes du jeu nous guidaient, tirées au hasard par le public. Nous n'avions jamais joué ensemble. La prochaine fois il nous faudra donc inventer des situations nouvelles pour nous surprendre les uns les autres, et étonner le public qui participe chaque fois à cette drôle d'aventure.

P.S. : SPÉCIALE DÉDICACE À SYRIZA

mardi 20 janvier 2015

Ella & Pitr à Paris jusqu'au 14 février


Les Papiers Peintres Ella & Pitr réussissent leur nouveau passage en galerie en se jouant des contraintes de la rue du Faubourg Saint-Honoré comme ils ont su le faire en épousant les anfractuosités des murs de la ville lorsqu'ils collent leurs affiches tendres, drôles ou impertinentes. La toile vendue à un collectionneur est un support anecdotiquement plus pérenne que le papier livré aux intempéries de la météo. Ils ont cette fois choisi la feuille d'or pour rehausser leurs fantaisies graphiques, luxe qu'ils ne peuvent se permettre en ville, mais aussi clin d'œil critique envers leur clientèle huppée. Ils ont choisi de tasser leurs portraits animaliers ou enfantins dans les rectangles que les cadres leur imposent. Leurs sujets émettent des sons que l'on ne peut que rêver.


La Galerie Le Feuvre expose donc See You Soon Like The Moon jusqu'au 15 février, 164 rue du Faubourg Saint-Honoré. De l'autre côté de la vitrine des policiers gardent je ne sais quel bâtiment (c'est à deux pas du Palais de l'Élysée !) tandis qu'à l'intérieur, Ella & Pitr ont peint un monstre qui saisit les pandores pour les dévorer. Au sous-sol on marche sur des pierres de lune. Partout les rêves d'enfants envahissent le monde des adultes.


On s'impatiente de la sortie du film Baiser d'encre, une fantaisie documentaire réalisée par Françoise Romand, pour découvrir l'envers du décor. Or ce conte moral révèle le va-et-vient entre le quotidien familial de ces jeunes artistes et leurs élucubrations tantôt projetées gracieusement sur les murs des villes du monde, tantôt s'adaptant aux lois du marché de l'art avec autant de facétie. Plus tard, pour sa publication en DVD, le film sera jumelé au carnet de croquis qui accompagne partout Ella & Pitr lors de leurs voyages interplanétaires. En attendant, la Galerie Le Feuvre a édité un nouveau catalogue, des centaines de photos sont accessibles sur Flickr, et si vous prenez de la hauteur peut-être découvrirez-vous les fresques monumentales qu'ils peignent sur les toits et qui sont visibles de la Lune !

jeudi 15 janvier 2015

Birgé Collignon Desprez (6/10) - Renversez


Médéric Collignon et moi avons la même idée. Elle nous est suggérée par notre instrumentation. La sixième carte tirée par le public indiquant Renversez, nous pensons illico à utiliser un effet qui diffuse notre voix à l'envers lorsque nous parlons en direct. Mais très vite Médéric et Julien Desprez rythment notre improvisation, l'un devenu Human Beat Box, l'autre frappant les cordes de la guitare avec un archet. L'énumération des chiffres dont l'ordre restera mystérieux nous fait glisser dans le cosmos. Je joue d'abord d'échantillons de cloches de verre excitées par un archet, puis d'un chaos que les pédales de mon synthétiseur me permettent de zapper allègrement.
Cette version du spectacle Un coup de dés jamais n'abolira le hasard a été enregistrée live au Triton, Les Lilas, le 28 novembre 2014, filmée par Françoise Romand, montée et mixée par mes soins. Le public tirait le thème de chaque pièce dans le jeu de cartes Oblique Strategies conçu par Brian Eno et Peter Schmidt.

mercredi 7 janvier 2015

Birgé Collignon Desprez (1/10) - Accrochez-vous à un espace sécurisant


Premier épisode d'un feuilleton musical basé sur le jeu imaginé par Brian Eno et Peter Schmidt, Accrochez-vous à un espace sécurisant (Define an area as 'safe' and use it as an anchor)) est la première carte tirée par une spectatrice. Julien Desprez commence par chatouiller sa guitare, j'enchaîne avec un programme de piano préparé et Médéric Collignon pose son cornet à dés sur la corde à linge tendue entre cour et jardin.
L'album complet de Un coup de dés jamais n'abolira le hasard est en écoute et téléchargement gratuits sur le site drame.org comme les 117 autres heures qui y sont diffusées par sa radio aléatoire, également accessibles album par album sous l'onglet mp3 gratuits. La vidéo se prête particulièrement bien à ce spectacle enregistré en public au Triton le 28 novembre 2014, filmé par Françoise Romand, monté et mixé par mes soins.

mercredi 19 novembre 2014

Cutie and The Boxer


Après une projection devant les étudiants de Harvard de Baiser d'encre, le nouveau film de Françoise Romand, le festival Tribeca évoque un cousinage avec celui de Zachary Heinzerling consacré aux peintres Ushio Shinohara et sa femme Noriko Shinohara qui vivent à Brooklyn. La caméra suit trop près les deux protagonistes sans laisser d'air, mais Cutie and the Boxer sont aussi attachants que la famille d'Ella et Pitr. Au jeune couple d'artistes et leurs deux enfants répond celui âgé des deux Japonais (coïncidence des origines nippones de Loïc dans le film de Romand). Laissons de côté la fantaisie partagée de ces vies d'artistes et apprécions l'insatiable espièglerie de Cutie (Noriko) et Bullie (Ushio) qui continuent à tirer le diable par la queue.


Ushio, 82 ans, a beau être reconnu, il ne vend pas assez. Considéré comme un néo-dadaïste, influencé par le photographe Shōmei Tōmatsu, par les comics et le jazz, il réalise de grandes toiles en dansant avec des gants de boxe enduits de peinture. Noriko, son épouse, 61 ans, dessine leur quotidien new-yorkais avec beaucoup d'auto-dérision. Animés, ses croquis donnent au film son côté arty. Critique, elle se moque de son mari, alcoolique macho qui la considère trop souvent comme son assistante. Leur grand fils qui vit toujours avec eux peint également, mais l'univers familial semble avoir pesé lourdement sur lui. Face à leurs difficultés financières et à leur indéniable authenticité se révèlent le monde de la peinture, sa hiérarchie sexiste, sa superficialité mondaine, sa brutalité sociale. Qu'importe ! Passé les dures contraintes du quotidien dans leur maison louée qui prend l'eau, Cutie et The Boxer continuent de s'amuser comme des enfants, lui sculptant ses motos de rêve en carton, elle croquant sans pudeur leur intimité... Les images d'archives contribuent à plonger leur travail dans une perspective qui interroge la persévérance et la solidarité, qualités indispensables à la vie d'artiste.

mardi 14 octobre 2014

Sara Acremann, une fille


Sara Acremann est la fille génétique de mon meilleur ami. Devenue artiste plasticienne, elle est passée me voir pour que je lui parle de son père à qui elle ressemble physiquement, forme du visage, et des yeux pétillants de malice. Lui n'étant plus là, j'ai regardé à mon tour ce qu'elle fabrique...


Les films et les installations de Sara tournent autour de la famille. Sa mère, sa grand-mère, son beau-père sont les acteurs de ses plans fixes où la fiction envahit le réel au travers des persiennes. Les cadres sont soignés, hors-champ, jeux de miroirs, au propre comme au figuré. Duras, Romand et Resnais sont passés par là. Si le passé reste énigmatique l'avenir préoccupe ses personnages. Comment l'appréhender dans la vieillesse ? Dans Les Varennes de Loire la grand-mère déraille avec humour. Le couple des parents cherchent les questions lorsqu'ils n'ont plus de réponse. Est-ce que l'herbe pousse encore ? conjugue celle du temps au présent comme si nous vivions dans plusieurs, comme s'il n'y aurait plus d'âge, comme si le château de Neublans se refermait à jamais sur ses habitants...


Plus de cadre, l'installation sonore est un simple hors-champ où le montage ne s'entend pas. Le récit se fabrique comme la mémoire, volatile, sans cesse recomposé. Pékin Deuxième Périphérique est une série de photographies où les passants s'affichent devant les grands formats collés dans la rue (photo en haut). Chine que Sara arpente à l'heure actuelle. Conflits confond encore une fois le réel et sa transformation fictionnelle, ici des maquettes s'inspirant de photos de conflits contemporains. Dans la vidéo Est-ce que je serai heureuse ? la même dialectique s'installe entre l'astrologue chinois, Sara et l'amie qui traduit en français. L'artiste construit un labyrinthe où finiront peut-être par communiquer les impasses, impossibilité d'un dialogue qu'elle s'approprie sans cesse. Trame sans drame montre encore comment tout exprimer dans la pudeur... Ce qui ne peut être dit, su ou vécu, qui pourrait être deviné, constitue le terreau de la création artistique. Ce n'est qu'avec le temps que les lignes de force deviennent visibles. On finit parfois par se reconnaître, instant fugace où le miroir renvoie l'image que l'on se fait de soi-même ou celle de ceux qui nous ont rêvé et engendré.

vendredi 11 juillet 2014

Willocq, Lacroix, Rouvre et l'appareil-photo


À Arles tout le monde semble porter un appareil-photo autour du cou. En leur absence un smartphone fait l'affaire. Je n'échappe pas à la règle pour illustrer mes articles et j'épingle Françoise devant un grand tirage de Patrick Willocq.
Au début des années 70, comme Captain Beefheart et son Magic Band arrivent à Orly sans passeports les douaniers les interrogent. "Nous sommes des pèlerins arrivés du XXIe siècle", répond Don Van Vliet. Le pandore pointe l'appareil-photo que porte autour du cou l'un des musiciens : "Ah oui ! Et ça, qu'est-ce que c'est ?". Et l'Américain de répondre que "ça, c'est un membre du groupe". Ils seront refoulés vers Londres d'où ils arrivent.
Retour à d'autres histoires, d'autres aventures. Dans les anciens ateliers de la SNCF, qui abritent entre autres les lauréats du Prix Découverte, Willocq revient au Congo où il a passé son enfance pour mettre en scène des tableaux vivants inspirés des rites pygmées Ekonda. L'intimité des femmes Walé lors de la naissance de leur premier enfant se retrouve transposer en images de bande dessinée, délicieusement impertinentes...


Pendant que nous visitons l'exposition Christian Lacroix sur l'Arlésienne une équipe de télévision s'apprête à interviewer le couturier. À peine une minute après le début de l'entretien, Lacroix, énervé, quitte le tournage. Le réalisateur ébahi nous explique qu'il a pourtant posé une question simple. Comme je lui demande laquelle, il m'explique qu'il lui a seulement demandé de parler de son exposition, sans se rendre compte de l'insulte que représente son ignorance. Les fantômes qui hantent la chapelle de la Charité devaient être outrés de tant d'insouciance et les Arlésiennes de disparaître plus vite que la légende. Dans ces cas-là Orson Welles avait coutume de partir d'un féroce éclat de rire : "Vous n'avez pas une plus petite question ?"


Juste au-dessus, dans l'église Saint-Blaise, Denis Rouvre interroge des Français et des Françaises d'origines extrêmement différentes sur leur identité nationale. Aucun d'entre nous n'échappe à cette perspective. "Qu'est-ce qu'être Français ?" La galerie de portraits éclairés qui se succèdent dans le noir dresse un plan philosophique de notre pays cosmopolite. Chaque réponse fait sens, transformant la brutalité de l'histoire en magnifique carte du tendre. Les voix font vivre les corps au delà de l'écran dont les bords se fondent avec l'obscurité. Lumineux.

mercredi 2 juillet 2014

Cap vers le sud


Jonathan Buchsbaum ayant terminé son livre sur l'exception culturelle française après douze ans de labeur et autant de visites aux archives du CNC, le voilà à Paris les mains dans les poches. Ou presque. Difficile de s'arrêter quand le monde est en marche. Il souhaite prouver aux Américains qu'un autre système que le "leurre" est possible ! Nous lui laissons les clefs et filons vers le sud avec armes et bagages.
Première étape Saint-Étienne avant de rejoindre Arles où je dois installer 15 haut-parleurs pour ma création sonore à l'Église des Frères Prêcheurs où se tiendra l'exposition sur les monuments aux morts sous le parrainage de Raymond Depardon. Je m'attèlerai ensuite à la direction artistique des Soirées au Théâtre Antique où Michèle Buirette et Edward Perraud joueront live le mercredi 9...
Françoise redevenue momentanément ciotadène me rejoindra pour l'inauguration si les intermittents ne la mangent pas. Ils auraient pourtant d'excellentes raisons d'agir d'une façon ou d'une autre !

vendredi 2 mai 2014

Le rêve d'Armagan


Après le cauchemar d'Edward Perraud intitulé L'Afrique fantôme, voici le rêve d'une spectatrice, Armagan Uslu est une vidéaste turque vivant à Paris, qui a accepté l'invitation lancée au public de venir raconter le sien sur la scène de La Java avant que nous l'interprétions tous ensemble (5'47). Quelle ne fut pas notre surprise lorsque Alexandra Grimal s'en inspira pour improviser une petite histoire avant de reprendre son saxophone ! Comme tous les rêves et cauchemars filmés ce 14 avril par Françoise Romand les séquences vidéographiques que j'ai montées ne représentent pas l'intégralité des rêves tels que nous les avons joués en direct, mais sont de simples témoignages de la naissance d'un nouveau groupe !


Jean-Jacques BIRGÉ - clavier, Tenori-on
Alexandra GRIMAL - voix, sax ténor
Antonin-Tri HOANG - sax alto
Fanny LASFARGUES - basse électro-acoustique
Edward PERRAUD - batterie

mardi 29 avril 2014

Tel père, tel fils ?


Depuis le succès de Mix-Up ou Méli-Mélo (1985) de Françoise Romand qui précéda La vie est un long fleuve tranquille d'Étienne Chatilliez de trois ans j'exerce une attention particulière pour les films traitant d'un échange de bébés à la naissance. Ici aussi les deux familles mises en scène par Hirokazu Kore-eda dans Tel père, tel fils sont de milieux sociaux radicalement différents, fondement essentiel de chaque scénario. La terrible réalité de ce qui paraissait impensable nous oblige d'une part à imaginer nos propres réactions face à l'annonce de l'échange, d'autre part à exciter notre curiosité envers celles des protagonistes, qu'ils soient réels ou fictionnels.
Nous nous serions bien passé du piano lénifiant, catastrophique leitmotiv, scorie discréditant tant de films contemporains, mais heureusement ailleurs l'absence d'ambiance parasite qui accompagne de nombreuses scènes renvoie à la solitude du père interprété par le chanteur populaire Masaharu Fukuyama, sorte de monstre égoïste représentatif de la société machiste japonaise. Même si les mères finissent par s'exprimer il s'agit avant tout d'un film d'hommes, contrairement à Mix-Up où s'élabore le point de vue des femmes. La question de la reconnaissance nous est toujours moins évidente que pour celles qui ont porté l'enfant dans leur ventre. Le jeu des comédiens tout en retenue nous permet de participer intellectuellement et émotionnellement à l'action. Le réalisateur décrit une filiation qui va évidemment chercher son origine dans le passé : tel père, tel fils ! Être parent exacerbe les contradictions en faisant remonter ce que nous avons subi dans notre enfance. La loi du sang s'oppose à l'éducation et à la culture, et l'identification fait s'entrechoquer le désir des parents, origine de toutes les névroses, et la révolte indispensable des enfants. Dans le film, s'ils n'ont que six ans, les deux petits garçons, plus réservés que ceux qu'avait dirigé Hirokazu Kore-eda dans Nobody Knows, n'en sont pas moins conscients de ce qui se trame en secret. Comme dans Mix-Up la brutalité de la révélation et de ce qu'elle génère chez les parents met en évidence la manière dont chaque classe sociale considère sa progéniture. En interrogeant les motivations fondamentales qui nous poussent à vivre ou à le croire, Tel père, tel fils démasque l'absurdité du pouvoir et nous renvoie une image tendre et optimiste de la famille. (DVD Wild Side)

lundi 28 avril 2014

L'Afrique fantôme


Pour celles et ceux pour qui les mots ne suffisent pas, voici une petite séquence vidéographique de notre concert dans le cadre de Jazz à La Java le 14 avril dernier, filmée par Françoise Romand et montée par mes soins. En introduction Edward raconte son cauchemar (6'56)...


Jean-Jacques BIRGÉ - clavier, voix, Tenori-on, trompette
Alexandra GRIMAL - sax ténor et soprano
Antonin-Tri HOANG - clarinette, sax alto, clarinette basse
Fanny LASFARGUES - basse électro-acoustique
Edward PERRAUD - batterie, électronique

mercredi 23 avril 2014

Les bestioles d'Atacama


Françoise m'a demandé de sonoriser trois petites séquences animalières qu'elle a tournées au début du mois à San Pedro dans le désert d'Atacama au Chili. Pas question d'illustrer platement les flamants roses. Quitte à rajouter une musique, autant qu'elle apporte du sens ! Toute référence à l'éléphant de Slon Tango était vouée à l'échec, le fabuleux court métrage de Chris Marker reposant sur le long plan séquence d'un animal dressé dont la mémoire chorégraphique exprime probablement le stress. J'ai bien essayé. Aucune danse ne collait au jeu de jambes des échassiers. Les illusionnistes savent que l'on ne recommence jamais deux fois le même tour. Il fallait mieux chercher quelque chose d'exogène, rencontre du troisième type, comme si les animaux venaient de la planète Mars. C'est d'ailleurs ici que la NASA teste ses véhicules extraterrestres.


Gloria des Them tournait sur la platine à l'étage du dessous. Nous aurions pu être tentés par du rock, mais j'ai collé un duo improvisé avec Hélène Sage en 1981. L'archet de sa contrebasse se fond à mon dispositif électro-acoustique comme une partie de ping-pong. Les évènements disparates participent au synchronisme accidentel en faisant ressortir quantité de détails discrets comme ces étranges petits reptiles qui se faufilent sur le salar, l'un des plus grands gisements de lithium du monde. La bluette des flamants devient une scène inquiétante où le danger est suggéré par le traitement dramatique de la partition sonore. Sur la fin, en observant la courte phrase mélodique d'un grand ensemble j'ai pensé au projet inabouti de Buñuel de placer un orchestre symphonique aux fenêtres d'un immeuble en construction dans Los Olvidados.


La séquence des becs, est plus mignonne. Je me suis contenté de traiter le son synchrone avec le H3000. Les percussions, étirées, deviennent une sorte de chœur à la seconde entrée de champ des moineaux, mais surtout, à la fin, les piaillements et les coups de becs des pique-assiettes de plus en plus synthétiques rappellent avec humour un caquetage humain. Picos et Atacama font écho à Portée, un autre film de Françoise avec des petits oiseaux sur des fils téléphoniques. Pour la troisième séquence intitulée Salar, qui tient plus des souvenirs de vacances, j'ai ajouté au son direct une version instrumentale de la chanson La peste et le choléra écrite avec Bernard Vitet en 1992 pour l'album Carton, rien de très original, juste une couleur sud-américaine... Trois manières de traiter le réel pour se rapprocher de la fiction : en prenant un contrepied radical, en soulignant une allusion, en collant du papier peint...

jeudi 3 avril 2014

Magnitude 7.4


Depuis Santiago du Chili Françoise m'envoie quelques notes sur les films qu'elle a vus au festival auquel participait Baiser d'encre, son dernier long métrage (gros succès, mais ça c'est une autre histoire). Je me mets aussitôt en quête et projette Gabrielle, le nouveau film de Louise Archambault. C'est en effet un beau film. Une chorale constituée de handicapés mentaux répète en vue d'un concert où elle doit accompagner Robert Charlebois. La différence ou son absence est le sujet de ce tendre film québequois qui met en scène les émois de l'adolescence. La magie cinématographique doit beaucoup aux acteurs dont on ne sait s'ils sont sortis d'un documentaire ou entrés dans la fiction. Ce genre de film passe souvent inaperçu lors de l'exploitation en salles. Dommage ! La critique préfère nous bourrer le mou avec les attractions foraines et des histoires sordides. Heureusement des comédies comme Les Garçons et Guillaume, à table ! ou 9 mois ferme trouvent grâce aux yeux du public et de la profession. Succès mérité. Mais combien de petites merveilles passent à l'as faute d'un budget promo conséquent !?
Le festival est terminé. Sur la Cordillère des Andes les volcans crachent leur fumée noire. Françoise s'est envolée pour le désert d'Atacama où la nuit est si sombre que les astronomes y ont trouvé l'endroit idéal pour regarder les étoiles. Et puis mardi soir, pouf ! Tremblement de terre magnitude 7.4, épicentre à quatre heures de route de San Pedro. Il ne faudrait pas que ce soit plus fort. Pendant quelques minutes c'était très impressionnant. L'électricité est coupée. Dîner aux chandelles. Sans télé, sans musique. Enfin le silence !

vendredi 21 mars 2014

Remarques faites (ou subies) la tête en bas


Si le Festival Sidération organisé par le Centre National d'Études Spatiales commence aujourd'hui, dimanche sera pour moi une longue et passionnante journée. J'irai voter avant de rejoindre l'écrivain Pierre Senges qui racontera son vol parabolique à bord de l'Airbus Zéro-G lors de la troisième et dernière journée du festival. Nous y interpréterons ensemble Remarques faites (ou subies) la tête en bas. Clavier, Tenori-on, trompette à anche, flûte basse, bendir à billes seront mes instruments. En avant-goût voici quelques notes que l'écrivain rédigea après sa résidence en impesanteur :

« 1. L'impesanteur s'exerce de partout à la fois (pas seulement verticalement des pieds à la tête).
2. Le primo volant se concentre au moment de sa première fois au risque d'échapper à ses propres sensations.

3. En vol, il se demande s'il vaut mieux accorder la préséance aux sensations ou à la réflexion – cette question fait partie de la deuxième catégorie.
4. L'impesanteur ne ressemble pas à ce que l'on peut en dire : ça n'empêche personne de vouloir témoigner après coup de son expérience à ceux qui sont restés à terre.
5. L'impesanteur est une anomalie, mais comme elle advient, elle est envisageable, donc plausible : à l'émerveillement s'ajoute un étrange sentiment de normalité.
6. Il est surprenant de flotter – plus surprenant encore, trois secondes avant l'injection, de se savoir sur le point de flotter.
7. Devient-on dépendant à l'impesanteur ? Oui si on en juge par les débutants, non si on en juge par les vétérans.
8. Le livre intitulé Essais fragiles d'aplomb, qui a subi lui aussi la mise en scène de l'impesanteur au cours des trente et une paraboles, est un éloge de la chute des corps : à ce titre, il accueille avec enthousiasme la définition donnée au cours d'une conférence préparatoire : être en apesanteur = être en chute libre.
9. Si être en apesanteur c'est être en chute libre, est-ce que se mouvoir c'est être immobile ?
10. Il ne restait plus qu'une combinaison xl, trop grande pour moi : l'avantage est d'avoir déjà le sentiment de flotter dans mes vêtements. »

J'espère que Pierre Senges de retour de Montréal atterrira à l'heure, car nous jouons à 16h30, juste après Grand magasin, le Festival (CNES, 2 place Saint-Quentin 75001 Paris / Métro-RER : Châtelet-Les Halles, sortie Place Carrée - Porte Pont Neuf) se terminant à 18h. J'aurai juste le temps de rentrer pour savoir si la liste de Bagnolet Avenir 2014 a bien remporté le premier tour. Nous avons œuvré pour nous débarrasser du maire actuel qui est une catastrophe pour notre ville et nous souhaitons empêcher le Parti Socialiste de mettre la main sur une des dernières villes communistes de l'ancienne banlieue rouge ! Le soir-même Françoise s'envole pour le Chili où elle présentera son dernier film, Baiser d'encre, au Festival de Santiago avec ses deux héros, Ella et Pitr, miraculeusement en résidence là-bas pour trois mois.

jeudi 12 décembre 2013

Baiser d'encre, ça se fête


Succès unanime du nouveau film de Françoise Romand. C'est évidemment sans compter les spectateurs partis sans rien dire. Les deux séances successives au Triton mardi soir ont grandement rassuré la réalisatrice et ses deux acteurs, Ella & Pitr. Les nombreux compliments sur la musique m'ont évidemment beaucoup touché. Il est toujours plus facile de partager ses sentiments lorsque l'on est emballé que si l'on s'est ennuyé ! Les critiques circonstanciées laissaient supposer une sincérité partageuse. Lorsqu'il ne savait pas comment s'en sortir Coppola disait "You did it again!", traduisons "C'est bien toi !". Ève Risser m'envoie une photo de nous quatre sur la scène. Ella & Pitr se sont envolés cette nuit pour Hong Kong. Françoise dort. Ma grippe a repris de plus belle...


Baiser d'encre est certainement le plus joyeux de toute la filmographie de Françoise. Tendresse et fraîcheur suintent de tous ses pixels. J'ai parlé de conte moral. En le voyant on aurait envie de faire des enfants si ce n'était déjà fait ! Les impertinences y sont livrées pleines de nuances. Je savais tout cela, mais la projection HD dans la nouvelle salle du Triton a fait exploser les couleurs et souligner le mixage. Il aura fallu à Françoise trois ans de travail pour en arriver là. Ce n'est plus qu'une question d'export pour obtenir une copie 0 conforme. Cela ne semble pas évident avec FinalCut.


Les prochaines séances auront lieu le mardi 17 décembre à 20h au cinéma Le Méliès de Saint-Étienne (également jeudi 19 décembre à sa Cinémathèque, Mix-Up ou Méli-Mélo à 18h dans une superbe copie remasterisée, rencontre avec la réalisatrice à 19h, Appelez-moi Madame à 20h) et le 22 janvier à 20h30 au cinéma Le Cin'Hoche à Bagnolet, en attendant la sortie officielle. C'est l'occasion pour vous de vérifier que je n'écris jamais de billet de complaisance !

mardi 10 décembre 2013

Enclume et Baiser d'encre


Remake d'Ouvrard. Depuis dimanche soir j'ai la tête comme une enclume, le ventre en papillote, je tousse à m'en ouvrir le thorax, des courbatures des orteils à la pointe des cheveux, je ne regrette qu'une chose, ne pas savoir dessiner pour croquer ma carcasse en deux coups de crayon. Je me la joue très pro, au moment où le travail se calme et où j'ai le temps de me transformer en zombie. J'espère que ce sera passé d'ici ce soir, car Françoise projette Baiser d'encre, son nouveau film, en avant-première au Triton à 19h30 (complet au point de rajouter une séance à 21h30, déjà presque complet). J'en ai composé la musique avec Birgitte Lyregaard, Sacha Gattino, Antonin-Tri Hoang, Vincent Segal et Edward Perraud... Et puis les acteurs seront présents dans la nouvelle salle du Triton !
Les Papiers Peintres Ella & Pitr puisent leur inspiration dans leur vie quotidienne dont les rêves composent une nouvelle réalité pleine d'humour et de tendresse. Ils sillonnent la planète avec leurs deux jeunes enfants, exposant leurs affiches dans les rues ou en galeries, manière généreuse de coller à tous leurs publics. Françoise Romand, inspirée par cette étonnante saga familiale, propose une délicieuse fantaisie montrant qu'il existe mille manières de rendre le monde plus beau à condition de s'en emparer avec l'esprit critique qu'exige toute création.

mardi 29 octobre 2013

N'en jetez plus !


Mon dos se redresse doucement. Les yeux de Françoise retrouvent une nouvelle jeunesse. Scotch miaule sans que l'on sache pourquoi, mais tout va bien. Le temps me manque juste pour raconter tout ce qui se passe autour. USA 1968, mon second roman augmenté, est sur les rails : Mathias code, Mika dessine, Sonia vidéote et nous testons, testons, débuguons, corrigeons, retestons, etc. Idem avec Baiser d'encre, le nouveau long métrage de Françoise dont j'assure la production exécutive en plus de la partition sonore. Aujourd'hui Antoine et moi installons les lapins de Nabaz'mob à l'ENSAD pour les représentations de la soirée privée de demain où une centaine de philosophes réunis à l'ENS seront confrontés à notre clapier. Pendant ce temps, les films, les disques, les livres s'accumulent sur les étagères et j'oscille entre remplir et vider le frigidaire. Oui je sais, on dit réfrigérateur, mais ça rime moins bien et plus personne ne possède cette marque. À la Cité des Sciences l'exposition sur le jeu vidéo dont Sacha et moi avons signé le design sonore est commencée, alors je travaille sur un projet de programmation de spectacles avec des plasticiens interactifs et de jeunes affranchis pour l'année qui s'annonce. C'est sans compter les concerts, enregistrements, publications qui se bousculent... Quand je pense que je me plaignais de ne pas savoir où j'allais... Mais, comme dit Pierre Oscar, je n'ai rien vu à Fukushima...

vendredi 25 octobre 2013

La Source


Énorme succès à La Java mercredi soir pour mes premiers pas sous appellation techno. Plutôt que de répondre à chaque camarade qui m'interroge sur la soirée, écrire peut m'éviter de rabâcher la même histoire à l'infini. C'est que des copains j'en ai pas mal, même si aucun ne s'est déplacé pour assister à cette incroyable soirée ! Manque de curiosité, a priori sur le genre musical, coïncidences, planning chargé, oubli, enfants en bas âge, mieux à faire, information reçue trop tard ? Dommage pour eux, car nous nous sommes bien amusés devant le public enthousiaste. Le set expérimental de DJ Ron Morelli acheva de me décomplexer de ne pas savoir faire danser. Jorge Velez enchaîna avec un solo live plus rythmique auquel j'emboîtai le pas également en solo sans temps mort. J'ai l'impression d'avoir réalisé une sorte de plunderphonics live, techno maximaliste à base de sons électroniques et de rythmiques diaboliques, de voix, radiophonies et trompettes à anche. Le duo avec Velez (© Photo 1 Françoise Romand) était plus magmatique, pâte sonore d'une rare intensité où l'improvisation prolongea nos conversations à bâtons-rompus. Plus classique, Tuff Sherm aka Dro Carey eut le mérite de swinguer avec une efficacité redoutable. Nous en sommes tous sortis tardivement avec une pêche d'enfer, remerciant Xavier Ehretsmann pour son excellente et stimulante initiative de nous avoir réunis. Marier le beat électronique avec un jeu live sur des instruments éventuellement acoustiques était inéluctable. La techno et la musique électroacoustique retrouvent leurs intentions originelles qu'une actualisation nécessaire régénère pour contrer le formatage et le peu d'ambition des majors en matière artistique. Comme dans les milieux jazz et musiques improvisées les jeunes retrouvent leur désir d'étonnement et de découverte, recherchant dans le passé les épisodes qu'ils ont ratés. C'est tout bon pour les dinosaures de mon espèce !


La surprise vient évidemment du public club, la plupart jeunes trentenaires à la recherche de nouveauté. Filles et garçons me demandent depuis combien de temps je joue cette musique ? Force est de constater que voilà plus de quarante ans que je joue ainsi et que j'en vis, infiltrant le rock, le jazz ou la musique contemporaine, sans ne rien changer à ma manière de voir et de rêver. Une fille s'étonne que je n'ai d'autre travail que celui de compositeur, comme si l'underground rimait obligatoirement avec galère et pauvreté. Je m'éclate en improvisant en direct des rythmes tranchants au Tenori-on. Les leds s'éclairent sous les notes, devant des bouches ouvertes à s'en décrocher la mâchoire. Mes pieds dansent sur les pédales des claviers. Pendant mon solo aucun répit n'est possible, je jongle avec les potentiomètres, je fonds, je brise, j'accumule, je réduis. Le duo permet plus facilement de respirer.
Après le dernier set je suis étonné de partager les mêmes idéaux avec Morelli, Svengalisghost Lives et Velez (© Photo 2). Nous avons des méthodes différentes pour arriver à nos fins, mais nos démarches se ressemblent. À jouer d'instruments bizarres ou simplement électroniques je ne ressens ni l'incompréhension ni la ségrégation qu'ont perpétuées jusque récemment la plupart des jazzmen et libres-improvisateurs. Je rêve d'une mixité qui rassemble toutes ces énergies inventives sans préjugé ni pré carré. Tous les signes le montrent : c'est pour bientôt !

lundi 1 juillet 2013

Halte lumineuse chez les PapiersPeintres


Halte lumineuse chez les PapiersPeintres à Saint-Étienne. Françoise termine son film sur le couple d'affichistes Ella & Pitr dont la sortie du DVD est prévue le 17 décembre. L'éditeur Jarjille vient de publier un nouveau livre pour les enfants sages les invitant "à déborder un peu du cadre afin de ne pas rester là, plantés comme des images". Renverse ta soupe est décliné sous quatre couvertures sérigraphiées différentes.


Ils ont également réalisé les illustrations du programme du Centre dramatique national de Montluçon et de celui de la Comédie de Saint-Étienne. Pour Le Fracas l'an passé ils avaient collé de gigantesques affiches dans les rues de la ville qu'ils avaient ensuite prises en photo ; cette année ce sont de minuscules affiches qui illustreront le programme. Pour La Comédie ils se sont lancés dans des anamorphoses géantes à la manière de Georges Rousse.
Ils n'arrêtent pas. Leur appartement ressemble à une installation où le côté pratique rivalise avec la fantaisie graphique. Si leur quotidien familial avec leurs deux jeunes fils, Piel et Aki, alimente leurs créations, ils s'appuient sur la moindre faille des murs pour imaginer une œuvre appropriée, comme lorsqu'ils collent dans la rue.

vendredi 14 juin 2013

L'arbitraire en musique


Il existe des milliers de manières de composer la musique d'un film, mais aucune ne peut être arbitraire. En analysant le sujet, son contexte et les intentions du réalisateur, la réponse s'écrit d'elle-même. Entendre que la page blanche n'existe pas et que les solutions découlent de l'analyse attentive de ce qui est exprimé, suggéré ou refoulé... Trop nombreux cinéastes prennent hélas les spectateurs pour des demeurés en réclamant que l'on appuie les effets. Et le compositeur de surligner au marqueur fluo telle scène sentimentale ou la poursuite impitoyable ! Il m'a toujours semblé préférable de jouer la complémentarité plutôt que l'illustration mécaniste. Et déjà pointe la question préalable à savoir la nécessité ou pas de recourir à la musique dans un film ? S'interroger sur son propos c'est prendre l'affaire par le bon bout, renvoyant le conteur à zéro, d'autant qu'en la matière les habitudes ne peuvent être autrement que mauvaises. Déceler la spécificité de l'œuvre en cours exige d'abord que l'on pose pas mal de questions à son auteur. Aux substantifs, adjectifs et verbes révélés on opposera les siens pour composer une nouvelle syntaxe, propre à chaque aventure. Car l'intérêt de travailler sur des œuvres qui ne sont pas exclusivement les nôtres consiste à se surprendre en abordant des rivages insoupçonnés. Les querelles d'ego sont déplacées lorsqu'il s'agit de rendre l'objet rêvé le plus crédible possible. Et chacun d'y mettre du sien.

Combien de fois ai-je écrit que toute musique fonctionne avec n'importe quel film, mais le sens varie d'une association à une autre ! Jouant d'un médium sans paroles le musicien influe généralement sur les émotions, quitte à en rajouter une couche, mais sa responsabilité est justement la maîtrise du sens. Raison pour laquelle la place même de la musique, à savoir son apparition magique tombant de je ne sais quel ciel mystique, est primordiale. D'où mon attirance possible pour celle qui se présente in situ, jouée par des musiciens à l'image ou quelque machine reproductrice... Passé ce cas de figure qu'affectait par exemple Jean Renoir, il m'est très tôt apparu que la musique ne pouvait se concevoir coupée du reste de la bande-son. La partition sonore englobe les voix, les bruits, les ambiances et la musique s'il y a lieu d'être. Que l'on vive en ville ou à la campagne, nous sommes quasiment interdits de silence. On appellera donc nos moments de calme, pauses ou respirations...

Si j'évoque la musique de film, c'est que j'ai travaillé tous ces jours-ci à commenter des images dans des champs extrêmement variés, soit le film de Françoise Romand sur Ella & Pitr intitulé Le baiser d'encre, plusieurs montages photographiques pour les Rencontres d'Arles, un parcours en autocar à travers la Camargue, l'interface du Jeu de la vie et le design sonore de l'exposition Le gameplay s'exhibe avec cette fois Sacha Gattino pour la Cité des Sciences, le live avec Jacques Perconte, etc. Mais j'aurais pu tout aussi bien traiter de n'importe quel art appliqué avec la même approche. Que la musique participe à un autre projet que cinématographique, ou qu'un graphiste, un écrivain ou un scénographe collabore à une œuvre impliquant différents créateurs, les question sont identiques : comment puis-je être utile à l'entreprise collective et quelle méthode employer pour la servir au mieux ?

mercredi 1 mai 2013

‪Baignade à Asnières (Seurat)


Baignade à Asnières de Georges Seurat fut l'un des premiers de la série Révélations, une odyssée numérique dans la peinture que je sonorisai parce que Pierre Oscar Lévy avait choisi de commencer par celui-ci pour convaincre Samsung de l'opportunité de son traitement cinématographique. Je le reproduis aujourd'hui pour son parfum de 1er mai, même si le tableau fut peint en 1884. Pour les Parisiens, une cinquantaine d'années avant les congés payés, les bords de Seine ou de Marne représentaient les seules vacances envisageables, un dimanche à la campagne...

Au moment de l'enregistrement j'avais écrit : "On peut toujours se plaindre de la chaleur. Il faut savoir aussi l'apprécier. J'ai passé l'après-midi à Asnières, les yeux baignés par ces bords de Seine. Je m'y suis plongé à en attraper la crève. Les zoziaux finissant par me sortir par les trous de nez, j'ai ajouté quelques clapotis pour me rafraîchir. Écouter un train à vapeur au loin renforçait la perspective, mais le bruit des wagons salissait le tableau peint par Seurat. Je ne conserve que le sifflet de la locomotive rappelant les volatiles et surtout le gamin qui voudrait faire de la musique en serrant un brin d'herbe entre ses pouces. Quand glissent les rameurs je me repose sur le panoramique. Une voile claque. Le môme finit par y arriver, mais ça réveille le chien. J'anticipe les sons pour qu'ils justifient les deux mouvements rapides que Pierre Oscar a écrit et qui dynamisent cette après-midi lascive. Ce grand type allongé de tout son long dresse l'oreille aux moqueries des enfants..."
Il est crucial de ne pas toujours mettre de la musique dans les films. Les tableaux de cette époque où l'on allait peindre sur nature m'inspirent ces ambiances champêtres. Comme Anny sait beaucoup mieux que moi jouer de la feuille d'herbe, nous en cueillons diverses dans le jardin...

Scénario et réalisation - Pierre Oscar Lévy

Direction artistique - Jean-Jacques Birgé

Partition sonore - Jean-Jacques Birgé, avec la participation de Anny Romand

Assistante - Sonia Cruchon
Conseil historique - Luis Belhaouari

Post-production - Snarx-Fx

Production déléguée - Dominique Playoust, Pixo Facto

Droits photo © The National Gallery, Londres, dist.RMN

À l'origine, le film produit par Samsung Electronics France fut conçu pour être joué en boucle dans le cadre de "Révélations, une odyssée numérique dans la peinture".
Exposé au Petit Palais en septembre-octobre 2010.

vendredi 12 avril 2013

Anatomy avec Edward Perraud


Après notre concert au Triton avec Antonin-Tri Hoang, Edward Perraud m'avait proposé de nous voir en studio le mois suivant. Nos Rêves et cauchemars nous avaient donné furieusement envie d'enregistrer une séance laboratoire comme celles que je mène depuis deux ans avec de jeunes musiciens et musiciennes aussi divers que Alexandra Grimal, Antonin-Tri Hoang, Fanny Lasfargues, Birgitte Lyregaard, Sacha Gattino, Ravi Shardja, Vincent Segal... Chaque fois marquées par la publication d'un album en édition numérique, écoute et téléchargement gratuits sur le site drame.org.

D'une certaine manière ces sessions figurent la suite du projet Urgent Meeting mené par le Drame il y a vingt ans. Nous avions proposé à des musiciens d'horizons extrêmement divers de venir chez nous enregistrer une pièce sur un thème proposé au choix. D'habitude, on se rencontre pour jouer. Il s'agissait de jouer pour se rencontrer. On s'installait le matin, nous les invitions à déjeuner dans un bon restaurant et nous enregistrions ensemble l'après-midi. Trente-trois répondirent à notre invitation et non des moindres : Colette Magny, Raymond Boni, Geneviève Cabannes, Didier Malherbe, Michèle Buirette, Pablo Cueco, Youenn Le Berre, Michael Riessler, Laura Seaton, Mary Wooten, Jean Quarlier, François Tusques, Dominique Fonfrède, Michel Godard, Gérard Siracusa, Yves Robert, Denis Colin, Louis Sclavis, Vinko Globokar pour un premier CD, Brigitte Fontaine, Frank Royon Le Mée, Henri Texier, Valentin Clastrier, Joëlle Léandre, Michel Musseau, Stéphane Bonnet, Jean-Louis Chautemps, György Kurtag, Didier Petit, Luc Ferrari, Hélène Sage, Carlos Zingaro, René Lussier pour le second volume intitulé Opération Blow Up. La musique avait été un prétexte pour tenter de comprendre ce que signifie d'être musicien, de composer dans l'instant et d'appréhender sous des angles différents le monde où nous évoluons.


La journée et la soirée du 4 avril passées avec Edward Perraud furent une extraordinaire partie de plaisir. Seule notre autodiscipline nous permit de mettre dans la boîte 76 minutes d'un duo échevelé. Nous avions tant de choses à nous raconter ! Nous le fîmes donc en paroles pendant les pauses et en musique pour dix pièces portant chacune le titre d'une partie du corps, sujet convenu quelques minutes avant d'entamer notre marathon. Nous oubliâmes ainsi étonnamment les mains et les bras qui nous permettent pourtant ces surprenantes acrobaties ou les oreilles par quoi commence toute musique. Se succèdent Cou, Tête, Poitrine, Nombril, Poils, Sexe, Jambes, Chevilles, Nez Bouche et Cerveau. J'aurai déjà écrit ces lignes sans qu'il n'en sache rien lorsqu'Edward m'enverra la pochette de l'album qu'il viendra de réaliser. Bras et jambes réintègrent ainsi physiquement Anatomy. Pour les oreilles nous nous fions aux vôtres ! De son côté Françoise Romand nous tira le portrait. Il est maintenant évident que nous n'en resterons pas là !

Dernière chose : Anatomy est en écoute et téléchargement gratuits sur drame.org (utiliser Safari, Chrome ou Explorer plutôt que FireFox).

vendredi 5 octobre 2012

Dérapage contrôlé (2)


La cinéaste Françoise Romand a mis en ligne sur Vimeo la version intégrale de Dérapage contrôlé tourné à Agen en 1994, douze minutes étonnantes et intemporelles réalisées avec humour et plein d'espoir. Dans les studios du Florida répètent plusieurs groupes de jeunes musiciens. Une élue de droite, à l'origine du projet, tient un discours d'une intelligence rare dans le monde de la culture tandis qu'un de ses collègues du même parti rabâche de vieux clichés de classe.


En mai 2006 j'avais signalé ici-même la version courte publiée sur YouTube, mais avec le recul, plus de quinze ans après les faits, la perspective historique rend le film encore plus actuel que jamais. Il y a deux sortes d'œuvres, les millésimées et celles dont la date de péremption est inscrite sur le couvercle. Depuis Mix-Up ou Méli-Mélo, tous les films de Françoise (DVD ou VOD sur UniversCiné) se bonifient avec le temps...

La cinéaste termine actuellement un film sur les afficheurs Ella et Pitr et travaille à une comédie de long métrage...

vendredi 7 septembre 2012

Françoise Romand sur UniversCiné


La plateforme UniversCiné offre des centaines de films indépendants en VOD (vidéo à la demande). Cette initiative originale s'agrémente d'un beau travail rédactionnel accompagnant les films à l'image des bonus d'un DVD, proposant photos, articles de presse, entretiens inédits avec les réalisateurs, etc., cela en libre accès, permettant de faire son choix parmi les pépites dont la distribution en salles est souvent négligée. De plus en plus de spectateurs optent pour ce nouveau mode de consommation lorsqu'ils ne sont pas attachés à l'objet physique du DVD.
Ainsi, en juin dernier, Philippe Piazzo et Pierre Crezé ont rencontré Françoise Romand qui évoque en vidéo ses films Mix-Up ou Méli-Mélo, Appelez-moi Madame, Ciné-Romand et Thème Je. Dans un second temps la cinéaste présente six films qu'elle a choisis dans le catalogue UniversCiné : Les Petites Marguerites de Věra Chytilová, Home d'Ursula Meier, Solutions locales pour un désordre global de Coline Serreau, Les Habitants de Alex Van Warmerdam, Adieu, plancher des vaches d'Otar Iosseliani et Satin Rouge de Raja Amari, avec extraits à la clef. Quatre femmes sur les six réalisateurs sélectionnés pour une bonne dose de fantaisie et de saine provocation !

Nouvel entretien mis en ligne le 11 septembre, cette fois sur Thème Je.

jeudi 19 juillet 2012

Improvisation sur iPad


En voyage j'emporte toujours quelques petits instruments de musique si l'occasion se présente, mais les guimbardes sortent rarement de ma trousse de toilette. Chez Birgitte j'ai tapoté du piano-jouet et du pianet, une sorte de petit piano droit de six octaves et demie, mais nous n'avons pas eu le temps de jouer ensemble, plus enclins à la promenade cycliste. À la lecture du compte-rendu de ses concerts, Claus Kaarsgaard m'a proposé de me joindre au trio formé avec le guitariste Christian Frank et le batteur Carsten Landors pour leur dernier concert de la saison lors du Festival de Jazz de Copenhague. Un peu démuni, j'ai accepté grâce aux applications que j'avais téléchargées sur l'iPad, en particulier les clones virtuels de deux de mes instruments fétiches, le Tenori-on et le Kaossilator. Mettez un i devant leur nom et le tour est joué, la transposition sur iOS ne reflétant pourtant jamais exactement l'instrument original. Avec ses 730 grammes stockant un nombre incroyable de données et de logiciels, la tablette est devenue mon nouveau couteau suisse, même si elle ne remplace pas l'ouvre-boîtes ou les lames acérées. On est loin de l'époque où le trio d'Un Drame Musical Instantané voyageait avec un Espace bourré jusqu'au plafond. Le matin du concert j'ai donc travaillé quelques timbres me semblant pouvoir coller avec le jazz en dentelles des trois orfèvres.


J'avais également préparé quelques timbres avec les applications de synthétiseur virtuel Synth, SynthStation et Tabletop, mais je me suis servi essentiellement du iKaossilator dont la souplesse, on pourrait dire le gameplay (la jouabilité), m'offre de laisser courir mes doigts intuitivement pour m'intégrer aux compositions très structurées de mes camarades de jeu. Ajoutez les trois guimbardes et j'étais paré à toutes les éventualités. Une toute petite, classique, et deux plates, achetées en Italie il y a trente-cinq ans, qui me permettent d'articuler des mots ou de souffler sans les pincer. J'ai pu ainsi interpréter quelques chorus bien déjantés avec les deux pouces sur l'iPad et me fondre dans les structures rythmiques avec les guimbardes. Françoise mettra probablement en ligne un extrait à réception du film laissé au Danemark. Je vais donc continuer à travailler l'option iPad qui pourrait me permettre à l'avenir d'honorer d'autres invitations impromptues, car l'expérience fut une véritable partie de plaisir !

Photo du quartet © Birgitte Lyregaard

mardi 5 juin 2012

Performance improvisée - 4e mouvement


Dernier des quatre extraits, "Ce que l'on souhaite" affirme le rôle de chacun ce soir-là. À hurler dans le Zube Tube j'en perdrai la voix. Claudia Triozzi poursuit son rôle dramatique tandis que Sandrine Maisonneuve joue de tous les muscles de son corps avec humour et légèreté. Vincent Segal passe du coq à l'âne avec un esprit d'à propos époustouflant. Les trois lieux où mes instruments sont placés m'obligent à des traversées de l'espace scénique que j'effectue chaque fois avec un instrument portable, cloche tubulaire, Kaossilator sur haut-parleurs miniatures, flûte transparente, réverbération acoustique à ressort, etc. Une heure plus tard, nous avons l'impression qu'à peine dix minutes se sont écoulées.


Voir également les 1er, 2e et 3e mouvements.

L'after se déroulera jusque tard dans la nuit avec les cent lapins de Nabaz'mob en répétition chez nous au premier étage (ils seront samedi et dimanche à la Gaîté Lyrique) et une foule d'amis et de gens que nous ne connaissions pas dans le jardin sous une douce température estivale. J'ai demandé à Françoise Romand d'affiner le montage que j'ai préparé du film qu'elle a tourné, histoire de partager notre euphorie avec les absents. Quatre petits tours et puis s'en vont.

mercredi 30 mai 2012

Téléromand en 16 films


À l'issue de quatre mois de résidence dans le nord de la France, Françoise Romand a monté 16 courts métrages dont seulement 6 sont actuellement visibles en ligne pour des questions de droits. Le contrat stipulait un geste artistique sans qu'il soit forcément suivi d'une réalisation. Intervenant auprès d'enfants et d'adultes des villes de Tourcoing, Roubaix, Villeneuve d’Ascq et Wattrelos de novembre 2011 à février 2012, la réalisatrice leur a fait jouer des scènettes en fonction de leurs choix et de leurs aptitudes. Par le montage et la confrontation avec la musique qu'elle a pioché sur drame.org elle a expérimenté le no (wo)man's land qui est sa marque de fabrique, entre documentaire et fiction. Les participants des huit écoles et de l'Institut Lillois d'Éducation Permanente se sont pris au jeu et les portraits ont acquis une gravité en apesanteur. Téléromand est devenu un laboratoire où, dans un premier temps, la complicité avec les protagonistes fut l'axe central et où, au montage, les pièces interprétées par Sacha Gattino, Alexandra Grimal, Antonin-Tri Hoang, Brigitte Lyregaard, Vincent Segal et moi-même ont infléchi le sens, produisant une distance analytique ou accentuant les intentions dramatiques.


Les six vidéos en ligne ne nécessitant pas de mot de passe pour être visionnées sont La caméra change de main qui fut projetée pendant deux mois à La Condition Publique en marge de l'installation Terres arbitraires de Nicolas Clauss, Mix-Up Remix où les enfants rejouent une scène du célèbre film de Françoise Romand de 1985, Variations sur les émotions 1 et 2, Chacuns et Éblouissement.

lundi 28 mai 2012

Portée


Les petits sont arrivés sur le fil comme une bande de hooligans. Françoise Romand a dégainé sa caméra. Mes commentaires l'agaçaient. Ne pouvais-je me taire ? La voix humaine, hors-champ, souligne pourtant la perspective. Comment échapper au cliché animalier YouTube ? Françoise a monté le morceau que Bernard Vitet et moi avions enregistré à l'été 1976, au tout début de notre collaboration qui allait durer trente-deux ans. Celle avec Françoise date de bientôt dix. Le violon, la contrebasse à tension variable et l'orgue à bouche se mélangeant aux piaillements et aux bruits d'ailes, l'évocation commune de la portée est devenue une réalité langagière bien que ce Poison soit paradoxalement une musique non écrite. Tout le monde fait semblant, les oiseaux, nous, Françoise, les spectateurs. Envie d'y croire. L'anthropomorphisme fait le succès des plans-séquences qui inondent la Toile. Retour à l'envoyeur. Les oiseaux ont donné corps à notre dialogue ornithologique. Clip.

lundi 7 mai 2012

Résistance


Qu'ajouter au concert de klaxons ? Espérer la prison à la bande de malfrats qui avait kidnappé notre pays ? Ils ont le nez dans leurs valises. Mais de fête, impossible ! J'avais joué les rabat-joie le 10 mai 1981 alors que François Mitterrand rimait avec nationalisations, abrogation de la peine de mort, 1% du budget à la culture, etc. On en est si loin avec François Hollande, voire son double, François Bayrou. François, François et François. À croire que leurs parents les destinaient tous les trois à servir la république. La sociale-démocratie m'a toujours débecté. Je ne peux me réjouir du résultat des urnes. Tout le travail reste à faire. Ces élections n'auront été qu'un réajustement logique des forces en présence. La crise qui s'avance demandera des solutions plus radicales. Les décisions se prendront dans la rue et les révolutions devront germer sous les crânes. La création est une des manières de répondre aux métastases qui ont gagné les cerveaux les moins informés, ou les plus désinformés, en tout cas déformés.


En addendum au billet de jeudi voici une nouvelle vidéo de la "musique d'ameublement" improvisée lors de l'inauguration du Grand Réinventaire le 18 avril 2012 au Triton. J'ai réalisé ce petit montage de cinq minutes à partir de ce que Françoise Romand avait filmé. Merci à Ève Risser et Antonin-Tri Hoang de m'avoir rejoint ce soir-là pour imaginer une musique qui s'échappe des chemins officiels. Pour que les idées se transforment il faut aussi s'attaquer aux formes. Rêver est l'une des composantes du succès. La libération passera par l'éclatement des consciences. Avec l'accès au savoir, la poésie en est la meilleure garante. Démystifiant les discours les plus convenus elle fait entrer l'impossible dans le réel.

jeudi 29 mars 2012

USA 1968 - Index des sons, musiques et films


les sons, musiques et films sont pour la plupart inédits
classés chapitre par chapitre
(des liens hypertexte renverront directement aux évènements multimédias disséminés dans le roman)

-1 Home movie, Jean Birgé, film muet, 1955/1958 - 1’47
0 Samba, Antonin-Tri Hoang (sax alto), Vincent Segal (violoncelle), Jean-Jacques Birgé (électronique), 2011 - 2’05
1 Radio Burger, Jean-Jacques Birgé (remix), Philippe Labat (guitare), Éric Longuet (guitare), 1971/2012 - 1’00
2 Feu d’artifice, 2012 - 0’33
3 NY Stress, Antonin-Tri Hoang (clarinette basse), Vincent Segal (violoncelle), Jean-Jacques Birgé (électronique, reportage), 2011 - 1’23
4 Agnès lit son Journal, 2011 - 0’34
5 Ping-pong, 2012 - 0’15
6 Show Me, Jean-Jacques Birgé (piano), 1966 - 0’13
7 Larsenationale, Jean-Jacques Birgé (électronique), 2012 - 0’49
8 Casino Royale at the Drive-In, 1968 - 0’26
9 La ballade de Davy Crockett (T. W. Blackburn traduit par F. Blanche/G. Bruns), Jean-Jacques Birgé, 1958 - 0’34
10 Papa, 1978 - 0’04
11 Avancée, Antonin-Tri Hoang (clarinette), Vincent Segal (violoncelle), Jean-Jacques Birgé (orchestre), 2011 - 3’01
12 Tension 1, Antonin-Tri Hoang (clarinette basse), Vincent Segal (violoncelle), Jean-Jacques Birgé (orchestre), 2011 - 3’05
13 Serpents à sonnette, 2012 - 0’25
14 Tchernobyl, Bernard Vitet (orchestre), Jean-Jacques Birgé (électronique et mixage en temps réel), paru sur Établissement d’un ciel d’alternance (cd GRRR 2026), 2002 - 8’13
15 Tijuana, Jean-Jacques Birgé, vidéo, 2000 - 1’13
16 Sable, 2012 - 1’15
17 Conte 3, Jean-Jacques Birgé (orchestre), 2011 - 4’08
18 Zoos, Jean-Jacques Birgé, vidéo, 2000 - 0’58
19 Penser à l’envers, Jean-Jacques Birgé (paroles et orchestre) et Bernard Vitet (musique et voix), écarté du CD Carton, 1995 - 5’12
20a Universal, Jean-Jacques Birgé, vidéo, 2000 - 1’01
20b Réserves, Jean-Jacques Birgé, musique composée en 1968, vidéo, 2000 - 3’49
21 Golden Gate, Jean-Jacques Birgé, musique composée en 2011, Antonin-Tri Hoang (clarinette basse), Vincent Segal (violoncelle), Jean-Jacques Birgé (électronique), vidéo, 2000 - 1’34
22 Loin, Antonin-Tri Hoang (clarinette basse), Vincent Segal (violoncelle), Jean-Jacques Birgé (orchestre), 2011 - 2’38
23 Five Hundred Micrograms, Francis Gorgé (guitare), Éric Longuet (guitare et basse), Philippe Labat (guitare), Jean-Jacques Birgé (orgue et basse), Marc Lichtig (batterie), 1972 - 6’30
24 Las Vegas, Jean-Jacques Birgé, musique composée en 2006, vidéo, 2000 - 3’44
25 Insolation, Jean-Jacques Birgé (électronique), 2012 - 1’13
26a Nesti Tango, Jean-Jacques Birgé, avec Philippe Deschepper (guitare), Yves Robert (trombone), Jean-Jacques Birgé (synthétiseur), Éric Échampard (batterie), vidéo, 2000 - 4’35
26b Hearst Castle, Jean-Jacques Birgé, musique composée en 1994, vidéo, 2000 - 3’28
27 Horizon II, Bernard Vitet et Jean-Jacques Birgé (orchestre), 1995 - 2’28
28 Dimanche, Bernard Vitet (trombone à pistons), Bib Monville (sax ténor), Bob Aubert (guitare), Pierre Franzini (piano), Pierre Sim (contrebasse), Baptiste « Mac Kak » Reilles (batterie), paru sur Surprise-Partie avec Bernard Vitet (LP Guilde Européenne du Disque SP53), 1954 - 4’07
29 Joie, Vincent Segal (violoncelle), Jean-Jacques Birgé (orchestre), 2011 - 1’15
30 La nuit du phoque (extrait), Jean-Jacques Birgé (réalisation, orgue,électronique, percussion) et Bernard Mollerat (réalisation), avec Philippe Danton (animation), Jean Birgé (voix), Jean-Pierre Lentin (synthétiseur), paru sur Défense de (cd+dvd MIO 026-027), film, 1974 - 1’44
31 Ô monde immonde Hammond, Jean-Jacques Birgé (orgue), 2012 - 1’11
32 Le sniper, Jean-Jacques Birgé, film, 1993 - 2’57
33 Om, Jean-Jacques Birgé (trompette à anche, voix), 2012 - 1’06
34 Hélicoptère, 2012 - 0’31
35a Lux Nunc, Jean-Jacques Birgé (électronique, avion), 2012 - 0’57
35b Nabaz'mob à New York, Antoine Schmitt et Jean-Jacques Birgé, making of filmé par Françoise Romand, vidéo, 2006 - 2’06
36 Mécaniques cantiques, El Strøm avec Birgitte Lyregaard (voix), Sacha Gattino (harmonicas, métallophone, clavier/échantillonneur), Jean-Jacques Birgé (paroles, guimbardes, harmonicas, xaphoon, chimes, Tenori-on), 2012 -10'43

On ne se refait pas. J'ai toujours aimé les listes. Je les ai souvent croisées pour trouver l'inspiration, scrutées pour avoir une vue d'ensemble sous un angle différent. C'est l'une des quatre entrées du roman avec la liste des chapitres, la mosaïque des images fixes et la carte interactive du périple. Les sons, musiques et films qui accompagnent le roman ne seront évidemment accessibles que lors de sa publication sur publie.net au format ePub, en tout 66 minutes de musique et 29 minutes de film.

mardi 13 mars 2012

USA 1968, la carte du périple


Je continue de publier quotidiennement les derniers chapitres de mon second roman, USA 1968, tour détour deux enfants, qui en compte 39 en tout si l'on tient compte des trois premiers numérotés -2, -1 et 0. Il n'en reste donc plus que 6 avant d'arriver au terme de notre voyage. En fait, je viens de terminer, mais je me relis à chaque mise en ligne et apporte de petites améliorations de dernière minute. Il m'est arrivé de corriger d'anciens chapitres, mais je pense m'arrêter là et laisser à la publication du roman la primeur des addenda sur publie.net. De toute manière, le roman complet comprendra 66 minutes de musique et de son répartis sur l'ensemble des chapitres et 29 minutes de vidéo en 12 courts métrages. Leur réalisation m'a fait remplacer quelques images fixes et j'ai préparé celles de la mosaïque interactive offrant l'accès aux chapitres par des petites images comme dans mon précédent roman, La corde à linge. On pourra également y accéder par le sommaire des titres, par l'index des musiques et des vidéos et par la carte interactive dûe au graphiste Mikaël Cixous. Pour le reste, tout est entre les mains de Gwen Catalá en charge de la création de la maquette et des aspects techniques de l'ePub, sans parler de l'indéfectible soutien moral de François Bon !

Les musiques et sons que j'ai enregistrés sont presque tous inédits, même s'ils s'étalent sur une période de 1954 à nos jours. Même chose pour les films dont les plus anciens tournés en 16mm en 1958 et les plus récents en vidéo en 2006 ont été montés pour l'occasion par Françoise Romand. Je les ai sonorisés de temps en temps avec de nouvelles musiques qui font sens dans le cours du récit. La plupart des films ont été réalisés pendant le road trip de 2000 et non en 1968, car je ne possédais alors qu'un appareil-photo. J'ai eu la chance de retrouver par contre certaines de mes compositions datant de 1968-même ou des années qui ont suivi !

Les nouveaux films s'intitulent Home Movie, Tijuana, Zoos, Universal, Réserves, Golden Gate, Las Vegas, Nesti Tango, Hearst Castle, auxquels s'ajoutent un extrait de La nuit du phoque tourné dans l'appartement de notre communauté en 1974, Le sniper réalisé à Sarajevo pendant le siège en 1993 et le making of de Nabaz'mob à New York filmé par Françoise en 2006. Les musiciens que l'on pourra entendre sur la bande-son sont Vincent Segal, Antonin-Tri Hoang, Bernard Vitet, Francis Gorgé, Philippe Labat, Éric Longuet, Marc Lichtig, Philippe Deschepper, Yves Robert, Éric Échampard, Bib Monville, Bob Aubert, Pierre Franzini, Pierre Sim, Baptiste « Mac Kak » Reilles, Jean-Pierre Lentin, Birgitte Lyregaard et Sacha Gattino.

Il serait temps que je me repose. Je souffre du syndrome du cliqueur fou bien que j'utilise un trackpad la plupart du temps ou en est-ce la raison, mais je souffre terriblement d'un problème de cervicales qui me lance du coude jusqu'au-dessus de l'oreille et m'empêche de dormir. Son origine pourrait aussi provenir d'un enregistrement pour le jouet iPad Balloon lorsque j'ai secoué comme un malade une flûte qui se joue sans souffler, mais dont le mouvement ressemble à l'essorage de la salade ou à des coups de marteau dans l'air. En frappant plus ou moins fort on accède aux harmoniques et je me suis accroché jusqu'à enregistrer correctement la mélodie recherchée. Mais crac !

mardi 28 février 2012

26. Road Movie


(il faudra probablement cliquer sur l'image fixe pour lancer le film)

À l'aéroport de Saint-Louis où nous ferons escale, une ruche de verre de quelques mètres cubes sera remplie de fumeurs, mais on n'y verra que du feu, on ne distinguera personne, le brouillard de leurs cigarettes les avalera. Autour du nuage cubique, un congrès d'obèses semblera s'organiser. À l'arrivée à San Francisco la voiture que je louerai pour faire le tour des grands parcs pendant le mois d'août 2000 n'aura pas de cendrier. La chambre fumeur de notre premier motel, irrespirable, dissuade ma fille Elsa de continuer à pratiquer sa jeune manie.

Chaque soir je passerai deux heures à programmer le lendemain de manière à ce qu'elle ne s'ennuie pas. J'aurai emporté deux guides que j'éplucherai consciencieusement. De temps en temps la journée sera consacrée au shopping, façon de casser le rythme de nos vacances aventurières et de plaire à l'adolescente qui voyage les pieds nus sur la planche avant en écoutant du rock à fond la caisse dans l'air climatisé du coupé. Presque chaque fois que des animaux croiseront notre route, nous nous arrêterons. Un soir où nous nous serons égarés et où nous aurons fait demi-tour en espérant trouver une chambre dans ce coin perdu, nous passerons entre deux rangées de lapins au garde-à-vous le long du bitume, des centaines de lapins dans le crépuscule qui ne bougeront pas d'un cil. On croira rêver. Un autre jour, un écureuil se postera sur la ligne jaune au milieu de la route ; j'enverrai paître Elsa lorsqu'elle me demandera de l'éviter, m'attendant à ce qu'il déguerpisse devant le bruit du bolide pourtant bridé par la vitesse automatique ; je ferai malgré tout un écart et constaterai dans le rétroviseur que le petit rouquin n'aura pas bougé d'un poil. À San Francisco nous resterons des heures à regarder les lions de mer sur le quai 39 ; un jour de novembre 2009 ils disparaîtront comme ils seront apparus vingt ans plus tôt, sans que l'on sache où ni pourquoi. Nous en profiterons pour visiter l'aquarium qui sera construit sur le port, mais le plus impressionnant sera celui de Monterey avec ses baies de méduses phosphorescentes. Des bisons paîtront, des biches déboucheront, des écureuils cabrioleront, des chiens de prairie feront les beaux, des geais s'ébroueront, des lézards se faufileront, d'autres doreront, mais aucun n'aura la grâce de l'immense ours blanc nageant sous l'eau au zoo de San Diego. Ses déhanchements chorégraphiques trancheront avec sa balourdise sur la banquise artificielle. Pourtant seuls les sauvages nous pinceront le cœur lorsque nous nous retrouverons seuls dans des paysages lunaires où l'on n'entendra que la brise ou notre propre respiration.

J'aurai emporté une tente pour camper quand le cœur nous en dirait, mais nous ne l'utiliserons qu'une nuit dans le parc de Yosemite. Le mois durant il fera si chaud qu'Elsa insistera pour des motels avec piscine autant que possible. Des pancartes recommanderont de ne rien laisser dans les véhicules et de placer la nourriture dans de grands coffres compliqués à ouvrir pour les ours. Des photographies montreront des automobiles dévastées pour une simple barre de chocolat. Au milieu de la nuit nous serons réveillés par de grands cris. "Get away ! Get away !" signifie "va-t-en !". Nous entendrons du bruit à quelques mètres devant la tente. Elsa m'exhortera à ne pas bouger, mais je lui murmurerai que si c'est l'occasion de voir un ours, surmontons notre peur et passe-moi la lampe torche ! Je ferai glisser tout doucement la fermeture éclair et j'éclairerai brutalement en direction des bruits. Un énorme raton-laveur sera en train de déguster les couches culottes d'un bébé laissées dehors par les occupants de la tente d'en face qui n'auront évidemment pas osé les enfermer avec les aliments dans les coffres blindés !


(S'il est possible de placer deux vidéos dans le même épisode
il faudra cliquer sur cette image fixe pour lancer le deuxième film)

Les paysages seront d'autant plus extraordinaires que nous nous y promènerons souvent sans personne d’autre, de la ville fantôme de Bodie au sommet de Canyonsland. Je renoncerai à rendre visite au Capitaine Beefheart lorsque nous traverserons le désert des Mojaves, peut-être parce qu'Elsa s'en fichera et que c'est mon histoire à moi seul. Trente-deux ans, c'est un sacré bout de chemin depuis ma seconde naissance. Elsa marquera la troisième, Sarajevo la quatrième et Françoise la cinquième. Allez savoir ce qui m'attend ! Le temps n'existe pas. Pour un cinéphile, traverser les États Unis c'est débouler par inadvertance sur un plateau de cinéma. Il ira jusqu'à retrouver l'angle exact des plans, mais il manquera toujours les figurants. Les films se succèdent, le programme est fameux. De Denver à Palm Springs, nous marcherons sur les traces de John Ford, Howard Hawks, John Huston, Nicholas Ray, David Lynch et tant d'autres. "Camera ! Get set ! Action !". Je porterai à la ceinture la petite caméra S-vidéo avec laquelle nous construirons notre road movie, tournant monté. De retour à Paris, nous réaliserons un montage plus serré pour ne pas dépasser une heure et Elsa s'amusera à rajouter des titres, parfois animés.

Le régulateur de vitesse nous permettra de rouler sans risquer de nous faire pincer par les cow-boys avec leurs radars et leurs sirènes. Au volant, les Américains sont plus courtois que les Français. Aux intersections les automobilistes passent dans l'ordre d'arrivée, il faut être sur le coup. Ils ne sont pas forcément patients lorsqu'on hésite ou que l'on s'est placé sur la mauvaise file. Sans ma jeune navigatrice s'orienter serait infernal, car les panneaux indiquent les numéros des routes plutôt que le nom des villes. Nous croiserons la 66 qui traverse les États-Unis de Chicago à L.A. et que chantèrent Nat King Cole, Chuck Berry, les Rolling Stones et les Them... Dans la montagne Crazy Horse accompagnera ma conduite en danseuse avec Neil Young au meilleur de sa forme. Elsa choisira des stations diffusant la musique de ma jeunesse, réduisant l'écart entre les époques, mais son tube préféré qui nous accompagnera tout le long du chemin sera I Hope You Dance de la chanteuse country Lee Ann Womack. Nous roulerons plus souvent avec les Doors, Jimi Hendrix, Crosby Stills & Nash, The Mamas and The Papas et les autres groupes des années 60 de la côte ouest. Ils me rappellent It's A Beautiful Day du violoniste David LaFlamme entendus au Fillmore West la semaine dernière. Je préférerai toujours le son californien au rock urbain de l'est du pays. Il y a quelque chose de jazz dans leurs envolées psychédéliques, un swing binaire que je reconnaîtrai chez Cab Calloway comme son anticipation. Plus tard j'adorerai New York pour ses affinités européennes, mais l'exotisme appartient à l'autre bord.

Je serai courageux au Lake Powell où Elsa fera les soldeurs comme Wal-Mart et à San Diego, me trimbant chez tous les vendeurs de frusques. J'y trouverai d'ailleurs de jolies chemisettes à manches courtes pleines de couleurs. Elle me fera parfois tourner en bourrique. Un jour que nous passerons trois heures à chercher des chaussures qui lui plaisent elle finira par avouer qu'elle ne les a jamais vues, mais qu'elles en a rêvé ! Il me faudra encore plus de courage pour sauter dans l'eau du lac depuis dix mètres de haut. Les enfants n'aiment pas que leurs parents se distinguent. Je sauterai une seconde fois pour être certain que je l'ai bien fait. Et une troisième en espérant avoir le cran d'ouvrir les yeux. Mais non, j'appliquerai mes bras le long du corps et je ne verrai rien. Nous irons nager dans l'océan, puis nous remonterons par Xanadoo, le château de William Randolph Hearst qui inspira à Orson Welles son Citizen Kane. Nous serons surpris par le manque de culture générale des autochtones qui ignorent où est la France et nous demandent s'il s'agit d'un désert en pointant la Russie sur la carte ! La plupart ne connaissent de leur pays qu'un rayon de cinquante kilomètres autour de chez eux. Si nous en ferons sept mille en l'an 2000, combien en aurons-nous parcourus cette année ? Les distances sont difficilement évaluables. Nous ne pouvons comptabiliser que les heures de bus. Vertigineux. Je dois être fatigué, car dans quarante-quatre ans lorsque j'écrirai notre histoire je ne me rappellerai de rien de San Antonio, ni même d'y être allé. Les diapos ne me diront rien non plus et je devrai interroger ma sœur qui s'en souviendra un petit peu mieux que moi.

mardi 31 janvier 2012

The Swedenborg Room


Comme promis, Françoise Romand a réalisé un petit montage du spectacle créé jeudi au Musée d'Art Moderne et Contemporain de Strasbourg, avant son départ pour Roubaix-Tourcoing-Watrelos-Villeneuve d'Ascq où elle termine sa résidence d'artiste à la fin du mois. Vendredi à 19h elle projettera son dernier long métrage, Thème Je, au Fresnoy.
Dans cet extrait de La chambre de Swedenborg nous commençons par accueillir le public, puis, après avoir migré vers une autre scène, nous rentrons dans le vif du sujet. Mais peut-on dire d'un fantôme qu'il est vif ? Six minutes vingt-cinq.


Pour faire la balance après le long épisode d'hier, je rappellerai seulement que Birgitte Lyregaard est la chanteuse, Linda Edsjö la percussionniste au marimba et au vibraphone, qu'enfin je joue ici de la trompette à anche, du Theremin et du Tenori-on.

samedi 28 janvier 2012

Petite France


Ma mère me demande si je regarde le Président de la République demain soir à la télé. Comment lui faire comprendre que je m'en fiche complètement alors que je suis passionné de politique ? Pour la même raison que je ne regarde jamais la télé je n'écoute aucun candidat à la prochaine élection faire son show démagogique. La société du spectacle ne m'intéresse que lorsqu'elle produit de l'art ou de la culture. Autant dire que j'ai une vision ancienne, mais que c'est la seule qui m'offre un avenir. L'électoralisme est une plaie qui a supplanté tout discours idéologique. C'est ce qui a tué le PCF, programme commun aidant. L'extrême-gauche y a succombé à son tour. On peut toujours promettre monts et merveilles ou le grand soir lorsque l'on sait que l'on ne tiendra pas sa parole ou que l'on ne risque pas d'être en position de la tenir. Je préfère admirer la Terre depuis la lune, principe philosophique du recul dans l'espace-temps. Un mensuel comme le Diplo prend ses distances avec l'actualité, cela me convient mieux que de devoir réagir à la seconde, sans parfois même vérifier ses sources. Ou alors privilégier le journalisme d'investigation comme à Mediapart. Dans mon métier de compositeur de musique je préfère les programmations réalisées par des directeurs de festival curieux et inventifs plutôt que par de vieux cyniques qui cèdent aux pressions locales. Au lieu d'imaginer des solutions pour se sortir d'une crise qui fait les choux gras des banquiers et de leurs principaux actionnaires la France a le nez dans le guidon des élections. Comme si le vote allait changer quelque chose... Le système représentatif a fait long feu. Je me méfie des professionnels de la profession comme de la peste. Il faudrait que le candidat élu rende des comptes à l'issue de son mandat, que l'on vérifie si son programme a été respecté, qu'il soit sanctionné. On pourrait imaginer que les élus soient choisis comme les jurés d'un procès, parmi la population, au hasard contrôlé. Pas grand monde ne semble comprendre ce qui nous attend, ce que signifie la crise, la catastrophe annoncée... Elle revêt tant de formes, politiques, sociales, économiques, écologiques, démographiques, etc. que j'entends partout que c'est trop complexe. De qui se moque-t-on ? Ce serait sympa d'écrire un article intitulé "La crise pour les nuls", non ? À suivre.

Nous sommes rentrés crevés de Strasbourg. Cinq cents kilomètres en voiture mercredi avant de décharger le matériel au Musée d'Art Moderne et Contemporain ; le lendemain, installer, brancher, faire la balance et jouer sur trois scènes différentes devant quelques milliers d'étudiants excités ; vendredi remballer, autoroute dans l'autre sens et remettre le studio en état pour l'enregistrement de demain. Notre concert tenait du happening, on a changé notre fusil d'épaule, la finesse passait inaperçue, on a sorti l'artillerie lourde, du rythme, des instruments visuellement étonnants, on a monté le volume. Lorsque je jouais de la trompette à anche le flot des visiteurs s'écoulait inexorablement devant la scène. Dès que je me mettais à jouer du Theremin ça les freinait. En faisant tourner le rhombe devant la scène je dansais d'un pied sur l'autre en m'approchant des antennes si bien que les sons électroniques semblaient provenir de mon arc géant que je faisais tourner en évitant de décapiter quiconque. Les mimiques de la chanteuse Birgitte Lyregaard me faisaient rire intérieurement alors que je pensais interpréter un rôle sérieux de prince des ténèbres. Sa voix me portait aux nues tandis que le marimba et le vibraphone de Linda Edsjö me donnaient des ailes. On était là pour une séance de spiritisme et j'avais l'impression de naviguer sur un vaisseau fantôme. Un des moments que j'ai préférés fut la traversée de la foule compressée sous la nef. Je remuais mon tube à ressorts comme un fou en jouant de la trompette de l'autre main, Birgitte faisait sonner l'orage en écho et Linda fermait le ban comme une ouvreuse avec son panier de friandises à percussion. Il y avait trop de monde pour que j'aperçoive quoi que ce soit de la chorégraphie de Jean-François Duroure qui suivait. Une heure plus tard, un zozo aviné grimpé en haut de la verrière par les filins a servi de prétexte pour terminer la soirée plus tôt que prévu. Dommage ! Redescendu de ses vingt-cinq mètres et viré illico, le danger était passé. Organiser une soirée aussi allumée dans un musée est gonflé. On aimerait que d'autres s'en inspirent pour rompre avec les habitudes qui tuent beaucoup plus de gens que tous les risques pris intelligemment. Françoise Romand a tout filmé, c'est donc une affaire à suivre, elle aussi !

Le soir on était morts. On a regardé Millénium, les hommes qui n'aimaient pas les femmes (The Girl with the Dragon Tattoo). J'ai sorti un alibi en annonçant que l'art est un crayon et l'entertainment une gomme. On a besoin des deux. Trop de crayon finit par faire du gribouillis, trop de gomme par dessiner un désert. Hier soir, on avait besoin d'un coup de gomme pour pouvoir embrayer ce matin sur de nouvelles aventures.

samedi 21 janvier 2012

Terres arbitraires II


À l'occasion de l’exposition Un visage, des visages à La Condition Publique de Roubaix, Nicolas Clauss présente une nouvelle version de son installation vidéo Terres arbitraires qu'il avait créée en septembre 2010 au Théâtre de l'Agora d'Évry (blog) et récemment révisée pour La Friche Belle de mai à Marseille (vidéo). Nul besoin de répéter ce que j'écrivais alors sur cette direction radicale de son travail renouant avec ses premières amours pour la psychologie sociale et politisant sa démarche, si ce n'est que l'artiste a continué à filmer les garçons des cités partout où il s'est exposé et que le déploiement sur 28 écrans de toutes tailles, appuyé par une création sonore octophonique, donne tout son sens à cette dénonciation des stéréotypes du "jeune de banlieue" véhiculés par les médias. Cette dimension généreuse met en valeur chacun des 300 portraits, noir et blanc face caméra, sourires radieux derrière le masque, tout en figurant la manifestation unanime des laissés pour compte. Combien de temps entendra-t-on le tic-tac du réveil avant que ne jaillisse l'étincelle révolutionnaire ? Les yeux de ces jeunes gens en disent long sur notre époque. Ici les sirènes sonnent l'alarme plutôt qu'elles ne suscitent des rêves anesthésiants, modèles façonnés par la publicité qui les attire sur des récifs. Le dispositif scénique permet de naviguer parmi les discours qu'engendrent les cités et de confronter nos propres doutes et nos désirs aux regards de cette jeunesse qui se doit d'inventer un avenir.



L'exposition Un visage, des visages présente également Ode à neuf voix, installation multimédia immersive de Catherine Poncin et Damaris Risch, soulignant encore le remarquable travail d'intervention de La Condition Publique. On rencontre en effet rarement un public socialement aussi mélangé, gageure essentielle de tout centre culturel qui se respecte.

À l'entrée est projeté La caméra change de main, un court métrage de Françoise Romand, en résidence dans la région (Tourcoing, Roubaix, Villeneuve-d'Ascq, Wattrelos) en liaison avec Le Fresnoy. En montant un morceau que nous avons joué en duo avec le violoncelliste Vincent Segal sur un panoramique circulaire tourné à tour de rôle par les participants de son atelier, la cinéaste révèle les intentions cachées et des émotions inédites. Le moindre décadrage, un flou, une hésitation semblent induits par la musique. Le plan répété devient un bon tour où la magie du cinéma pose clairement le rapport son-image. Comme pour les deux grandes installations, les visages dévisagent, les écrans nous renvoyant nos propres regards, ressort fondateur du cinéma.

mardi 10 janvier 2012

Qu'y a-t-il à voir à filmer un concert ?


Edgard Varèse se moquait du public qui se lève et se tord le cou pour voir qui joue de quoi dans la fosse pendant un concert. Seule la musique comptait à ses yeux. Bernard Vitet soutenait que toute représentation est un spectacle et qu'il est nécessaire d'en contrôler l'image. À la télé le jury de The Voice tourne le dos aux candidats pour ne pas être influencé par leur plastique. Aujourd'hui, pour communiquer leur travail sur le Net où le buzz prend parfois, les musiciens ont besoin d'être filmés. Les vidéos YouTube, DailyMotion ou Vimeo tiennent lieu de teasers, bandes-annonces censées attirer le public, et surtout les programmateurs trop paresseux pour se déplacer, ou trop éloignés lorsque l'on vise une diffusion internationale. Le petit film de Françoise Romand sur notre opéra Nabaz'mob nous a ainsi permis de parcourir la planète depuis cinq ans. Mais comment restituer l'émotion du direct ?

On ne peut pas. À défaut de faire œuvre de création (Step Across The Border, Straight No Chaser, 200 Motels, The Death of Klinghoffer, comédies musicales, clips inventifs, biopics...) ou de pédagogie (les films de Bruno Monsaingeon avec Glenn Gould, Les Grandes Répétitions de Luc Ferrari et Gérard Patris...), les captations sont ce qu'elles sont, quels que soient les moyens. Elles représentent parfois des témoignages inestimables (Monterey Pop, Woodstock, Gimme Shelter, Spike Jones, opéras filmés, variétés anthologiques, concerts commentés...), mais elles restent de pâles restitutions de la réalité.


Je ne peux faire exception à la règle quand le groupe Odeia me demande amicalement de filmer un de leurs concerts en appartement. Cela nécessite au moins deux caméras pour effectuer le moindre montage. J'en place une sur pied en plan général et me sers de mon Lumix pour changer d'angle, en essayant de ne pas gêner les spectateurs. Sonia Cruchon fait le maximum pour atténuer la dominante rouge après avoir réussi à monter le peu de rushes que je lui ai fournis. La teinte vert-rose donne un petit côté suranné aux images du trio à cordes qui adapte des morceaux traditionnels chantés par Elsa en grec, français, italien, ladino...


Le groupe Odeia sélectionne trois morceaux pour son site. Le premier est Gorizia, un chant italien anti-militariste qui relate une terrible bataille à la frontière italo-slovène en août 1916. Je me souviens d'Elsa à six ans, chantant La belle est au jardin d'amour sur les remparts de St Jean Pied de Port ; elle le chante avec les mêmes ornements qu'alors, appris avec Claire Caillard, lui conférant une délicate tonalité médiévale.


Enfin Levatillu stu cappeddu est une chanson sicilienne qu'interprétaient, le 4 décembre dernier, la chanteuse Elsa Birgé, le violoniste Lucien Alfonso, le violoncelliste Karsten Hochapfel et le contrebassiste Pierre-Yves Le Jeune. Prochains concerts à Paris le 3 février au 3 Arts, et le 12 à nouveau en appartement.

Photo © Erik Patrix

lundi 12 décembre 2011

Tergiversation


Paris est un sujet inépuisable. Comme Olivier Koechlin avait réuni autour d'un mafé l'équipe des Soirées des Rencontres d'Arles de la Photographie, nous avons constaté que j'étais le seul à y être né. La centralisation attire toujours les jeunes qui rêvent d'un ailleurs, que ce soit au moment des études ou juste après lorsqu'il faut rentrer dans la vie active. Passage obligé pour tout ce qui touche aux arts, aux nouveaux médias et à toutes sortes de professions dont je n'ai pas idée. Je fanfaronne chaque fois en lançant que je suis né impasse des Martyrs, en fait cité Malesherbes dans le 9e, ma mère boulevard de Strasbourg, ma grand-mère rue du Faubourg Saint-Denis. Comme je ne connais pas Berlin, seul New York m'a semblé aussi attirante. Récemment j'ai imaginé déménager à Marseille, cosmopolite, animée, ensoleillée, avec les vagues qui me manquent ici malgré la vue sur la mer au fond du jardin ! Cela m'est venu cet été lorsque j'ai découvert qu'il y avait maintenant des magasins asiatiques en plus des arabes ou des kabyles ! Il y a encore tous les potes partis s'y installer, mais Françoise n'est pas trop tentée de retourner là où elle a passé ses dix-neuf premières années. J'hésite aussi pour la nature, je me verrais bien dans un coin plein de bestioles, oiseaux ou mammifères. En tout cas je dois prévoir une grande maison qui puisse attirer les copains. Pas question de s'isoler. Ni de bouger avant de savoir de quels subsides je vivrai à la retraite, insuffisante pour me reposer. Je suis probablement condamné à faire ce que j'aime jusqu'à la fin de mes jours. Sous quelle forme, je l'ignore. Musique, cinéma, littérature. Je bavarde en culpabilisant de n'avoir encore écrit un mot de mon nouveau roman. Tergiversation en attendant de trouver le rythme. Comment continuer à écrire ici quotidiennement et m'attaquer au grand "œuvre" ? Son sujet se prête à la diffusion en épisodes, mais le style ne peut s'imposer sans avoir commencé à en rédiger plusieurs. Cette fois j'ai rassemblé toutes les images, une par épisode, le témoignage de ma petite sœur puisque je pars d'une histoire vécue, et j'ai trouvé comment m'en échapper en jouant sur ce qui l'a précédée et ce qu'elle a généré. Peut-être devrais-je faire une pause d'un mois, comme lorsque nous partons en vacances dans un pays exotique ? Le blog, le roman, plus tous les textes théoriques, chansons, préfaces, articles que je rédige régulièrement dans le cadre de mon boulot, cela fait beaucoup en plus de la musique et de tout le reste de mes activités. Le temps de rêver est comme celui du sommeil, incompressible. Je flâne beaucoup dans mes moments de ce que j'appelle ironiquement loisirs et je dors peu. Lorsque je manque d'inspiration je regarde par la fenêtre, focalise un peu plus loin, une ouverture sur mon front comme une petite trappe d'où sort une loupe ou une longue vue. De temps à autre je photographie quelque chose qui pourrait générer un billet sur mon blog. Touriste dans ma ville, je reste toujours à l'affût d'une carte postale. Changer d'angle. Monter sur un tabouret. Se mettre à quatre pattes. Regarder derrière soi. Se projeter en avant. Tous les moyens sont bons pour trouver un passage secret vers demain.

Photo sans trucage !

vendredi 4 novembre 2011

Dépression molle


On ne peut pas toujours faire semblant. Ma compagne me dit que j'ai l'air triste. Si l'on me demande ce que je fais en ce moment je prends un petit temps avant de répondre. Je ne sais plus. Je me disperse.

S'il faut faire bonne figure j'évoque La chambre de Swedenborg, excitant projet avec Birgitte Lyregaard et Linda Edsjö qui sera créé au Musée d'Art Moderne de Strasbourg le 26 janvier, ou la récente publication de mon roman La corde à linge, en numérique avec images et sons. Les beaux projets mettent un temps fou à démarrer : design sonore des nouveaux objets Internet Readiymate avec le papa du lapin Nabaztag, Olivier Mevel, ou des jeux/jouets iPad/papier des Éditions Volumiques avec Sacha Gattino pour Étienne Mineur, participation à une équipe finaliste pour le concours du Mucem, voyage en Asie avec les petits rongeurs, sans compter mon second roman pour lequel j'accumule du matériel, idem pour mon hypothétique disque chez Signatures et une adaptation de L'astre en web-fiction. Je patiente en numérisant mes archives sonores (mise en ligne des meilleures sur drame.org, deux nouveaux albums inédits cette semaine !) et iconographiques (scan diapos), et je ponds un article par jour, sans compter mes commentaires passé ces frontières. Pas de quoi se plaindre a priori. Une vie bien chargée. Françoise est en résidence à Tourcoing / Le Fresnoy pour quatre mois où elle présente son travail et envisage un nouveau film, Elsa cherche à faire tourner Odeia dans lequel elle chante avec un trio à cordes (premier concert hier soir avec succès), plus un projet avec Linda et sa mère et plein d'autres trucs. Pourquoi s'inquiéter ?

Paragraphe pour le verre à moitié vide. Les beaux projets mettent un temps fou à démarrer. 2011 fut financièrement catastrophique. Si j'étais un cas isolé, je m'en moquerais, je saurais que ce sera bientôt mon tour, mais trop de camarades tirent le diable par la queue. Les festivals à qui je propose le trio El Strøm avec Birgitte et Sacha ne répondent pas ; ou bien pour annoncer leur suppression en 2012, ou encore me demandent de rappeler en juin 2012 pour juin 2013. J'ai l'impression que rien ne bouge, je dois supporter les mêmes revers qu'il y a quarante ans lorsque je débutai. Mes derniers albums n'ont pas généré les ventes escomptées, ni la réédition magnifique de Trop d'adrénaline nuit, le premier disque d'Un Drame Musical Instantané en 1976, ni mon duo avec Michel Houellebecq, Établissement d'un ciel d'alternance, enregistré vingt ans plus tard. Aucun journaliste n'a relaté l'énorme travail que j'ai réalisé avec la mise en ligne de 33 albums inédits sur le site du Drame, même les copains font la sourde oreille, pas même une petite news (sauf Dominique Meens sur assezvu.com), alors qu'ils m'apparaissent comme une aventure incroyable, et qu'individuellement ils recèlent plus de merveilles que les sempiternelles scies musicales encensées par les journaux spécialisés. Je suis mal placé pour m'extasier, avec le risque de passer pour un mégalo ou un parano. Il faut bien que je justifie ma dépression molle. Le film de Pierre Oscar Lévy, dont nous avons fait la musique avec Vincent Segal et Antonin-Tri Hoang, sera-t-il diffusé par Arte ou les pressions politiques le rangeront-elles au placard ? Et puis Bernard, mon acolyte du Drame, trente-deux ans de collaboration quotidienne, est en très mauvaise santé et déprime sec. Il a du mal à manger et n'est pas bien gros. Ma maman continue de critiquer tout et n'importe quoi sans n'être plus capable d'en discuter calmement, un mal courant chez les débatteurs.

Le monde part en gidouille. La planète est piétinée. L'indignation est-elle un premier pas vers la révolte ? Les inégalités de classe sont accompagnées d'une telle arrogance. La colonisation se perpétue. L'exploitation est plus monstrueuse que jamais. Qu'ils soient de notre monde repu ou les laissés pour compte du tiers les pauvres ne se laisseront pas berner éternellement. L'inquiétude réside dans les choix politiques que feront les révoltés. Les extrémismes sont toujours bien placés dans les périodes de dépression. La peur et la misère sont mauvaises conseillères. Nous vivons une époque transitoire où le pire devient probable, sans abandonner définitivement l'espoir, mais aujourd'hui j'ai le moral gris. Est-ce plus banalement le spectre de la mort qui rôde sous le fallacieux prétexte que j'aurai 59 ans demain ? Il y a mille explications. Aucune n'est juste. Un rien peut me faire basculer d'un paragraphe à l'autre, bilan pipeauté par un simple coup de téléphone, un sourire dans la rue, un rayon de soleil, la caresse d'un chat, tes baisers...

mardi 11 octobre 2011

Premier roman : La corde à linge


J'ai encore créé un objet qui ne ressemble à rien. C'est un livre qui se lit sur écran, dont les 47 photographies en couleurs font partie intégrante du récit et que le son vient éclairer d'un jour nouveau. D'une certaine façon ce premier roman pourrait aussi répondre à la dénomination d'un drame musical instantané !

Gwen Catalá a sué sang et eau pour en terminer la maquette. Le sang était thaï, l'eau bretonne, mais ne me demandez pas pourquoi, je l'ignore. Nous conversons par courrier électronique, communication de notre temps, tout comme La corde à linge naquit numériquement dans cette colonne. Mis à part le roman, le fait que l'objet vienne d'un blog et que chaque épisode commence par une photographie a tout de suite accroché François Bon qui s'est empressé de me répondre, chose inhabituelle dans le milieu de l'édition. C'est lui qui m'a poussé à ajouter du son, "un musicien comme vous !", et m'a suggéré de changer le titre. Je l'avais d'abord nommé Une étoile est sans ciel, jeu de mots un peu lourd m'obligeant à l'expliquer laborieusement chaque fois que je le prononçais ! La corde à linge se réfère au procédé d'écriture décrit dans l'introduction. Si le titre s'était rapporté au récit il se serait plutôt agi d'une corde pour se pendre ou du fil d'Ariane pour éviter de se perdre et revenir là d'où Max, le personnage principal, était parti. Quant au linge il ne s'est jamais cantonné à la famille. J'ai pris l'habitude de l'étaler au soleil, prenant le risque de dévoiler ses secrets. Voilà ce que c'est que d'en fréquenter du beau ! Pourtant non, le titre n'a rien à voir ni à entendre avec cette histoire.


Puisqu'il est numérique l'ajout de 80 minutes de son et de musique est une idée formidable, exploitant les capacités inédites de ce nouvel objet virtuel. J'ai toujours adoré les jouets technologiques. Je joue des synthétiseurs depuis 1973, l'année suivante nous utilisons la pause du cassettophone pour réaliser nos montages radiophoniques cut appelés aujourd'hui plunderphonics, sautons sur les premiers échantillonneurs comme sur les programmes informatiques de composition musicale dès leurs débuts, dans mon domaine je produis le premier CD en 1987, l'un des premiers CD-Rom d'auteur dix ans plus tard, la création de mon site remonte aussi à 1997, etc. Encore aujourd'hui, sans fétichiser l'outil, la moindre avancée technologique me pousse à imaginer des œuvres nouvelles jusqu'alors impossibles, ne délaissant pas pour autant les élucubrations plus roots à la Géo Trouvetout !

L'iPad, ou l'iPhone pour les amateurs de miniatures dont je fais accessoirement partie, est la plateforme idéale pour apprécier La corde à linge en son format ePub. Les sons et la mosaïque des images, qui permet comme la table des matières de sauter à l'épisode souhaité, seront par contre absents sur les autres tablettes numériques, format Mobipocket. Dans la version optimale sur iPad et iPhone (P.S. : ça marche aussi en streaming sur Internet sous navigateurs Safari ou Chrome), les sons sont optionnels ; on peut les jouer, les mettre en pause, les faire défiler, les rejouer, voire en wi-fi sur des enceintes distantes, et l'index des musiques renvoie directement au player correspondant. Chaque utilisateur peut choisir entre six polices de caractères, leur taille (très pratique pour les presbytes dont je fais maintenant partie) et la luminosité de l'écran. On peut rechercher un mot, insérer des marque-pages et, toujours sur l'application iBooks, le double-clic sur un mot ou groupe de mots offre de le copier, rédiger une note, surligner ou effectuer une recherche. La tirette qui apparaît au bas de l'écran permet de retrouver n'importe quel chapitre sur la ligne chronologique. Dans mon cas je préfère parler d'épisodes, ce qui correspond mieux à la méthode que j'utilisai pour écrire, ignorant moi-même ce qui allait se passer dans le suivant. J'ignore encore la nature de ce que j'ai écrit. Polar ? Science-fiction ? Politique ? Voyage initiatique ? Ou petite musique ?


Pour 3,49 euros, on peut tenter l'aventure ! Les éditeurs qui publient leurs best-sellers à des prix exorbitants, proches de ceux du papier, n'ont rien compris à ce nouveau mode de diffusion qui devrait plutôt profiter aux "produits de niche", comme la poésie ou dans mon cas, par exemple ! Publie.net représente le fer de lance de cette avancée, me poussant à lire plus souvent sur tablette des ouvrages que je peux facilement commander en ligne, réceptionner instantanément et emporter avec moi sans que cela pèse un âne mort.

Je tiens aussi à remercier celles et ceux qui m'ont aidé, Françoise Romand, Sonia Cruchon, Pascale Labbé, Antoine Schmitt, Philippe Blaizot, Vincent Segal (également violoncelle), ainsi que tous les musiciens présents sur la version sonore, Bernard Vitet (trompette), Sacha Gattino (clavier/échantillonneur), Birgitte Lyregaard (voix), Elsa Birgé (voix), Lol Coxhill (saxophone soprano), Brigitte Vée (piano), Baco (voix), Philippe Deschepper (guitare), Nem (platines), Lucien Alfonso (violon), Karsten Hochapfel (violoncelle), Pierre-Yves Le Jeune (contrebasse), Francis Gorgé (guitare) et Nicolas Clauss (ralenti).

mercredi 14 septembre 2011

Françoise Romand - radio 17h - film 20h30


Comme déjà annoncé dans le Carnet de vendredi, Françoise est aujourd'hui sous les projecteurs. Deux évènements complémentaires illuminent cette journée, d'une part l'émission de France Culture Sur les docks lui est consacrée (écoute libre et podcast), d'autre part son dernier film Thème Je (The Camera I) est projeté en avant-première ce soir à 20h30 au Cin'Hoche, Bagnolet, en la présence de la réalisatrice (entrée gratuite, venez avec vos amis, mais pas avec les enfants !). On peut d'ailleurs enchaîner les deux, l'émission pouvant inciter celles et ceux qui ne connaissent pas le travail de Françoise Romand à prendre le métro jusqu'à la station Gallieni. Le Cin'Hoche, qui appartient à la municipalité, possède deux salles et une excellente programmation, premières exclusivité avec films en version originale.
Frédéric Aron a donc composé un "documentaire" pour France Culture avec un soin tout particulier, en collaboration avec Vincent Abouchar qui s'est chargé de la réalisation. Après plusieurs repérages, Aron a choisi de tourner son émission dans les différentes pièces de notre maison, la salle de montage pour interroger Sylvie Najosky, l'une des organisatrices du Festival Face à Face du film gay et lesbien de Saint-Étienne (Françoise vient de publier le DVD Gais Gay Games autour des jeux olympiques LGBT de Cologne), la salle de projection pour Noël Burch, célèbre théoricien du cinéma et réalisateur qui fut l'un des formateurs de Françoise à l'Idhec et a suivi son parcours depuis Mix-Up ou Méli-Mélo, au salon pour moi (en plus de partager sa vie, j'ai composé la musique des derniers films de Françoise, dont les trois derniers sortis en DVD, Ciné-Romand, Gais Gay Games en collaboration avec Sacha Gattino et Thème Je avec Bernard Vitet). J'y raconte la rencontre avec Françoise qui peut être considérée comme une petite mise en scène typique de sa fantaisie. L'émission est passionnante, avec un petit bémol à la clef, l'utilisation anecdotique de musiques exogènes qui n'ont absolument rien à voir avec le monde sonore de Françoise qui jusque là avait collaboré avec les compositeurs Nicolas Frize et Bruno Coulais, ou l'ingénieur du son François de Morand... On croirait avoir soudain zappé sur une station radio privée. Dommage, on frisait la perfection.
Par contre, aucune réserve sur le cinquième DVD de Françoise dont on fêtera ce soir la sortie puisqu'elle est sa propre productrice. Elle y raconte d'ailleurs comment elle dut vendre son appartement pour financer ce projet intime commencé en 1999 et terminé cette année. Si le film est une comédie, parfois dramatique, les passages "sexe" excluent le public enfants. À l'issue de la projection on trouvera les cinq DVD parus, ainsi que le CD Carton, composé avec Bernard Vitet, dont les chansons accompagnent Thème Je.

vendredi 9 septembre 2011

Carnet de Françoise Romand


Avec le développement du numérique grand public il est devenu banal de raconter que chacun peut aujourd'hui faire un film, un disque, un livre ou devenir photographe. C'est sans compter le budget de promotion et la soumission des organes de presse aux grands groupes industriels qui les possèdent. L'argent appelle le commentaire. Si les petits producteurs ont du mal à imposer leurs productions que dire des indépendants qui travaillent dans le luxe de leur liberté de création ? Devant la paresse des journalistes spécialisés les blogueurs ont la place de s'exprimer, même si leur impact est moindre dans un premier temps.
J'en sais quelque chose pour avoir produit une trentaine d'albums depuis 1975 sur mon propre label, GRRR. Mon dernier en date, duo avec Michel Houellebecq, n'a pas atteint les 500 exemplaires alors que le poète (il s'agit de textes issus du Sens du combat et de La poursuite du bonheur) avouait "quelque chose d'assez rare dans ma vie : une collaboration avec un musicien, réussie." Aucun média littéraire ou généraliste ne l'a évoqué, ni en bien, ni en mal. Seuls les magazines de musique l'ont chroniqué. L'objet a beau être superbe (pochette et livret d'Étienne Auger), il n'atteint pas sa cible.
La même mésaventure touche les DVD de Françoise Romand. Si ses deux premiers, Mix-Up ou Méli-Mélo et Appelez-moi Madame furent chroniqués, elle les attribue au fait qu'ils furent produits par Antenne 2, TF1 et l'INA. Le suivant, entièrement financé par la réalisatrice, Ciné-Romand, passa presqu'inaperçu. Aussi s'inquiète-t-elle pour la sortie cette semaine des deux nouveaux, Gais Gay Games et Thème Je, qui souffrent des mêmes qualités tant cinématographiques (saluées par le célèbre critique américain Jonathan Rosenbaum) que graphiques dans leur habillage stylé (pochettes de Claire et Étienne Mineur, ou de Caroline Capelle). Un site Internet présente l'ensemble avec le même soin, et ils sont tous distribués par Lowave.


Mais rien ne vaut la projection en salle. Ainsi la première de Thème Je aura lieu au Cin'Hoche à Bagnolet mercredi prochain 14 septembre à 20h en présence de Françoise Romand. Vous y êtes cordialement invités, d'autant que la séance sera exceptionnellement gratuite ! Venez nombreux (la salle est grande) et faites honte aux professionnels qui manquent furieusement de curiosité...
Si vous désirez vous mettre en appétit, le même jour à 17h, France Culture diffuse son émission Sur les docks dédiée au travail de la réalisatrice avec, en guest stars, Noël Burch, Sylvie Najosky et votre serviteur.

P.S.: le choix du photogramme illustrant cet article n'est pas innocent. Qu'inventer pour attirer l'attention ?!

lundi 22 août 2011

Ella et Pitr collent en Arles


Françoise a commencé à tourner le petit film qu'elle réalise sur les papierspeintres Ella et Pitr. Nous les avons rejoints en Arles où ils collaient de grands cadres incitant les passants à se photographier devant et à leur envoyer le résultat pour publication sur leur site. La vente des dessins, affiches ou pavés illustrés les autorise à continuer d'offrir leurs œuvres à la rue. Neuf cents personnes leur ont déjà répondu, photo à l'appui. Dans notre quartier le cadeau qu'il nous firent avait provoqué une rixe avec les sorcières qui habitent au fond de l'allée et qui avaient tout déchiré.


Ella et Pitr travaillent à l'avance sur les fins de rouleaux de papier journal récupérés dans des imprimeries. Un coup de balai à colle sur le mur dont les anfractuosités donnent du relief à leurs personnages, un second coup sur l'affiche, et le tour est joué. À chaque station leur fils Piel qui vient d'apprendre à faire pipi tout seul marque son territoire à l'instar de son papa lorsqu'il graphe clandestinement le métro de Naples ou les rues de Tokyo. La gentillesse du couple d'artistes incite les badauds à discuter avec eux lorsqu'ils les croisent...

lundi 1 août 2011

Pyrénées (semaine 1)


Nous avons perdu l'habitude des jours de la semaine, mais chacun est marqué par un évènement déterminant. Le premier, nous évitons les bouchons sauf à la sortie de Paris ; l'autoroute qui descend vers Limoges est suffisamment agréable pour que nous ne sentions pas les heures qui défilent ; à la sortie de Toulouse une automobile en flammes nous oblige à quelques détours pour rejoindre Luchon ; l'arrivée à l'ancienne grange est épique, sous une pluie intense et un brouillard à couper au couteau je glisse sur une bouse de vache et fais un vol plané dans l'herbe trempée. Nous sommes encerclés par trois cent cinquante bovins dont une centaine de veaux et sept taureaux très impressionnants que l'on dirait préhistoriques.


Nous entamons nos vacances avec Anny, Adriana et la petite Alicia qui s'en vont le lendemain tandis que débarquent Marie-Laure et Sun Sun, accueillis par une météo à peine plus clémente. Le matin suivant, j'attrape un coup de soleil sur la nuque comme nous grimpons dans la montagne. Une dizaine de vautours tournent au-dessus de nos têtes, Françoise cueille quelques fleurs pour poser un bouquet devant la cheminée autour de laquelle nous nous réchauffons quand vient le soir.
Le samedi se rappelle à notre bon souvenir si nous ne voulons pas rater le marché. Comme le prochain est le mercredi nous faisons des provisions pour ne pas avoir besoin de redescendre dans la vallée. Dans les allées d'Étigny je trouve un hotspot pour récupérer mes mails en me tenant sur un pied tel un échassier des temps modernes, un peu ridicule. Nous garons les voitures au bout du chemin et Françoise fait la navette avec la Lada pour ne pas esquinter le bas de caisse.


Le quatrième jour est celui du déjeuner annuel de l'association des résidents de Lespone. C'est l'occasion de rencontrer nos voisins et de confronter des vécus on ne peut plus différents. Nous sommes vingt cinq à dévorer pâté, côtelettes, patates, bien arrosés, en particulier par un vieil Armagnac à qui nous jetons un sort.
La température oscille sans arrêt entre 8° et 25°. Un jour sur deux est ensoleillé tandis que l'autre ne nous permet même pas de voir à dix mètres. Comme en Bretagne devant l'océan le panorama change toutes les cinq minutes. Il suffit d'un petit coup de vent, d'un courant ascendant pour que les nuages changent de formes, disparaissent ou recouvrent le paysage d'un coton épais transformant la pente en île inaccessible.
Le matin du cinquième jour, Nicolas appelle pour prévenir que la nouvelle chaudière est en rade et qu'une forte odeur de fioul envahit l'escalier. Malgré les difficultés acrobatiques pour obtenir du réseau j'arrive à joindre le chauffagiste qui n'est pas encore parti en vacances. Je me détends en tapant ces lignes avec la musique du long métrage que nous avons enregistrée avec Vincent et Antonin et que je découvre finalement quinze jours plus tard comme si elle avait été composée par quelqu'un d'autre. J'en choisirai quelques prises à la rentrée pour mettre en ligne un nouvel album virtuel sur le site drame.org, mais le temps est à la rêverie et à la lecture. Je suis plongé dans le dernier roman d'Umberto Eco qui pour l'instant ressemble plutôt à un ouvrage encyclopédique où apprendre mille et un faits historiques...


Le lendemain, l'énigme du Cimetière de Prague commence à prendre corps. Le thermomètre descend à 4°C pendant la nuit. Nous assassinons des centaines de mouches venues avec les vaches, à coups de journaux lorsque les rouleaux de glu sont saturés. Je deviens copain avec les deux juments en liberté dans le pré. Alain nous explique que le Conseil Général rembourse les 400 euros de l'antenne Internet si nous nous abonnons. Cela nous permettrait aussi d'avoir un téléphone qui fonctionne plutôt que le système hertzien dont les parasites couvrent les conversations.
Le septième jour, la brume rétrécit l'espace à une bulle aveuglante qui flotte au-dessus de la vallée. Les cloches à vache s'arrêtent de tinter. On entend le silence.

mercredi 13 juillet 2011

Coupés du monde


Avant que le soleil se couche nous sommes allés admirer l'affiche que Ella et Pitr ont collé la veille aux Lilas. Françoise et moi ressemblons au petit couple à cheval sur le front de l'oiseau bleu. Nous quittons Paris d'abord pour les Pyrénées où toute connexion à la Toile est impossible. Il faudrait monter au sommet ou descendre dans la vallée, mais nous avons besoin de vacances. Ensuite nous nous laisserons glisser le long du cou de l'animal en suivant la vague. L'été succédera à l'hiver. Adelaide et Nicolas gardent la maison avant d'emménager à Marseille. Scotch nous accompagne. Je reprendrai probablement le fil du blog d'ici la fin du mois lorsque nous serons dans le sud. D'ici là nous arpenterons les pentes à pic et nous nous prélasserons au coin du feu avec un bon bouquin.
Le mien sortira le 20 août avec la fournée de la rentrée de publie.net. Le 15 septembre ce sera au tour des deux nouveaux DVD de Françoise, Gais Gay Games et Thème Je. Suivra la diffusion de La planète dans tous ses états de Hubert Védrine réalisé pour Arte par Pierre Oscar Lévy dont j'ai signé la musique avec Vincent Segal et Antonin-Tri Hoang, tandis que la nouvelle tournée des lapins débutera en Estonie !
Beaucoup de projets pour la rentrée, aussi avons-nous besoin de régénérer nos forces, en commençant par le farniente...

lundi 4 juillet 2011

Le site de Françoise Romand en tenue d'été


Prévu pour le printemps, la refonte du site de Françoise Romand sort pour les vacances d'été. Entre les textes, les images, les films, la présentation graphique, les délais sont toujours plus longs qu'annoncés. Caroline Capelle avait déjà réalisé la pochette du DVD Gais Gay Games en s'inspirant de la collection dessinée par Claire et Étienne Mineur, elle a cette fois rempoté les petites fleurs d'Appelez-moi Madame pour faire éclore les créations cinématographiques de Françoise. En guise d'engrais, Sophia Milann s'est attelée à la programmation sous le soleil de Guylaine Monnier et Bertrand Gac de Regart.net. Tout n'est pas encore sorti, mais les graines peuvent germer. Un bémol, de taille à mes yeux, le site est en Flash et donc incomplet sur iPad ou iPhone. L'ouverture tombe à pic, Thème Je, cinquième DVD, sortira le 14 septembre, avec projection publique (et gratuite !) au Cin'Hoche de Bagnolet. En attendant, bonnes vacances à celles et ceux qui les prennent enfin ou déjà.

mercredi 22 juin 2011

"Thème Je" en exclusivité


Il est des mois creux. Janvier est de ceux-là. Sans enfant scolarisé, c'est le moment idéal pour partir au soleil. Les prix sont bas, les sites déserts. À vérifier la date, certains penseront que je suis tombé sur la tête et ils auront raison, mais cela ne date pas d'hier. Le climat de notre mois de juin fait plutôt penser à novembre. Et encore ! C'est un automne pourri que nous vivons là. Pourtant le printemps avait été radieux, surtout pour les Arabes. Enfin, pas tous. Mais l'idée que l'impossible avait vu le jour avait redonné de l'espoir à celles et ceux à qui l'on objectait que "un oranger sur le sol irlandais, ça on ne le verra jamais" (Bourvil). Il n'y a plus de saisons, répétaient les grand-mères. Le réchauffement de la planète est accompagné d'effets secondaires. Le temps qu'il fait, le temps qui passe, sont des données relatives, que l'on s'ennuie ou que l'on s'affaire. Juin a toujours été pour moi un mois plein où les projets se bousculent au portillon. Cette agitation a paradoxalement suscité les phrases précédentes. Le sujet est pourtant d'un autre ordre, ou d'un autre désordre.
Car le thème du jour, c'est "moi". Entendre le titre du dernier film de Françoise Romand, Thème Je, une question dont j'ai la joie d'être la réponse sans y figurer autrement que métaphoriquement et subrepticement dans le rôle du Joker. En anglais, The Camera I, machine androïde, renvoie à l'œil de Dziga Vertov. J'ai toujours apprécié les jeux de mots, et j'applaudis ici les maux du Je de Françoise qui s'est filmée comme aucun cinéaste n'ose le faire, sans ne jamais chercher à se présenter à son avantage, plus appliquée à défendre "l'autre" avec compassion, quitte à se sacrifier pour son sujet. Lorsqu'il s'agit de soi, l'abîme vous flanque le vertige. Heureusement Thème Je vous embarque pour 1h45 d'aventures aussi drôles que dramatiques.


Plutôt que recopier le dos de la jaquette à laquelle je participai, je préfère citer la critique Anne Gillain : "La quarantaine parisienne, Françoise Romand se perd dans les cœurs et dans les villes. Une auto-dérision jubilatoire vécue sur plusieurs continents en mélangeant les langues dans une diversité culturelle, raciale et sexuelle ancrée dans son époque. Loufoque, ce portrait déjanté d'une cinéaste non linéaire explore l'auto-fiction avec ce mépris joyeusement décapant pour les conventions et susceptible de séduire un public jeune. Dans un genre assez inédit au cinéma, avec fantaisie et malice, humour et grincements de dents, elle met en scène des fantasmes fantasques. Elle s'invite au scalpel dans votre miroir, s'invente des jeux de hasard et un secret de famille. Cette expérience en DV flirte avec la webcam pour poser des questions de cinéma."
Tourné entre 1999 et 2010, le film ne voit son aboutissement que cette année. J'en vis une des innombrables versions alors que je vivais avec Françoise depuis déjà quelques mois. S'il m'apparut comme son meilleur film depuis Mix-Up ou Méli-Mélo, une question me tarabustait et une mise au point s'imposa : "as-tu vraiment besoin de vivre avec deux hommes à la fois ?" et "moi, tu ne me filmes pas, parce que je suis dans la vraie vie." Huit ans plus tard, Françoise a terminé le montage, intégré les chansons que j'avais écrites avec Bernard Vitet en 1992 et qui collent parfaitement aux différentes scènes qu'elles accompagnent, quitte à transformer le drame en joyeuse comédie.
La magnifique pochette de Claire et Étienne Mineur rejoint la collection DVD qu'ils ont illustrée, après Appelez-moi Madame et Ciné-Romand. Bonus tourné en 1977, Rencontres, le premier film de Françoise, montre à quel point son cinéma a de la constance : ses documentaires appartiennent plus à la fiction qu'à une quelconque quête du réel. Sa fantaisie s'étale sur l'écran quelle que soit la saison, tandis qu'elle nous livre ses quatre vérités de menteuse en scène. Elle nous raconte des histoires. Qu'imaginer d'autre lorsque surgit une caméra ? Chacun prend la pose. Françoise n'essaie jamais de nous la faire oublier. Elle joue avec, entraînant les acteurs dans son sillage.
Le DVD ne sortira qu'en septembre (dist. Lowave), mais on peut l'acquérir en exclusivité en écrivant à la production.

mardi 21 juin 2011

Jour chômé


Court extrait filmé par Françoise Romand du concert donné vendredi dernier avec Antonin-Tri Hoang (sax alto et clarinette basse) et Lucien Alfonso (violon) au Souffle Continu. On me voit ici au Tenori-on...


J'ai déjà raconté cette histoire. Pour la première Fête de la Musique, le 21 juin 1982, nous avions équipé la 2CV de Brigitte Dornès d'un pavillon de haut-parleur et ouvert la capote. Nous jouions debout avec les musiciens que nous croisions dans la rue ou qui étaient à leur fenêtre. Je partageais anches, flûtes, percussion et instruments électroniques sur piles avec Hélène Sage tandis que Marianne Bonneau enregistrait notre promenade musicale. J'en ai numérisé un long extrait pour le site drame.org (index 7). L'année suivante, les professionnels avaient récupéré la belle initiative, la transformant en foire d'empoigne pour occuper les meilleurs spots de la capitale. De ce jour, j'ai décidé que le 21 juin serait pour moi un jour chômé, espérant que les amateurs sauteraient sur l'occasion pour mettre le pays en musique. Comme un jour des fous, sorte de tintamarre Cagien !

lundi 20 juin 2011

Converser ou conserver ?


Improviser entre musiciens qui ne se sont encore jamais rencontrés musicalement a toujours un goût de trop peu. Lorsque l'expérience est heureuse ! On aurait aimé développer une séquence chargée de promesses, revoir une association de timbres, reprendre une mélodie, écouter mieux les autres...
Sans aucune répétition les premiers pas peuvent être hésitants. Très vite on reprend ses sens, surtout lorsqu'une pause permet de repartir sur un autre pied.
L'improvisation libre devrait autoriser tous les outrages, toutes les citations, tous les rythmes, toutes les absences, tous les tons, la voix, le texte, les mélodies, les bruits et le silence.
Improviser, c'est réduire le temps entre la conception et la réalisation, c'est composer dans l'instant. Cette fulgurance ne tend pas pour autant vers zéro ; le cerveau doit intégrer à la fois la logique de son propre discours, celui de ses alter ego et la structure globale de la pièce en jeu. L'équilibre est ardu. On ne découvre ce qui s'est réellement joué qu'à la réécoute de l'enregistrement (s'il existe). L'objectivité est un leurre. Il suffit d'être content de soi pour trouver la performance globale exceptionnelle ou mal dans sa peau pour s'en voir contrarié. Du public on prend les compliments ou les critiques, mais n'en rien croire. Chacun, chacune, se fait son cinéma et entend différemment la musique. Sa culture, sa forme, sa quête du moment interagissent sur la perception. Les musiciens, comme les spectateurs, n'y échappent pas.


Le danger n'est pas si terrible. Est-il plus risqué de répéter inlassablement la même formule à succès que de se lancer sur le fil, prêt à toutes les fulgurances. Il est certain que dans la continuité l'improvisation connaît des temps forts et des temps faibles. Mais n'est-ce pas le lot de toute œuvre de jouer sur la tension et la détente, la consonance et la dissonance ? Les spectateurs sont probablement plus sollicités face à une musique qui se crée dans l'instant devant eux comme lorsqu'ils admirent un acrobate en haut du chapiteau. L'œuvre écrite est en quelque sorte prémâchée. L'œuvre instantanée tient compte du moindre bruit de la salle, elle intègre ce qui se passe au delà de la rampe, générant un dialogue impossible, qui tient pourtant plus de l'échange que du don.
Cette conversation s'opposerait à son contrepet, la conservation. Digressions, coupures de paroles, monologues, ping-pong, complicités, séductions, déférences. Dans le feu de l'action ou de la passion on se laisse emporter. Le moment est unique, irreproductible. Comme chaque seconde de notre vie... Ici, que l'on y on assiste ou y participe la création peut chambouler nos certitudes. Rappelons pour terminer une phrase de S.M.Einsenstein qu'Un Drame Musical Instantané inscrivit en exergue de leur première publication en 1976 : "il ne s'agit pas de représenter un spectacle qui a achevé son cours (œuvre morte), mais d'entraîner le spectateur dans le cours du processus (œuvre vivante)." Déjà je ressasse. L'improvisation n'empêche ni la répétition ni la citation, n'est-ce pas ? Et mon point d'interrogation invite au dialogue !

Photogrammes du film tourné par Françoise Romand au Souffle Continu, improvisations avec Antonin-Tri Hoang et Lucien Alfonso.

jeudi 2 juin 2011

Gais Gay Games


Gais Gay Games est le dernier film de ma compagne, la cinéaste Françoise Romand. Il ne va pas le rester longtemps car suivra très vite Thème Je (The Camera I). Deux DVD coup sur coup : la maison ressemblait à une ruche toutes ces dernières semaines. C'est le quatrième et le cinquième après Mix-Up ou Méli-Mélo, Appelez-moi Madame et Ciné-Romand. J'ai trouvé le titre de Gais Gay Games, composé la musique avec Sacha Gattino et réalisé le mixage.
Lorsque Françoise est partie à Cologne en août dernier pour filmer les Jeux "Olympiques" Gays, sollicitée par le Festival LGBT de Saint-Étienne, j'ai trouvé l'idée saugrenue, rétif à toute représentation audiovisuelle du sport et pensant qu'il y avait déjà tant d'homosexuels dans les Jeux officiels que je ne voyais pas très bien ce qu'elle en tirerait. C'était mal la connaître ou ne pas lui faire suffisamment confiance. Françoise a filmé comme à son habitude, avec tendresse et humour, concoctant une comédie documentaire dont le ton ravira autant les hétéros que les homos car ce n'est pas la question. Kaléidoscope aux couleurs du drapeau gay, les paroles virevoltent, les corps s'épanouissent, les participants se livrent. Des témoins se rétractant par crainte du regard d'autrui sur leur engagement, Françoise est obligée de créer des stratagèmes inventifs qui soulignent la modernité du film. Prétexte à se rencontrer et être ensemble, la compétition sportive l'est aussi à mettre en scène des êtres humains, entendre qu'ils "sont" et que leur humanité ne s'embarrasse pas des clivages communautaires. Ce moyen métrage d'une trentaine de minutes est accompagné des bandes-annonces des autres films de Françoise, la pochette est de Caroline Capelle, l'authoring de Simon Picard. Il est sous-titré en français, anglais, allemand...
Même si certains sont graves, ses films sont tous des comédies. On verra comment, en particulier grâce aux chansons, le long métrage Thème Je ne dérogera pas à la règle de l'exception, mais ça c'est une autre histoire.

Pour recevoir en exclusivité, avant sa sortie officielle, le DVD Gais Gay Games, envoyer 10 euros (port inclus) par PayPal à romandeco@free.fr en précisant votre adresse.

P.S. : la bande-annonce est en ligne sur la chaîne CinéRomand...

mardi 31 mai 2011

Revision


Voilà plusieurs jours que j'ai décidé d'écrire un billet sur le fait que je dors très peu. M'endormant facilement à bout de fatigue et étant trop heureux de me réveiller, j'émets des doutes sérieux sur ce qui se trame dans mon inconscient. Alors que je viens de trouver le titre de mon billet, Sans sommeil, je découvre que j'ai abordé le sujet le 31 janvier 2007 et que je lui ai même attribué ce titre-là !
Jouant aux dix films à emporter sur une île déserte avec Jonathan, je fais une recherche dans mon Blog, et vlan, L'ile déserte sort du chapeau à la date du 18 mai 2007. Je ne m'étais alors autorisé que des films publiés en DVD. La donne a changé. Ma cinémathèque a considérablement augmenté. Aujourd'hui, comme nos listes sont trop longues, nous choisissons seulement des films que nous pourrions revoir quel que soit le moment, là, à l'instant.
Dans le désordre, comme ils me viennent, je sélectionne :
Muriel (Alain Resnais) qui était déjà le premier de ma liste précédente et dont j'ai affublé ma fille en second prénom à son grand dam
La nuit du chasseur (Charles Laughton), film orphelin que Carlotta vient de ressortir au cinéma
Adieu Philippine (Jacques Rozier) dont je connais tous les dialogues par cœur
Johnny Guitare (Nicholas Ray), idem
L'âge d'or (Luis Buñuel) puisqu'il faut bien n'en choisir qu'un
Faust (F.W.Murnau) d'autant que le Drame en avait composé une partition complète et que nous ne l'avons jamais joué
Le testament du Dr Mabuse (Fritz Lang) comme M qui forme dyptique avec lui
Le testament d'Orphée (Jean Cocteau), son dernier film résume toute son œuvre
Anathan (Josef von Sternberg), un autre dernier film, en japonais, commenté par l'auteur
La grande illusion (Jean Renoir) pour ne pas prendre La règle du jeu que Jonathan emporte déjà !
Les demoiselles de Rochefort (Jacques Demy), mais c'eut pu être Les parapluies ou Une chambre en ville
Uccellacci e uccellini (Pier Paolo Pasolini) aussi bien que La ricotta
Histoire(s) du cinéma (Jean-Luc Godard), pirouette élargissant fabuleusement le champ
Cela fait déjà 14 et tous ceux ou celles qui se prêtent à l'exercice trichent en ajoutant qu'ils ont laissé de côté tel ou tel, comme moi Les petites marguerites (Vera Chytilova), Un chant d'amour (Jean Genet), La rue de la honte (Mizoguchi Kenji), Vertigo (Alfred Hitchcock), Mon oncle (Jacques Tati), Le guépard (Lucchino Visconti), Gertrude (Carl T.Dreyer), Persona (Ingmar Bergman), La glace à trois faces (Jean Epstein), A Movie (Bruce Conner), The Peeping Tom (Michael Powell), Hellzapoppin (H.C. Potter), La route parallèle (Ferdinand Khittl), L'homme à la caméra (Dziga Vertov), La face cachée de la lune, que je ne pourrais pas forcément regarder là, tout de suite, sans réfléchir. J'ai carrément oublié Welles, Pasolini, Dreyer, Moullet, Vigo, Bresson, Ophüls, Fuller, Chaplin, Keaton, Fassbinder, Oshima, Varda, Marker, Jacques Tourneur, Lynch, Pelechian, faute de n'avoir pas su choisir... Ni documentaires ni animations, ni ceux de Françoise ou les miens, ni courts-métrages... Le pari est stupide.
Aussi subjectif que moi, Jonathan Buchsbaum sélectionne Muriel et L'âge d'or comme moi, mais ajoute La règle du jeu, Dead Man, Citizen Kane, Satantango, La terre tremble, M le maudit, Les mémoires du sous-développement, Point Blank, Le samouraï, L'éclipse et bien d'autres, parce que nous trichons définitivement tous ! Jonathan, qui m'a suggéré Hell in the Pacific de John Boorman pour illustrer notre île déserte, propose que la prochaine fois nous nommions dix films des vingt dernières années en espérant qu'on arrivera à dix...
L'exercice est un peu vain, mais il peut fournir des pistes. Les choix, forcément subjectifs, renvoient à l'histoire de chacun. Le cinéma a tout à voir avec le souvenir et le fantasme, l'identification à des histoires vécues et les perspectives que l'on se donne encore. Dans ma liste je note tout de même que la mémoire et le testament se complètent, que l'on peut toujours tourner la page et renaître, que tous mes chouchous sont des vecteurs tirant leurs sources dans le passé pour mieux affronter l'avenir et qu'ils incarnent tous une lutte contre la mort. Ce qui me ramène à mon interrogation initiale sur les raisons de ma veille. Le cinéma m'empêcherait de m'endormir, donc de mourir, mais c'est la musique qui me réveille, un merle en particulier, me rassurant chaque matin que je suis toujours en vie.

mercredi 20 avril 2011

La ruche à tous les rayons


J'envie Simon et sa nouvelle auto dont la couleur est exactement la nôtre. J'aurais fait de sacrées économies si j'étais tombé sur un engin comme celui-là, vive les travaux publics ! Ni le bleu gendarme de l'Espace partie à la casse ni le bleu clair de la Pépite flambant neuve n'arrivent aux jantes de cette Express (Orange was the color of her dress).
Simon, Caroline, Thibault passent de temps en temps assister Françoise comme jadis Julien, Olivier, Annabelle, Igor, Lucie, Pauline et bien d'autres. La maison ressemble alors à une ruche. Le studio accueille souvent les musiciens avec qui je travaille, et les amis. Comme la maison est grande, nous avons deux chambres qui leur sont consacrées, rose ou bleue. Le registre affiche souvent complet. Nous entretenons ainsi une plus forte intimité avec les provinciaux, les étrangers ou les lointains banlieusards qu'avec les Parisiens. Les heures tardives de la nuit et celles de l'aube poussent aux confidences, quand on ne pense plus au dernier métro ou que l'on envisage ce que la journée nous réserve. Certains font un passage éclair, d'autres restent un mois. Je retrouve les accents des débuts de mon indépendance lorsque nous vivions en communauté, ce que l'on appellerait aujourd'hui la coloc. Un grand appartement et chacun sa chambre pour un loyer plus acceptable. Depuis qu'Elsa est partie vivre de ses propres ailes la maison est trop calme. Faire hurler les haut-parleurs me ramène à mon adolescence plutôt qu'à la sienne. Partager le quotidien avec d'autres nous sort du monde exigu du couple. On est d'ailleurs souvent plus dignes en présence de tiers que confinés dans la névrose qui risque de s'installer avec le temps et les habitudes.
J'imagine quitter Paris un jour, mais je sais que notre nouvelle maison devra être encore plus accueillante si nous ne voulons pas nous cloîtrer dans un splendide isolement. Lorsque nous nous en allons nous préférons la confier, avec le chat en prime, plutôt que la laisser vide.
J'aime partager, la vie, la musique, les émotions, la cuisine, le temps qui s'en trouve décuplé, comme si l'on vivait plus longtemps et plusieurs fois dans le même, un vie quantique. Dimanche nous étions dix à table dans le jardin et je pensais aux abeilles qui passaient de temps en temps humer le menu concocté par Benoît avec le soutien de sa Françoise et de leurs enfants. Ève avait apporté le fromage, Antonin un dessert, les conjoints papillonnaient autour, leurs yeux plissés par le soleil. J'ai photographié le sourire des amants. Il y a longtemps dans cette colonne j'avais décidé de tirer le portrait de tous les amis de passage, mais j'oublie presque chaque fois. Dans dix ans, dans vingt ans, si je suis encore là, je regarderai comme ils sont restés jeunes et beaux, parce que le bonheur conserve lorsqu'il est constitué d'un appétit de vivre, d'une résistance militante et de la générosité du partage. Mes amis apportent leur miel à l'existence.
Avec les beaux jours, entendre seulement une météo plus clémente élargissant notre espace au plein air, nous espérons beaucoup de monde. La plupart s'invite d'eux-mêmes. Nous les y exhortons, car nous ignorons les usages de l'invitation formelle. Que notre indisponibilité passagère ne les empêche pas de rappeler une prochaine fois ! À brûle-pourpoint. Les réponses sont franches. De cette promiscuité j'apprends beaucoup. J'adopte l'ailleurs ou l'autrement. Il m'arrive même de me taire.

mardi 5 avril 2011

Les films invisibles


Feuilletant le passionnant catalogue du Cinéma du réel dont la programmation se termine au Centre Pompidou, je dévore la sélection de films invisibles choisis par une cinquantaine de cinéastes, historiens, critiques, etc., œuvres "perdues, détruites, censurées, interdites... peu vues, mal vues, jamais réalisées..." qui me font rêver comme jadis l'Anthologie du Cinéma Invisible : 100 scénarios pour 100 ans de cinéma, rassemblés par Chistian Janicot (ed.Arte).
Si Jonathan Rosenbaum y encense Mix-Up ou Méli-Mélo de ma compagne Françoise Romand (dont aucun des films n'a jamais été programmé au Réel, mais auxquels les éditions DVD offrent une seconde vie !), j'épluche consciencieusement les articles des autres pour déterrer quelques raretés que mes meilleurs limiers sauront bien débusquer. J'évite de m'épuiser sur La mouette de Josef von Sternberg séquestré par Chaplin qui l'a produit, les mythiques director's cuts d'Orson Welles, les inachevés d'Eisenstein, les neuf heures de la version complète de Greed (Les rapaces) d'Erich von Stroheim, etc. Heureusement la planète cinéphile, aussi ronde qu'une bobine ou un disque, révèle d'autres trésors cachés.
Ainsi je mets la main sur une piètre copie de Fear and Desire (1953), le premier long métrage de Kubrick interdit par le réalisateur qui a tenté d'en effacer toute trace, Une partie de plaisir (1975), un Chabrol bloqué pour des questions de droits, First Contact (1982) de Bob Connolly et Robin Anderson d'après les rushes de Michael Leahy sur le choc de civilisations entre lui et un million de Papous inconnus du reste du monde dans les années 1930, Dialogue with a Woman Departed (1980), montage poético-politique de Leo Hurwitz, Thomas l'imposteur (1965) de Georges Franju d'après Cocteau, Stars in My Crown (1950) soi-disant considéré par Jacques Tourneur comme son meilleur, Young Soul Rebels (1991) et Frantz Fanon: Black Skin, White Mask (1996) d'Isaac Julien... Les autres n'ont jamais existé, sont pour l'instant inaccessibles ou ne sont disponibles qu'avec sous-titres italiens. Ce ne sont pas forcément ma tasse de thé, mais toutes les pistes se valent sur le terrain de la curiosité. Il n'y a pas d'autre méthode pour découvrir des chefs d'œuvre méconnus.
Pour dégotter les plus belles perles il faut se lever de bonne heure et recouper les informations. Le blog de Jonathan Rosenbaum est le mieux étayé si on parle anglais et que l'on n'a pas peur de lire de longues et remarquables analyses. Je vais de temps en temps jeter un œil à celui de Bertrand Tavernier consacré aux DVD sur le site de la Sacd. Le plus efficace est de posséder suffisamment de contacts en ville et sur le www pour faire soi-même son petit marché, mais cela prend évidemment un temps fou, alors qu'il faut que je travaille ma trompette, expérimente de nouveaux alliages électroniques, termine mon roman et m'occupe des charges administratives qui affluent en fin de trimestre...

jeudi 24 mars 2011

J'avais annoncé la couleur


J'avais annoncé la couleur dès lundi matin. Mais étais-je déjà au bout du rouleau ou l'ai-je joué professionnel, attendant d'avoir terminé les sessions d'enregistrement avec mes deux camarades pour tomber malade ? Mes boyaux n'ont fait qu'un tour, mon nez s'est mis à couler en cascade, ma gorge a piqué droit vers le val d'enfer. Autant dire que ma nuit fut courte et agitée sans pouvoir m'en servir. J'avais pourtant enfilé ma combinaison anti-nucléaire pour les photos du trio dont nous n'avons toujours pas le nom (non, pas Maurice, surtout si c'est en peinture !). Sacha Gattino avait sorti sa parabole pour capter les signaux de l'espace, Birgitte Lyregaard fredonnait que ça sonnait fresh 'n chips et j'avais troqué mes claviers pour un cornet acoustique. On a mis dans la boîte un joli bouquet de fleurs séchées que l'on ressortira la semaine prochaine pour les tailler, histoire de les rafraîchir. Mon père aurait conseillé l'aspirine, comme pour les poissons rouges.
Le troisième jour, j'avais promis à Elsa de la conduire chercher des herbes aromatiques. Drôle d'idée alors que le panache nous passe au-dessus ! J'ai rapporté de la menthe marocaine, du thym, de la sarriette, de la sauge pour plaire à Françoise, deux sortes de basilic et de l'oseille. Il en faut toujours plus. D'autant que nous avons cafouillé en faisant les déclarations de l'assoc (pas de la sauce !) et qu'Audiens réclame des sommes indues sans qu'on n'y comprenne rien. On arrangera cela aux petits oignons. Comme si ce n'était pas suffisant, aux dernières tomates, des petites cerises qui montent, qui montent, qui montent, l'Urssaf nous gratifie d'un contrôle, rien de grave, mais du temps à perdre, et quand on a la tête dans le cirage la perspective de se plonger dans les comptes n'a rien de drôle.


Lundi, mardi, nous avions improvisé une quinzaine de pièces. Les plus courtes n'étaient pas les meilleures. On a fait un break en descendant sous terre parce que la musique de la ligne 11 qui mène au studio plaît à notre copine danoise. Comme Sacha incarne l'homme-orchestre au volant de ses machines virtuelles, je fais voler la poussière et exhume mon violon, les trompettes, l'entonnoir qui sonne comme une clarinette qui aurait attrapé ma crève et le melodica faisant chavirer Sonia qui nous tire le portrait par l'épier. Quitte à ne pas devenir millionnaires avec nos élucubrations de gamins farceurs et d'adulescents romantiques, autant se lancer dans du laboratoire, quelque chose de véritablement expérimental ! Cela ne signifie pas prise de tête, ce matin la mienne ressemble à une maracas et mon corps à un vibraslap, mais nous prenons le temps d'essayer des alliages inédits. J'ai enfin trouvé l'usage de mon filtre résonateur diabolique en y branchant le Kaossilator ; pour une fois la prudence s'impose ; à force de loucher vers les sub-basses qui dépotent, Vigroux avait fait sauté l'une de mes enceintes... Laisser de côté mes claviers me libère. Birgitte alterne rossignol milanais, flow downtown et l'indicible. J'aurais dû commencer par là.

samedi 19 mars 2011

Retour au bercail (27)


Voilà. C'est fini. Les vacances sont terminées. Ce 27ème chapitre clôt cette série. J'aurais pu publier au jour le jour depuis les cafés et les hôtels où le wi-fi est partout gratuit en Asie, comme je le fais souvent lorsque je voyage, mais il aurait fallu que j'emporte mon ordinateur ou que je me connecte depuis des postes fixes, et surtout que je me mette systématiquement en chasse de cette liaison magique. Or si je suis parti, c'est justement pour fuir ce fil à la patte, cette perfusion quotidienne qui ponctue mes jours et m'esquinte la vue. J'avais besoin de vacances, surtout après le sprint de juillet ; pas moyen de récupérer depuis ; j'avais composé, interprété, enregistré, et ce avec des musiciens, monté sur les images et mixé la musique de 23 courts métrages en moins d'un mois, ce qui me laissait trois heures de sommeil par nuit. J'ai beau être un petit dormeur et faire des doubles ou triples journées de travail, par goût puisque j'ai la chance de faire de ma passion un métier, j'avais besoin de prendre l'air, de casser mes habitudes, de changer d'angle. Voyager dans des pays dont je ne parle pas la langue a toujours produit l'effet désiré. Cela ne m'a pas empêché de prendre des photos comme n'importe quel touriste et des notes sur le petit carnet que j'avais déjà gribouillé en janvier 2008 lorsque nous avions traversé le nord de la Thaïlande et le Laos.
Nous nous sommes reposés la première semaine sur une île thaïlandaise dont je n'ai jamais cité le nom par respect pour tous ses habitués qui m'ont demandé de le taire par crainte d'afflux massif dans les années à venir. Ils rêvent. Des Suédois et des Allemands y construisent déjà un village quadrillé et un grand complexe hôtelier. Il faudra certainement encore fouiner pour trouver de nouveaux paradis que nous contribuons nous-mêmes à polluer par notre rêve d'évasion. Les quinze jours au Cambodge se sont déroulés en trois phases : visite d'Angkor (trois jours suffisent), balade campagnarde sur le lac et au milieu les rizières en descendant jusqu'à Phnom Penh, puis retour au réel dans le monde des ONG et de la prostitution. Bangkok joua enfin le rôle de sas avant de retrouver l'Europe.
Un mois plus tard, je constate l'efficacité des vacances à mes moments de distraction.
J'ai une dent, une chaudière et un évier tout neufs. L'affiche d'Ella et Pitr, lacérée par une foldingue, ne sera pas restée collée plus d'une heure sur notre mur. Sacha et moi avons réalisé notre premier travail de commande en tandem pour Chanel. Le trio que nous avons formé avec Birgitte Lyregaard entame sa seconde période de laboratoire dès lundi prochain. On peut regarder mon duo avec Vincent Segal filmé par Peter Gabor en attendant la suite. Ma fille Elsa a changé de voix sans changer de voie. Françoise va sortir deux DVD au lieu d'un. Pour l'année du lapin nous espérions bien nous envoler vers le soleil levant, mais l'avenir est incertain. Vers où que nos yeux se tournent... Enfin, publier ce récit de voyage avec quarante-cinq jours de décalage m'aura donné un second mois de vacances ! Pour le reste de l'actualité, se reporter aux médias habituels, papier ou virtuel comme Mediapart où ce blog est publié chaque jour en miroir.

samedi 12 mars 2011

Immersion dans le réel (23)


Nous pensions faire du tourisme, arpenter les marchés, et nous voici à Phnom Penh en train de tourner un court-métrage qui pourrait permettre à Françoise de trouver le financement de la production du long métrage qu'elle est en train d'écrire !


Nous avons tout de même pris le temps de visiter le Musée des Beaux-Arts et le Palais Royal.


Françoise a été contrainte d'acheter un T-shirt pour cacher ses épaules nues, car les vigiles refusaient qu'elle ne porte qu'un châle. Les soieries sont si douces, en plus d'être pratiques en voyage, peu de place et infroissables.


Dans les jardins, je respirai les parfums de l'Asie. Trois couleurs pour un seul bougainvilliers.


Deux jours plus tard nous assistons à une manifestation de chemises rouges à Bangkok dans le quartier commercial de Pratunam. À pied, à moto, en camion, les manifestants défilent pendant des heures en accompagnant leurs slogans de percussion et de chansons. Françoise s'émeut, ignorant que la couleur ne revêt aucune connotation révolutionnaire. Le lendemain c'est au tour des chemises jaunes. La Thaïlande est un royaume tiraillé entre plusieurs factions qui toutes respectent le roi tout en ayant chacune la corruption qui lui lui colle aux doigts sans que cela atteigne les proportions du Cambodge où aucune manifestation serait possible, ni même envisagée. Nous éviterons chaque fois les monstrueux embouteillages de Bangkok en négociant astucieusement avec les chauffeurs de taxi, moins onéreux que le SkyTrain, le métro d'ici, réservé aux riches.


Nous y faisons des courses vestimentaires, habitude prise au passage dans la capitale thaï. Dans les centres commerciaux les prix sont délirants, huit fois moins chers qu'à Paris. Il suffit de tomber sur le bon stand, car la plupart des couturiers vendent la même camelote avec petits nœuds, dentelles et autres rajouts d'un goût très chinois. Heureusement les Thaïs sont inventifs et l'on trouve des trucs uniques pour des sommes dérisoires, à condition souvent d'acheter les articles par trois, soldes (c'est l'époque puisque le Nouvel An Chinois est dans une semaine) ou grossistes obligent.
Pendant notre voyage nous constatons que la Chine gagne sans cesse du terrain et nous ne donnons pas cher non plus de notre peau tant l'invasion est inéluctable. Le capitalisme stalinien fait froid dans le dos...

mercredi 23 février 2011

Bamboo Train (15)


La fin d'après-midi sera plus amusante que le pèlerinage sur les lieux du crime. Nous empruntons un des derniers trains de bambou, une natte sur deux essieux et un moteur de tondeuse à gazon. Lorsque nous croisons un autre chariot qui ramène les paysans de la rizière un des deux conducteurs démonte et dépose son véhicule sur le bord de la voie pour laisser à l'autre le chemin sur les rails.


Et nous revoilà repartis à toute birzingue, agrippés à la barre, les cheveux au vent, avec le soleil qui se couche sur la campagne et le son des rails tordus qui nous secouent comme si nous étions à la Foire du Trône. Sur leur blog en temps réel, ma nièce Chloé et son copain Simon précisent que ce sont des roues de char allemand. À l'instant où je mets en ligne ils ont franchi la frontière vietnamienne.


Françoise avec sa caméra et moi avec mon Lumix filmons en HD plusieurs plans séquences dont l'un servira de générique de fin à Thème Je, laissé en suspens jusqu'à notre retour. Comme si Françoise filait vers de nouvelles aventures, les rails du chemin de fer se croisant à l'infini. Comme elle sait exactement comment l'intégrer elle cadre les rails sur la gauche pour laisser défiler les noms de toute l'équipe.

samedi 12 février 2011

Duo Birgé Segal au Triton ce soir à 21h


Cherchant un titre à notre duo, j'ai tout de suite pensé à Duchamp. Comme la rencontre fortuite sur une table de dissection d'une machine à coudre et d'un parapluie semble avoir été créé pour nous. On reconnaîtra facilement l'analogie avec le violoncelle de Vincent Segal et mes détournements. Notre art serait-il une savante entreprise de déconstruction qui transite par des années d'analyse pour sauter directement au passage à l'acte ? Une histoire de fous, en somme.
Le programme détaille :
Si le violoncelliste Vincent Segal ne craint pas la pluie, le compositeur Jean-Jacques Birgé possède une collection d'aiguilles. Sur scène tout est possible. Sérieux comme des bouffons, ils nous convient à partager leur nouveau chant de Maldoror, parodiant tout ce qui tombe entre leurs mains sans renier leur amour pour les lieux communs, le romantisme et le naturalisme, l'improvisation et les musiques contemporaines quelle que soit leur époque. Les machines célibataires de Birgé se laissent séduire par le lyrisme et l'élégance du violoncelle de Segal pour construire ensemble la plus humaine des Ève futures. Les deux joyeux adulescents attaquent la musique à l'acide comme une paraphrase critique du monde où ils ont grandi et qui n'est plus qu'une caricature de lui-même. Leur distanciation crée le vertige en incarnant la victoire de l'imaginaire sur le réel.
avec
Vincent Segal - violoncelle, frein et arbalète
Jean-Jacques Birgé - MascaradeMachine, Tenori-on, trompette à anche, flûtes, etc.
L'arbalète, le frein, la trompette à anche et les flûtes ont été construits par Bernard Vitet dans les années 70. MascaradeMachine est un instrument virtuel conçu par Antoine Schmitt et J-J Birgé en 2010.
J'ai fourni une photo que Françoise avait faite l'an passé au moment de notre visite-concert de l'exposition Vinyl à la Maison Rouge. J'ai relu ce que nous avions imaginé pour cette rencontre rare.
Ce soir, samedi 12 février à 21h au Triton

, nous improviserons librement en nous laissant aller au plaisir de jouer ensemble et de partager ces instants avec le public. En relisant cette dernière phrase ou si j'écoute ce que nous avons déjà enregistré ensemble il me semble avoir bien changé depuis les spectacles d'Un Drame Musical Instantané...

mardi 8 février 2011

Un album en une journée, du rêve à la réalité


Mettre en ligne un album le jour même où il est imaginé et enregistré ! Une heure de musique inédite, en direct ou téléchargeable gratuitement sur le site drame.org. Le nouveau trio réunit la chanteuse danoise Birgitte Lyregaard, le polyinstrumentiste Sacha Gattino et moi-même.
Hier lundi nous avons donc composé, enregistré, produit et publié un album entier de notre nouveau trio.
Improvisateurs chevronnés, entendre des compositeurs ayant suffisamment travaillé dans le passé pour avoir rassemblé des caisses de biscuits et pouvoir les digérer le temps d'une session de trois heures, technophiles ayant suffisamment roulé leur bosse pour détenir leurs moyens de production et être capables de maîtriser ces nouveaux outils, zébulons assez fous pour mettre en ligne le soir le travail de la matinée, nous nous sommes bien trouvés tous les trois, d'autant que l'entente est parfaite, tant au niveau des humeurs que de la musique.
Alors que j'ai la chance inouïe de jouer au Triton (Les Lilas) samedi prochain avec le violoncelliste Vincent Segal, et nous nous entendons comme larrons en foire, une histoire de pur plaisir et de complicité absolue, je fais coup double en montant un trio avec Birgitte Lyregaard (qui vient de sortir un très bel album de jazz intitulé Blue Anemone avec le pianiste Alain Jean-Marie sur Challenge et qui a plus d'une corde à son arc vocal, sic) et Sacha Gattino (alter ego du nouveau siècle avec qui j'ai déjà enregistré, entre autres la musique du dernier film de Françoise Romand, Gais Gay Games). Avec Vincent comme avec mes deux nouveaux acolytes, l'ambiance est la même. Détente et concentration maximales. Les deux conjuguées nous laissent croire que tout est écrit alors que nous inventons à chaque pas sans ne rien savoir à l'avance de notre voyage. Ensuite, chaque auditeur/auditrice y trouvera ou non son bonheur, mais l'essentiel est que nous soyons aux anges, avec l'irrésistible désir de nous retrouver et de continuer.
Au delà de cette excitation de la découverte, le principe de cette journée productive pose de sacrées questions sur l'industrie du disque. Nous aurions probablement pu améliorer le montage en coupant quelques longueurs, enregistrer en multipistes pour parfaire le mixage, compresser l'ensemble pour offrir un master exemplaire, recommencer quelques prises, faire des morceaux plus courts, mais le fait est là, la musique est accessible dans le monde entier quelques heures seulement après en avoir rêvé !

lundi 27 décembre 2010

Verglas


Aujourd'hui je glisse rapidement. Le trottoir garantit de beaux vols planés. Marcher sur la neige sécurise mes pas tandis que la moindre trace de chaussure la fait fondre avant de geler. J'attaque l'épaisse couche de glace avec le tranchant de la pelle pour faire éclater les plaques de la patinoire. Samedi Aldo Sperber est venu faire des photos de Françoise et moi sous la neige devant la plage ensoleillée derrière le mur. Tous nos gestes sont inscrits dans le blanc comme fossilisés. Il faudra du temps pour que cela fonde. La porte de la boîte aux lettres est collée. Les merles gobent les baies glacées parfum églantine. Nous préférons le cacao amer de Berthillon dont la coupe est encore plus pénible que celle du verglas devant le garage.

lundi 6 décembre 2010

40 ans d'archives, 300 inédits, 50 heures gratuites


La nouvelle version du site drame.org, qui n'avait pas subi de refonte depuis 1997, est en ligne ! Il y aura encore quelques petits ajustements, mais il aura fallu un an pour en venir à bout. L'ajout le plus important est certainement la radio aléatoire sur la page d'accueil qui permet de se plonger dans l'univers sonore d'Un Drame Musical Instantané, de tous les artistes du label GRRR ainsi que dans mon travail personnel. Sur la Home, on peut donc écouter quelques 50 heures d'archives, la plupart inédites. Si la page Disques est une boutique en ligne et l'on sait le soin que nous portâmes à tous les albums-concepts vinyles, CD ou CD-Extras, la page mp3 offre plus de 300 morceaux inédits en les regroupant par album thématique. Sur chacun, l'écoute est ordonnée comme sur n'importe quel CD avec la possibilité de sélectionner une pièce parmi les autres. Certains albums durent 26 minutes comme mon duo avec Vincent Segal, d'autres durent plusieurs heures jusqu'à 24 heures pour la série des Poisons, époque fondatrice du Drame en 1977. Ce n'est pas tout, le téléchargement de tout cela est également possible et totalement gratuit, mais on peut généreusement soutenir l'entreprise en cliquant sur un des boutons PayPal (remerciement spécial à Emmanuel Girard qui fut le premier donateur hier matin).
Donner libre accès à 50 heures et 40 ans d'archives, c'est jouer le millésime contre la date de péremption. Offrir plus de 300 pièces la plupart inédites, c'est perpétuer un partage qui ne date pas d'hier. Proposer autant de chemins variés, c'est laisser l'auditeur creuser son sillon comme il l'entend. Les mp3 ne prétendent pas rivaliser avec les disques, car rien ne vaut l'objet disque (tous les albums matériels, avec beau livret et qualité audio maximale sont en vente sur le site).
À côté de Radio Drame, on retrouve les rubriques habituelles, News, Presse, Biographies, Liens dont un vers ce Blog, Photos pour la presse, Crédits, etc. Au fur et à mesure je compléterai la base de données mp3, j'actualiserai les news et tenterai d'améliorer la présentation du site. Remerciements particuliers à Contact terrestre, Nicolas Clauss, Antoine Schmitt, Françoise Romand qui m'ont accompagné et conseillé à des degrés divers pour que cette folie devienne réalité.

lundi 22 novembre 2010

Comme Steve McQueen


Ayant regardé Undercurrent (Lame de fond), un superbe Minnelli de 1946 conseillé par Elisabeth, où les rapports psychologiques et les appartenances de classe sont remarquablement mis en scène, nous avions envie de terminer la soirée par un film facile qui nous transporterait jusqu'à notre lit une fois les volets rouverts sur la pleine lune. C'est l'heure des comédies ou des polars. Va pour Bullitt que nous n'avions vu ni l'un ni l'autre depuis belles lurettes, à sa sortie début 1968 en ce qui me concerne.
Quelques mois plus tard, Peter Rambo (rien à voir avec le type qui fait de la gonflette), qui allait prendre la route pour manifester contre la guerre du Vietnam à la Convention Démocrate de Chicago, m'emmena au Fillmore West écouter Kaleidoscope et Grateful Dead dans une longue voiture américaine comme on en construisait encore à cette époque. Mes hôtes californiens étaient un peu plus âgés que moi qui n'avais que quinze ans, ce qui leur octroyait le droit de conduire et d'être assez fous pour rejouer la scène mémorable de Bullitt sans la partition de Lalo Schifrin. La voiture décollait du sol à chaque croisement et retombait sur la chaussée en faisant tonner ses amortisseurs. Je n'en menais pas large d'autant que je venais de tester les produits locaux pour la première fois de ma vie. Les light-shows psychédéliques et les guitares électriques achevèrent de me faire passer dans le nouveau monde, celui qui signale aux adolescents qu'il en est un autre.
Comme je raconte cette histoire à Françoise, elle m'apprend qu'elle entreprit aussi un remake de Bullitt. Un jour (comme un autre) qu'elle entendit que son avion allait s'envoler alors qu'elle était partie se promener dans Kennedy Airport, elle tenta en vain de passer. Les hôtesses refusèrent jusqu'à ce qu'elle explique que sa valise avait été enregistrée et s'envolait seule pour le Festival du Film de Toronto. Boum et reboum ! Les consignes de sécurité sont draconiennes. Au nom de la loi, comme Steve Mc Queen, elle réussit ainsi à faire rebrousser chemin au Boing et à embarquer !

dimanche 31 octobre 2010

Portraits pour très


Des images et des sons. Bernard Vitet est venu écouter et regarder. Contrechamp à la pause. Je lui projète Thème Je que nos chansons accompagnent depuis que Françoise les a intégrées à son nouveau montage. Personne ne pose. Jeux de miroirs et loupe au goût de mon camarade qui en 1977 m'avait photocopié les gravures de son exemplaire du Livre des Inventions. Nous écoutons la maquette de mon nouvel album, du moins les premières ébauches. Bernard, présent à la trompette sur le troisième morceau, doit chanter sur le sixième, dès que j'en aurai écrit les paroles. Il n'avait pas vu non plus les films de Pierre Oscar Lévy de la collection Révélations sur lesquels j'ai placé quelques musiques composées ensemble. Je lui montre la richesse du nouveau site drame.org que j'espère mettre en ligne dès que Jacques aura terminé, soit, pour commencer, trente heures de musique inédites...


Françoise à la loupe elle aussi, sous mes Caramels. Avec, suspendu, le tableau qui fait fantasmer nos invités et délie les langues. Pas sans rapport avec Les miettes du purgatoire. Bernard n'est pas le dernier pour imaginer des histoires abracadabrantes. La chaudière est réparée, le feu frisote dans l'âtre, mais nous avons gardé nos manteaux...


Bien que je connaisse le film de Françoise, j'ai beaucoup ri et j'ai pleuré deux fois. En fait j'ai retenu mes larmes pour ne pas influer sur l'interprétation de Bernard qui évoque plusieurs fois Buñuel pendant la projection. Comme José Berzosa, lui aussi s'attend à ce que ce long-métrage choque une partie du public. Il craint que l'on reproche à Françoise de ne pas jouer. De ne pas jouer la comédie. Parce qu'elle joue beaucoup. Mais au jeu de la vérité. Jusqu'à s'en jouer, fictionnalisant les scènes, qu'elles soient impromptues ou sciemment composées. S'enjouant, sans joug, cent joues en feu, en joue, feu ! Je délire tandis que je l'entends tout en haut monter Gais Gay Games pour le Festival LGBT de Saint-Étienne. Elle me demande chaque fois de lui trouver ses titres. J'adore ça. Comment faire sans jouer avec les mots ?
Je titre "Portraits pour très", complétant dans ma tête "amis". Les cigarettes de Bernard m'ont collé la migraine. Il a même réussi à brûler mon nouveau fauteuil dans le studio. Je n'ai rien dit. Il est comme il a toujours été. Il dit que ce n'est pas le temps qui passe, mais nous qui passons. J'ai rigolé en pensant qu'il avait réussi à marquer son territoire...


En regardant cette photo, Bernard dit qu'il s'y reconnaît. C'est donc ainsi qu'il se voit. Cette fois ce sont les lunettes que j'ai trouvées sur eBay. Pas facile de trouver d'anciennes Matsuda à un prix décent. Je lui en ai aussi offert une paire pour le soleil. Il faut que je continue à surveiller si d'autres pointent leur nez sur le site d'enchères. C'est un des rares "endroits" où l'on peut dégoter l'introuvable. Bernard était plutôt en forme. J'ai donc extirpé mon appareil de son étui et j'ai mitraillé. Pour une fois que j'y pense !

dimanche 17 octobre 2010

Thème Je sans l'Internationale


Françoise Romand termine le montage de son dernier long métrage commencé en 1999. Thème Je sortira enfin en DVD début 2011. Le multi-écrans du début me rappelle l'époque où les cinémas projetaient systématiquement un court métrage avant le grand film. Cette impression vient de la légèreté délicate de ces cartes postales animées où toute la famille Romand s'active à l'image des ruches du jardin. On reconnaît plus loin ce grouillement dans la pluie qui tombe ou les grains de poussière qui volent autour d'un index traversé par le soleil. Mais la comédie annonce les petits drames qui se préparent, et l'alternance des deux fabrique ce qu'il est convenu d'appeler une comédie dramatique. Le montage est la mise en scène de cette dialectique subtile entre des scènes provocantes, souvent par leur caractère sexuel, et la générosité qui se dégage de la nouvelle version tellement plus tendre que celles qui furent projetées dans divers festivals il y a quelques années, de Rotterdam à Jeonju en passant par New York, Créteil et Toronto. Les trente minutes supplémentaires, les effets spéciaux et les chansons donnent la sensation d'un film plus court alors qu'il dure maintenant 1h47.
Comme Françoise souhaitait ajouter quelques notes sifflées de L'Internationale sur son père évoquant les évasions de capitaux plus graves à ses yeux que celles des chiens et des canards, je suis obligé de la dissuader après avoir vérifié auprès de Jean Rochard, producteur des disques nato, que nous courions au devant d'ennuis. En effet, il me confirme que "les droits sont chez Harmonia Mundi jusqu'en 2017 à la suite d'un abracadabrant accord puis rachat de Melodya, la maison de disques unique de l'URSS au moment de la chute de cette dernière. Il est des pays où l'Inter est dans le domaine public mais pas en France (ce qui est un comble). De plus, si on le fragmente il faut l'accord de l'éditeur." Je me souvenais qu'il s'était lui-même heurté à ce problème. C'est complètement dément si l'on sait qu'Eugène Pottier l'écrivit en 1871 et que Pierre Degeyter, mort en 1932, en composa la musique en 1888. C'est encore plus absurde si les quatre premières mesures (thème et harmonies) ont bien été empruntées au final de l'opérette Les Bavards d'Offenbach, créée avec succès au théâtre des Bouffes Parisiens en 1863. La confiscation par les éditions du Chant du Monde serait d'autant plus scandaleuse. Sur quelles bases un tel accord a-t-il pu s'établir avec la Sacem qui fit un procès au cinéaste Pierre Merejkowsky parce qu’un personnage de son film Insurrection résurrection siffle pendant sept secondes l'hymne révolutionnaire adoptée par l'Union Soviétique, lui réclamant 1000 euros. Nous avons franchement mieux à faire qu'à nous battre contre des loups vains amants.

vendredi 24 septembre 2010

Miroir, miroir, suis-je toujours en une de Mediapart ?


Depuis un mois, j'ai porté mon blog sur Mediapart, mais si son miroir est identique dans sa recopie sur FaceBook j'ai préféré effectuer une sélection d'articles anciens et récents pour le site dirigé par Edwy Plenel. J'y place donc seulement les articles politiques ou critiques, en particulier mes comptes-rendus de livres, DVD ou CD, ne publiant qu'ici les choses personnelles qui, mélangées à l'ensemble, crée cette impression généraliste qui réfléchit plus fidèlement l'encyclopédiste amateur et le professionnel polymorphe. J'avais évidemment envie d'élargir le cercle de mes lecteurs/trices, notant au passage que les commentaires se font plus aisément sur FaceBook et Mediapart qu'ici-même. La ligne éditoriale de Mediapart étant essentiellement politique, mes billets culturels se sont retrouvés instantanément en une du Journal, du Club ou de la rubrique Culture et idées, à tel point qu'hier matin j'occupais ces trois pages avec mes trois derniers articles ! J'aimerais bien que Le Monde Diplomatique ait la même exigence dans ses pages culture que sur le reste de leur mensuel. L'orientation principale de Mediapart explique probablement l'intérêt de la rédaction pour ce que j'écris, puisque je me retrouve chaque jour sur l'une de leurs unes, flatté, comme on peut s'en douter. De plus, cette participation ne leur coûte rien, bien au contraire, puisque je profite de l'abonnement que Françoise a souscrit à raison de 9 euros par mois, somme que je conseille à tous les amateurs d'actualités brûlantes de dépenser sans hésiter, car il y a plus à y lire, voir et écouter que dans les quotidiens traditionnels de la presse papier à laquelle nous sommes également abonnés. Si vous désirez être parrainé(e), l'offre d'accueil est de 1€ le premier mois ou 19€ les 3 mois d'abonnement...
Mon blog le plus complet reste http://www.drame.org/blog puisque je ne publie sur Mediapart qu'une partie de mes récits quotidiens complétée par une sélection d'anciens, et qu'il est impossible de placer certains fichiers, comme les sons, sur FaceBook qui met, en outre, souvent plus de 24 heures pour recopier automatiquement ma prose kaléidoscopique.

mercredi 22 septembre 2010

La casse


S'il y a bien un truc dont je me contrefiche, ce sont les voitures. Cela ne m'empêche pas d'avoir un souvenir ému de l'Espace qui va partir à la casse d'ici une semaine. Nous l'avions acheté il y a vingt deux ans, d'une part pour les migrations saisonnières vers L'île Tudy où nous passions à peu près un quart de l'année, d'autre part pour les tournées d'Un Drame Musical Instantané où nous bourrions le coffre jusqu'au plafond en ne laissant que trois sièges pour notre trio. À l'époque le véhicule tenait du vaisseau spatial, avec ses vitres tous azimuts, ses sièges pivotants, repliables, démontables, et tutti quanti. Je n'ai pourtant jamais fait beaucoup de kilomètres, le compteur en indiquant 176 000, mais les déménagements successifs ont amorti l'investissement. Pour le dernier des miens, j'ai exécuté seul trente voyages plein à craquer, mais j'ai tout de même terminé avec un camion de 30 mètres cubes. Si le contrôle technique est passé avec succès, il n'y a plus d'amortisseurs ni de chauffage. Cela fait quatre ans que nous roulions l'hiver avec des couvertures sur les genoux, mais en nous gelant les pieds. Le garage baigne dans une fine mare composée d'huile et d'eau et nous n'osons plus nous éloigner trop de Paris sous peine de rentrer à pied. Le petit garagiste de Montreuil a réussi à la maintenir jusqu'à ce que mon client nous paye. Alors j'ai commandé une Kangoo Pépite, vite fait bien fait. C'est comme acheter des fringues, il faut que ça se passe en deux temps trois mouvements. Je rentre, j'essaie, je paie, je ressors. Là je me suis seulement assis devant, derrière, à côté. J'ai comparé avec la Dacia qui lui faisait face, mais l'offre de Renault mettait exceptionnellement la Kangoo moins chère. Pour le reste je me suis laissé embobiner par le sympathique vendeur qui a ajouté une bouteille de champagne en capitales sur le contrat. Où va se nicher le marketing ! Ni Françoise ni moi n'en buvons. En plus, elle me travaille depuis des semaines pour que nous n'achetions pas de voiture. Je rigole, elle s'en sert plus que moi. D'un point de vue économique, ça se tenait. Mais il n'y a aucun loueur à proximité et j'aime réagir vite, ici comme ailleurs. Alors j'ai craqué. Cela ne nous empêchera pas de continuer à emprunter les transports en commun, ni surtout de faire de la bicyclette, mais on aura le choix. Il reste un problème : je deviens vite aussi débile que les autres automobilistes lorsque je conduis. Je peste sans arrêt et ça irrite ma compagne. Je la comprends. Au volant la connerie est contagieuse. À pied je râle aussi contre tous ces chauffards, métastases de la ville. Il n'y qu'à vélo que je suis zen. Si je m'énerve, je risque un pépin quelques mètres plus loin. L'ultime solution, je me terre à la maison, je ne vais plus nulle part, mais est-ce que cela fera de moi un homme meilleur ? J'en doute.

vendredi 17 septembre 2010

Cache-misère


Françoise me demande de trouver une solution pour camoufler les craquements d'une séquence où son oncle Giraï évoque le génocide arménien au début de son film Thème Je. Cela hoquète sévèrement et il semble impossible d'opérer chirurgicalement l'extrait sonore autrement qu'en coupant les "poc" énormes qui hachent son témoignage. Le micro de sa caméra était tombé en panne lorsque c'est arrivé. Comme Giraï est mort il y a plus de deux ans, on ne peut pas non plus refaire la prise. Dans ces cas-là, je pratique la méthode du tuyau fluo. Au lieu de camoufler la plomberie qui traverse le salon, je le repeins en jaune citron. Quand ces mystères nous dépassent feignons d'en être les organisateurs, disait Cocteau. Je suis donc allé chercher le gramophone pour jouer d'un effet du passé et justifier les crachouillis. Françoise l'a également filmé afin qu'il n'y ait pas de confusion entre le 78 tours et le son du train entrant en gare de La Ciotat. La comparaison ne nous déplaît pas, bien au contraire, et nous en jouons évidemment. Il reste à mixer habilement les hoquets de la prise catastrophique et le son de l'aiguille à la fin du disque pour que le plan retrouve une poésie que la panne avait effacée. À la fin de la séquence, les canards espagnols, ce n'est pas une métaphore, ce sont des appelants en résidence à La Ciotat, substituent leurs claquements de bec aux trous de son qui claquent.
Dans un précédent film, j'avais comblé l'erreur d'avoir laissé la date imprimée sur l'image un jour où le soleil et le tangage ne permettaient pas de viser convenablement. Nous avions surchargé le film d'informations écrites, produisant un effet de recul critique auquel nous n'aurions jamais pensé si nous n'avions pas fait une bêtise. Nous avions ensuite étendu le procédé à tout le montage, rajoutant au témoignage bilingue une relecture complémentaire grâce aux sous-titres qui ne traduisaient plus la parole mais la commentaient.
Cette gymnastique réparatrice qui consiste à transformer une catastrophe en opportunité créatrice tient autant de l'aïkido que du Verfremdungseffekt !

lundi 13 septembre 2010

Zoom arrière


Comme nous avions passé un week-end tranquille entourés d'amis, je n'avais rien à raconter que de banal, mais tendre et roboratif. Dans un cas pareil, je suis tenté par la pause, une première après cinq ans de blog quotidien. Par acquis de conscience, j'ai demandé à Françoise si elle avait un sujet pour moi. Que nenni ! Alors je suis allé regarder mes dernières photos pour voir si l'une d'elles m'inspiraient. Il n'y a pas de miracle.
Lundi dernier, j'avais remarqué le texte de la pancarte vissée, pour ne pas dire clouée, sur un arbre le long du Gave de Pau, juste en face de la grotte où Bernadette Soubirous vit ses apparitions. Comme le tronc était également planté entre deux modernes fontaines d'eau miraculeuse, je notai l'humour de la situation. Mais je n'avais pas remarqué la variation de ponctuation selon les langues, ni surtout le dessin central. Faut-il se méfier des robinets disséminés partout sur le site, vu l'affluence en ce lieu "ceint" ? Ou les rayons entourant la main du noyé potentiel signalent-ils l'imminence d'un bras salvateur ?


Il est évident que les déçus, tentés de se jeter à l'eau, devraient être légion. Rappelons que la Vierge apparut à Bernadette en 1858, mais rien n'indique que depuis elle y ait élu domicile ou choisi comme lieu de villégiature. C'est pourtant de cet emplacement exact que la "simple d'esprit", je cite Zola, eut sa dix-huitième et dernière apparition. Nous ne sentons rien d'autre que l'angoisse égoïste de centaines de pèlerins, concentrés sur leur mal-être...


Comme nous faisons sagement la queue dans la grotte, deux femmes nous bousculent pour toucher la roche devant nous. Ce geste incivique en dit long sur la place du sacré dans ce supermarché de l'image pieuse. Il est une chose d'avoir la foi, une autre d'avoir les foies. La poudre d'or qu'on jette aux yeux de celles et ceux qui veulent à tout prix avoir une réponse à leurs angoisses sent le soufre. Les croyants exigent la quadrature du cercle. Seuls les scientifiques et les matérialistes ont le goût du mystère.

dimanche 22 août 2010

Il n'y a pas que les ânes qui chient de l'or


L'arrière grand-père de Françoise, celui qui joue le rôle du gamin dans L'arroseur arrosé des frères Lumière, Léon Trotobas, faisait paître ses deux chèvres le long de la voie ferrée départementale jusqu'à un terrain abandonné au Grand Séchoir, le Sécadou en provençal. Les riverains lui faisant tracas de son squat animalier, Léon, décidé de ne pas se laisser faire, l'acheta pour une bouchée de pain et planta des piquets pour ses chèvres. Jean-Claude me dessine le huit qui permettait à une chèvre de tourner autour du piquet. Avec le temps, La Ciotat s'étendit et le demi hectare se retrouva en pleine ville ! À l'occasion du mariage de sa fille et du futur maire communiste de la ville à l'époque des chantiers navals, Georges Romand, Léon construisit la petite maison carrée. Beaucoup plus tard, les parents de Françoise y plantèrent leur mobil home jusqu'à faire construire une seconde maison dix ans plus tard. Le jardin extraordinaire traversé par des ribambelles de canards doit donc son existence à un coup de colère d'un électricien des frères Lumière à qui les bourgeois refusaient d'y voir brouter ses chèvres.

mercredi 11 août 2010

Bagnolet, dernière station avant l'autoroute


Commandé lundi midi chez Etal'Pro, le tuyau lumineux est arrivé hier matin, juste à temps pour que je puisse l'essayer avant mon départ pour le sud. Passé l'effet diurne aux couleurs années 60, les douze mètres de trous de l'Isorel ont multiplié les leds jusqu'au fond du jardin comme l'avait imaginé Annie. Il a suffi d'ajouter la guirlande rouge qui longe le mur du fond et un puissant halogène de chantier sur le palmier et les bambous géants pour donner son air exotique à mon neuf cube.
À gauche, un clavier de pots de fleurs surplombe le bureau des invités où est installé mon vieux G5. J'ignore si Sonia et Elisabeth, qui tiendront compagnie à Scotch en notre absence, l'occuperont ou si elles préfèreront investir le studio dont on aperçoit à droite le fauteuil de massage. Nous y avons effectué quelques essais de volume sonore avec tambour et voix la semaine dernière ; en effet, rien ne passe. La lumière de la nuit n'est pas suffisante pour distinguer la porte et la table en marquèterie de ma tante Arlette, ni les centaines d'heures d'archives réfléchies par le grand miroir.
Dans l'après-midi j'ai croisé Anaïs à qui j'ai demandé si elle partait en vacances. Comme elle me répond qu'elle est revenue depuis un moment, je comprends soudain que nous sommes déjà presque à la mi-août. Je ne me suis aperçu de rien. Mais mon titre est trompeur. "C'est bien plus romantique !" Je rejoins Françoise à La Ciotat en TGV. Trois heures jusqu'à Marseille ne justifient pas que je prenne la route. En me mettant au vert, j'espère bien changer de sujet.

vendredi 6 août 2010

L'Arlésien


Pressurisé entre les payeurs indélicats, la disponibilité hypothétique du matériel pour terminer le chantier, mes maladresses à appréhender la console d'administration du futur drame.org et un moustique qui me pique à l'endroit tendre entre les doigts, je choisis de tirer le Joker. Peine perdue, pas moyen de me souvenir où j'ai rangé les jeux de notre enfance et Google, mauvaise pioche, me dirige presque exclusivement vers Jack Nicholson et Heath Ledger... Heureusement que Françoise m'a amoureusement fait jouer le rôle du Joker arlésien dans Thème Je ! Capture écran de la scène où Aldo tire le bonneteau et le tour est joué. Manière de vivre. On fait semblant pour ne pas dire qu'on est triste. Un autre tour. Un mauvais tour. Rosette s'éteint doucement. Quelle tristesse ! Bientôt on ne pensera qu'à son sourire. Mais là ça fait mal au ventre.

lundi 2 août 2010

Charnière


Le boulanger de la place du Vel d'Hiv est parti en vacances. Charlie, le boucher, n'avait plus assez de clients pour rester ouvert. Le quartier est comme sinistré. Il ne reste que l'épicier, Ismaël. Pour le reste il faut enfourcher sa bicyclette. La rue est calme. Françoise filme les Gay Games à Cologne. J'ai presque terminé mon travail. Une dernière réunion sur les tableaux me retient à Paris et je n'ai plus qu'un petit film à sonoriser pour 2025. Le reste pourra se faire à distance : un texte à écrire sur les croisements entre les cultures, les disciplines, les espaces, etc. que m'a demandé Catherine Peillon pour le futur DVD des 38èmes Rugissants, mon activité quotidienne dans cette colonne, préparer les prochaines migrations de lapins, mais surtout reconstruire ma force de travail en me la coulant douce.
À la rentrée, je devrai attaquer la composition de mon nouvel album dont je souhaite avoir enregistré les bases avant Noël pour me concentrer ensuite sur les solistes pris en charge par Radio France. L'autre grand projet est ma collaboration à une nouvelle et excitante aventure avec le scénographe Raymond Sarti qui s'étalera sur deux ans. Je crois que nous n'avons rien fait ensemble depuis Jours de cirque au Grimaldi Forum à Monaco il y a huit ans. L'année se présente sous le signe du voyage, dans le temps, passé et futur, avec mon disque, et dans l'espace grâce au concours remporté par notre équipe, avec Saint-Nazaire comme port d'attache et l'océan en perspective, du moins virtuelle.

mardi 27 juillet 2010

My parallel or my loving drumstick


Françoise est repartie voir sa maman en me confiant la traduction des chansons composées avec Bernard Vitet qu'elle a choisi d'utiliser pour son film Thème Je (The Camera I), à paraître à l'automne en DVD dans une version radicalement différente des pré-projections qui ont eu lieu jusqu'ici. Pour faciliter la tâche à Jonathan, je tente une première traduction à l'aide de l'Harrap's en quatre volumes, ne cherchant surtout pas une traduction littérale, mais les effets poétiques que j'avais imaginés pour le disque Carton en 1996. Écroulé de rire, mon ami américain me suggère d'essayer Google qui me sortira certainement des propositions aussi sottes que grenues. C'est bien la raison pour laquelle je rédige mon blog en français plutôt qu'en anglais qui me permettrait pourtant d'augmenter considérablement mon lectorat. La précision du langage, ses sous-entendus et ses jeux de mots, ne me sont hélas accessibles que dans ma langue maternelle. Je garde l'anglais pour les conversations de tous les jours et les échanges épistolaires avec le reste de la planète. N'empêche que pour l'instant les sous-titres du film risquent d'être assez croquignolets à l'endroit des chansons. Par exemple ça pourrait donner :
My parallel or my loving drumstick
Mademoiselle calling your name
You’re old enough to love
When your quill hesitates…
Que celles ou ceux qui ont reconnu la chanson originale en français nous écrivent. Ils ont gagné...

samedi 17 juillet 2010

682 km à vol d'oiseau


Je voudrais filer à La Ciotat auprès de Françoise qui veille Rosette jour et nuit, mais le tournage des tableaux me retient à Paris. Ce n'est pas toujours facile d'être où l'on devrait.
Je travaille de 6h à passé minuit presque tous les jours. Comme pour le reste de l'équipe il n'y a ni samedi ni dimanche. Et chaque jour j'ai l'impression que respecter le planning tient du miracle. Hier j'ai mixé La Vierge aux rochers de Leonard de Vinci et préparé les séquences animées des Demoiselles des bords de Seine de Gustave Courbet. Le rêve qu'a construit Pierre Oscar autour de ce tableau me fait éloigner les rires du bal sur l'autre berge et celui d'une des filles dans un imaginaire à portée de main. Samedi la flûte tient le rôle principal, basse sur le Rembrandt, aigrelette sur le Gauguin, dans l'intimité du miroir pour le premier, en suivant la rivière pour le second. Je voudrais tout enregistrer cette fois à l'image, sur le modèle de la fugue.
Une fugue ? Je me sens mal de ne pas pouvoir te serrer dans mes bras. J'aimerais faire rire ta maman, aider ton père, vous écouter parmi les oiseaux et les cigales, mais je ne fais que reconstituer ce genre d'ambiances dans le studio que je déserte seulement aux rares heures du sommeil. Je pense à vous tout le temps, dans le moindre interstice de la fiction en morceaux que nous inventons.
Lorsque j'arrive à voler du temps à cette course folle contre la montre je m'active à terminer 2025 ex machina, un grand écart de quinze ans en prémisse de mon prochain disque, je rédige avec Antoine le texte de présentation de Petit manège, notre nouvelle installation, je résous mille problèmes domestiques ou administratifs sans réussir à m'allonger ne serait-ce que dix minutes pour lire le journal. Pourtant je suis calme, ce qui me permet d'avancer vite et bien. Il y avait longtemps que je n'avais senti cet élan musical. Tout prend sa place. Je pense que je suis calme parce que je suis avec toi et que je te sens t'affairer aussi jour et nuit. Je suis près de toi et ta pensée m'enveloppe à tout moment. Ma tristesse est modulée par l'admiration que m'inspire Rosette, égale à elle-même, à la hauteur de sa vie exemplaire. Déjà Tonton nous avait épatés. Quelle belle famille ! Est-ce que j'écris ces lignes pour m'empêcher de culpabiliser de n'être pas physiquement avec vous ? C'est possible. Je suis ici et là-bas. Je me dépêche de terminer. Ce mois de juillet n'a pas l'air vrai. Rien ne semble réel.

mercredi 7 juillet 2010

La bande des épouvantails


La maison est triste. Tout le monde est parti en même temps. Françoise est descendue voir sa maman qui va de plus en plus mal. Elsa est arrivée dans l'autre sud avec ses amis musiciens. Je crois qu'elle chante trois chansons dans leur spectacle dans trois langues différentes. Pascale est repartie aussi vite qu'elle était apparue. Le quartier est bien calme. Le chat qui vient d'avoir huit ans roupille toute la journée. Sur le chemin du métro, en revenant du rendez-vous avec Olivier et Marc qui nous ont révélé ce que devenait le joyeux projet des objets communicants, j'ai croisé une meute d'épouvantails qui occupaient seuls le jardin des Lilas. Chacun a sa personnalité, choisie par les enfants qui les ont transformés en autant de grands Pinocchio. Je devrais probablement en installer un pour me tenir compagnie quand je lève la tête de mes claviers pour mettre le nez dehors.
Hier, j'ai composé et enregistré une valse pour orchestre, deux mouvements en boucle, l'un gai, l'autre triste, avec la harpe et les timbales en éléments interactifs, pour le dernier module de 2025 ex machina que Nicolas doit terminer avant de ficher le camp à son tour. Je suis content de clore les quatre épisodes par une chose romantique après avoir joué des codes du jeu sur ordi. Ces derniers jours, je ne dors presque plus. L'excitation de la création me tient en éveil. Néanmoins, sans prévenir, à n'importe quel moment de la journée et dans des circonstances parfois assez saugrenues, je sens le sommeil qui me tire par les paupières. Plus je compose, plus je vais vite et plus les pièces me ravissent. Heureusement que toute la "bande des tableaux" est coincée à Paris jusqu'à la fin du mois ! Tenu par un secret de polichinelle, je ne sais comment nous appeler. Pierre Oscar m'a fait envoyer le Chirico, très court, une minute et quelques. C'est une chance que nous ayons enregistré dimanche avec Vincent et que j'ai attaqué le dépouillage de la séance... J'aurais été moins prolixe. À la tête d'autant de prises drôles et surprenantes, j'ai l'idée de faire plusieurs partitions sonores différentes pour le même film. Puisqu'il joue en boucle, la répétition générera la surprise ! Combien pourrai-je bien fabriquer de versions successives à partir de nos élucubrations ? Je m'y attèle.

jeudi 1 juillet 2010

Comme une toupie


Notre client nous aura fait tourner comme une toupie, mais nous sommes à l'œuvre après quatre mois d'une éprouvante partie de yoyo. Passant moins de temps à la direction artistique du projet, je me consacre essentiellement à composer les partitions sonores de 22 courts-métrages réalisés par Pierre Oscar Lévy sur autant de chefs d'œuvre du patrimoine pictural. Les 18 autres tableaux de la collection que nous avons scénarisés sont entre les mains d'une autre équipe et il semble que l'agence en charge de l'exposition dont j'ai pourtant imaginé le projet jusqu'à sa scénographie ait décidé de se passer de nous. Dominique Playoust aux commandes et Sonia Cruchon dans le rôle de la déesse Shiva complètent notre équipe infernale avec les camarades de Snarx pour œuvrer comme des fous jusqu'à la date limite fin juillet. Je crains de revenir pas mal ici sur ce travail qui va nous occuper jour et nuit pour rendre les 21 films, certains en 3D, à la date exigée ! Chez Snarx ou chez nous, tout le monde est excité par le projet. Luis Belhaouari offre une approche historique et critique à Pierre Oscar pour les scénarios et le conservateur de l'exposition apporte toutes ses lumières. Deux films pilotes avaient été réalisés en mars dernier, l'un sur Véronèse, l'autre sur van Gogh. Le premier invite le public du Louvre au festin, le second fait planer sous les étoiles. Nous n'attendons plus que les Ektas pour pouvoir connaître le planning précis de la suite.
Je choisis les sons déjà en magasin en attendant les premiers QuickTime, j'enregistre à l'avance lorsque c'est possible, accumulant les matériaux pour être prêt à monter et mixer, et évidemment enregistrer la musique à l'image si nécessaire. Hier matin, Sonia, qui s'était entraînée, a fait tourner la toupie de Chardin qui selon le conservateur ne s'est jamais arrêtée depuis 250 ans ! Dans l'après-midi, Elsa est venue interpréter la Vierge aux rochers, défi qu'elle a relevé tout en délicatesse et sans montage dès la seconde prise. Je m'attèle maintenant à sélectionner les sons du Seurat que j'avais préparés il y a quatre mois, avec Anny en siffleuse d'herbe, et je planche simultanément sur de douces trompettes célestes, la musique du cosmos entendue par la fenêtre et une odalisque que je ne suis pas encore certain d'accompagner au oud.

dimanche 27 juin 2010

Diptyque pour 13 mots et un paysage


C'est la mode des web-documentaires. Tant mieux si cela permet à des œuvres telles Duo pour 13 mots et un paysage de Karine Lebrun d'exister et de toucher de nouveaux publics. Le genre n'est pas récent, même si l'appellation est d'actualité. WaxWeb de David Blair est le premier long métrage publié sur Internet dès 1993. En 2000, Françoise Romand initiait ikitcheneye, tentative online purement documentaire. L'an passé, Antoine mettait en téléchargement gratuit Machiavel que nous avions réalisé pour CD-Rom en 1998... L'évolution technologique permet aujourd'hui de donner au webdoc ses lettres de noblesse.
Karine Lebrun produit un objet abouti où l'interactivité se justifie par un aller et retour panoramique sur le double écran. L'image est en haute définition, le débit est fluide, l'interface réfléchie, permettant à l'internaute de profiter au mieux du spectacle en plein écran. Passé ces considérations techniques, le dispositif convient parfaitement à la rencontre de Karine Lebrun filmant l'écrivaine Christine Lapostolle dont les textes et ses ramifications dans l'histoire littéraire inspirent la lectrice transformée en vidéaste. Le paysage de bord de mer, de la pointe bretonne, le Finis Terrae, et les ambiances sonores de Sacha Gattino répondent au dialogue des deux femmes autour de la résistance qu'offrent la littérature et, par conséquence ici, l'œuvre multimédia.
Dès le premier mot, "Début", s'inscrit le hors-champ, à gauche la musique, à droite la caméra, tierce personnage se révélant lorsque Christine jette un œil à l'arrière de la voiture qu'elle conduit pour parler à son interlocutrice assise à l'arrière, et, plus fort encore, l'internaute aux commandes de l'engin. Le curseur placé sur la collure entre les deux images hésite à privilégier le son de l'une ou l'autre, les mouvements de la souris contrôlant le mixage à l'image pour "Décrire", vague vague laiteuse, écume rappelant le spectateur à son rôle de voyeur ex machina. De part et d'autre, les plans fixes calment les séquences à l'épaule, sobriété de la "Lecture", même si la tentation est grande d'écouter les deux discours simultanés quand intervient "Christophe Fiat". Astucieusement la boucle permet de revenir sur ce que l'on a négligé, les deux vidéos ne faisant jamais la même durée. Le ton murmuré du "Détachement" de Karine renforce l'élégance du travail sonore de Sacha dont l'orchestration homogène comprend pourtant "cithares, tambour à cordes, piano à queue, rhombes, shrutibox, orgue à bouche, kalimba, papier de soie, bruitages de Bretagne, électronique et traitement informatique".
Dans le sixième épisode, terme plus approprié que chapitre, car il peut être agréable d'y revenir plutôt que de vouloir tout assimiler comme un goinfre, l'eau glisse sur le sable comme l'écrivaine arpente la grève. En toile de fond, les vagues de l'océan qui viennent et se retirent recopient sans cesse leur "Écriture" à quatre mains. Pour "Conversation", Kar. apparaît enfin à l'écran (in sur le logiciel), rime riche avec X. que la lectrice prononce Xine, effaçant la référence chrétienne dont on ne saura pas vraiment si l'écrivaine s'en dégage ou l'assume, après les toiles peintes de son compagnon "Benoît Andro", une nouvelle "Promenade" et le plat de "Résistance". Comment peut-elle citer la Princesse de Clèves et revendiquer pour elles deux les termes masculins "écrivain" et "lecteur" ? Comment peuvent-elles justifier de ne pas accorder au féminin des qualificatifs d'épanouissement en prétendant que le mot "écrivaine" est moins beau que celui d'"écrivain" (hors texte, tiens-je à préciser) ? La résistance aux conventions revendiquée par Xine et adoptée tout autant par Karine épargnerait ces restes d'oppression séculaire camouflée sous des prétextes esthétiques ? De quels autres mots l'oratrice se priverait pour cause de laideur phonétique ? Qu'est ce que la beauté d'un mot si ce n'est le simple fait qu'il soit ou non approprié dans l'énoncé ? Je résiste, elles résistent, résistez-vous ?
La "Fin", peu avenante pour les deux femmes, est précédée du "Bout du monde" et d'un échange sur Toile et sofa avec "Pierre Trividic", Sacha en amorce jouant les Candide, avant que le Tchat vidéo ne close le long métrage ou le feuilleton selon qu'on le savoure en bloc ou par étapes. Karine Lebrun réussit un beau portrait d'artiste par le truchement des nouveaux médias, nous faisant entrer dans le monde sensible et critique de Christine Lapostolle par la fenêtre des écrans domestiques, avec un souci du détail où tout est pensé pour que rien ne s'échappe de la Toile tendue pour nous prendre, nous prendre au mot, car 13 n'est qu'un prétexte. Les autres sont des étoiles filantes.

vendredi 25 juin 2010

Face B - Phase 3


Hier matin j'ai reçu un poster de 59x83cm plié en 8 dans une grande enveloppe blanche de Daniela Franco. L'objet commémore à la fois le site Internet et l'exposition qui eut lieu à La Maison Rouge en mai dernier. J'y avais contribué comme beaucoup (dont les noms figurent sur l'image ci-dessus si vous avez de bons yeux ou une loupe !) en donnant à l'artiste une liste de vinyles qui avaient compté pour moi. Le recto propose les pochettes imaginaires qu'a concoctées Daniela Franco accompagnées de textes probablement d'auteurs aussi virtuels que les albums présentés, une fantaisie fantasmatique à l'image du culte que les collectionneurs vouent à ce genre d'objets. La liste des faussaires inventifs est longue d'Orson Welles à Pierre-Oscar Lévy, de Remo Giazotto (l'adagio d'Albinoni !) à Michael Snow, de Borgès à Fontcuberta, etc., autant de canulars qui en disent plus long sur eux que sur leurs créatures. Ces pochettes étaient accrochées à l'entrée de l'exposition Vinyl tandis que des extraits sonores de nos listes peuvent être écoutés sur le site.
Le verso de l'affiche transforme nos disques en petites icônes dont "les 10 vinyles que j'ai achetés pour leurs pochettes et dont la musique ne m'a pas déçu, bien au contraire, puisqu'ils sont à l'origine de ma vocation de compositeur." Tout près de moi sur la page, Vincent Segal proposent "10 disques qui vont par paire" ! Nous avions réalisé ensemble un concert-visite de l'exposition Vinyl que l'on peut regarder et écouter sur Internet (YouTube, DaiolyMotion, Vimeo, comme cela pas de jaloux...) grâce au film tourné par Françoise. L'expérience nous plut tant que nous nous sommes retrouvés récemment dans les studios de Radio France et que nous comptons bien étendre notre collaboration à de prochains concerts.
La taille de l'affiche montre les limites et les spécificités de chaque média, papier ou écran. On ne peut y voir les mêmes choses. La feuille permet un coup d'œil d'ensemble, le site offre d'entendre du son et focalise sur les choix de chaque contributeur. Ils se complètent, comme une expo et son catalogue, un concert et un disque, une face A et une B, comme toi et moi.

mardi 15 juin 2010

Chaînes de vélo, bandes magnétiques, film celluloïd, la grande boucle


Journée off pour les lapins hier lundi. Après le déjeuner au Rivoli, Atom nous conduit à son studio où sont accumulés tous ses trésors. La transcription pour guitare qu'il a lui-même réalisée d'une pièce de John Cage, dédicacée par le compositeur, à la même époque où je le rencontrai à l'Ircam, période Roaratorio dont nous sommes fans tous les deux. Une lettre de Hanecke questionnant la technique vidéo utilisée par Atom. Des affiches. Des photos. Un film 35mm représentant une séance de montage tourne en synchrone sur son ancienne table de montage Steinbeck double bande.


Cette installation "domestique" me rappelle sa merveilleuse exposition Hors d'usage réalisée à Montréal en 2002. Des Québecois prêtèrent leurs vieux magnétophones à bande des années 50 et 60 et racontèrent la dernière fois qu'ils s'en étaient servis. Leurs mains manipulant les bobines sont projetées sur un plexiglas incliné donnant l'impression d'une image fantôme au-dessus des appareils. C'est extrêmement émouvant. Je lui raconte l'histoire de mon premier Radiola en 1963, à l'origine de ma vocation. Atom nous montre d'autres restes de ses installations dont celle où figure une immense boucle de film celluloïd qui circule comme des lianes dans un grand hangar obscur.
Il nous dépose au Community Bicycle Network où nous louons deux vélos jaunes comme nous l'a suggéré Françoise avant le départ. Depuis sa dernière visite, l'un de ces engins porte d'ailleurs son nom ! Le rétro-pédalage pour freiner ce n'est pas top, mais on s'y fait. Décidément nous adoptons Toronto avec une facilité déconcertante, à moins que ce ne soit le contraire ?
Nous aurons réussi à croiser Kay qui s'envole demain pour atterrir chez nous à Bagnolet. Alex et Eric, pas revus depuis notre safari thaï à dos d'éléphants, nous rejoignent pour dîner dans son "funky neighbourhood". L'annonce de la découverte (ou de la cachoterie) des mines de lithium et autres métaux précieux en Afghanistan ne manque pas d'alimenter notre discussion. Le retour à bicyclette a un goût de fraîcheur et de liberté.
De mardi midi à jeudi 18 heures, deux représentations par jour de Nabaz'mob remplacent l'installation en boucle qui recommencera vendredi jusqu'à dimanche soir.

samedi 12 juin 2010

(Tapage) Nocturne par Birgé et Segal


La radio nous permet de vérifier que nous sommes sur la même longueur d'ondes. La Passion du Vinyl avait été une performance, un jeu de réminiscences, une action-music à deux voix. Cet échange valide nos cordes sympathiques en jouant sans images. Le producteur Bruno Letort n'aurait pu en avoir l'initiative sans avoir entendu parler de notre visite-concert de l'exposition Vinyl à La Maison Rouge. Il n'avait pas vu le film tourné par Françoise Romand. Mais l'idée du duo lui avait plu. Attraper Vincent Segal entre deux trains lui semblait une épreuve. Le violoncelliste et moi avons instantanément sauté sur l'occasion. Sans n'avoir jamais répété ensemble, nous nous étions promenés parmi les pochettes de disques de la collection Schraenen. Sans n'avoir jamais répété ensemble, nous avons hoché la tête pour dire que oui, nous étions prêts. L'enregistrement tournait.
Tout était très doux. Comme la nuit. Nous avions passé deux heures à brancher la mixette, mais surtout à ne pas réussir à récupérer France Musique dans mon ordinateur. Question de câbles, d'asymétrie, d'impédance. Tant pis, fit Vincent, on fera sans. J'acquiesce. Ce n'est pas grave. Je voulais transformer le son de la modulation de fréquence en temps réel, comme dans les années 70 lorsque je montais en direct mes radiophonies. Il est comique de voir tout ce monde penché sur la question sans qu'aucun stress ne s'en dégage. Nous nous lançons donc dans une suite de mouvements courts dont la conversation est le fil rouge, avec en option majeure une ambiance acoustique à ce nocturne "tapageur".


Tapage nocturne est le nom de l'émission de Bruno Letort qui passe le dimanche à minuit sur France Musique. Plutôt que jouer aux casques, Vincent Segal proposa de ne pas amplifier son violoncelle tandis que je diffusais le son de mes machines au travers de deux enceintes, à une puissance acoustique s'entend. Tendre l'oreille, être sans cesse à l'écoute, nous réalisons que "nous" jouons ensemble, avec nos instruments relégués à leur rôle d'instruments. D'habitude, si nous sommes amplifiés ou lorsque nous nous coiffons d'un casque, ce sont nos sons qui jouent ensemble, pas nous.
La palette de Vincent me fait penser à un mobile de Calder. Chaque élément a sa forme, son timbre, et l'œuvre n'est équilibrée que par l'audacieuse composition qui l'unifie. Il alterne pizz et archet, joue plusieurs mélodies simultanément, écrase les accords ou rythme l'inexorable pulsion qui nous amène jusqu'à ce dimanche minuit, puisque ces compositions "instantanées" ont été mises en boîte il y a quelques jours. Débarrassé de mes claviers, je joue du Tenori-on sur lequel j'ai ajouté deux banques de sons personnels (la voix d'Elsa enfant et les percussions échantillonnées de mon VFX), ainsi que de la mascarade machine, l'application conçue avec Antoine Schmitt pour notre duo ensemble. L'instrument constitué d'un ordinateur portable avec webcam et, par extension d'un spot et d'un NanoKontrol, est une sorte de Thérémine du XXIème siècle que l'on contrôle en bougeant les mains à la manière d'un montreur de marionnettes à gaine. Je fais l'appoint avec ma trompette à anche, une varinette et un appeau. Notre musique de chambre se joue d'une jeune complicité où chacun réagit au doigt et à l'œil.
Il y aura une suite, sur scène très probablement, et lors d'autres rencontres avec Vincent Segal comme sur le disque que je devrais enregistrer sous mon nom propre pour la collection Signatures de Radio France. Mais ça c'est une autre histoire. En attendant, l'émission de demain dimanche soir (13 juin) est également diffusée dès lundi pendant un mois sur le site de France Musique.

mardi 8 juin 2010

Ciné-Romand sur UniversCiné


À l'initiative d'une cinquantaine de producteurs et distributeurs indépendants français, UniversCiné est un site de vidéo à la demande (VoD) proposant plusieurs centaines de films indépendants tel qu'on puisse y faire maintes découvertes. À côté des classiques, le choix permet de donner une seconde chance aux œuvres dont la sortie en salles fut trop confidentielle. On peut louer pour 48h (3,99€) ou acheter (9,99€), télécharger ou regarder en streaming. L'offre légale est nettement moins chère qu'un DVD, même si certains collectionneurs seront frustrés de ne pas posséder l'objet graphique quand celui-ci le mérite ! Par contre, UniversCiné offre des bonus exclusifs de très grande qualité.
Ainsi l'entretien que Françoise Romand a donné à Laurent Carpentier donne vraiment envie de voir ses films. Les extraits ponctuent intelligemment les propos tenus par la réalisatrice. UniversCiné a donc choisi de diffuser en VoD son dernier long-métrage, Ciné-Romand, tandis qu'elle termine le prochain dans sa salle de montage.
Tourné entre 1999 et 2004, présenté dans des versions provisoires au Festival de Rotterdam en 2002 et au Festival de Femmes de Créteil en 2005, on croyait Thème Je achevé, mais Françoise a décidé de revisionner ses rushes avant de lancer la fabrication de son quatrième DVD dont Claire et Étienne Mineur confectionneront encore une fois la pochette haute en couleurs. À la fois tendre, drôle et provoquant, Thème Je est une auto-fiction où l'imagination vient titiller le réel avec insolence. Il sera complété par son premier film, Rencontres, où dès 1977 on reconnaît son style mêlant documentaire et fiction avec le thème de l'identité servant de fil rouge à toute son œuvre.

jeudi 22 avril 2010

Oui, mais dès l'aurore tous leurs chagrins s'évaporent


Tout guilleret d'avoir récupéré mon Revox PR99 qui me permettra de numériser la suite de mes archives pour mon projet de nouvel album, je vous offre l'enregistrement de la chanson de 1932 dont j'ai retranscrit le texte hier, Les fleurs du jardin chaque jour ont du chagrin. J'ai conservé le dialogue entre les deux couplets, toujours aussi remarquable chez Renoir, conscience de classe oblige !


J'apprécie beaucoup la musique in situ dans les films plutôt que lorsqu'elle vient du ciel ! Jean Renoir s'en est beaucoup servi, ici la chanson fredonnée par Anne-Marie juste avant que Boudu ne soit sauvé des eaux et reprise de lèvres en lèvres comme une obsession tout au long du film, l'orphéon municipal pendant la remise de décoration à Lestingois, le clavecin du théâtre d'ombres de La Marseillaise, la Danse Macabre martelée au piano suivie du limonaire de La règle du jeu, le phonographe du premier plan de La grande illusion sur lequel Jean Gabin écoute Frou Frou (photo ci-dessus) qu'il susurrera ensuite plusieurs fois, le cancan et l'hymne national interdit interprétés par les prisonniers déguisés en femmes, les chansons à boire du Crime de Monsieur Lange, l'orchestre de bal de La bête humaine, etc. Dans La chienne Michel Simon écoute la Sérénade de Toselli sur un autre phonographe. Les chansons populaires, comme dans Toni, hantent, toujours avec à propos, les films de Renoir, probablement influencé par la collaboration Brecht-Weill, jouant d'effets dialectiques afin de produire du sens là où l'image est acculée platement aux bords du cadre.


Ainsi Françoise Romand, qui remonte une dernière fois Thème je avant sa publication en DVD en septembre, vient d'ajouter des chansons que nous avions composées avec Bernard Vitet pour l'album Carton. Nous nous sommes débrouillés pour qu'elles jouent du contre-champ, que j'aurais pu aussi bien écrire contrechant, apportant une lumière nouvelle sur les scènes qu'elles éclairent. Au début du film, pendant le plan d'épilation dans la cuisine, la valse lente éponyme commence par un autre flash-back, celui de Lola Montès, "La comtesse se souvient-elle du passé ? S'en souvient-elle ? S'en souvient-elle ?..." avec fondu enchaîné sur "Il lui demanda son nom, Elle répondit Désir, Il en coupa le son, Ça s'appelait L'aurore..." pour terminer par la voix envoûtante de Delphine Seyrig dans Muriel, ou le temps d'un retour, "Ce serait bien que ça finisse comme ça !". Mais ce n'est qu'un début. Françoise évoque son arrière grand-père, le gamin qui pliait le tuyau dans L'arroseur arrosé des Frères Lumière, un des deux premiers acteurs de l'histoire du cinéma ! Plus loin, nous avons remplacé la chanson de Brigitte Fontaine qui posait des problèmes de droits avec Sony par "Radio Silence, Émission sans fréquence, Qui diffuse à toute heure, Tous les mots qui sont tus, Et tous les cris qui tuent...", que combat Françoise en larmes. Brigitte est tout de même présente dans une séquence ajoutée avec Amore 529 que nous avions enregistré avec elle sur Opération Blow Up. Enfin Moi z'à moi répond bien au miroir cruel dont Françoise joue sans cesse dans son auto-fiction filmée de 1999 à 2002, finie de monter en 2005, même si elle fait l'objet d'une ultime révision. Donc, pas de musique instrumentale, mais des chansons dont les paroles offrent un renversant point de vue complémentaire. Le film, devenu ainsi plus tendre et lyrique, en tire une profondeur moins abyssale et une fantaisie renforcée.

dimanche 11 avril 2010

Le retour de Todd Solondz


Si vous connaissez Happiness, il vous a forcément marqué. Vous courrez donc voir la suite dix ans après (sortie le 28 avril). Nous avions ri d'un bout à l'autre de ce film à la noirceur sans pareil qui décrit les terribles secrets d'une famille apparemment bien banale. Ne nous y trompons pas, toutes les familles ont des cadavres enfermés dans les placards, mais l'American Way of Life est bâtie sur cet aller et retour entre le pire et le meilleur, faisant mine de croire au pardon quand tout n'est qu'oubli programmé. La véritable violence se dessine dans ces interstices où l'être humain, recherchant un bonheur égoïste, espère faire croire à sa normalité alors qu'il combat avec plus ou moins de succès ses monstres dans l'intimité.


Life During Wartime retrouve la famille de Happiness dix ans plus tard avec de nouveaux acteurs pour les mêmes rôles et Todd Solondz, qui nous avait un peu déçus avec Storytelling et Palindromes, signe son meilleur film depuis son succès de 1998. Certains personnages sont également issus de son second long métrage Welcome to the Dollhouse (Bienvenue dans l'âge ingrat). Son premier, la comédie musicale très woodyallenienne Fear, Anxiety & Depression avait été reniée par son auteur. Si l'humour est toujours présent dans le regard acide que le réalisateur porte sur ses personnages, Life During Wartime provoque moins de rires que Happiness car il est plus tendre. Il n'en a pas la méchanceté, peut-être parce que le 11 septembre aura anesthésié les enfants de l'Oncle Sam. Et Solondz de rapprocher pédophilie et terrorisme, ce qui se trame dans la clandestinité, dans la clandestinité de leurs fantasmes offerts au grand jour en toute banalité. Les parents n'étant plus capables de distinguer ce qui caractérise l'âge adulte, la petite fille de sept ans s'avale du Prozac ou du lithium comme si c'était du Coca. Son frère s'en sortira peut-être mieux, pur produit de l'éducation juive, où le petit mâle naît à treize ans le jour de sa Bar Mitzvah. En l'absence du père annoncé comme mort alors qu'il sort d'une peine de dix ans de prison, le gamin endosse le rôle de chef de famille, caution morale à la fantaisie de sa mère qui voudrait refaire sa vie avec un type bien dont le fils atteint du syndrome d'Asperger (c'est très à la mode, le héros de My Name is Khan en est également atteint) est le seul à ne pas s'intéresser au sexe, plus préoccupé par l'accession de la Chine au premier rang mondial. L'une de ses tantes, scénariste à Hollywood qui a rompu avec sa famille pro-israélienne, s'est fait tatouer Jihad sur le bras, tandis que l'autre qui a quitté son pervers de mari est une sorte de fantôme qui converse avec les morts. À noter l'étonnant Paul Reubens, autrefois connu sous le nom de Pee Wee Herman, héros du premier long métrage de Tim Burton et de nombreux shows télévisés pour la jeunesse, dont la carrière avait été brisée après deux arrestations, la première pour s'être masturbé dans un cinéma porno, la seconde pour une affaire de pédophilie dont il s'était sorti mais qui avait laissé des traces dans l'opinion puritaine. Avec l'actuelle affaire Polanski, on voit que les Américains ont la mémoire longue et la revanche tenace.


L'oubli et le pardon sont justement le sujet du film, et lors de l'avant-première au Méliès à Montreuil où nous avait invités Dominique Cabrera vendredi soir, le réalisateur qui était présent, suggéra qu'une famille pieuse pardonnerait plus facilement qu'une famille laïque. Cette affirmation nous parut plus que douteuse si nous nous référons à la politique de l'État religieux d'Israël qui s'appuie sur la mémoire meurtrie du génocide en se vengeant sur une autre population qu'il a spoliée. Heureusement, Life During Wartime, le plus politique de tous ses films, est plus une divagation poétique portée par une analyse féroce de la normalité américaine.
Tourné en numérique par Ed Lachman avec une caméra RED, il aura permis à Solondz de fignoler la direction d'acteurs sans se préoccuper du prix de la pellicule. La scène avec Charlotte Rampling est absolument formidable, mais tout est remarquablement joué dans ce cauchemar éveillé où le quotidien semble lisse alors que les personnages sont perpétuellement en tension, sauf peut-être la petite fille qui est déjà perdue, avalée par les médicaments comme beaucoup d'enfants américains. Françoise fit remarquer à Solondz que s'il pensait que le petit garçon s'en sortirait mieux c'est parce qu'il s'y identifiait. Et le réalisateur de répondre comme tous ses personnages, en faisant semblant de ne pas entendre, mais en s'y résignant, parce que l'on ne peut choisir entre la mémoire et la vengeance, ou l'oubli et le pardon. Seule l'analyse peut nous permettre de rompre le cycle infernal. La compréhension des démons permet de les apprivoiser en remontant aux sources, ce que l'étude comportementale ne saurait résoudre par quelque traitement mécaniste.

mercredi 7 avril 2010

Fictions documentaires de Lionel Rogosin


C'est à se demander si Carlotta ne brigue pas le surnom de "Criterion français" ? L'éditeur américain a la réputation justifiée d'être la Rolls du DVD. Si la qualité des transferts numériques et des bonus des films choisis par Carlotta est exceptionnelle, j'ignore si les épais livrets sont à la hauteur, recevant le plus souvent des tests presse sans étiquette (allez savoir quel est l'endroit ou l'envers en le posant dans le lecteur !) glissés dans une fine pochette transparente. Malgré l'absence de prise de risque sur le cinéma contemporain, leur choix est exceptionnel en ce qui concerne le patrimoine. On leur doit les coffrets Mizoguchi, Oshima ( aussi), Douglas Sirk, Lotte Reiniger, Berlin Alexanderplatz, Antonioni, Fuller, L'argent de L'Herbier, Sa Majesté des Mouches, Les bourreaux meurent aussi, Le temps des Gitans dont j'ai parlé dans cette colonne, et bien d'autres comme les Pasolini ou les Fassbinder. Ils ont également racheté Le Nouveau Latina qui complète leur programmation en salles, riche et variée, forcément plus audacieuse. Appelez-moi Madame de Françoise Romand y avait, par exemple, été programmé.
Après The Savage Eye la semaine dernière, j'ai l'immense plaisir de revoir un autre film sorti en 1959, l'incontournable Come Back, Africa de Lionel Rogosin, dont la sortie est annoncée pour le 21 avril dans un coffret avec On The Bowery et Good Times, Wonderful Times. Comparant ma copie 16mm, que je n'ai pas sortie de sa boîte depuis une éternité, avec ce nouveau master je suis stupéfait par la beauté de l'image. De plus le documentaire qui l'accompagne livre les clefs de ce film unique tourné clandestinement à Johannesburg pendant l'Apartheid. Si Rogosin s'y réclame de Flaherty et De Sica dans son approche du documentaire, sa fiction filmée in situ avec des non-acteurs n'a rien à voir avec le terme de cinéma-vérité si abusivement employé, et c'est tant mieux ! En regardant Come Back, Africa, on constate la distance entre la prétendue vérité défendue par Rouch ou, pire, Lanzmann et l'authenticité analytique de Strick, Rogosin, Cassavetes, Varda ou Romand qui font glisser leurs œuvres vers des formes de réalisme poétique qui ne trichent jamais avec l'illusion cinématographique. Dès qu'il pose un regard sur une scène, que la caméra soit cachée ou visible, dès qu'il cadre, le cinéaste fait des choix et leurs modèles, se sachant filmés, ne se comportent plus de la même façon. Il faut alors inventer autre chose...
Come Back, Africa est un témoignage époustouflant sur l'Afrique du Sud et le racisme, un brûlot politique généreux, une histoire terrible et émouvante, un film de cinéma avec des acteurs formidables. La chanteuse Miriam Makeba sera contrainte à l'exil pendant 31 ans suite à sa prestation merveilleuse. La musique est d'autant plus présente dans le film que Rogosin faisait semblant de faire un documentaire pittoresque pour échapper à la censure et à l'extradition.
On The Bowery, tourné trois ans plus tôt pour se faire la main et apprendre à filmer, utilise déjà le procédé du récit de fiction dans un univers documentaire. Je n'ai jamais supporté les histoires d'ivrognes, j'ignore pourquoi, mais, films ou romans sur le sujet me mettent terriblement mal à l'aise. Le film de Rogosin n'a pas la complaisance de La merditudes des choses (mk2) regardé la semaine dernière et qui m'a complètement déprimé. Les clochards, qui ne vivent que pour l'alcool et en crèvent, préservent une petite part de dignité ; s'ils sont parfaitement conscients de leur déchéance ils ne la portent pas en étendard. Ceux du film ont souvent eu du mal au retour de la guerre en Europe. Un long bonus éclaire l'histoire de la plus ancienne rue new-yorkaise devenue le refuge de tous les marginaux jusqu'à ce que Manhattan soit "nettoyé" au tournant du siècle comme le montre un autre court-métrage. Le regard humaniste que le réalisateur jette sur ses personnages donne leur originalité à ses films.
Good Times, Wonderful Times est un documentaire pacifiste de 1965 proche des idées de Bertrand Russell, pamphlet contre les armes nucléaires en forme de long ciné-tract qui oppose les invités futiles et conformistes d'un cocktail londonien et des images d'archives exceptionnelles sur les ravages de la seconde guerre mondiale. La gloire illusoire des jeunesses hitlériennes s'éteindra sous les décombres de l'Allemagne rasée, dans le froid glacial du Front de l'Est et les camps d'extermination qui sont le déclencheur de l'engagement de Rogosin. Les images d'Hiroshima sont tout autant insoutenables. L'utilisation contrapuntique d'un rock 'n roll souligne le danger de ne pas vouloir croire aux signaux d'alarme tandis que des comparses jouent les "barons" pour révéler l'idéologie des petits bourgeois de la party. Comme dans tous les films de Lionel Rogosin, aucun commentaire ne vient polluer la démonstration, laissant au spectateur la liberté de ses émotions.

lundi 5 avril 2010

Le son de Vinyl


Françoise Romand a terminé le montage du film tourné lors du concert-visite que nous avons réalisé avec le violoncelliste Vincent Segal le 21 mars à La Maison Rouge (Photo Mathilde Morières). Filmé avec une HandyCam, le court-métrage rend bien l'ambiance de la performance qui dura près de deux heures. Nous avons exclu l'interprétation mémorable de 4'33 de John Cage qui se prête mal à une diffusion cinématographique et avons écourté nombre de stations. De même, nous ne nous sommes pas attardés sur les dizaines de pochettes que nous avons commentées en direct, préférant privilégier les séquences musicales. Pour rendre digeste la diffusion sur Internet, nous avons découpé le film de 23'23 en trois parties.


Première Partie (8'37)
Vincent Segal (violoncelle) et Jean-Jacques Birgé (Tenori-on)
autour de Christian Marclay, Helio Oiticica, Philip Glass, Laurie Anderson...


Seconde Partie (5'46)
Jean-Jacques Birgé (Kaossilator), Vincent Segal (violoncelle) et la participation de Martin Fournier (voix)
autour de Laurie Anderson, William Burroughs, John Giorno, Allen Ginsberg, Salvador Dali, Iannis Xenakis, Pierre Boulez...


Troisième Partie (9'00)
Vincent Segal (violoncelle, tourne-disques, keuss keuss) et Jean-Jacques Birgé (flûte, tourne-disques, susu, varinette)
autour d'Un Drame Musical Instantané, Michael Snow, Maurice Lemaître...

J'ai choisi de placer le film à la fois sur DailyMotion, YouTube et Vimeo, ici dans l'ordre croissant de qualité constatée avec le même fichier. Il est intéressant de noter que la meilleure reproduction s'avère celle du site le moins fréquenté.

P.S. : je remarque seulement ce matin que le 33 tours d'Hélène Sage et Bernard Vitet, Supposons le problème résolu paru chez GRRR également, figurait dans le catalogue de l'exposition, aux côtés de Rideau ! et À travail égal salaire égal d'Un Drame Musical Instantané.

jeudi 1 avril 2010

Migration douloureuse


P.S. : depuis que j'ai rédigé ce billet, nous avons décidé de quitter OVH aussi vite que nous y étions arrivés. Ce n'est pas cher, mais les réponses aux problèmes que nous avons rencontrés sont si stupides et erronées que nous avons décidé d'aller voir ailleurs... À suivre...

Jacques m'a aidé à faire migrer le Blog et le site depuis Online vers OVH dont les conditions sont nettement plus avantageuses (4,90 € pour un nom de domaine, hébergement de 1,99 € pour 25 Go à 19,99 € pour 500 Go, etc.) et la stabilité plus fiable. Cela ne s'est pas fait sans mal, une histoire de saturation du CPU par les scripts et de surcharge des serveurs qui nous a brutalement déconnectés dans la soirée. Nouveaux identifiants, nouveaux mots de passe, nouveaux réglages de mails... L'iPhone a été le plus coriace : il fallait remplacer l'@ par % dans la description et le nom de l'utilisateur, ssl0.ovh.net pour le nom de l'hôte et le SMTP, utiliser SSL sur le port 995. Ruse de sioux trouvée par Jacques sur le Net, la googlisation du problème étant la première démarche à faire lorsque l'on n'y comprend rien. On y lit presque toujours les commentaires d'internautes à qui la mésaventure est déjà arrivée. Les forums et les tchats sont dévolus à cette entraide. Prochaine étape, la refonte du site !
Je n'ai pas beaucoup de temps pour écrire. Mes journées sont dédiées aux répétitions et aux rendez-vous qui s'enchaînent avec Antoine Schmitt pour Mascarade... Dominique Playoust et Pierre-Oscar Lévy pour un énorme projet Samsung dont je ne sais ce que je peux révéler... Nicolas Clauss pour le deuxième module du serious game 2025 ex machina... Wolf Ka et Sylvain Ravasse pour le poème symphonique pour 100 Vélib'... Étienne Auger pour un jingle de FRA avec l'Opéra de Paris... Sonia Cruchon pour le site des Ptits Repères... Françoise qui termine le montage du film Le son de Vinyl sur le duo avec Vincent Segal à La Maison Rouge... Ce n'est pas tout, seulement les affaires courantes... S'annoncent aussi les collaborations avec Jacques Rebotier et Sacha Gattino, Olivier Mével et Marc Chareyron, Étienne Mineur, etc. Pardon à celles et ceux que j'oublie, il est tard, mais on s'amusera bien... Nos lapins, eux, se reposent, attendant leur envol pour Bucarest à la fin du mois !

mardi 23 mars 2010

La Passion du Vinyl


Après la première station sous le signe de la musique d'ameublement d'Erik Satie, nous avons gravi le chemin transportant l'un sa boîte de violoncelle et un tourne-disques, l'autre sa valise remplie de disques et d'instruments électroniques. Passés devant le Domaine Musical, Eskimo des Residents, Portal par Alechinsky, nous nous sommes arrêtés pour piétiner et diffuser les Footsteps de Christian Marclay. Depuis son acquisition, plus le vinyle est esquinté plus le son est intéressant. Quelques mètres plus loin, pour interpréter un duo de musique répétitive devant les Philip Glass de Sol LeWitt, je sors mon Tenori-on dont le son est plus discret que je ne m'y attendais, obligeant Vincent Segal à jouer pianissimo. Tandis que je diffuse lithurgiquement le 45 tours souple de L'Apothéose du Dollar par Salvador Dali, Vincent glisse un petit Bach (photo 1) ! Sous la vitrine, nous découvrons un disque en chewing gum qui aurait plu au Catalan.


Vincent attaque O Superman, qu'il a déjà fait avec Laurie Anderson, en jouant simultanément la pédale rythmique et la mélodie. Mes boucles vocales au Tenori-on prennent quelques libertés avec l'original (photo 6). Nous sommes plus révérencieux avec 4'33 de John Cage ; j'ignore si c'est une première mondiale de l'interpréter en duo, mais nous jouons parfaitement ensemble (photo 3) ! Vincent déploie une partition très annotée de Ligeti et une autre, autographe, de Pierre Boulez. J'accompagne au Kaossilator Martin Fournier, spectateur anglophone, récitant magnifiquement un texte d'Allen Ginsberg, avant que mon camarade s'interroge sur le Johnny Griffin de Warhol et que je conte mes aventures adolescentes avec les Beatles. J'offre quelques exemplaires de Rideau ! à la cantonade après que nous ayons exécuté un playback à la flûte et au violoncelle sur M'enfin (photo 2). Ce n'est pas tous les jours que les visiteurs d'une exposition d'art contemporain repartent avec une des œuvres sous le bras ! Nouveau duo avec flûte devant The Last LP de Michael Snow où nous prétendons avoir arrangé un morceau d'une tribu disparue, à l'image du canular de l'artiste canadien. Auparavant j'ai montré les pochettes doubles d'un autre album de Snow et du trio Laurie Anderson / John Giorno / William Burroughs. À cette occasion je suggère à Vincent de faire l'expérience du triple sillon de la quatrième face : le choix du morceau est aléatoire.


J'ai apporté des extraits de 3/3 par 1/2 (trois tiers par Un DMI) que nous avions enregistré sur Machiavel avec trois bouts de vinyle de trois différents disques du Drame (écoutable ici). La force centrifuge du tourne-disques portable expulse les tranches de gâteau noires qui scratchent toutes seules sous l'aiguille, composant un morceau inédit surprenant, d'autant que j'ai placé dessous l'une des faces bruitistes du Snow (photos 4-5). Terminant par un hommage à Fluxus, Vincent trace un sillon avec un clou sur la surface vierge du disque à graver soi-même de Maurice Lemaître, puis il joue des Keuss Keuss tandis que je hurle, un susu dans la bouche, sur deux de ses poèmes, L'équipée sauvage et Valse japonaise ! C'est terminé, Vinyl ferme pour ce soir, nous avons improvisé un programme de près de deux heures. Le public est aussi enchanté que nous deux qui nous sommes bien amusés...

Photos © Mathilde Morières, sauf n°3 Corinne Dardé (celle où l'on voit Françoise Romand filmer, ce qui laisse présager d'un futur YouTube qui sera également en ligne sur le site de La Maison Rouge). Merci les filles !

jeudi 18 mars 2010

Du son dans tous les sens


La voiture broute comme si ça patinait. La rumination est amusante, mais ça ne tourne pas rond avec un effet balançoire angoissant. Je suis ennuyé car mon Espace de 1986 me rend bien service lorsque je transporte du matériel, pour les courses ou aller écouter un concert en banlieue. Nous en servant peu, nous hésitons à racheter une automobile. Sa grande contenance est précieuse. Hélas le prix est proportionnel à la taille du véhicule... Pour l'instant je fais durer, mais voilà déjà quatre ans que le chauffage est en panne. Heureusement les beaux jours arrivent. Les oiseaux ont réinvesti l'églantier et le lavatère. Ça piaille dans tous les sens.
Au lieu de l'apporter au garage qui affiche complet j'ai fait des tests comparatifs entre deux paires d'enceintes miniatures en vue du concert-visite de dimanche à la Maison Rouge : les iHome ihm79 ont un son nettement meilleur avec des basses flatteuses, mais elles sont deux fois plus volumineuses que les ihm77 et elles arrachent moins. Pour une écoute domestique les 79, pour les déplacements les 77.
J'ai écouté le dernier Zappa paru, Philly '76, avec Bianca Odin. C'est toujours bien, mais plus aucun album inédit édité par la famille n'apporte grand chose de nouveau à la discographie du génial compositeur pamphlétaire. Dans le disque du batteur Franck Vaillant Magnetic Benz!ne le travail vocal de Soobin Park est très excitant, mais l'orchestre est trop jazz-rock pour me plaire. Je préfère écouter La longue marche du compositeur Benjamin de la Fuente dont j'envie la virtuosité violoniste pour partager son goût pour les trémolos hystériques, le traitement électroacoustique de ses distorsions en anneau et les rituels rock'n roll. J'ai trouvé de nouveaux Charlemagne Palestine ; c'est le genre de musique à écouter sans discontinuité pendant 24 heures et puis passer à autre chose, comme un stage au sauna. je ne sais pas si on cuve pendant ou ensuite.


L'étonnante comédie musicale sénégalaise Karmen Geï, film de 2001 de Joseph Gaï Ramaka, interprétée par la sublime Djeïnaba Diop Gaï, danseuse à l'érotisme torride, nous enchante. J'ai toujours adoré les tambours de Doudou N'Diaye Rose, mais quand intervient le saxophone free de David Murray qui a signé la musique, j'en reste comme deux ronds de flan. Le brûlot politique s'épuise au fur et à mesure du scénario, mais les chansons sont superbes et le film assez gonflé ne ressemble à rien de connu, ni du cinéma africain pour l'export, ni une énième adaptation musicale d'après Bizet.
En fin de journée, Vincent Segal (il s'en fiche, mais il n'y a pas d'accent !) me rejoint pour structurer notre visite de l'exposition Vinyl dimanche à 17h. J'ai mis de côté quelques disques et préparé les instruments dont je compte me servir pour accompagner nos propos. Vincent a plein d'idées et ses nombreuses collaborations artistiques, de Michael Snow à Laurie Anderson, constituent un trésor d'anecdotes. Nous devrions interpréter un numéro de duettistes assez amusant (photo ©Françoise Romand)...

vendredi 12 mars 2010

Un petit sujet






Françoise retrouve un petit sujet tourné sur Pauline Lafont en 1987 au Studio Harcourt pour le magazine C'est encore mieux l'après-midi présenté par Christophe Dechavanne. Le nom de Françoise Romand a été paresseusement oublié au générique. Heureusement elle l'avait déclaré à la Scam. Elle imagine des cadrages et une lumière plutôt gonflés pour ce genre d'émission. Le ton du commentaire et l'illustration musicale donnent une couleur années cinquante à l'ensemble, ravivant ma mémoire d'enfant. Tandis que la télé n'existait pas encore, les salles de cinéma projetaient les actualités et un court-métrage avant le film. C'est comme cela que nous étaient révélées les images du monde et que de jeunes réalisateurs étaient découverts pour leur mérite et pas seulement pour leur filiation familiale. En marge d'archives phénoménales, le Studio Harcourt perpétue sa tradition de photographies glamour, mais la carrière de Pauline Lafont s'arrêtera tragiquement au fond d'un ravin l'année suivante lors d'une randonnée solitaire. En regardant le petit sujet je me souviens que les cinéastes de la première vague (L'Herbier, Epstein, Delluc, Dulac...) avaient été obligés d'inventer une manière originale pour filmer les scénarios très basiques qui leur étaient imposés. Tant que l'on nous en laisse la liberté, on peut toujours trouver une solution pour améliorer l'ordinaire.

mardi 23 février 2010

José Berzosa en bonus de Thème Je


Dimanche Pauline Fort filme José Berzosa commentant Thème Je, le quatrième film de Françoise Romand qui sortira cette année en DVD, après Mix-Up ou Méli Mélo, Appelez-moi Madame et Ciné-Romand (dist. Lowave). En plus de Rencontres, tourné à l'Idhec en 1977 et retrouvé récemment dans les archives de Harvard à Boston, Françoise a décidé d'ajouter cet entretien amusant où son ancien maître espagnol critique les scènes qui le choque dans l'autofiction qu'elle a réalisée de 1999 à 2004. Elle remonte le volume d'un coup de téléphone occulté dans le mixage initial. On revoit le plan litigieux... Ce n'est pas la seule séquence qui dérange dans Thème Je. Le film fait beaucoup rire en projection publique, il met parfois mal à l'aise en comité restreint. Passé ses énormes qualités cinématographiques, sa réputation de "film maudit" justifie largement sa publication en DVD. C'est à mon avis le meilleur de Françoise depuis ses deux premiers, celui qui éclaire l'ensemble de son œuvre.
À table, j'interroge José sur Luis Buñuel qu'il a connu à Paris et Mexico. Comme Frédéric Rossif lui avait demandé de tourner un sujet sur Buñuel, Don Luis accepte à condition que José joue le rôle du premier diacre de Priscillien dans La Voie Lactée et de ne jamais apercevoir sa caméra. Lorsqu'il entend le mot "Moteur !", notre ami reste pétrifié de devoir réciter son long monologue en latin ! Le premier assistant, Pierre Lary, l'emmènera boire un café pour le détendre pendant qu'une centaine de personnes attendent dans la forêt éclairée en nuit américaine... Qu'il raconte son tournage au Vatican avec Françoise ou qu'il commente avec élégance les couleurs que j'arbore, José, qui pour venir nous voir a enfilé des lacets oranges à ses souliers, ne manque jamais d'un humour pince-sans-rire que l'autre Espagnol n'aurait pas désapprouvé. J'ai toujours beaucoup ri à La voie lactée, surtout après avoir lu dans L'avant-Scène Cinéma les explications de Buñuel sur les hérésies. Ça tombe bien, Thème Je est un film hérétique dans l'histoire du cinéma.

P.S. : photo réalisée sans trucage.

mercredi 10 février 2010

Bande-annonce de Ciné-Romand


Après le happening à Barbès en 2007 (1 2) et à La Bellevilloise en 2009 (3 4 5 6), après la publication du DVD dans son magnifique étui conçu par Étienne Mineur, après le site réalisé par Caroline Capelle et Sébastien Pons, c'est au tour d'une nouvelle bande-annonce de Ciné-Romand d'être mise en ligne à l'occasion du lancement du film aux États-Unis par Microcinema. Françoise Romand avait déjà réalisé un trailer plus explicatif. Celui-ci, énigmatique, ouvre une piste féministe. J'en ai composé la musique. À l'image on reconnaîtra Serge Dupire, Florence Thomassin, Marc Lavoine, Anne Jacquemin et Feodor Atkine.

vendredi 15 janvier 2010

Paralysie locale


Très affairé mais tenu au secret, je ne peux rien écrire. J'enregistre les sons d'interface du nouvel objet communicant imaginé par l'équipe qui a inventé le lapin Nabaztag, mais en plein développement du prototype je ne peux dire un mot. J'enregistre la musique du clip de la CNIL lié à 2025, le projet de serious game porté par Tralalere, mais je ne peux rien montrer avant que ce ne soit officiellement mis en ligne. Je travaille sur le lancement d'un écran augmenté qui pourrait révolutionner le monde de l'art contemporain, mais nous n'en sommes qu'à l'étude des possibles. Tributaire des concertations sur le poème symphonique pour 100 vélos, je ne peux rien faire. L'absence de modèle économique pour l'album de mon centenaire me paralyse. La mise en jeu de mon nouveau site dépend de la disponibilité de Nicolas Clauss. Le prochain spectacle avec Antoine Schmitt ne peut être révélé avant sa création en ouverture du Festival de Victoriaville au Québec. Et les projets avec Françoise Romand, Surletoit, Raymond Sarti, Pierre-Oscar Lévy, Sacha Gattino, Jacques Rebotier, etc. ne sont pas assez avancés pour être évoqués aujourd'hui. Le mutisme n'empêche heureusement pas l'imagination de déborder, même si mes phrases sont ponctuées de la conjonction de coordination "mais" qui marque systématiquement son opposition à mon envie et mon excitation à vous faire partager mon enthousiasme.
Il est d'autres encombrants secrets qui n'auront jamais leur place dans cette colonne. Si la prudence n'est pas un terme qui m'anime, l'intimité des uns, la stratégie des autres, les promesses faites aux uns comme aux autres imposent des limites à la publication. Saurai-je être plus loquace demain ?

jeudi 14 janvier 2010

Électrocution au révolver


Bernard Vitet se promène toujours avec de drôles de briquets qu'il achète à une Chinoise de son quartier. Il ne craint pas qu'un convive les embarque par inattention. Ce sont souvent des chalumeaux qui permettent d'orienter la flamme horizontalement. L'engin qu'il tient à la main pendant qu'il discute avec Benoît Delbecq est particulièrement pervers. Si l'on actionne la gâchette on reçoit une décharge électrique terriblement puissante. Le choc semble aussi fort que lorsque l'on touche du 220 volts. Pour allumer ses cigarettes, qu'il enchaîne les unes sur les autres malgré ses poumons fragiles, il doit agir sur le chien. L'atmosphère est enfumée. Fut un temps où nous travaillions quotidiennement ensemble avec Francis Gorgé. L'odeur de ses blondes court-circuitaient celle des Bastos de Bernard, mais à la fin de la journée le studio était envahi d'un nuage de poison. Je devais aérer pendant des heures après leur départ et j'avais fini par installer un avaleur de fumée faisant également office d'ionisateur. Aujourd'hui le moindre mégot empuantit l'espace clos et je dois vider les cendriers au fur et à mesure pour ne pas me sentir oppressé. Nous ne sommes plus habitués. L'atmosphère du salon est moins confinée, mais Françoise fait des courants d'air à nous faire attraper la crève.


Après le dîner, Benoît nous fait écouter son nouvel album en quartet avec le trompettiste norvégien Arve Henriksen, le batteur Lars Juul et son vieux complice Steve Argüelles trafiquant les sons aux commandes du logiciel Usine et de son filtre Sherman. Ce Way Below the Surface des Poolplayers est coolissime, nous attirant vers les grands fonds où la pesanteur est un vague souvenir. Je me sens plus proche de la musique de Benoît quand il prépare son piano que lorsqu'il en joue "nature". Le Bösendorfer du studio de La Mise en Circuit sonne alors comme un orchestre. J'apprécie toujours son élégance et le raffinement de son jeu tout en nuances, plus varié et évidemment mieux mis en valeur sur son nouvel album solo, The Civitella Project, également produit chez Songlines.
Nous réécoutons aussi Machiavel sur lequel nous jouons tous les trois. Le disque d'Un Drame Musical Instantané a été enregistré en 1998. Déjà douze ans ! Benoît figure au sampleur et au synthé sur le premier morceau Night Knight avec Bernard à la trompette, Steve à la batterie et Philippe Deschepper à la guitare. Je produis les nappes de cordes et introduis pour la première fois du Theremin dans un morceau. Il joue aussi sur L'aiguille creuse, toujours avec Bernard, mais cette fois je me sers d'un processeur vocal et DJ Nem scratche remarquablement ses platines. Le disque a beau rassembler des pièces que nous avons composées Bernard, Francis et moi de 1980 à 1982, des remix d'Agnès Desnos, Étienne Auger, Luigee Trademarq et Steve, un faux vieux morceau avec le trombone Yves Robert, le puzzling de 3/3 par 1/2 où nous avions découpé trois disques noirs du Drame en trois morceaux égaux comme les parts d'une tarte, puis recollé trois tiers différents ensemble sur la platine du tourne-disques, et mon préféré, Crimes parfaits, avec la radiophonie de centaines d'échantillons que l'on appellerait aujourd'hui "plunderphonics", l'album, très électro, est étonnamment homogène. Antoine Schmitt vient de réaliser l'adaptation pour Mac et PC de la partie CD-Rom de Machiavel qui ne tournait plus sur les nouvelles machines et qui sera bientôt téléchargeable gratuitement dès qu'Étienne aura terminé la mise en page du site Internet qui lui sera dédié.

lundi 11 janvier 2010

Le comble du cinéma


Voilà presque un an que je n'ai pas édité de playlist de films, exceptés ceux pour lesquels j'ai écrit un article comme les quatre longs métrages de Paolo Sorrentino, l'essai interactif Imagine sur le site d'HBO, The Pervert's Guide to Cinema de Žižek, les films d'animation Bachir d'Ari Folman, Coraline d'Henry Selick et Paprika de Satoshi Kon, le provoquant Princess d'Anders Morgenthaler, le kitchissime Avatar, plusieurs DVD de films expérimentaux plus ceux de Martin Arnold et une soirée de projection de Jacques Perconte à La Société de Curiosités, les élucubrations musicales télévisées de Spike Jones, les galipettes de Cécile Babiole, les Rouletabille de L'Herbier, La fabrique des sentiments de Moutoux, L'âge des ténèbres de Denys Arcand, Home d'Ursula Meier, Cortex de Boukhrief, La mélodie du malheur de Miike, Forbidden Zone de Richard Elfman, Convoi de femmes de Wellman, le dernier Aldrich All the Marbles, les cinq saisons de The Wire, le coffret Salut les Copains, le Ciné-Romand de Françoise et mon propre Nuit du Phoque... Ce qui nous mène jusqu'à ma précédente playlist !

Dans le plus grand désordre j'aborderai donc des films vus en 2009 et dont je n'ai encore soufflé mot :

  • À sa sortie, j'avais bêtement boudé Le bal des actrices, second film de Maïwenn Le Besco après son coup de maître(sse) Pardonnez-moi, or son nouveau faux documentaire nous en-chante littéralement, tournage kaléidoscopique où l'on remarque l'excellence des actrices (Karin Viard, Marina Foïs, Muriel Robin, Jeanne Balibar, Charlotte Rampling, Julie Depardieu, Christine Boisson et bien d'autres) comme celle de Joe Starr, comédien d'une justesse absolue (dvd Warner).
  • Capturing the Friedmans est un documentaire d'une force redoutable d'Andrew Jarecki, digne héritier d'Errol Morris, qui dresse le portrait d'une famille américaine entraînée dans le tourbillon de révélations fracassantes par le truchement de home movies, de témoignages bouleversants, de manipulations policières aussi tordues et d'une enquête psychanalytique pleine de finesse et d'intelligence (dvd mk2).
  • Invictus de Clint Eastwood est aussi pouf pouf et ennuyeux que les derniers Michael Mann (Public Ennemies), Spike Jonze (Max et les Maximonstres), ou pire, les derniers Tarentino, si gros navets que je ne tenterai même plus de regarder les suivants. Mais je ne vais pas m'étendre sur toutes les grosses daubes américaines que je me suis farcies avant d'apprécier District 9 de Neill Blomkamp (dvd Seven), Two Lovers de James Gray (dvd Wild Side Video) ou la très émouvante comédie dramatique Rachel Getting Married de Jonathan Demme où l'utilisation de la musique est toujours in situ (à noter la présence de Cyro Baptista !)... Nous avons également aimé Irina Palm de Sam Garbarski avec Marianne Faithful en géniale grand-mère courage (dvd Gie Sphe-Tf1) et Adoration, le dernier d'Atom Egoyan, pourtant massacré par la critique, dans lequel Arsinée Khanjian n'a jamais été aussi bonne (dvd Gie Sphe-Tf1). Je craignais le pire avec The Informers de Gregor Jordan d'après Bret Easton Ellis, mais l'étude de ce monde de jeunes adultes riches et dépravés est passionnante. Bonne surprise encore avec le polar Frozen River de Courtney Hunt (dvd France Télévisons) ou Sherrybaby, beau film de Laurie Collyer avec la formidable Maggie Gyllenhaal (dvd Metrodome)...


  • De mon florilège de comédies de Lubitsch, je n'ai encore vu que le chef d'œuvre d'humour Bluebeard's Eighth Wife, l'agréable Cluny Brown et le poussif Heaven Can Wait. J'ai plongé dans l'immense filmographie d'Alexander Kluge jusqu'à m'y noyer, sorte de Godard allemand peu connu en France (dvd importés par Choses Vues). Parmi les marathons, la série animée japonaise Kaiba de Yuasa Masaaki, l'auteur de Mind Game, recèle des trésors d'imagination et Shawn le mouton des studios Aardman permet de se détendre après un truc bien plombant (dvd Gie Sphe-Tf1) ! Nous ne viendrons pas non plus au bout de l'œuvre de Shuji Terayama, puzzle psychédélique complètement déjanté. Nous avons regardé un paquet de films réalisés par Kathryn Bigelow : si The Weight of Water nous a un peu barbés, Near Dark et The Hurt Locker ne valent tout de même pas Blue Steel ou son remarquable Strange Days. Même chose avec Happiness de Tod Solondz avec lequel ses autres films ne peuvent rivaliser (dvd Entertainment in Video). Par contre, je sens que le coffret de 18 Fassbinder me durera longtemps tant j'ai manqué ses films à l'époque de leur sortie...
  • Le très réussi Le convoyeur de Nicolas Boukhrief m'a donné envie de voir tous les films réalisés par Albert Dupontel qui y tient le rôle principal (dvd Studio Canal). J'ai bizarrement préféré Le créateur à Bernie... Côté rigolade, Louise-Michel de Gustave de Kervern et Benoît Delépine et Rumba de Dominique Abel, Fiona Gordon et Bruno Romy nous ont fait passer de très agréables moments (Gie Sphe-Tf1). Nous n'avons pas compris l'ire déclenchée contre Musée haut musée bas de Jean-Michel Ribes, comédie burlesque plutôt hirsute (dvd Warner). Dans un autre genre, les films des Yes Men sont revigorants, même si leur potentiel politique reste très superficiel (dvd Palisades Tartan).
  • Marie m'a prêté le remarquable A Bigger Splash de Jack Hazan sur la vie du peintre David Hockney que je n'avais jamais vu (dvd Compagnie des Phares et Balises). Tout comme The Manchourian Candidate de John Frankenheimer conseillé par Rosenbaum, hilarant pamphlet bancal anti-communiste (dvd MGM) ou Hitler connais pas, extraordinaire enquête documentaire de Bertrand Blier de 1963 que Nicolas m'a fait découvrir...

J'en oublie des quantités tant j'en ai vus l'an passé, sans compter les saisons 3 et 4 de Heroes, la saison 1 de Fringe, les saisons 2 de True Blood et Damages, etc. Ajoutons les merveilleuses perles contenues dans les coffrets DVD de Cinq colonnes à la une et Dim Dam Dom...
Me vautrer devant un film sur grand écran est l'une des rares occupations qui me déconnectent de mon hyper-activité...

mardi 5 janvier 2010

Concerto pour violoncelle et 3 millions d'abeilles


La vidéo que Françoise avait découverte à la Biennale de Lyon est enfin en ligne : Didier Petit joue pour et avec les abeilles d'Olivier Darné sur le toit de la mairie de Saint-Denis. L'apiculteur-plasticien a créé le Parti Poétique pour polliniser la ville. "Poser une ruche quelque part consiste à poser un centre de prospection et à tracer autour de cette ruche un cercle d’environ 3 km de rayon. Ce territoire «invisible» délimite alors environ 3000 hectares de superficie qui constituent approximativement la zone de butinage et de prospection de l’abeille." La pollution liée aux pesticides épargne les villes que les abeilles ont adoptées avec gourmandise. On connaissait, entre autres, les ruches du square Georges Brassens à Paris où Elsa, enfant, avait appris à les caresser. Celles de Jean-Claude alimentent nos petits-déjeuners et nos goûters à s'en pâmer. Darné en a installées dans plusieurs quartiers de Paris et en banlieue. Sur son site, encore en construction, il vend déjà le Miel Béton à grand renfort de slogans tels "Time is Honey" ou "L'erreur est urbaine" ! Et le violoncelliste Didier Petit de charmer les abeilles qui volent autour de lui jusqu'à se poser sur le crin de son archet pour mieux ressentir les vibrations généreuses de son inspiration...

mercredi 23 décembre 2009

Zombies on Brick Lane


Les trois dernières nuits ont été très courtes. Tout a commencé samedi soir chez Elisabeth. Il fallait voir et entendre l'impatience et l'enthousiasme cinéphilique déployés par Elisabeth Lequeret, Marie-Pierre Duhamel et Jonathan Rosenbaum dont les phrases se coupaient, s'enchaînaient et se croisaient.. Dans une allégresse générale nous échangeons nos commentaires, critiques et appréciations sur les films de Berlin, Venise ou ailleurs, sur ceux du temps passé, du présent et de l'avenir. Le grand jeu ! Je note Skidoo d'Otto Preminger tourné après son expérience du LSD, The Manchourian Candidate et les réalisations pour la télévision de John Frankenheimer que j'ignorais. Nous rejoindrons nos pénates vers quatre heures du matin. Depuis, j'ai peu dormi, me levant tous les matins vers six heures alors que les soirs s'étendent dans la nuit verglacée. Pourtant, la semaine semble assez calme. Façon de parler. Les doigts s'agitent toujours autant sur le clavier. Noël Burch organise à la maison une projection de son film en cours, réalisé avec Allan Sekula, pour que ses amis lui donnent leur avis. Nous craquons au bout de trente minutes du dernier Spike Jonze, Max et les Miximonstres. Mieux vaut lire le livre de Maurice Sendak. Tard le soir, je termine la troisième saison de Heroes. Françoise me fait prendre une cure de magnésium que j'interromps pour partir à Londres.
Antoine et moi y sommes finalement arrivés. Notre marathon s'est achevé par plus d'une heure de trajet en métro entre Heathrow et Aldgate East. Nous marchions au radar, mais nous y voilà ! La baie vitrée de la petite suite donne sur le panorama de la City, quelques gratte-ciel surmontées de grues dont l'étonnant Cornichon de Norman Foster. La véritable richesse du quartier n'est pas là, mais sous nos fenêtres. Brick Lane est bengali. Des hustlers font la retape à la porte de tous les restaurants indiens. Cela ne pouvait pas mieux tomber. Dans l'avion de la British Airways, nous nous étions entendus sur le choix du restaurant de ce soir, histoire de nous plonger dans le bain avant de sombrer dans les bras de Morphée. Les épiceries, les magasins de bricolage, les vendeurs de CD et DVD jouent le raga du soir tandis que nous nous éteignons... Au moment de m'endormir, je reçois un SMS d'Antoine qui vient de changer de chambre. En branchant l'adaptateur électrique pour prise anglaise acheté en bas, il a fait sauter les plombs... Que nous réserve l'installation des lapins que nous mettons en œuvre ce matin aux aurores ? Nous devons encore brancher cent cinq transfos sur le secteur et le magnifique entrepôt de l'Old Truman Brewery n'est pas chauffé dans la journée ! Le thermomètre japonais mis en vente par Colette y affiche 9°C.

samedi 12 décembre 2009

Nabaz'mob et la Tour Eiffel


Hier soir le tableau était kitsch à mort. La Tour Eiffel clignotait en rythme avec les lapins pour leur première sortie dans un cadre évènementiel, en l'occurrence l'inauguration des nouveaux bureaux du Boston Consulting Group rue Saint Dominique. Une immense tente accueillait les 500 invités en dessous de la façade dont les fenêtres servaient de canevas à une animation vidéo. Des hôtesses laissaient monter les visiteurs par petits groupes jusqu'au cinquième étage pour assister à l'opéra Nabaz'mob présenté comme le clou de la soirée. Un parcours lumineux les guidait à travers une salle de boules à facettes enfumée qui me fit penser au début des 5000 doigts du Docteur T. Dans le couloir des snowfalls alignés sur le sol donnaient l'impression que l'on shootait dans des éclats de lumière.


Tout au fond, les 100 lapins jouaient leur partition tandis que l'on pouvait découvrir au travers des deux baies vitrées leur servant de décor, à gauche, le dôme des Invalides et, derrière, la Tour dont les illuminations de Noël semblaient avoir été conçues par l'équipe de Hmm! pour coller avec le reste du spectacle. Nous récoltons avec amusement les remarques des jeunes cadres de BCG de plus en plus éméchés : " C'est bien l'esprit de la boîte, discipline et alignement... Tous pareils, tous différents... Une métaphore des consultants... Le Conseil d'Administration... Ils vont nous sauter dessus... C'est extrêment bizarre... Hyper-flippant... You can chose which one you are... Et donc ?... ". Un Nanoz:tag, petit lapin vert comme leur logo, était offert à chaque invité à son départ. Le nôtre était décalé. Il faudrait encore parquer notre marmaille de v2 dans leurs clapiers métalliques, les charger dans une carriole sans chauffage, foncer vers le Bois jusqu'à leur tanière, les déposer et reprendre les trois flight-cases de v1 devant s'envoler pour Londres la semaine prochaine...
On n'était pas couchés ! Il était tard, d'autant que samedi soir on irait au Bal des Allumés qui se tient dès 21h au Triton, Les Lilas, mené par le Grand Chahut Collectif.

P.S. : la performance du v2Ensemble, filmée et montée par Françoise Romand, est en ligne !

mercredi 25 novembre 2009

Didier Petit pour le 20ème anniversaire du label in situ


Didier Petit a vingt ans lorsqu'il entre dans le grand orchestre d'Un Drame Musical Instantané. Il ressemble aux jeunes gens enthousiastes et impétueux devant qui le rideau se lève. Il sait aussi écouter et tenter l'impossible puisque le secret est de ne jamais cesser d'apprendre. Je l'avais entendu dans le Celestrial Communication Orchestra d'Alan Silva auquel il restera fidèle après son passage par la pépinière IACP, école de jazz incontournable des années 80. L'épatant chaos ambiant ne me permet pas de l'apprécier aussi bien que dans le sextet Dernier Cri où figure également l'accordéoniste Michèle Buirette dont la rencontre ne fut pas pour moi exclusivement musicale ! Il la rejoindra un temps en trio avec le violoniste Bruno Girard au moment du disque de Michèle, La mise en plis, enregistré quelques jours avant la naissance d'Elsa.
Si fin 1982 il a déjà participé au second album du Drame en grand orchestre, Les bons contes font les amis, c'est sur L'homme à la caméra que le violoncelliste chantera pour la première fois, à ma demande. Cette manie lui est encore souvent reprochée par certains puristes effarouchés par les effusions de son. Je me souviens qu'alors Didier m'avait demandé de participer, même symboliquement, à la production du disque et que je l'avais gentiment envoyé promener ! Il m'avait expliqué qu'il souhaitait s'impliquer pas uniquement musicalement, mais aussi productivement, dans les projets qui lui tenaient à c?ur. Et du c?ur il en a. Têtu et persévérant, il ne lâchera pas son idée et créera six ans plus tard, en 1990, les disques in situ dont nous fêterons le 20ème anniversaire de vendredi à dimanche à L'Échangeur de Bagnolet. Mais Didier n'a pas créé son label pour se produire comme nombreux de ses collègues désirant préserver leur indépendance créative ou économique. Avec Hervé Péjaudier pour les textes de pochette et Toffe pour son graphisme rouge et noir, il a imaginé une collection pour inviter les amis dont il apprécie la musique. La liste est trop longue pour les citer tous et toutes, mais je tiens à saluer particulièrement sa sincérité, son honnêteté et sa compétence, trois qualités que l'on rencontre rarement chez le même producteur ! Je crois que notre contrat est arrivé à échéance depuis près de 15 ans et il ne me serait jamais venu à l'esprit de le dénoncer, tant les choses sont claires et le plaisir partagé. Car Didier Petit (sur la photo à droite, le 12 février 2004) est avant tout un musicien, compositeur de l'instant, un violoncelliste fougueux et inventif, un romantique d'une autre ère parlant le langage de demain. Il a d'ailleurs passé le relais du label à son complice Théo Jarrier, devenu depuis le vénéré disquaire du Souffle Continu.
Après la dissolution du grand orchestre en 1987 (on reconnaîtra Didier dans la vidéo d'une répétition boulevard de Ménilmontant), nous avons souvent collaboré pour des projets extrêmement variés : l'?uvre-site Somnambules avec Nicolas Clauss, des concerts avec Bernard Vitet (sur la photo à gauche) et Eric Echampard, le CD Opération Blow Up aux côtés de György Kurtag, des sonneries de téléphone pour SonicObject, un trio avec Denis Colin pour l'évènementiel (se) diriger dans l?incertain, la musique du film Ciné-Romand, etc. Il a publié notre Jeune fille qui tombe... tombe de Dino Buzzati avec le Drame et Daniel Laloux dans la collection in situ, j'ai relaté ici-même ses WormHoles et nous nous sommes côtoyés évidemment aux Allumés du Jazz...
Il existe un gag récurrent entre nous. Un soir où le groupe clandestin du 29 septembre, des producteurs de disques indépendants, s'était réuni chez moi nous nous sommes engueulés comme du poisson pourri sur la compétence des journalistes de jazz. Comme je le traite de curé il me répond "connard" avec une véhémence aussi partagée que notre tendresse mutuelle. Les camarades présents ont cru que nous allions en venir aux mains tant nous semblions énervés alors que ce n'était qu'un jeu. Aussi aujourd'hui le connard tire son béret (un béret, un béret français !) au curé avec un grand éclat de rire en lui souhaitant un joyeux anniversaire !

lundi 9 novembre 2009

Furtivement


Après son succès en salles, Les Plages d'Agnès sort en DVD, agrémenté de petits boni comme elle dit : Trapézistes et voltigeurs (8'), Daguerre-Plage (6'), une planche de quatre magnets d'après l'affiche de Christophe Vallaux (en chemise bleue sur la seconde photo) et un livret de seize pages. Si l'on m'aperçoit à la toute fin du film d'Agnès Varda, lors de ses 80 balais, nous pensions que Françoise avait disparu du montage. Que nenni ! Un arrêt sur image m'a permis de saisir le photogramme. Quatre images, c'est un sixième de seconde, juste le temps d'apercevoir son ensemble rose et vert, mais pas assez pour reconnaître sa frimousse.


Quant à moi, je suis bêtement fier d'apparaître tout sourire au milieu du générique. Le mois qui a suivi la sortie du film il n'y eut pas un jour sans que l'on m'accoste dans la rue. Pour deux secondes à l'écran ! On peut imaginer le calvaire des acteurs et actrices à sortir dans le monde. Lunettes noires et vitres fumées, déguisement et postiches, négation de son identité et réclusion, tous les moyens sont bons pour gagner l'anonymat.
Michael Lonsdale me raconta qu'un soir où il dînait à Strasbourg avec Roger Moore et Mireille Mathieu, appréciez l'improbable trio, quelle ne fut pas l'angoisse de découvrir 2000 personnes à la sortie du restaurant ! Un autre jour, un chauffeur de taxi étale son admiration pour le comédien, pour terminer pas lui demander d'avoir la gentillesse de lui signer un autographe, "Monsieur Galabru...", et Michael de signer Michel Galabru pour ne pas décevoir "son" admirateur ! Je me souviens des fans se couchant sous les pneus de la voiture de George Harrison avec qui je venais de jouer, des crises d'hystérie des admirateurs de Richard Bohringer pendant les répétitions du K ou simplement du malaise des autres artistes à la table de Robert De Niro.
Lorsque j'étais adolescent je rêvais de célébrité. À fréquenter et travailler avec des stars, j'appris plus tard la rançon de la gloire et appréciai, en tant que compositeur, d'en percevoir les bénéfices sans en subir les préjudices...

vendredi 30 octobre 2009

Pasta Unica #1


Pasta Unica m'a donné l'occasion de visiter le 104 où je n'avais encore jamais mis les pieds. Belle bâtisse aux proportions généreuses, le "nouveau" lieu a la réputation d'être une coquille vide dont la taille absorbe la majeure partie du budget en dépenses de fonctionnement, laissant des miettes à la programmation artistique. J'imagine que la première rencontre professionnelle proposée par Philippe Baudelot, Cécile Denis, Emmanuelle Raynaut et Cyril Thomas était gracieusement hébergée, dans une salle où l'acoustique désastreuse obligeait à faire des exercices surhumains pour comprendre les orateurs. Néanmoins les échanges furent passionnants, ouvrant peut-être des brèches dans le mur de confusion qui entoure les œuvres utilisant les nouveaux médias.
Le préambule rédigé par l'Argentin Pablo Zunino ayant interrogé l'uniformisation et le formatage tout autour de la planète, le ton était donné à la contestation qui demeura toujours dans une ambiance bon enfant où aucune exclusion ne fut prononcée malgré la diversité des projets présentés. Ainsi nombreux artistes venus montrer une de leurs œuvres en gestation critiquèrent le terme d'art numérique pour caractériser toutes ces formes d'expression. S'il est nécessaire de se fédérer, est-il souhaitable de se rassembler autour d'un outil plutôt que d'une démarche ? Pasta Unica a justement été créée pour apporter des réponses à ce type de question. Ainsi un observatoire de 46 questions, mazette c'est un fleuve, a été mis en ligne pour donner la parole aux différents acteurs gravitant autour des pratiques émergentes, ayant recours aux nouvelles technologies. Que de circonvolutions pour nommer l'incernable ! Artistes, journalistes, théoriciens, programmateurs, producteurs sont donc invités à livrer leur pensée.
Si les travaux de mes camarades de jeu Nicolas Clauss, Antoine Schmitt, Françoise Romand, Wolf Ka ne pouvaient que m'enchanter, je découvris le travail vidéographique de Jacques Perconte avec qui je partage pas mal de points de vue sur l'état du monde. Son plan séquence ferroviaire musicalement ascensionnel aux couleurs saturées dont les avant-plans transforment le décor du fond est épatant... Présentant FluxTune, je composai la musique de la manifestation en dessinant son titre (photo) ! La rencontre fut aussi l'occasion de revoir nombreux estimables confrères et consœurs perdus de vue depuis plus ou moins longtemps comme de discuter tango avec Zunino dont le père était bandéoniste et compositeur, et de Schönberg avec Norbert Schnell, chercheur à l'Ircam ! Le père de l'École de Vienne prétendit assurer la suprématie de la musique allemande pour un siècle. Pourquoi pas ? L'erreur fatale à la "musique contemporaine" fut que les compositeurs de l'École de Darmstadt dont Boulez le crurent ! La suite au prochain numéro...

dimanche 25 octobre 2009

Remettre rien sans cesse à demain


Comme chaque samedi mes bonnes intentions n'ont pas été suivies d'effet. Décidé à me reposer après une semaine bien chargée, j'ai commencé très tôt en écrivant une petite contribution sonore d'une minute pour le Tapage Nocturne de Bruno Letort consacré au Mur du Son, en référence au 20ème anniversaire de la chute du mur de Berlin. J'ai évidemment pris le contrepied de ce que j'imagine que les autres compositeurs produiront en enregistrant dans la foulée cette pièce exclusivement vocale (en ce qui me concerne !) et que j'ai intitulée Casual, en français on traduira "décontracté" ou "informel", que l'on prendra soin de prononcer avec un accent français de circonstance "Cage Wall", mon idée consistant à ébranler un mur a priori infranchissable lorsque l'on connaît les interdits radiophoniques ! À découvrir donc dimanche 15 novembre 2009 à 23h55 sur France Musique...
Comme il était dix heures du matin, je suis resté travailler au studio pour jeter un œil à la partition du premier module de 2025, le serious game destiné aux ados de 12 à 16 ans sur lequel planchent Nicolas Clauss et l'équipe de Tralalere. J'en suis évidemment sorti vers 19 heures après avoir réalisé un dépouillement quasi total, du moins en l'état d'avancement des animations et séquences interactives. J'ai essentiellement programmé le V-Synth pour les ambiances en boucle, les sons de navigation et ébauché la musique pour trouver la couleur générale avant d'aborder ce premier module. C'est toujours compliqué de réaliser un pilote en imaginant les potentialités de la série. J'ai terminé la journée en cherchant quelques sons de cordes et de cors pour donner une petite note cinématographique à ma partition, mélange d'électronique légère et de rythmes lourds destinés à produire un peu de stress chez le joueur chronométré.
J'aurais pu venir taper ce billet, m'allonger pour lire ou regarder un film, mais Françoise m'a demandé de chercher des sons de cours de la Bourse en anglais pour l'extrait qu'elle montrera jeudi prochain au 104 à l'occasion de la première de Pasta Unica. De mon côté j'ai envoyé à Cécile Denis une présentation linéaire de FluxTune que j'ai montée sur FinalCut à partir d'une copie-écran, avec Françoise pour me tenir la main, échange de bons procédés.
Si je tiens toujours mes promesses, je fais exception à mon égard. Par exemple, aujourd'hui dimanche je me suis promis d'être plus sage et de vaquer à des occupations moins studieuses. En d'autres termes j'espère avoir de la visite pour me dissiper et me forcer à faire ce que je ne sais pas faire, rien.

vendredi 9 octobre 2009

La subversion des images


En sortant de chez mon magicien préféré, celui qui me remet d'aplomb sans y toucher, nous sommes allés voir l'exposition du cinquième étage du Centre Pompidou consacré aux photos des surréalistes. Si La subversion des images est sous-titrée "Surréalisme, photos, film", c'est surtout par ses images fixes qu'elle surprend, par leur profusion et leur richesse, et par l'écho qui rebondit sur notre époque. Les collages et autres cadavres exquis sont les grands-pères des mix et remix, samples et détournements. L'iconographie photographique s'est déplacée dans le camp du son (!). Pourtant l'amusement que prend toute cette bande de chenapans à jouer leurs tours pendables à la société ne ressemble pas à la superficialité de la plupart des artistes contemporains. Les surréalistes voulaient "changer la vie" et leurs facéties de garnements débordant d'imagination ressemblent plus à la période des années 60/70 qu'à notre morosité frileuse. En sous-pesant le somptueux catalogue de 480 pages, je me demande tout de même s'il n'est pas plus confortable d'apprécier les reproductions photographiques dans son salon que d'arpenter les neuf salles pour en savourer tout le jus. La scénographie est simple, le blanc s'imposant encore une fois avec quelques effets de miroir sur tranches, mais nombreuses œuvres basses sont encore destinées aux nains et la fatigue m'assaille avant que j'arrive au bout du petit marathon. Préférant mon sofa aux banquettes rondes sans dossier, je survole et butine l'expo pour me goinfrer, rentré à la maison.
Les neuf films (Buñuel, Dali, Richter, Cornell, Man Ray, Germaine Dulac et Artaud, Roger Livet, etc.) sont extraordinaires, mais tout cinéphile en aura déjà fait ses choux gras. Reprenons donc la visite en tournant les pages. 1. "L'action collective" ne peut que m'enchanter tant elle excite l'esprit communautaire qui m'est cher. Portraits de groupes avec femmes (rares...) 2. (et souvent reléguées à leur nudité plastique)... "Le théâtre sans raison" pointe la folie comme mot d(e dés)ordre. Jamais n'abolira le hasard. 3. "Le réel, le fortuit, le merveilleux" nous replonge dans le Paris de jadis que probablement aucun de nous n'a connu et qui porte déjà à nos yeux les habits surréalistes. Au tranchant parfait. Mannequins et statues. 4. "La table de montage" héritée de Lautréamont engendre toutes sortes de rimes impossibles qui vont chercher leur non-sens dans la psychanalyse, hélas ici quasi absente. Ça colle pourtant. 5. "Pulsion scopique" renverse les échelles et suggère un autre monde qui est pourtant du nôtre. L'œil de verre du voyeur se rince au cabinet noir interdit aux enfants et pour cause. Ce ne sont pas les seules images qui nous surprennent, car partout on voit bien qu'on ne s'embêtait pas. Le réel plus surréaliste que nature. 6. "Le modèle intérieur" esquisse donc ce qui fait défaut, à savoir les arrière-pensées de ce groupe d'empêcheurs de tourner en rond, son inconscient esquivé. Fermez les yeux une fois pour toutes. Tout est à voir. 7. "Écritures automatiques" donne son sens à la future indétermination qu'on qualifie trop souvent aujourd'hui d'aléatoire. Miracles de l'instant. Le mouvement arrêté. 8. "Anatomie de l'image" convoque les recettes alchimiques d'alors, on brûle, on gratte, on frotte, on renverse... Mais le corps reste obsession, l'éros caché enfin révélé par la plaque photosensible. 9. "Du bon usage du surréalisme" montre que toutes les avant-gardes comme tous les révolutionnaires sont récupérés et permettent au système qu'ils attaquent de perdurer. Les poils de Dora Maar, les hippocampes de Painlevé, la forêt de brosse à dents du jeune Robert Bresson, les larmes de Man Ray font réclame.
Avant, on se sera délecté de Breton, Éluard, Desnos, Prévert, Bataille, Char, Léo Malet, Ernst, Bellmer, Brauner, Magritte, Ubac, Brassaï, Atget, Cartier-Bresson, Kertész, Eli Lotar, Jacques André Boiffard, Paul Nougé, Maurice Tabard, Jakob Tuggener, Vane Bor, Roger Parry, Wols, Manuel Alvarez Bravo, Jindřich Štyrský, Georges Hugnet, Yamanaka Tiroux, Wilhelm Freddie, Miroslav Hak, Artür Harfaux, Benjamin Fondane, Claude Cahun et Moore (Suzanne Malherbe), Valentine Hugo, Suzanne Muzard pour terminer cette liste par quelques filles perdues puisque les femmes ont tant inspiré cette bande de joyeux drilles qui ont révolutionné l'histoire de l'art et par là-même la vie, notre vie.

Photo : Françoise Romand

lundi 5 octobre 2009

Les petits cours d'eau font les grandes rivières


Éric Dalbin a mis en ligne quelques photos signées Yves Malenfer du rideau d'eau dont j'ai composé la musique pour le stand RCZ de Peugeot au Salon de Francfort. On y aura un avant-goût du travail graphique de Phormazero, mais il faudra attendre le film pour entendre la partition en mouvement. Voir billet du 15 septembre pour plus de détails. J'y développe comme d'habitude mon discours de la méthode.
Se rendre utile est une démarche gratifiante. Certains compositeurs rechignent à composer de la musique appliquée, or il est souvent plus sain de travailler pour le privé que pour le public. Les rapports humains sont directs, les désirs et les appréciations s'expriment, c'est déjà pas mal, de plus, clairement, ce qui est fort appréciable. Je rappelle que, par exemple ici, j'ai été totalement libre d'écrire ce que je voulais, sans aucune contrainte si ce n'est le cahier des charges qui spécifiait exclusivement que la "création artistique" devait être "cristalline et futuriste". Techniquement, je composai avec le son de l'eau venant percuter le bassin récupérateur. Je me verrais très bien éditer le résultat comme n'importe quelle œuvre personnelle. Le Poème Électronique de Varèse n'a-t-il pas été conçu pour le Pavillon Philips de l'Exposition Universelle de Bruxelles en 1958 !
Les rémunérations afférentes à ce genre de commande permettent en outre d'en créer d'autres ou d'en accepter dont le budget est inexistant. J'ai l'habitude de dépenser d'une main ce que je perçois de l'autre. Ainsi les salaires générés par notre opéra de lapins nous offrent les moyens de prendre le temps pour réfléchir à de nouvelles créations ou simplement de choisir les travaux qui nous excitent le plus et les partenaires les plus sympathiques, de ceux avec qui nous vibrons en sympathie. J'ai déjà écrit que je ne travaille plus qu'avec des gens gentils !
Ainsi je rêve de mes prochaines collaborations, que ce soit avec Antoine Schmitt (nous avons deux projets "live" sur le feu, l'un assez lourd pour lequel nous sollicitons des aides publiques, l'autre, commandé pour une première partie de Nabaz'mob en ouverture du Festival de Victoriaville au Québec), avec Nicolas Clauss (deux projets encore, le trio live avec Sacha Gattino et le "serious game" pour Tralalere dont les trois premiers modules doivent être prêts avant la fin de l'année), avec Étienne Mineur (pour des livres interactifs convoquant les dernières avancées technologiques), avec Valéry Faidherbe (une commande pour Saint-Gobain qui va se préciser dans les jours qui viennent), avec Françoise Romand (projets de films en cours), avec Pierre-Oscar Lévy (la musique du film devrait s'écrire avant qu'il ne commence à monter et Bernard Vitet sera de l'aventure) et quelques autres, tous amis de longue date ou qui le deviendront, avec qui je partage la soif d'inventer et de rêver. Je reste à l'affût de nouvelles idées comme de rencontres inattendues qui bouleverseront ce à quoi je m'attendais. Ainsi hier matin quelle ne fut pas ma surprise lorsque la pianiste et compositrice Ève Risser m'alpagua sur le quai de la gare de Strasbourg ! Pour l'instant je prendrais bien quelques jours de repos, mais en suis-je capable ?

samedi 3 octobre 2009

On a mis le feu


Ce sont deux histoires. Pendant qu'Antoine et moi frisions l'émeute à la Nuit Blanche de Metz avec nos lapins des garçons sauvages incendiaient des automobiles à Bagnolet devant chez nous. Je pense à la peur de nos voisins réveillés par l'explosion de leurs fenêtres suivie des flammes. À l'Arsenal, ancien dépôt de munitions messin, nous avons proposé de faire gracieusement une quatrième représentation pour satisfaire les centaines de spectateurs qui n'avaient pu assister aux précédentes, mais l'organisation a refusé. L'atmosphère était explosive. Dehors la foule scandait : "Les lapins ! Les lapins !" À la maison, Françoise a filmé le feu qui, le lendemain matin étonnamment, ne semblait pas avoir endommagé l'arbre au coin de la rue. Nous avons tous les deux pensé avec effroi à la cuve à mazout provisoire devant le garage qui doit être enlevée lundi matin, mais Antoine m'a expliqué que c'était un liquide trop gras pour s'enflammer. L'accueil de Véronique Albert a été adorable, et les intermittents du spectacle de la Nuit Blanche nous ont permis de réaliser trois représentations enflammées. Nous avons juste eu le temps d'admirer "Line Describing a Cone", le film-dessiné de 1973 d'Anthony McCall projeté dans la fumée de l'Église Saint-Pierre-Aux-Nonnains et coucouche-panier-papattes-en-rond. Ayant passé la journée plié en deux par le réveil de mon hernie discale j'appréhende la journée de demain. Nous devons remonter "Nabaz'mob" à l'Aubette à Strasbourg avant 14h. Antoine dit que, tordu comme un bonzaï dans mon costume noir et or, je ressemble au Juge Ti. Il est bientôt trois heures, extinction des feux.

dimanche 20 septembre 2009

Cine-Romand.com


Ciné-Romand a rajeuni. À partir d'éléments graphiques de Claire et Étienne Mineur, de photos d'Aldo Sperber, de la musique de Bernard Vitet, Didier Petit et moi-même, d'extraits de films, Caroline Capelle et Sébastien Pons ont réalisé le nouveau site de Françoise Romand autour de son dernier film à paraître en DVD le 15 octobre. Pour les impatients, Ciné-Romand est envoyé en avant-première aux internautes qui le commandent dès aujourd'hui.
Organisé en 4 parcours qui rappellent le happening filmé dans les appartements autour de La Bellevilloise, le nouveau site offre deux savoureux bonus inédits au DVD, extraits des films Appelez-moi Madame et Vice Vertu et Vice Versa. Un roll-over sur les pastilles rondes permet d'entendre des dialogues enregistrés parmi les spectateurs et sur chaque page la musique s'évanouit lorsque l'on regarde un extrait des films de Françoise Romand. Lowave distribue les trois déjà édités en DVD, soit Mix-Up ou Méli-Mélo (deux bébés sont échangés à la naissance), Appelez-moi Madame (un militant communiste devient transsexuel à 55 ans avec l'aide de son épouse) et Ciné-Romand (en remontant le temps du blog : 1 2 3 4 5 6 7). Le prochain à paraître début 2010 sera le sulfureux Thème Je (une auto-fiction filmée pendant quatre ans).
À ce propos, signalons sur le DVD le court-métrage Réflexions désobligeantes où je me prête avec disgrâce à un duo grinçant dans la cuisine, rappelant avec humour les indiscrétions facétieuses de la réalisatrice, son projet iKitchen (des webcams dans des cuisines du monde entier) et son thème de prédilection, l'identité, souvent poussé à l'extrême, traversant tous ses films et que Ciné-Romand présente avec encore plus d'évidence.

mercredi 16 septembre 2009

Le bordel


Après l'aquaplaning vertical, un billet planning horizontal. J'aimerais prendre le temps de m'allonger pour lire les journaux auxquels je suis abonné. Heureusement il y a les voyages, à condition que je ne bavarde pas tout le long ! Certaines périodes ne favorisent guère l'écriture de mes billets quotidiens. Cette gymnastique a-t-elle un lien avec le fait que ma fille soit acrobate ? Sur son trapèze chaque mouvement est pesé pour ne pas se mettre en danger. Pour un improvisateur tel que moi le jeu consiste à savoir se rattraper.
Je compose pour pas mal de supports différents, j'aide Françoise au lancement de son nouveau DVD, je dois écrire pour des journaux, répondre à des interviews et je suis souvent en vadrouille. Revenu lundi soir de Francfort, je repars le 22 avec Antoine à Strasbourg pour présenter Nabaz'mob salle de l'Aubette avant (jeudi 24), pendant (samedi 26) et après Ososphère (1er et 3 octobre). À Francfort la musique du rideau d'eau remplit parfaitement sa fonction, notre deuxième clapier est en forme au Musée des Arts Décoratifs, j'ai terminé l'habillage sonore du DVD de Didon et Énée, j'ai des projets de collaboration avec Nicolas, avec Pierre-Oscar, avec Antoine et Bernard, avec Sacha, avec Sonia et Valéry, avec Étienne Mineur, avec Étienne Auger, avec Françoise (heureusement que j'adore les collaborations !), etc. Je pense aussi rembrayer bientôt sur mon projet d'album "solo" qui me refait de l'œil depuis que j'en ai trouvé le titre définitif (!)... Je suis certain d'oublier le plus important... Hier matin, j'ai répondu aux questions de Marc Helfer pour la télé finlandaise, il faut tester 100 alimentations électriques pour une troisième centurie de lapins et Radio En Construction me propose de faire une performance live pendant Ososphère... Je retourne à des activités plus prosaïques, changer la lampe d'un des deux vidéo-projecteurs et installer la version 5 de Cubase. Comme tout cela ne doit pas m'empêcher de vivre, bien au contraire, je me dépêche de finir !

samedi 5 septembre 2009

Les lapins en culotte de peau


Lorsque nous sommes arrivés à Linz, le clapier qui voyage désormais en trois flight-cases nous attendait. Dans ma valise j'avais pris soin de glisser des vêtements couleur carotte. La soirée de gala était évidemment consacrée à la remise des Prix Ars Electronica. Antoine Schmitt et moi avions volé jusqu'à Linz en Autriche pour recevoir l'Award of Distinction Digital Musics pour Nabaz'mob. Françoise Romand, réalisatrice du petit film qui a fait le buzz, nous accompagne sur les bords du Danube. Puisque désormais Nabaz'mob est appelé à voyager loin, Antoine a placé en avant la version anglophone du site de l'opéra, nabazmob.com. De mon côté je le mets régulièrement à jour en ajoutant des photos prises lors de chaque nouvelle installation ou représentation. Les 100 lapins Nabaztag n'offrent jamais la même interprétation de la partition et la scénographie change chaque fois en fonction des lieux.
Demain dimanche à 19h30, l'opéra ouvrira le Big Concert Night au Lentos, le Musée d'Art Moderne de Linz, dans sa version acoustique, c'est-à-dire sans aucune autre amplification que les 100 petits haut-parleurs situés dans leurs ventres respectifs. Idem à Strasbourg dans la salle de l'Aubette, imaginée dans les années 1920 par Theo van Doesburg, en collaboration avec Jean Arp et son épouse, Sophie Taeuber-Arp, les 24 et 26 septembre, et 1er et 3 octobre dans le cadre du Festival Ososphère. Pour la Nuit Blanche de Metz le 2 octobre, nous serons dans la salle de l'Esplanade de l'Arsenal conçue par l'architecte Ricardo Bofill tandis que le second clapier est toujours au Musée des Arts Décoratifs à Paris jusqu'au 8 novembre dans une version en boucle qui lui aura fait exécuter 2000 représentations !
Si Ars Electronica est le festival où les programmateurs du monde entier viennent faire leur marché de nouveaux médias le gala ressemblait à toutes les soirées du genre, auto-congratulations gigognes à mourir, contre quelques pincées de nouvelles images. Nous nous rattraperons les jours prochains avec une programmation dont la profusion justifie grandement le déplacement des aficionados. L'exotisme le plus ébouriffant était représenté par le buffet typiquement autrichien dressé dans le hall de la Brucknerhaus : des brioches de pomme de terre farcies tantôt de chair à saucisse, tantôt d'un œuf ou d'une prune, accompagnées de pâtes, de riz ou de choucroute ! Depuis la terrasse on peut voir les illuminations de l'Ars Electronica Center sur la rive opposée du Danube qui n'a jamais été bleu. Je m'endors en écoutant le vent siffler sous la porte de notre chambre dont nous avons laissé la fenêtre ouverte pour profiter de l'air pur. Demain nous passons à l'action. Les lapins n'ont plus qu'à se tenir à carotte.

jeudi 3 septembre 2009

Le DVD "Ciné-Romand" en avant-première


Si vous souhaitez recevoir Ciné-Romand, le nouveau DVD de Françoise Romand dès aujourd'hui (sortie officielle en octobre), envoyez un chèque de 20 euros (port inclus) à l'ordre de Alibi Productions, 60 rue René Alazard, 93170 Bagnolet. Pensez à joindre votre email pour recevoir des informations sur la suite de ses aventures.

Au dos de la superbe pochette réalisée par Claire et Étienne Mineur (on notera l'air de famille avec celle de Appelez-moi Madame, pour que l'ensemble fasse collection ; on attend pour bientôt le suivant, Thème Je), on peut lire le petit texte dont vous pouvez deviner l'auteur :

Ciné-Romand est une mise en abîme des précédents films de Françoise Romand. Des spectateurs sont invités à les découvrir lors d'un happening mélangeant fiction et réalité dans le cadre d'un théâtre domestique. Les voyeurs ne sont pas toujours ceux que l'on croit. Romand s'inspire de L'arroseur arrosé, reprenant le rôle de son arrière grand-père ciotaden, le gamin facétieux qui pliait le tuyau. Après avoir filmé le public et les habitants des appartements où s'improvisent des scènes documentaires, Françoise Romand les intégre fictionnellement parmi les extraits de ses films, revisités au montage. Spectateurs, hôtes, anges-guides, acteurs et techniciens, tous deviennent des personnages de cette fiction-documentaire dans le miroir d'Alice réfléchissant une fantaisie espiègle où les rôles s'inversent et se complètent.

"Françoise Romand a ce regard qui mélange de manière indéfinissable ironie, indiscrétion et vraie passion pour les gens. La réalisatrice s'est toujours intéressée aux destinées peu ordinaires." Catherine Humblot, Le Monde

Ciné-Romand a été présenté au Centre Pompidou par les Cahiers du Cinéma dans le cadre du Festival d'Automne.
N.B. : depuis, la version du DVD a été retravaillée et entièrement remontée.

Bonus : Réflexions désobligeantes (court-métrage avec Françoise et moi, plus Antoine en invité surprise, 2009) et Mix-Up ou Méli-Mélo (bande-annonce originale, 1985)
Photographies : Aldo Sperber / Picturetank - Authoring : Igor Juget
Musiques : Jean-Jacques Birgé, Bernard Vitet, Nicolas Frize, Bruno Coulais
Français, English subtitles - 99 minutes - DVD5 / NTSC / Zone: All / Couleurs / 4:3

jeudi 27 août 2009

À la traîne


Retour au réel. Façon de parler tant le décalage est flagrant dès que l'on change ses habitudes. Levés à 4h pour être sur le lieu de pêche avant le lever du soleil, nous embarquons une dernière fois à bord du pointu. La ville dort à poings fermés. La veille, le vent d'est nous a empêchés de sortir avec Maurice pour aller plonger autour des deux frères, d'énormes rochers au large de Fabregas. Nous sommes restés nous baigner près de la cale où nous avons pique-niqué avec Pascale et Françoise. Je me mélange les pinceaux en accrochant à l'envers les feux indiquant normalement babord, vert, et tribord, rouge. Heureusement, Jean-Claude, à la barre, s'en aperçoit. Les étoiles cèdent la place à un ciel rouge sang, digne des plus kitsch cartes postales. Les premiers nuages de notre voyage filtrent le soleil qui projette ses rayons vers l'infini comme une gloire renversée. Pendant que je rêve allongé sur le pont les bias n'arrêtent pas de mordre à la ligne de Pascale Je les attrape avec la grande épuisette pour ne pas les perdre au dernier moment. Françoise l'aide à décrocher les hameçons. Dès que le poisson mord, il faut ramasser la traîne sans à-coup. S'il est trop gros, lui lâcher du mou et reprendre. Le temps a changé. Il fait carrément frais le matin, mais l'après-midi la chaleur humide nous assaille. Jean-Claude accompagne d'une rémoulade la chair un peu sèche des maquereaux espagnols et nous nous écroulons pour une sieste réparatrice.

Recette de la rémoulade : hacher (mais pas à la machine, cela ferait de la purée) de la ciboulette ou à défaut de l'oignon avec une ou deux gousses d'ail, des câpres en quantité, deux ou trois anchois dont on a enlevé l'arrête centrale, du persil, pourquoi pas un tout petit peu de coulis de tomate (deux cuillérées à café pour un bol), du poivre ou du piment. Touiller avec le jus d'un citron et trois à quatre cuillérées à soupe de mayonnaise à l'huile d'olive, parfois corser avec un peu de rouille. Jean-Claude varie selon les jours en ajoutant ici du curry, là de l'harissa yéménite que je lui ai offert.

vendredi 21 août 2009

Online débloque


Un jour sans billet, c'était hier la première fois en quatre ans. L'hébergeur Online, qui dépend de Free, n'a pas su réparer son serveur en temps et en heure. J'avais pourtant mis en ligne mon article sur La ruche à quatre heures du matin, juste avant de partir à la pêche (photo sans trucage) ! Mais la panne est intervenue quelques minutes plus tard.
"Suite a un problème de corruption de système de fichier (reiserFS), la plateforme pf1 est temporairement indisponible depuis ce matin (...) Nous allons débuter en fin de matinée le déplacement des données vers un nouveau serveur, par ordre des sites les plus visités. Nous estimons un retour à la normale pour la majorité du trafic dans la soirée."
Ce ne fut évidemment pas le cas. Certains sites que je gère sont repartis alors qu'ils ont "Nettement" moins de visites que le Blog qui n'était toujours pas revenu ce matin... Je n'ai arrêté d'émettre que deux fois depuis qu'il y a quatre ans j'ai décidé de produire un billet 7 jours sur 7. La première fois, nous étions en montagne et je n'ai pas réussi à me dépêtrer d'une ligne téléphonique hertzienne. Arrêt de neuf jours. La seconde fois, j'avais choisi de faire une pause hygiénique d'un mois, le temps de notre voyage au Laos. Ayant pris des notes et des photos, j'avais ensuite relaté l'aventure... Online a été plusieurs fois en panne, mais j'ai toujours réussi à émettre. Cette fois encore, ces quelques mots remplissent malgré tout leur fonction !
La défection d'Online interroge ma conscience professionnelle et la légèreté du secteur gravitant autour des nouvelles technologies. Ai-je jamais déclaré forfait, annulé un concert ou une séance, été incapable d'honorer mes engagements ? Il est devenu au contraire monnaie courante d'acheter des logiciels inaboutis et de faire payer aux utilisateurs les mises à jour indispensables, sans parler des bugs natifs de nos ordinateurs. Devons-nous accepter une fois pour toutes que nos machines soient commercialisées inachevées ? Après tout, ce n'est ni une automobile ni un avion de ligne : aucune vie humaine n'est mise en danger par leurs bégaiements ! N'existe-t-il aucune réponse technologique assurant la fiabilité des systèmes que nous employons ? Ou est-ce encore la loi du profit maximum au détriment de la qualité du service proposé ?

jeudi 20 août 2009

La ruche


Comment se passerait-on des dictionnaires ?! Nous avions terminé les sous-titres et ce matin-là Jonathan et moi étions aux prises avec l'Harrap's en quatre volumes pour trouver un titre juste à Rencontres, le premier film de Françoise Romand qui figurera en bonus sur le quatrième DVD. Nous optons pour Intersections qui se comprend en français, plus précis même que le titre original de 1977. Un quatrième DVD ? C'est l'usine ! Si Ciné-Romand est parti au pressage, nous enchaînons directement avec un quatrième opus, Thème Je (The Camera I), film maudit tant il dérange ou effraie. Les deux essais se complètent admirablement. Là où Ciné-Romand est une fantaisie joyeuse tournée vers l'avenir à partir d'éléments du passé, Thème Je est un drame époustouflant s'étalant sur quatre ans, une aventure dont Françoise a heureusement tourné la page, faisant son miel des spéculations de l'avenir. Il n'en est pas moins drôle et plein d'esprit. Nous nous sommes en effet aperçus que le film mettait parfois mal à l'aise les spectateurs qui le découvraient en séance privée, mais dès qu'il est projeté en public, la salle rit souvent à gorge déployée, se délectant des facéties de la réalisatrice. À mes yeux, c'est son meilleur film depuis Mix-Up ou Méli-Mélo et Appelez-moi Madame. Il pulvérise le genre de l'auto-fiction, comme ses premiers films inventaient un genre nouveau dans le documentaire. Dans Thème Je, Françoise a retourné la caméra sur elle-même, sans aucune compassion. C'est parfois brutal, mais la sincérité est absolue, même dans les scènes les plus improbables, toujours mises en scène, le propre du cinéma. C'est peut-être une manière pour elle de s'autoriser toutes les extravagances envers celles et ceux qu'elle filmera désormais. Un long-métrage de "fiction" et deux "documentaires" sont au stade de l'écriture. J'inscris des guillemets tant ces dénominations sont sujettes à caution dans l'œuvre de Françoise. Les prochaines étapes consisteront donc à la promotion de Ciné-Romand qui sortira à la rentrée et au tournage des bonus de Thème Je, en français et en anglais. Ciné-Romand devrait permettre de mieux appréhender le travail de Françoise, re-création ou récréation à travers un parcours étonnant, happening contemporain s'appuyant sur une filmographie dont la logique explose aux yeux et aux oreilles.

lundi 3 août 2009

Sous-titres


Jonathan Buchsbaum aide Françoise à vérifier les sous-titres anglais de Ciné-Romand. Ce sont les derniers mètres. La situation est tendue. Je les rejoins pour traduire les citations de Brecht et rendre intelligibles les extraits de ses films sortis de leur contexte. Faut-il être fidèle au texte original ou le rendre compréhensible au public anglophone ? Nous préférons adapter les dialogues, réécrire le film. Les sous-titres font partie intégrante de la création.
Dans un passage de mon propre film, La nuit du phoque, j'avais été jusqu'à insérer un texte contemporain de la réédition en DVD plutôt que traduire le texte de 1974, pour retrouver l'effet de l'original. J'avais souhaité étendre ainsi le décalage entre l'image et le son en produisant une distanciation dans le temps (plus de 30 ans !), évidemment uniquement accessible aux anglophones qui auraient des notions de français ! On connaît le célèbre exemple de Pierre Dac réalisant les sous-titres de Hellzapoppin et faisant du texte : "Ça se corse (chef-lieu Ajaccio) !" Pour Idir et Johnny Clegg a capella j'avais tenu à aller jusqu'au bout du processus de création en gérant le rythme des sous-titres avec la monteuse, Corinne Godeau. Comme c'est un film forcément musical les versions où l'un ou l'autre sont sous-titrés finissant pas constituer deux films différents.


Jonathan a réussi à attraper son train à la Gare Montparnasse et j'ai passé la journée de dimanche à faire de la correction les yeux rivés sur l'écran, l'Harrap's en quatre volumes et WordReference.com à l'appui. Françoise n'a jamais fini. Elle rajoute encore un dernier plan pour expliciter le commentaire d'un de ses invités quand il dit croire que la soirée est terminée, espérant enfin prendre un verre et qu'il constate que le frigo est ouvert : "Mais non, le film continue..." Alors à cet endroit du montage nous rajoutons le plan du téléviseur dans le congélateur qu'a photographié Aldo Sperber et qui lance le générique de fin.

samedi 1 août 2009

La place des fêtes est belle en rouge


Toujours aussi élégant, chapeau de paille et tenue gris-vert assortie à ses montures de lunettes, avec, ultime provocation, Vladimir Ilitch Oulianov à la boutonnière, Bernard Vitet promène Hunky, un fox-terrier des îles du nord dont il a pris soin d'oublier le vrai nom à particules long comme le bras. On peut d'ailleurs se demander qui promène qui, tant Bernard sort peu, handicapé par une lombalgie qui ne le lâche pas. Les amis comme ceux qui ne le connaissent que pour avoir été conquis un soir au Club Saint-Germain du temps du be-bop, sur la scène du Festival de Châteauvallon avec Portal, lors de toutes les aventures du free-jazz et évidemment pendant les 32 ans d'Un Drame Musical Instantané (voir son impressionnant pédigrée sur Wikipédia), me demandent souvent comment va Bernard. La réponse est comme il peut. Faute qu'il ne puisse plus jouer de trompette depuis quatre ans, on pourra néanmoins l'entendre avec ravissement dans Ciné-Romand, le film que Françoise sortira en DVD à la rentrée et dont elle met au point les derniers sous-titres après qu'Étienne Mineur en ait terminé la jaquette et Igor Juget l'authoring. C'était la dernière prestation de Bernard à la trompette avant que ses dents ne le trahissent. Cela ne l'empêche pas de composer, mais je crains que l'on n'entende plus jamais son timbre si particulier, tendre et lyrique, grave et mat, autrement que sur les enregistrements. Heureusement sa discographie est riche et éclectique. Mais rien n'est jamais joué.
Il travaille à rééditer son album solo, Mehr Licht !, agrémenté d'inédits de choix, mais le sens de l'organisation n'étant pas son fort cela risque encore de mettre quelque temps... En évoquant hier Don Cherry, je me suis souvenu que c'était son orchestre qu'avait élu Don à son arrivée à Paris. Il y avait Gato Barbieri au ténor, Jean-François Jenny-Clarke à la basse et Aldo Romano à la batterie. En d'autres termes, mon pote s'était fait chiper l'affaire. Cela ne les empêchât pas de jouer ensemble avec François Tusques, à deux trompettes comme Bernard le fit également avec Chet Baker. Certains disent même que Chet changea de phrasé après cet intermède qui dura quelques mois. Dans d'autres circonstances il fit aussi équipe avec Roger Guérin, Itaru Oki, Jacques Coursil, même si c'est plus facile de jouer avec un ténor, comme si l'on avait une boîte d'octave (rires) !
Bernard me livre un contrepet de son cru en guise de titre, et non pas...

mercredi 15 juillet 2009

Dans les gradins

Le film est là.

Si je hurle dans l'aquarium en verre qui tient lieu de clapier aux 100 lapins de Nabaz'mob c'est pour me faire entendre de la caméra que tient Olivier Souchard qui a réalisé tous les petits films de l'exposition Musique en Jouets pour le site du Musée des Arts Décoratifs. J'ai eu l'idée de situer là l'entretien, bien qu'il reste très peu de place pour nous deux, parce que c'est une position impossible et intenable. Impossible car les vitrines sont fermées à double tour. Intenable à cause de la chaleur diffusée par les 100 transfos qui alimentent en électricité notre chœur lagomorphe. L'équivalent de seulement 1kW, mais nous sommes dans un milieu quasi hermétique. Il y a tout juste l'espace pour que je me place à un bout et Olivier à l'autre avec les bestioles de profil. Si nous avions diffusé l'opéra, le son qui sort du ventre de chaque lapin aurait couvert ma voix, même avec un micro-cravate. Les vitres parallèles renvoient le son dans tous les sens, faisant rebondir la musique comme autant de balles de ping-pong inépuisables. C'est vrai que souvent je parle fort. Parfois Françoise s'écarte comme si le vent la décoiffait. J'ai trouvé amusante la réflexion qui me dédouble en remplacement d'Antoine, bloqué dans les embouteillages, qui n'arrivera jamais à temps pour le tournage...
Même si je fais des efforts, je ne suis pas toujours très clair. Par exemple, j'annonce qu'il n'y aura qu'une seule œuvre comme celle-ci. C'est vrai et c'est faux. C'est faux, parce que les lapins se reproduisent. Le premier clapier a donné son titre à notre opéra : nous l'avions nommé en référence aux mobs, ces rassemblements d'individus qui ne se connaissent pas et se rencontrent juste le temps d'une action instantanée et souvent loufoque ; 90 propriétaires de Nabaztag avaient ainsi apporté chacun le leur pour participer à l'opéra au Centre Georges Pompidou et Violet avait complété pour arriver à la centaine. Mais la contrainte était trop forte pour continuer ainsi. Il fallait programmer chaque animal et le reprogrammer ensuite avec les réglages de chaque propriétaire, sans compter les annonces et la disponibilité du nombre selon les lieux où nous jouons. Le second clapier, acheté par Atari pour le NextFest organisé par le magazine Wired, est resté à New York. C'est avec un troisième clapier que nous sommes partis en tournée. Lorsqu'il a fallu immobiliser Nabaz'mob pendant cinq mois aux Arts Décos, nous n'avions pas d'autre choix que de mettre une second ensemble en activité, la quatrième centurie. Et ce n'est pas terminé, nous espérons mettre sur pattes très bientôt un troisième clapier, donc le cinquième cent, pour pouvoir nous produire plus facilement en fonction des dates et des lieux. Nos lapins seront ainsi jusqu'au 8 novembre au Musée à Paris pendant que leurs frangins joueront successivement à Linz pour la grande nuit musicale d'Ars Electronica le 6 septembre, puis à Metz le 2 octobre lors la Nuit Blanche et il est question que la troisième fratrie investisse les nuits électroniques d'Ososphère à Strasbourg entre le 24 septembre et le 3 octobre. Un vrai cirque !
Ah oui, j'ai dit que c'était vrai aussi, qu'il n'y en aurait pas d'autre... En effet, nous nous sommes refusés à créer une seconde œuvre avec les lapins et ce pour plusieurs raisons et malgré les possibilités énormes et inexploitées que recèle Nabaztag. D'abord, nous avons, Antoine et moi, déjà pas mal œuvré en participant à l'invention du lapin domestique Nabaztag proprement dit. Ensuite, et c'est lié, nous ne souhaitons pas être systématiquement associés à un animal en plastique. Nous avons une vie en dehors du clapier ! Par contre, nous avons cherché à donner une suite à notre collaboration, après Machiavel et Nabaz'mob, et nous avons enfin trouvé. C'est très avancé. Le script est rédigé, il ne suffit plus qu'à trouver des partenaires avec qui nous entendre. Machiavel jouait sur un rapport un/un, la machine contre l'individu. Nabaz'mob interrogeait encore le contrôle et le chaos, la liberté individuelle et la discipline du groupe, cette fois avec 100 robots. Notre troisième collaboration se concentrera sur un groupe d'êtres humains et sera un spectacle vivant.

jeudi 21 mai 2009

Carapaces


Nous terminions le mixage de Ciné-Romand que Françoise avait présenté en novembre dernier au Centre Pompidou dans une forme inachevée qu'on appelle un ours. À l'heure de la pause, Igor me montre un insecte dont nous ignorons le nom. En découvrant la photographie sur l'écran, nous apercevons ma silhouette qui se reflète sur les élytres. Je crois même y reconnaître les traits de mon visage...


Comme devant n'importe quel animal, je peux rester des heures à le regarder avancer, faire sa toilette, manger, disparaître... Il en est ainsi des paysages comme des visages et des corps. On ne se lasse pas de les admirer. La pause est salutaire. Le jardin pousse à vue d'œil. Je lève le nez pour voir trois soleils, celui qui se réfléchit dans les deux derniers murs récemment repeints en orange et Sun Sun qui me sourit depuis sa fenêtre. Nous habitons les uns pour les autres dans des maisons de poupées.

mardi 19 mai 2009

L'attaque de Martin Arnold


Ayant accompagné Françoise au Point Éphémère pour la signature de ses deux premiers DVD au Salon des éditeurs indépendants, j'ai fait quelques trouvailles dont les œuvres cinématographiques quasi complètes de Martin Arnold, un cinéaste autrichien qui rappelle étonnamment le Steve Reich des débuts lorsque le compositeur répétitif américain travaillait sur du "found footage" pour It's Gonna Rain ou Come Out. Ici rien de systématique, mais une science du cut-up microscopique et du bégaiement sémiologique à couper le souffle. Martin Arnold fait des boucles avec des films trouvés. Les photogrammes lui dictent des effets que son imagination cultive comme dans une champignonnière. Ondulations, glissements, flashbacks, renversements, kaléidoscopes, pas de deux diabolique dont on ne voudrait manquer aucun instant pour un en pire, parsèment Pièce touchée (1989), manège diabolique où le spectateur est pris d'un vertige hypnotique qui se développera de manière encore plus perverse dans les films suivants.


Pour Passage à l'acte (1993, ces deux premiers titres sont en français), l'artiste autrichien intègre le son à la boucle pour tailler un short (les films font chacun environ un quart d'heure) à la famille américaine et aux mâles dominants en pleine crise d'autorité. Si la scène devient cocasse, elle n'en demeure pas moins fascinante, hypnotique. Les effets stroboscopiques du "flicker film" ralentissant l'action génèrent une analyse cruelle du principe cinématographique. The Cineseizure, titre du DVD édité à Vienne par Index en partenariat avec Re:Voir, pourrait d'ailleurs se traduire "Ciné-attaque" comme dans une apoplexie.
Le troisième film de la trilogie (la suite des œuvres d'Arnold est constituée essentiellement d'installations), Alone. Life Wastes Andy Hardy (1998) détourne une comédie musicale avec une virulence inattendue. Mickey Rooney, mais plus encore Judy Garland sont torturés par le hachoir du cinéaste transformant en drame œdipien l'original par des tremblements où le mouvement des lèvres et le frémissement de la peau révèlent la sexualité refoulée des films de l'époque. Martin Arnold fait partie, comme Mark Rappoport, de ces entomologistes du cinéma qui en révèlent les beautés cachées, inconscientes et convulsives, sans ne jamais sortir du cadre.
Comme toujours, les films sont à voir sur grand écran pour que la magie fonctionne à plein. Le DVD offre en prime quelques "pubs" pas piquées des hannetons, de l'humoristique Jesus Walking On Screen à la douche de Vertigo pour la Viennale. Terriblement drôle et monstrueusement juste.

dimanche 10 mai 2009

Portraits en nuage de tags



Antoine Schmitt m'envoie mon nuage de tags (à gauche) que le site 123people.fr a compilé après qu'il ait tapé mon nom dans le champ de recherche.
Le moteur prétend explorer presque chaque recoin du Web pour vous aider à trouver des informations sur vos (futurs) proches. Grâce à (sa) technologie de recherche, trouvez les profils de vos amis, de connaissances ou de célébrités. Chaque profil 123people comporte des adresses email, des numéros de téléphone, des images, des vidéos, des profils issus de plateformes communautaires, de Wikipedia, et bien plus encore... Tous ces résultats sont automatisés et rassemblés en temps réel à votre demande spécifique. Aucune information n'est stockée et les adresses email, postales et les numéros de téléphone proviennent de banque de données publiques locales (France) et internationales.
Rien de très nouveau, pas de surprise, une googlisation classique donne même plus de résultats, à condition que l'on y passe du temps, tout dépendant de la notoriété de la personne et donc du nombre de pages que le site de recherche a indexées. Les agrégateurs de flux RSS comme Netvibes nous ont habitués à embrasser d'un coup d'œil les réponses que nous attendons. 123people accélère la recherche, résume et compile.
C'est évidemment la compilation qui est amusante, à l'image de l'outil "synthèse automatique" du logiciel Word qui résume un texte, le nuage de tags vous taille un costard en deux coups de cuillère à vous faire la peau.
Mon portrait au nuage de tags est plus fidèle que d'autres essais que j'ai ensuite réalisés en tapant le nom de mes camarades. Précédées opportunément par Musical et Instantané, mes casquettes de compositeur de musique et designer sonore me conviennent parfaitement après mon lien au Cinéma appuyé par L'image. La nature de mes productions (Disques Grrr, Cd-roms - souligné par la répétition !) précisent quelques uns de mes succès (Carton, Machiavel, Nabaztag, le Sniper, Alphabet et Drame pour Un Drame Musical Instantané). Mon attachement à Paris s'inscrit en lettres géantes, ma collaboration avec Nicolas Clauss occulte celle avec Antoine Schmitt, même si Machiavel est en bonne place et que le pluriel de lapins renvoie à notre Nabaz'mob ! Les choix mécaniques sont aussi arbitraires que s'ils avaient été décidés par un être de chair. Je pense aux absences, à commencer par ce blog qui m'occupe quotidiennement et, à côté de mon nuage de tags, je copie-colle celui de Françoise, aussi réussi, si si. Antoine précise "qu'il faut de la matière (beaucoup de pages et de texte) pour que l'algorithme fonctionne". À suivre (sic).

jeudi 7 mai 2009

La bande-annonce originale de Mix-Up


Hier j'évoquais les films de Luc Moullet, docu-fictions avec lesquels les films de Françoise Romand entretiennent quelque cousinage, par leur fantaisie et leur inclassabilité. Parfois leurs auteurs apparaîssent facétieusement à l'écran. S'ils partagent humour et auto-critique, la comparaison s'arrête là.
La bande-annonce de Mix-Up ou Méli-Mélo (1985), le premier film de Françoise Romand, figurera en bonus de son dernier film et DVD Ciné-Romand, le temps de finaliser tout cela. Le montage est enfin terminé. Il ne reste plus à Françoise qu'à fignoler les sous-titres anglais, à mes zigues d'en peaufiner le mixage, à Igor Juget d'en concocter l'authoring et à Étienne Mineur d'en créer la pochette, et le tour sera joué ! On ignore encore la date de sortie définitive du petit dernier, probablement la rentrée de septembre. Ciné-Romand (2009) avait été montré par les Cahiers du Cinéma au Centre Pompidou pour le Festival d'Automne dans une version intermédiaire, très différente de celle qui sortira. On sait seulement qu'un quatrième DVD le suivra avec Thème Je (2004), film sulfureux qui aurait risqué d'être compris de travers sans connaître le reste de l'œuvre de la cinéaste, actuellement au travail sur deux nouveaux projets de longs métrages. C'est rageant de ne pouvoir rien en révéler, ni des uns ni des autres. Juste l'eau à la bouche avec ce petit "trailer" inédit, retrouvé récemment par Françoise !
Et puis, si vous préférez voir les films en salle, Appelez-moi Madame (1986) sera projeté à Paris au Nouveau Latina, cinéma racheté par l'éditeur Carlotta, samedi 16 mai à 19h30, en présence de la réalisatrice. Unique projection. Le lendemain dimanche 17 mai au Point Éphémère, lors du Salon du DVD et des éditeurs indépendants de cinéma, elle signera le DVD Appelez-moi Madame à 15h sur le stand de Doriane et Mix-Up ou Méli-Mélo à 16h sur celui de Lowave.

mercredi 22 avril 2009

Caramba, encore raté !


Les vacances semblent bien compromises. Françoise présente Appelez-moi Madame en plein milieu du mois de mai au New Latina, elle n'a pas terminé la maquette de iKitchenEye et il reste pas mal de finitions sur Ciné-Romand qui doit sortir en DVD. Le mixage définitif devrait se faire la semaine prochaine, mais il reste encore certains sous-titres à réaliser, l'étalonnage et des petites bricoles. Ensuite il faudra préparer les éléments du DVD pour qu'Étienne puisse en faire la maquette à son retour d'Australie. Je vais essayer d'arracher quelques jours quelque part de quelque manière, mais rien n'est gagné. Comme la perspective s'éloigne jour après jour, je n'ai plus qu'à rêver de contrées lointaines, de parfums exotiques, de vols long courrier, de bruits de jungle, de saveurs inédites, de langues inconnues, de rien, la vacance ! Je pourrais toujours proposer un petit séjour à Lisbonne ou Barcelone, nous n'y sommes jamais allés ensemble... Françoise, si tu lis ce billet, tu sais ce qu'il te reste à faire ! Nous n'arrivons pas à décrocher. Lorsque ce n'est pas l'un, c'est l'autre. Moins j'ai de contraintes de planning, plus je m'escrime. Le travail programmé me donne bonne conscience et me permet de prendre le large plus facilement. Dès que les rendez-vous remplissent la grille, nous sommes cuits. J'aurais préférer aller me dorer le mou au soleil, fut-il islandais. C'est partie remise... Pourtant, prendre des distances est toujours salutaire. Une remise à zéro du compteur, ou plutôt du conteur, et c'est reparti pour un tour ! Et puis c'est plus sympa que de devoir s'arrêter en tombant malade, non ? Enfin, on verra bien...

mercredi 25 mars 2009

Flash back et remix


Votre solidarité m'encourage à me détendre. Je peux m'allonger lire, à en oublier d'écrire. Je me rejoue la scène de la plage de galets en bas de l'échelle. C'est plus haut que ça en a l'air. C'est surtout très grand avec une colonie de goélands seuls face à l'horizon. C'est loin. C'est déjà loin. Mais à seulement deux heures de Paris.
En réalité, Françoise me demande de regarder l'état du montage de Ciné-Romand. Igor et elle ont tout bouleversé. La version projetée au Centre Pompidou n'en montrait que les prémices. Elle a choisi d'autres plans, incorporé les spectateurs à la fiction, utilisé la distance critique des webcams en cherchant les correspondances entre les différents films.
Je profite aussi de ce jour chômé pour "lire" un copieux et passionnant billet sur Poptronics accompagné de séquences exclusives filmées par Chris Marker et intitulé C’est les luttes virales, groupons-nous et demain.... Annick Rivoire y recense les actions inventives des grévistes et résistants au sarkozisme destructeur. C'est bourré d'images et de liens précieux.

mercredi 4 mars 2009

Jour de claque


Hier fut une journée catastrophique pour le porte-monnaie. Françoise lança les hostilités en renouvelant sa station de travail FinalCut, son vieux Mac ayant atteint sa huitième année (attention, un nouveau MacPro est sorti hier). De mon côté, conseillé par Sacha, je craquai pour un KaosPad 3, multi-effet qui redonnera un coup de jeune à mon clavier VFX-SD dont les bidouillages en temps réel ont fini par me paraître limités après vingt ans de pratique ! Nous avons ensuite marché main dans la main jusqu'au trottoir d'en face pour nous offrir de nouvelles lunettes, les siennes sont vertes, les miennes bleues, dans les deux cas fines montures modernes et métalliques qui nous feront voir la vie en rose, du moins l'espérons-nous. Heureusement la ristourne en rapport avec notre grand âge et nos mutuelles respectives atténuent la douloureuse.


Françoise marchande ensuite d'autres sortes de paires chez Anatomica. Elle craque, entre autres, pour des Mogami de chez Trippen qu'elle aura du mal à porter à bicyclette ou à emporter dans sa valise, look japonais qui lui fait gagner huit centimètres en s'y sentant étonnamment confortable comme avec toutes ces chaussures de fabrication allemande à la semelle anatomique. En enfilant mes Kajax dorées j'ai l'impression d'être dans les sandales d'Aladin. Cette fois, les vendeurs sont adorables et rigolent des facéties de ma compagne essayant bottines sur mocassins, aussi profitons-en ! Depuis que je me chausse ergonomiquement ma fatigue est divisée par deux, et la plasticité des Trippen (voyez leur site) montre nettement plus de fantaisie et d'invention que mes sempiternelles sandales Birkenstock que j'ai l'habitude de porter à la maison ou bien l'été (j'en ai tout de même racheté une paire, les vieilles commençaient à sentir mauvais à force d'y suer nu-pieds). Chaque fois que je sais que je vais rester longtemps debout, j'opte pour ces chaussures dont la semelle épouse la voûte plantaire. Pour s'être comprimé les orteils dans des souliers trop étroits nos arpions se déforment, et à la longue le dos morfle monstrueusement. Question de culture. Aussi solides qu'astucieuses, leur coût vaut le coup. On ne peut pas toujours imaginer où le progrès va se nicher !

vendredi 27 février 2009

En quête de mes doubles


Si je n'ai pas reproduit le système initiatique qui me fut transmis par Jean-André Fieschi, lui-même instruit par l'écrivain Claude Ollier, je n'en ai pas moins toujours cherché mes doubles, d'autres moi-même en somme parmi les générations qui me suivent. Ne rêvant pas d'en faire à leur tour mes élèves, j'ai préféré les considérer comme des collaborateurs avec qui partager mes jeux. Le désir de revivre sans nostalgie les épisodes passés de ma jeunesse, probablement de la comprendre, la tendresse complaisante que j'éprouve pour mon passé, m'ont souvent poussé vers celles et ceux avec qui je sens des points communs, ce qui les différencie a priori de mes compléments, pièces d'un puzzle dont l'équilibre est la clef de voûte. Aucun pseudo double ne peut pour autant être autrement qu'un complément et chaque complément est à sa manière un autre double. Mais je sens bien la différence entre les opposés qui s'attirent et les semblables qui partagent. Bernard Vitet et Francis Gorgé incarnent l'accord parfait de trois individus radicalement différent embarqués sur le même navire, en l'occurrence Un Drame Musical Instantané, près de quarante d'amitié, trois tiers d'Un dmi, pour jouer sur les mots comme sur les touches. 3/3 d'1/2 est d'ailleurs le titre que je donnai à l'une des pièces de l'album Machiavel après que nous ayons découpé en trois les vinyles du Drame pour en reconstituer un seul sur la platine tourne-disques ! La joie fut immense de marcher ensemble, de tout casser parfois, de reconstruire aussi le monde à nos mesures, microscopique dans les effets, immense par nos ambitions de rêveurs. Il en fut de même avec mes compagnes et aujourd'hui Françoise réfléchit ma face cachée comme un criquet bienveillant à l'affût de mes faux pas, qu'elle le veuille ou non.
Pourtant la tendresse que j'éprouvai, par exemple, pour les élucubrations instrumentales d'Hélène Sage, les constructions provocantes d'Ève Risser, la rigueur obsessionnelle de Laure Nbataï, la fantaisie gastronomique de Sacha Gattino, la soif d'apprendre d'Antonin Tri Hoang, sans oublier ma propre fille, ne ressembla jamais à la fascination que je ressentais pour les autres, ceux qui savent ce dont j'ignore tout, les peintres, les conteurs, les virtuoses, les ouvriers, les ingénieurs, les voyous... Mes doubles m'émeuvent, mes compléments m'épatent. Les uns valident mes choix, les autres les certifient. Tous à la fois me rassurent et me font marcher au bord d'un précipice où l'écho me demande d'abord qui je suis.

vendredi 2 janvier 2009

Entretien audio en 9 chapitres sur le design sonore


En prévision de la conférence du 22 janvier prochain organisée par les Designers Interactifs à l'ENSCI en compagnie de Nicolas Misdariis et Roland Cahen, j'ai répondu aux questions de Xavier Collet qui introduit ainsi les neuf chapitres de notre entretien que j'ai découvert hier grâce à un mail d'avertissement automatique de Google :
"Nous vous proposons de découvrir aujourd’hui l’interview de Jean-Jacques Birgé, designer sonore, compositeur, cinéaste et également pionnier de la création “multimédia”. L’épaisseur du personnage a influencé la forme de cette entrevue. Nous devions parler design sonore et médias interactifs, mais chez Jean-Jacques Birgé, toute pratique artistique ou de design s’inscrit dans une démarche globale qui transcende les disciplines, les styles, les écoles, une démarche qui questionne la société, une démarche qui s’engage, s’affirme et qui est capable d’inventer sa propre place dans le monde.
Ainsi le format de l’interview est, comme la précédente, divisée en questions, car il fallait bien un cadre, mais celles-ci se prolongent dans des digressions, des anecdotes qui sont le témoignage d’une vie consacrée à l’art, au design et à la recherche d’une vérité personnelle. Une interview pleine de sincérité et d’humanité en ces temps Orwelliens de manipulation généralisée et de barbarie économique."
C'est amusant, Xavier Collet a souvent terminé les chapitres qu'il a découpés par l'un de mes éclats de rire. L'ensemble des neuf chapitres dure moins d'une heure, alors que mon intervention devra durer seulement quinze minutes avant de retrouver mes collègues autour d'une table ronde. Je l'ai donc structurée en trois parties de cinq minutes qui me laissent libre d'improviser. Après une très courte présentation autobiographique, je compte expliquer comment j’en suis arrivé au design sonore, à Nabaztag (c'est la commande) et aux choix qui s'y rapportent (voix féminine, charte sonore, identifiants de connexion…). Je commenterai ensuite une succession d’exemples sonores déjà montés entrecoupés de silences, espérant que l'enregistrement saura m'interrompre avec humour et à propos, le temps ramassé induisant un duel plus qu'un dialogue. Je crains trop les interventions figées où je m'endors comme tout un chacun, les projections illustratives type PowerPoint et les éternels ressassements. Le quart d'heure ne permettant pas la digression, j'envisage ma prestation comme un challenge scénique qui me fiche la trouille, ce qui est toujours de bonne augure, un juste équilibre entre la confiance et le risque. Je terminerai en évoquant Nabaz'mob, l’opéra pour 100 lapins avec en coda le petit film de la création avec Antoine Schmitt réalisé par Françoise Romand.

Photo © Aldo Sperber 2008

lundi 1 décembre 2008

Romand par Nova

dimanche 16 novembre 2008

Le grand verre


Hier après-midi la projection du film de Françoise à Beaubourg remporta un vif succès. On dit vif pour exprimer le vivant. Le remix est vivifiant. On dit aussi vif pour mis à nu. Son féminin est vive comme un hourra couronnant ces dernières semaines. La mariée regardée par ses célibataires, même. Le Centre Pompidou affichait travaux pour le raout de la Sinistre de la Culture devant accueillir ses homologues étrangers dans le trou à -1. Lorsque tous les spectateurs eurent quitté la salle de cinéma, mon envie de pisser s'épanouit légitimement. D'habitude on ne fait la queue qu'aux femmes, mais bizarrement elle s'allongeait chez les hommes. Les urinoirs étaient tous condamnés ! Une fuite ? Nous montons au sixième étage où je constate le même phénomène. Convoquant Marcel Duchamp et Christo, les techniciens de surface ont enveloppé l'objet dans du plastique entouré de bandelettes adhésives. Court-circuitant le train-train du musée, la sécurité aurait-elle sérieusement eu vent d'anarchistes piégeant l'œuvre avec des fers à béton pour en faire un Tinguely ? Une fuite. Cela ne tient pas debout. Quelle histoire pour une fontaine ! Je suis renversé. Ce sont bien des multiples : tous les urinoirs du Centre sont emballés... Comme les spectateurs dans la salle comble, devant la fluidité du montage de Ciné-Romand. L'amalgame prend tout son sens. On rit, on pleure, on est touchés, et je me laisse enfin aller à ces élucubrations, libations sensasses de décompression n'ayant rien à cirer des pompes et circonstances.

samedi 15 novembre 2008

Ciné-Romand (4) - avant-première


C'est aujourd'hui-même à 14h au Centre Pompidou (salle cinéma 2, niveau -1), pour le quatrième jour de Cinéma numérique 2 organisé par les Cahiers du Cinéma (voir critique des Cahiers) dans le cadre du Festival d'automne (entrée 4 ou 6 euros, durée 1h26).
La photographie de Ciné-Romand qui illustre ce billet est toujours d'Aldo Sperber dont la nouvelle exposition à La Maison des Photographes (121 rue Vieille du Temple à Paris 3ème jusqu'au 30 novembre) présente de grandes images pleines d'humour et de couleurs pimpantes.
Quant à Françoise Romand, notons qu'elle a réalisé le film en trois semaines, temps qui la séparait du happening qui l'a inspiré. Elle en a fait un film à part entière, recomposant sa filmographie à la lumière d'aujourd'hui en une fantaisie prismatique qui fait ressortir l'unité de son travail. Ciné-Romand est le complément idéal de Thème Je (DVD à paraître en 2009). Il déplace le phénomène d'identification, qui vise habituellement les acteurs, vers les spectateurs. La mise en abîme va jusqu'à la projection du film en salle. Ne ratez pas cette occasion exceptionnelle, en présence de l'artiste !

samedi 8 novembre 2008

Ciné-Romand (3) - le film


J'ai réécrit hier le texte qui suit pour annoncer l'avant-première du film de Françoise, dans une semaine exactement, samedi 15 novembre à 14h au Centre Pompidou (salle cinéma 2, niveau -1), pour Cinéma en numérique organisé par les Cahiers du Cinéma (voir critique) dans le cadre du Festival d'automne (entrée 4 ou 6 euros, durée 1h35). La photo d'Aldo Sperber y figure, parmi d'autres. Igor et moi en terminons le mixage. Nous sommes tous excités comme des puces. Entre le tournage en direct du happening et la projection du film à Beaubourg, il se sera écoulé seulement trois semaines ! C'est un marathon.

Ciné-Romand (le film)

De Mix-Up à Thème Je, Françoise Romand réinvente le documentaire en lui injectant la fantaisie de la fiction. Dans tous ces films, bouleversants d'humanité et de compassion pour ses personnages, elle n'est pas dupe du pouvoir de la caméra et ne cesse de répéter que "tout ça, c'est du cinéma !" Son humour critique et la complicité qu'elle installe avec celles et ceux qu'elle filme, tant dans ses fictions que dans ses documentaires, lui permettent de réaliser une œuvre dont la recherche de l'identité est la clef.
Dans un premier temps, Ciné-Romand fut un happening en appartements autour de ses films. Avec la complicité des voisins d'un quartier et une armée de guides qu'elle nomme des anges, Françoise Romand invente une installation ludique, qui gomme définitivement la frontière imaginaire entre fiction et réalité... La consigne est simple : les hôtes, chez qui sont projetés les films de la réalisatrice, continuent à vivre comme si de rien n'était tandis que les spectateurs les visitent dans la plus grande discrétion. À partir de son travail de réalisatrice, l’artiste génère une création à la croisée du théâtre documentaire et du cinématographe. L'installation est saisissante. Françoise Romand la filme, rajoutant une strate à la mise en abîme dont la projection en salle n'est peut-être pas le dernier avatar.
En filmant les spectateurs des appartements où se jouent naturellement des scènes domestiques, Françoise Romand rejoue une nouvelle fois L'arroseur arrosé, l'une des premières fictions de l'histoire du cinéma, reprenant le rôle de son propre arrière grand-père ciotaden, le gamin espiègle qui pliait le tuyau. En effet, chez les habitants le dispositif se renverse. En s'y invitant subrepticement, les visiteurs, voyeurs par essence, semblent happés par les films qu'ils feignent de regarder. Leurs hôtes, exposés sans filet, voyant défiler une ribambelle de gens qu'ils ignorent, les analysent à leur tour. Par cet effet de miroir répondant au souhait de Jean Cocteau, c'est-à-dire réfléchissant, Françoise Romand transforme l'essai en film, dès lors que ses personnages effacent tout ce qui permettrait d'identifier réel ou fiction ! Chaque personne y joue son propre rôle ou, du moins, une facette souvent enfouie de sa personnalité. Le rideau virtuel qui séparait les deux espaces, d'un côté la vie, de l'autre le spectacle, est fragile voire volatile. Combien d'Alice franchirent ce soir-là le miroir ? Et dans un sens, et dans l'autre ?
Acteurs et spectateurs ont joué dans la même pièce, comme à l'époque du Living Theatre dans les années 60. La question n'est plus de savoir si le public participe, mais qui est le public ? L'évidence devrait nous sauter aux yeux. La différence n'existe pas, il n'y en a jamais eu, il n'y en a pas, il n'y en aura pas tant que les œuvres éclaireront nos propres émotions, nous rassurant ou nous bousculant, nous renvoyant toujours au phénomène d'identification et à sa critique, merci Monsieur Brecht. Quel que soit l'angle, c'est l'impossible qui passe dans le réel ! Documentaire et fiction, non, ni documentaire ni fiction !
En mêlant des extraits de ses films au spectacle du happening, Françoise Romand tisse une toile où la place de chacun n'est plus assignée. On traverse Ciné-Romand comme des somnambules dans une maison de poupées, découvrant la dimension buñuelienne de nos vies, lorsque l'appartenance sociale et la famille façonnent nos gestes et nos pensées, sans que l'on ne sache jamais pourquoi, pourquoi on va au cinéma...

jeudi 6 novembre 2008

Mind Game, vertigineuse plongée dans le cinéma d'animation



Dans Mind Game du réalisateur Masaaki Yuasa d'après le manga de Robin Nishi, la logique du rêve est aussi difficile à suivre que le scénario de Ghost in the Shell. L'animation explose le cadre et déborde d'imagination. Le film, produit en 2004 par le Studio 4°C, responsable du très beau Amer béton, est une œuvre originale qui rappelle aussi bien Windsor McKay (Little Nemo) que Moebius. Les hallucinations héritent aussi bien de la scène conçue par Salvador Dali pour Dumbo l'éléphant que les références au manga dessinent un époustouflant portrait du Japon contemporain. Cet entre-choc de styles aussi différents dans une même scène dérègle tous nos sens, nous faisant valdinguer dans un trop-plein d'émotions plastiques qui disloque la narration au travers d'un prisme déformant. Le flash rend l'expérience si troublante que lorsque la lumière se rallume dans la salle elle nous replonge aussi sec dans l'obscurité du quotidien. Mind Game est un film sur le vertige, expérience ultime de la mort et retour à la vie, une jeu d'esprit où la peur prend ses racines dans la petite enfance et le courage dans ce qui nous reste d'imagination.

Merci à Karine de m'avoir fait découvrir ce diamant noir.

P.S. : cela n'a absolument rien à voir, mais Jacques Oger m'annonce la mort de Jimmy Carl Black, "the Indian of the group" des premiers Mothers of Invention. Les fans historiques de Frank Zappa comprendront ma tristesse.
Puisque je suis dans les brèves, les Cahiers du Cinéma de novembre ont publié deux articles sur Françoise, l'un pour Appelez-moi Madame (DVD à paraître le 18 novembre), l'autre pour Ciné-Romand (avant-première du film à Beaubourg le 15 novembre à 14h dans le cadre du Festival d'automne, à ne pas manquer, que vous ayez participé au happening ou que vous l'ayez raté !).

jeudi 30 octobre 2008

Ciné-Romand (2) - une traversée du miroir


En filmant les spectateurs des appartements où se jouent naturellement des scènes domestiques, Françoise Romand rejoue une nouvelle fois L'arroseur arrosé, l'une des premières fictions de l'histoire du cinéma, reprenant le rôle de son propre arrière grand-père ciotaden, le gamin espiègle qui pliait le tuyau. Dans un précédent hommage aux Frères Lumière, séquence de son film Thème Je tourné de 2001 à 2004 (DVD à paraître l'an prochain), la réalisatrice fit jouer le rôle du jardinier à Aldo Sperber, l'auteur des quatre photographies reproduites ici ! Le dispositif "visiteurs voyeurs par essence / accueillants inconscients par jeu" se transforme en "visiteurs fascinés filmés / accueillants analystes". Par cet effet de miroir répondant au souhait de Jean Cocteau, c'est-à-dire réfléchissant, Françoise Romand transforme l'essai en film, dès lors que ses personnages effacent tout ce qui permettrait d'identifier réel ou fiction ! Chaque personne y joue son propre rôle ou, du moins, une facette souvent enfouie de sa personnalité. Comme le rideau virtuel qui séparait les deux espaces, d'un côté la vie, de l'autre le spectacle, la frontière est fragile voire volatile. Combien d'Alice franchirent ce soir-là le miroir ? Et dans un sens, et dans l'autre ?


Quand tout le matériel fut rangé, en fin de soirée, les habitants du quartier sont descendus de chez eux pour témoigner. Ils apportent encore une nouvelle lumière à l'ensemble. Les langues se délient et les masques tombent. Acteurs et spectateurs ont joué dans la même pièce, comme à l'époque du Living Theatre dans les années 60. La question n'est plus de savoir si le public participe, mais qui est le public ? L'évidence devrait nous sauter aux yeux. Il n'y en a jamais eu, il n'y en a pas, il n'y en aura pas tant que les œuvres nous renverront à nos propres émotions, nous rassurant ou nous bousculant, nous renvoyant toujours au phénomène d'identification et à sa critique, merci Bertolt Brecht. Dans le bonus de son DVD Appelez-moi Madame, Françoise Romand me fait citer le génial dramaturge et philosophe. Pas de hasard. Par où qu'on regarde cette drôle de soirée, c'est l'impossible qui passe dans le réel ! Ça se bouscule et puis ça trouve sa place. Documentaire et fiction, mieux, ni documentaire ni fiction ! La contagion s'étendra-t-elle aux spectateurs du film ? C'est à prévoir.


Sur tous les écrans de Ciné-Romand, tournaient en boucles les films de Françoise.


Comme les photographies du précédent billet, ces quatre-là sont aussi d'Aldo Sperber. Ailleurs, l'ange Karine relate son expérience sur son blog.

mercredi 29 octobre 2008

Ciné-Romand (1) - la soirée


Tout le temps qu'a duré le happening Ciné-Romand, je suis resté coincé (pas que du dos) à La Bellevilloise et n'ai pu visiter aucun des onze appartements où les Anges emmenaient les visiteurs. J'ai entendu les témoignages des uns et des autres qui revenaient, repartaient, racontaient, s'émouvaient des situations inhabituelles que les idées folles de Françoise Romand avaient provoquées. Il y eut des rires et des larmes, des renversements de rôles, certains traversant le miroir et transgressant les règles comme il se doit, mais aucun accident ne fut à déplorer si ce n'est deux visiteuses ne supportant pas de briser le tabou de l'intimité et l'un des hôtes se rendant compte un peu tard que ce n'était pas vraiment sa tasse de thé. Partout ailleurs, et pour tous, l'expérience semble avoir été marquante si l'on en juge des messages touchants que Françoise reçoit depuis lors. Comme je suis resté à La Bellevilloise pour m'assurer du bon fonctionnement des cinq salles, je découvre ici le reste grâce aux superbes images d'Aldo Sperber (seule la première ci-dessus est de moi) comme j'aurai la surprise du film que Françoise monte avec Igor Juget.


Il faut dire que, si ce n'est l'aide bienveillante de Seb le régisseur de la soirée, l'accueil du lieu a été en dessous de tout, nombreux engagements de leur part n'étant pas respectés et les techniciens se la jouant machos rouleurs de mécaniques pour cacher leur incompétence et le manque d'investissement flagrant des prétendus partenaires. Une honte ! On pourra me reprocher de signaler ce manquement, mais je pense chaque fois à ceux qui passeront derrière nous et à qui l'on se contenterait de dire : "Ah bon, vous ne saviez pas ?!". Françoise réussit son pari invraisemblable, grâce à la sympathie de la vingtaine d'Anges et de tous les camarades venus lui prêter main forte. Pauline, secondée par Julia, dirigeait de main de maître les guides et groupes en partance pour chacun des quatre circuits possibles. La gentillesse et l'investissement des familles accueillant la meute des voyeurs bien intentionnés en bouleversèrent plus d'un(e)... Je rappelle que les consignes aux familles étaient de ne prêter aucune attention aux personnes pénétrant dans leurs appartements, ces visiteurs étant censés rester discrets, s'asseyant pour regarder l'un des films de Françoise, fictions ou documentaires, courts ou longs métrages, projetés ici sur le mur, ailleurs sur un écran d'ordinateur ou une télévision. Découvrir l'ensemble de son œuvre, du moins une grande partie, remet en perspective chacun de ses films dans son parcours singulier d'auteur.


Étienne Carton de Grammont, Igor et Françoise ont filmé des heures de rushes devant être montées d'ici quinze jours pour que le nouveau film soit projeté au Centre Pompidou par Les Cahiers du Cinéma dans le cadre du Festival d'Automne "Cinéma numérique", probablement le samedi 15 novembre dans l'après-midi.




Je ne livre ici qu'une toute petite sélection des photos d'Aldo Sperber (et dans de pâles reproductions au regard des originaux de quelques 50 millions de pixels !) qu'il mettra très bientôt en ligne sur son site ou sur Picturetank et dont Françoise fera une séquence dans le film d'1h40 qui réfléchira son parcours. À suivre...

dimanche 26 octobre 2008

Happening unique ce soir à La Bellevilloise et alentour


Je recopie servilement le dossier de presse auquel j'ai participé en donnant un coup de main à Françoise pour cette soirée exceptionnelle puisque irreproductible. J'espère pouvoir y assurer mon rôle de joker bien que je me sois cassé le dos vendredi matin et que je ressemble vaguement à la Tour de Pise. Les analgésiques et les anti-inflammatoires me faisant planer, c'est une Tour de Pise en lévitation qui devrait vous accueiller demain...
Entre fiction et réalité…
À l’occasion de la sortie DVD du film Appelez-moi Madame, Alibi productions vous invite au Ciné-Romand de Françoise Romand : un happening en appartements autour de ses films, à La Bellevilloise et avec la complicité des voisins du quartier. Une installation ludique, entre fiction et réalité... À partir de son travail de réalisatrice, l’artiste génère une création à la croisée du théâtre documentaire et du cinématographe. L’ensemble réfléchit la fantaisie et la profondeur de son œuvre avec humour et générosité.
Françoise Romand
Après ses études à l'IDHEC (devenu la FEMIS), Françoise Romand réalise son premier film en 1985 Mix-Up ou Méli-Mélo découvert au Moma à New York et acclamé par la critique américaine. En 1986, Appelez-Moi Madame confirme son style à la frontière du documentaire et de la fiction et la conduira à enseigner le cinéma à Harvard. Son dernier film, Thème Je (2004) est une fiction expérimentale autobiographique (à paraître l'année prochaine).
En 2007, elle explose les frontières entre cinéma, spectacle vivant et Internet avec son premier Ciné-Romand. Aujourd'hui, en association avec La Bellevilloise, elle propose de renouveler l’expérience pour une soirée exceptionnelle…
Plus d’infos sur les sites www.romand.fr et www.cine-romand.com
Des photographies d'Aldo Sperber, mes propres impressions et photos sur ce blog lors du premier Ciné-Romand (1 2 3), la bande annonce sur YouTube...

N.B.: avis aux étourdis (dont je fais partie), nous venons de passer à l'heure d'hiver, donc retardez vos montres d'une heure ! On bégaie...

samedi 25 octobre 2008

Catastrophe


À vouloir trop en faire, je scie la branche sur laquelle je m'assieds pour rédiger mes articles quotidiens (et non quotidiennement). Cette différence me joue des tours. Comme il m'arrive de ne pas avoir le temps d'écrire, j'anticipe parfois en préparant un billet que je poste plus tard. À l'instant de publier je corrige souvent quelques effets de style ou je rajoute un lien hypertexte qui donnera les détails dont je ne souhaite pas m'encombrer. Ce matin je pensais publier une petite histoire lorsque je découvre qu'elle figure déjà depuis presque une semaine sur mon blog ! Évidemment ce jour-là il y en avait deux, mais je ne m'en suis pas aperçu. J'ai probablement décocher la case fatale sans faire attention. Pas moyen de revenir en arrière sinon en meublant l'espace vacant de mon imagination par ces lignes à dormir debout, je veux dire par ces lignes écrites assis, mais dormant debout, tant ma nuit fut courte. Est-ce important de savoir si c'est bien celle qui précède ou une autre ? Je m'en fiche comme de mes premières chaussettes, car mon côté obsessionnel ne va pas jusqu'à collectionner tout ce qui me vêt, encore que... Je garde à la cave mes vieilles frusques pour nettoyer les carreaux et cirer les godasses. Et puis toutes mes nuits sont courtes, vous le saviez. Comment, sinon, aurais-je le temps de vous retrouver chaque matin, de faire le reste de mon travail, les courses, d'entretenir la maisonnée, de voir les amis et tutti frutti ?
Demain dimanche est le Jour J pour Françoise. Nous vérifions le matériel : 5 vidéoprojecteurs, 2 plasmas géants, une dizaine de moniteurs télé, 18 casques, une quinzaine de systèmes son et de lecteurs DVD, tous les câbles et adaptateurs qui vont avec, les affichettes, les films... Pour visiter les dix appartements autour de La Bellevilloise, une vingtaine de guides prêtent main forte à Françoise qui les appelle des Anges. Pauline Fort l'assiste depuis des semaines. Avec Igor Juget et Étienne Carton de Grammont nous filmerons l'événement qu'elle devra monter avec Igor d'ici le 15 novembre pour que le film intitulé logiquement Ciné-Romand soit projeté au Centre Pompidou dans la programmation des Cahiers du Cinéma sur le cinéma numérique dans le cadre du Festival d'Automne. Un marathon chasse l'autre. Le film de 1h40 inclura des extraits de son œuvre dans l'esprit de la soirée de demain.
Le petit film qui ouvre cet article est la bande-annonce que Jean-Luc Godard a réalisé pour le Festival de Vienne en Autriche.
D'amour.

jeudi 23 octobre 2008

Appelez-moi Madame (4)


Françoise Romand a mis en ligne la bande annonce de son film Appelez-Moi Madame dont le DVD paraîtra officiellement le 17 novembre, distribué par Doriane (mais que l'on peut recevoir en primeur dès maintenant, pour 20€ port compris, en écrivant à alibiprod@free.fr) et qu'elle fêtera lors de son Ciné-Romand à La Bellevilloise dimanche prochain 26 octobre de 18h à 23h.
Le sujet ? Dans un petit village normand, un militant communiste, marié et père d'un adolescent, devient transsexuel à 55 ans, aidé par sa femme.
À sa sortie en 1987, le célèbre critique du New-York Times, Vincent Canby, écrivait "Miss Romand fait des documentaires uniques. Elle s'attache aux faits mais il y a certaines réalités que peu de romanciers ou écrivains supposés sérieux traiteraient si ce n'est sous des pseudonymes... Dans Appelez-moi Madame, la cinéaste nous fait partager sa curiosité, son étonnement et son regard..." Pour cette édition dont Étienne Mineur a conçu la pochette, Françoise a réalisé deux entretiens, l'un en français, l'autre en anglais, compléments de programme qui tranchent radicalement avec les bonus habituels !

Documentaires ou fictions, tous les films de Françoise Romand interrogent l'identité de ses personnages. Dans Mix-up ou Méli-mélo des bébés sont échangés à la naissance, dans Appelez-moi Madame un militant communiste devient transsexuel à 55 ans, dans Les miettes du purgatoire deux jumeaux vivent en symbiose avec leurs parents très âgés, dans Passé Composé un homme à la recherche douloureuse de son passé rencontre une femme amnésique qui fuit le sien, dans Vice Vertu et Vice Versa deux voisines de palier s'échangent leurs vies, l'une prostituée de luxe l'autre intellectuelle au chômage, jusqu'à Thème Je où la cinéaste retourne sur elle la caméra en fouillant les histoires de famille et les réinventant, se permettant avec elle-même ce qu'elle n'aurait jamais osé avec qui que soit d'autre.
Documentaires ou fictions, la cinéaste mord le trait et met en scène les hommes et les femmes de la vie réelle comme s'ils étaient des personnages de roman. Pour elle, la vérité n'a jamais existé au cinéma. Les regards face caméra renvoient au miroir du spectateur. Avec tendresse et compassion, Françoise Romand recompose le passé en faisant jouer aux protagonistes leurs propres rôles. Espiègle et complice, elle ouvre la porte à toutes leurs fantaisies.
Dès le début d'Appelez-moi Madame le ton est donné. Ovida Delect fait un signe de connivence à la caméra et raconte ses fantasmes que la cinéaste concrétisera en images. La musique de Nicolas Frize accompagne la mariée qui court au ralenti sur la plage. En 1986 dans un petit village normand, devenir transsexuel à 55 ans avec l'aide de sa femme n'est pas une mince affaire pour ce communiste et poète, ancien résistant resté muet sous la torture. L'amour d'Huguette pour son mari devenu femme transcende tous les poncifs et son douloureux sacrifice réfléchit le statut de toutes les femmes. Avoir été directrice de l'école maternelle fait passer la pilule auprès des villageois. Dans un micro-trottoir rythmé par le hachoir du boucher, la réalisatrice se débarrasse rapidement des remarques grivoises que le curé couronne. Les deux mamies tournent le dos à ces commérages. Les films de Françoise Romand évitent les commentaires, ils parlent d'eux-mêmes, réfléchissant les vies ordinaires de personnages extraordinaires sous l'œil fantasque de la mise en scène. Le drame se joue toujours dans la comédie. La distance n'est pas celle de l'auteur à son sujet, mais du sujet au filmage, rapprochant le spectateur au plus près de l'émotion en le faisant entrer incidemment dans les arcanes du cinéma.

Site dédié à Ciné-Romand

lundi 6 octobre 2008

Réservez dores et déjà votre Ciné-Romand


Pour annoncer son nouveau Ciné-Romand à La Bellevilloise le dimanche 26 octobre prochain, Françoise Romand a mis en ligne un petit film de la première à Paris en mars 2007. Le happening commençait chez elle et se continuait en jeu de piste dans son immeuble 1930 avec la complicité de ses voisins, chez eux, entre fiction et réalité.
Les spectateurs se perdent dans le labyrinthe, de la cave aux chambres de bonne en passant par des appartements aux portes entrouvertes où il surprennent des scènes de la vie quotidienne avec la télé diffusant en boucle ses documentaires ou ses fictions. À partir de son travail de réalisatrice, Françoise génère une création à la croisée du théâtre documentaire et du cinéma, réfléchissant la fantaisie et la profondeur de son œuvre avec humour et générosité. Le petit montage intègre les photos d'Aldo Sperber et vous pouvez retrouver le carnet mondain de ces soirées façon Gala relatées sur ce blog les 12, 17, 19 et 20 mars 2007.
Françoise réitère l'expérience pour une soirée unique à La Bellevilloise et dans des appartements alentour. Ce sera un dimanche comme hier. Le nombre de places étant limité, il est prudent de s'inscrire dores et déjà en écrivant à alibiprod@free.fr
En même temps, sort son second DVD, Appelez-moi Madame, distribué par Doriane Films.

samedi 27 septembre 2008

Des guides pour les arts numériques


Nicolas Clauss, Françoise Romand, Antoine Schmitt, Xavier Boissarie, Antoine Denize, Electronic Shadow, Servovalve (je cite ici ceux avec qui j'ai déjà collaboré) et plein d'autres camarades figurent sur le nouveau guide Arts Numériques (Tendances-Artistes-Lieux et Festivals) réalisé sous la houlette d'Anne-Cécile Worms (M21 Editions, 330 pages, 29€). Nous avons tous envoyé une image de 16x22cm et une biographie, soit cent artistes numériques français préfacés par toute une ribambelle de textes passionnants dans leur diversité, totalement à côté de la plaque, visionnaires ou remettant salutairement les pendules à l'heure. Tous font ressortir la question de l'art, ce qui en est ou ce qui en naît.
Pour ma part, selon les jours et les humeurs, j'y cherche l'émotion, le rêve ou la critique. L'émotion du beau, le rêve de l'inouï, la critique de la narration, fut-elle abstraite ou d'essence philosophique. Quant à la technologie, je n'en ai absolument rien à fiche, si ce n'est pour m'allonger régressivement par terre à pervertir mes jouets. Le numérique ne signifie rien d'autre qu'un protocole industriel. Les concepts appris dans les écoles de beaux-arts assurent essentiellement la pérennité de professeurs souvent dépassés et de leurs élèves s'embourbant dans le scolaire et les nouveaux académismes. Les modes se suivent et se ressemblent par leur inanité heureusement éphémère. De ces marais fangeux, qui rappellent les univers sociaux de la publicité et de l'entertainment, émergent quelques personnalités portant sur leurs épaules des mondes, des visions, des souffrances et des colères. Encore faut-il avoir appris à ne pas confondre les phénomènes de foire (je n'y vois aucun inconvénient, à condition de savoir les identifier, comme se détendre devant un gros blockbuster macho américain ou jubiler devant une œuvre du septième art) et les véritables démarches artistiques. Pauses snobinardes de classe contre urgences hospitalières.
Mais comment s'y prendre pour trier le bon grain de l'ivraie ? Rechercher la nécessité : le choix ne fait que tatouer la surface de son encre délébile. Apprécier le rejet quand prend la greffe : combat ou soumission ? Le texte de Gilles Alvarez me surprend par son acuité à cerner les faux-semblants jusqu'à terminer par une phrase de Claude Debussy : "qu'il vaut mieux regarder le lever du jour qu'écouter la Symphonie Pastorale". Les œuvres ne sont que le reflet du monde, son inconscient monstrueux. Il y a ceux qui s'y plaisent et s'y complaisent, et de pauvres hères rêvant naïvement de le bousculer et qui enragent. Pour un artiste, le repos n'existe pas. Le sommeil est habité. Le mystère seul le calme. Il n'y a pas d'abonné au numéro que vous avez demandé. Aucune réponse n'est satisfaisante. Mais il avance. En aveugle. Qu'importe ! Il sait où il va. Nulle part. Parce que ce sera toujours mieux qu'ici et maintenant. Ses gestes lui sont dictés par une morale qui rejette tout ce qui est convenu sans être interrogé. Le travail est si colossal qu'il restera inachevé. J'écris il, mais c'est en nombre que leur pouvoir s'exercera. Les initiatives de regroupement sont indispensables.
Parallèlement à l'édition de l'ouvrage autour des artistes qui comprend également une importante partie sur les lieux et festivals, Anne-Cécile Worms qui s'occupe de la revue bimestrielle MCD (Musiques & Cultures Digitales) édite la version 2008-2009 du Guide des Festivals Numériques (MCD, 9€) dans lequel le président du Cube, Nils Aziosmanoff, cite les temps forts du dernier festival en commençant par notre opéra pour 100 lapins communicants, photo à l'appui.
Décidément, Nabaz'mob a la cote ! Avec Antoine Schmitt, notre clapier participe à la Nuit Blanche à Paris le 4 octobre pour 6 représentations (20h-21h-22h-23h-0h-1h) à Bercy Village, Passage Saint-Vivant (Métro Cour St-Émilion). Nabaz'mob sera aussi à Besançon le 2 novembre au Festival Musiques Libres et en 2009 il est fortement question d'une tournée sur trois autres continents en même temps qu'une installation durant six mois dans un musée parisien. J'en fais tout un fromage sans être dupe de la carotte qu'il représente. Nos élucubrations nous échappent, reprises par les vulgarisateurs que nous alimentons et qui, à leur tour, nous font gentiment manger du frais plutôt que des pissenlits par la racine. Un artiste doit aussi apprendre à voir avec les yeux de son public, savoir apprécier les déplacements de sens, partager les émotions. À moins de basculer dans l'autosuffisance, quand l'échec ne sonne pas comme une injustice, le succès a le goût de l'usurpation. L'insatisfaction est le moteur de l'œuvre. L'avenir est pavé de mauvaises interprétations. Rien n'a de valeur que le prochain geste.

mardi 23 septembre 2008

Les lys tâchent


En quittant sa villégiature parisienne, Pascale nous a offert un magnifique bouquet de lys qui a éclos après son départ. Les liliums donnent au salon des allures printanières qui tranchent avec l'automne frisquet qui nous fait allumer le feu dans l'âtre dès le matin. Revers de la médaille, le parfum exhalé est d'une telle puissance que je dois les écarter pour arriver à consommer le moindre aliment. Travailler à proximité m'est impossible sans suffoquer. Pire, en les déplaçant j'ai frotté les pistils sur ma chemise vert pomme, laissant une trace de poudre rouge sang sur mon épaule. Françoise, qui crut d'abord que je saignais du nez, a arrêté brusquement mon geste tandis que j'allais rincer les traces de pollen sous le robinet. Le lys est indélébile. C'est le bouquet ! La tristesse me guette de perdre la chemise très Sergent Pepper's trouvée à New York dans la même boutique SM que mon kilt, mais ma compagne me conseille de chercher sur le champ le remède sur Internet en googlisant "lys tâche". La recette était simple, il suffisait de coller délicatement un morceau de ruban adhésif sur le tissu et le pollen se détache comme par miracle. Scotch et scotch et scotch et rescotch... Eurêka ! Cette chemise portée au concert de samedi est sauvée. À ce propos, ce n'est pas pour nous jeter des fleurs, mais la soirée D'autres Cordes fut très réussie. Le spectacle a confirmé à Nicolas et moi-même le choix du duo...

P.S. : de plus, j'apprends que flyingpuppet.com, où Nicolas expose ses tableaux interactifs, souvent en collaboration avec ma pomme, est nommé aujourd'hui "site du jour" par Libération - Ecrans.fr...

P.P.S. : deux jours après Nicolas, c'est au tour d'Antoine de se retrouver site du jour sur Ecrans.fr avec TimeSlip... Bravo les gars !

mercredi 17 septembre 2008

Appelez-moi Madame (3)


Françoise a cru devenir folle. Elle calait les sous-titres anglais de son film Appelez-moi Madame pour les envoyer à Igor qui terminait l'authoring du DVD, mais ce n'était jamais synchrone. Ils raccourcissaient, se décalaient de une seconde, puis de deux, de trois... On reprenait nos marques, incriminant la conversion en NTSC, format choisi pour que le public américain puisse voir le film. En France, tout le monde peut le lire, mais les Amerloques ne peuvent pas faire de même avec le PAL. Alors on réduit par le plus petit dénominateur commun, le PAL étant autrement meilleur que le NTSC utilisé également par les Japonais. Ils forment la zone 1. De toute manière, Appelez-moi Madame est multizones et non verrouillé. Il n'y a que les majors et les grosses boîtes pour coller des verrous qui ne servent à rien puisque n'importe quel pirate en herbe est capable de les faire sauter en un ou deux clics. Alors à quoi ça sert ?
Vu le succès des films de Françoise Romand outre-atlantique, le choix du NTSC s'explique très bien, d'autant que c'est la maison de production de la réalisatrice, alibi, qui édite. Nous avons fini par comprendre que les sous-titres étaient corrects, mais que le lecteur DVD sur lequel nous faisions les tests pataugeait dans la semoule, n'arrivant pas à lire correctement le film et à récupérer le fichier texte de ces fichus sous-titres, pourtant refaits amoureusement par Françoise pour corriger les approximations de la version de 1987.
Le master est donc parti à l'usine. Je récupère mon studio, mes machines et mon temps. Le design graphique d'Étienne Mineur est superbe, parfaitement adapté au projet. 22 ans plus tard... et Onboard, les deux compléments de programme ont été mitonnés aux petits oignons pour accompagner le plat de résistance. Je les ai cadrés, sonorisés, mis en musique et mixés. Françoise a enregistré un film en français, l'autre en anglais. Les deux entretiens sont "same same but different" ! Bel exercice de montage. Doriane distribuera le DVD qui sortira début novembre. D'ici là, Françoise aura créé son nouveau Ciné-Romand à La Bellevilloise (réservez impérativement le dimanche 26 octobre), j'aurai participé à la soirée D'autres Cordes à La Comète 347 avec Nicolas Clauss (c'est samedi, il y aura du monde), les 100 lapins de Nabaz'mob auront dégourdi leurs oreilles pour la Nuit Blanche à Paris le 4 octobre (Bercy-Village), le reste à l'avenant...

mardi 26 août 2008

Jonathan Rosenbaum, le cinéma à découvert


Depuis que Jonathan Rosenbaum a pris sa retraite du Chicago Reader auquel il a collaboré de 1987 à cette année, il s'est employé à mettre en ligne les 7500 articles qu'il a rédigés et continue à écrire sur son blog hebdomadairement. Le célèbre critique américain, digne hériter de James Agee et André Bazin (dixit J-L Godard) comme de Serge Daney, donne des milliers de pistes à ceux qui souhaiteraient en savoir plus sur les films ou les DVD, car Rosenbaum a changé ses pratiques avec le temps, regardant aujourd'hui beaucoup plus de galettes qu'il ne va au cinéma. Après avoir hanté les salles et pratiqué les cassettes vidéo, sa cinéphilie doit aujourd'hui beaucoup aux éditions DVD, nous permettant de partager ses révélations et ses coups de cœur. Ses articles souvent très fouillés offrent en effet à ses lecteurs (anglophones) de découvrir une flopée de raretés.
Ses parents, qui s'étaient fait construire leur maison par Frank Lloyd Wright, la seule en Alabama, avaient repris la chaîne de salles de cinémas que possédait son grand-père. Dans son autobiographie, Mouvements : Une vie au cinéma (P.O.L.), il raconte son enfance, ses premiers émois cinématographiques sans négliger les analyses filmiques et quelques considérations sociales sur l'époque.
En parcourant son blog, je pourrais passer des heures à découvrir des chefs d'œuvre méconnus pour lesquels Rosenbaum donne souvent les adresses pour se les procurer. Nous sommes loin des donneurs de leçons et des censeurs, on sent poindre la générosité et la passion sous chaque phrase.
Auteur de nombreux ouvrages, bataillant contre la toute puissance exclusive du cinéma américain, il révèle les films du reste du monde qui occupent, tout de même, plus de la moitié de son panégyrique. Françoise le rencontra ainsi en 1985, lors de la sortie américaine de Mix-Up ou Méli-Mélo qu'il contribua largement à faire connaître aux États-Unis et qui figure parmi ses 1000 films préférés après qu'il l'ait nommé film de l'année. Rare qualité, Jonathan Rosenbaum (photo extraite de son entretien sur le dvd Mix-Up édité par Lowave) s'intéresse à toutes les époques, des plus reculées aux plus actuelles, et à toutes les latitudes, voire certaines difficilement localisables pour qui n'est pas trop féru de géographie ! Irremplaçable.

mardi 19 août 2008

Appelez-moi Madame (2)


Ce n'est pas si facile de travailler à deux au montage. Je suis rapide et impatient, Françoise est méticuleuse et têtue. Je lui ai donné un coup de main au tournage et déjà fourni un paquet de sons pour que l'entretien sur Appelez-moi Madame glisse subrepticement vers la fiction comme elle aime le faire dans tous ses documentaires. Pendant que j'apprends ainsi à me familiariser avec Final Cut, Françoise prend le recul qui lui est nécessaire. Après avoir presque terminé la version française de ce retour en arrière de vingt-deux ans, elle a souhaité faire un montage radicalement différent pour la version anglaise qu'elle a baragouinée tant bien que mal, nouveaux plans, nouveaux sons, nouvelles astuces et nouveaux gags.
L'idée est marrante de faire deux films différents en français et en anglais pour aborder les mêmes thèmes : la transsexualité en 1986, le regard face caméra, le contrechamp explicite, le refus des commentaires, la difficulté de ne pas céder aux critiques, la distanciation, l'émotion des caractères, la fictionalisation... D'une langue à l'autre, le ton est différent. Le français est plus direct et badin, l'anglais plus sec et hésitant.
Comme j'avais équipé Françoise d'un micro-cravate caché sous son corsage et clippé sur son soutien-gorge, la voix est claire, détachée, sans presque aucun coup de vent sur la membrane. Nous sommes même obligés de rajouter des sons seuls pour retrouver l'ambiance maritime et les grillons lorsque la terre est en vue. Clapotis, grincements que je mêle à ceux de la contrebasse d'Olivier Koechlin, mouettes moqueuses, splash et la musique composée initialement pour son film Si toi aussi tu m'abandonnes. Supprimée pour de sinistres raisons déjà abordées à l'époque du procès (gagné) contre la société de l'indélicat Serge Moati, c'est la première fois qu'on pourra l'entendre, du moins les parties avec le violoncelliste Didier Petit.
Il faut donc tout réimaginer et inventer en s'attaquant à la version anglophone. Les prises de vue sont évidemment différentes, mais il faut trouver le ton qui convient par le rythme du montage et la bande-son qui prend une importance colossale puisqu'elle joue sur le hors-champ. Françoise s'amuse d'ailleurs de quelques contrechamps savoureux avec son père qui roupille à l'avant du bateau et ma pomme, le casque sur les oreilles, m'agrippant au filin pour ne pas passer par-dessus bord ! Pour garder le cadre fixe tandis que le bateau tangue tant que ça peut, je maintiens la caméra si fort avec la main gauche que j'attraperai une tendinite dès le premier matin. Je veux que le cadre ne lâche pas Françoise avec l'arrière-plan qui chavire à nous en faire attraper le mal de mer.
Pour cette seconde interprétation, avec relativement peu de matériau, Françoise joue des désynchronisations, des frottements, des chevauchements, elle provoque en montrant que les coulisses sont aussi parlantes que l'attaque frontale. Sans tout dévoiler, ce sont les bêtises et les maladresses du tournage et du montage qui déclenchent en nous les meilleures idées. Face à l'adversité, nous sommes obligés d'inventer... Tout le monde est logé à la même enseigne.

jeudi 14 août 2008

Avis de recherche


Je ne me souviens plus si j'ai déjà utilisé le tableau de Françoise en illustration pour raconter les débuts de notre aventure. Un rapport assez banal entre homme et femme. Je n'avais pas de rames, mais j'aimais l'eau. Aujourd'hui, nous recherchons simplement à savoir qui est l'auteur du "Rêve", un ou une M. Russel qui a apposé sa signature au bas de la toile. Françoise l'avait achetée lors d'un vide-grenier avenue Trudaine. Si vous avez une piste, n'hésitez pas à nous contacter...

lundi 4 août 2008

Appelez-moi Madame 1


Françoise m'a demandé de filmer son interview pour accompagner le DVD de son second film, Appelez-moi Madame, qui sortira en novembre. Nous avons embarqué à bord du pointu de Jean-Claude pour tourner au large. En 1986, son film se passait en Normandie, au bord de la Manche et au Moulin d'Andée. Vingt-deux ans plus tard, elle choisit la Méditerranée, près de sa ville natale de La Ciotat. De retour à terre, elle s'aperçoit qu'elle aurait aimé apporter certaines précisions que les embruns lui ont fait oublier. Comme il n'est pas question de recommencer, je lui suggère d'ajouter ces détails en sous-titres ou en commentaires de son entretien, rajoutant une couche critique à ses souvenirs. Appelez-moi Madame est l'histoire d'un militant communiste, marié et père d’un adolescent, qui, dans un petit village normand, devient transsexuel à 55 ans, aidé par sa femme. Comme le précédent, Mix-Up ou Méli-Mélo (édité en DVD par Lowave), le second film de Françoise Romand eut un retentissement extraordinaire aux États-Unis et fut complètement ignoré en France. Les DVD apportent une seconde chance aux films. Le sien sortira en DVD (édité cette fois par alibi) peu après son nouveau Ciné-Romand (1 2 3) qui se tiendra à La Bellevilloise le dimanche 26 octobre prochain. On en reparle.

mardi 8 juillet 2008

Deux parallèles se croisent à l'infini (2)


Rien n'est jamais joué. Combien de fois l'ai-je écrit dans mes billets ? Avec en exergue la phrase de Cocteau qui sous-titre ma carte de visite, "le matin ne pas se rase les antennes", ou bien celle de Strawinsky citée par J.C., "trouver une place fraîche sur l'oreiller", que je pratique stricto sensu... Les moments où l'on ne sait pas où l'on va sont plus sûrs que les lignes toutes tracées, mais moins excitantes que les amorces.
Il en va de même avec les amis et les amours. On marche ensemble un bout de chemin, main dans la main, mais il arrive parfois que les choix divergent. Il peut être sage de se séparer sans pour autant renier le trajet parcouru, les paysages découverts ensemble, les émotions un temps partagées. À terme, l'immuabilité des habitudes exige la fuite. Il arrive aussi que deux parallèles se rencontrent à l'infini ; naît un nouvel ami, insoupçonné la veille. C'est ce que, décidément, les rails m'inspirent. Des routes parallèles. Je pense à ma mie. Heureusement.
Chaque année je perds un(e) ami(e). C'est le drame. Je le vis mal. J'aurais tout tenté. Sans succès. Je suis triste, mais je me fais une raison. On n'a aucune influence sur qui que ce soit. Chacun reprend ses billes. Nous ne sommes plus les mêmes. Ou au contraire, la peur de la nouveauté nous empêche de bifurquer. L'un des deux doit prendre la tangente. Pas le choix. Question de vie ou de mort parfois. Mais les souvenirs restent, les meilleurs, à condition qu'il n'y ait pas eu crime. Le reste sombre dans l'oubli, à tort ou à raison. L'inconscient fait ses choix, son petit marché de dupe.
Chaque année je gagne un(e) ami(e). L'équilibre est maintenu. "Une de perdue, dix de retrouvées", me serinait ma maman. C'est faux, même si c'était gentil de l'exprimer ainsi. L'équation donne du "un pour un". Le compte ne dépasse jamais les doigts de la main. Certain(e)s sont loin, mais ils ou elles ne cessent d'exister. J'imagine leur regard posé sur moi. Ils me dictent ma conduite. Je les aime, je crois qu'ils m'aiment. On verra. J'en cherche de nouveaux. Je ne m'endors pas. Les alliances sont mon essence.

dimanche 29 juin 2008

À porter au crédit d'un motocycliste condamné récemment pour conduite en état d'ivresse


Il est trois heures du matin. Nous sommes à Pigalle en 1994, grande époque du vol à l'arraché de sacs de dames. Françoise avait laissé le sien sur le siège arrière de sa voiture. Deux gars ouvrent la portière, s'en emparent et remontent en courant la rue Germain Pilon. Françoise a beau faire des signes désespérés aux passants qui les croisent et crier "Au voleur !", aucun ne bronche. Une Vespa qui descendait la rue s'arrête à sa hauteur. "Vite, vite, ils m'ont volé mon sac et sont partis par la rue Véron". Comme le galant fait un demi-tour chevaleresque, elle veut monter à l'arrière de son scooter, mais il refuse parce que ça peut être dangereux. Elle continue de grimper à pieds tandis qu'il disparaît à la poursuite des deux voleurs. Avant qu'il ne parte, elle a le temps de lui crier d'au moins récupérer ses clefs et ses papiers. Dix minutes plus tard, le voilà qui revient et sort de sa poche le trousseau de clefs. C'est génial, s'exclame-t-elle, elle est sauvée, elle peut au moins rentrer chez elle. Mais ce n'est pas terminé, il est en négociation avec les deux junkies qui veulent bien rendre le sac à condition de conserver le liquide. Elle sait qu'elle ne possède que 50 francs : "qu'ils gardent le fric !". Lorsque le petit gars revient avec le sac, elle lui propose, pour le remercier, un coup à boire comme elle n'habite pas loin. Il a un petit côté étudiant en droit ou en médecine avec ses lunettes rondes et l'air sympa. Ce soir, il n'a pas le temps, mais comme il travaille au Théâtre de l'Atelier, il propose à Françoise de passer le voir. Elle imagine qu'il déchire les billets à l'entrée. Là-dessus, le courageux jeune homme enlève son casque et, coup de théâtre, elle reconnaît Guillaume Depardieu qui n'est évidemment pas du tout ouvreur, mais joue à l'Atelier. "Incroyable", fait-elle, "je suis réalisatrice et c'était justement ce soir la première de mon film" (Passé-Composé) ! C'est la raison pour laquelle elle était un peu dans la lune et n'a pas senti venir les deux voleurs. Françoise se rendra compte qu'ils ont aussi piqué sa montre Swatch dont elle voulait justement se débarrasser parce qu'elle faisait trop de bruit pendant les projections. L'aventure coûta le prix d'une place de théâtre ! Pour remercier Guillaume Depardieu, elle lui enverra Pourquoi j'ai mangé mon père de Roy Lewis.
N.B. : petit détail amusant en ce qui me concerne, sa traduction est l'œuvre de Vercors et de sa compagne Rita Barisse.
P.S. : Guillaume Depardieu vient d'être condamé par le tribunal de Versailles à deux mois de prison ferme pour conduite en état d'ivresse au volant de son deux roues.

jeudi 26 juin 2008

Sec


Avant d'arriver à la mer, il y a le train. Trois heures pour Marseille. Rosette vient nous chercher à la gare Saint Charles. Françoise n'a le droit à aucun effort. Elle ne peut pas se pencher en avant sans risquer un décollement de la rétine. À l'arrivée, nous filons directement chez l'ophtalmologiste qui lui révèlera les modalités de ses vacances ! C'est sec. La mer attendra encore un peu.

jeudi 19 juin 2008

Bon débarras


Les seules activités de bricolage que je supporte sont celles qui ne salissent pas trop. Je hais la peinture et tout ce qui s'y rapporte et je tolère seulement de me dégueulasser les genoux de pantalon que j'use de toute manière je ne sais comment, de m'écorcher les mains jusqu'à les faire saigner, d'accumuler la sueur et la soif tant j'essaie de me débarrasser de ces tâches ménagères le plus rapidement possible. Évidemment, comme je bâcle, les étagères sont toujours un peu de guingois, mais le seul fait d'en arriver à bout équivaut à une victoire sur la nature, une sorte d'aventures de l'arche perdue à mon petit niveau. Pour celui à bulles, Françoise est obligée de me le mettre sous le nez, sinon je m'en passe, utilisant par exemple un des petits cylindres des étagères Ivar d'Ikéa pour vérifier au pifomètre l'horizontalité de mon œuvre. Donc, après une visite à l'enseigne suédoise où j'en ai profité pour acheter quelques produits gastronomiques aseptisés, je me mets au turbin pour monter les étagères du garage. Françoise et Jonathan ont terminé la peinture blanche de la nouvelle cloison et l'état de ma compagne ne lui permettra de passer la couche de rouge à l'extérieur probablement qu'à la rentrée. En attendant les bûches du tas de bois resteront sous la flotte dans le jardin de devant. C'est marrant comme je me crois obligé d'utiliser un langage plus populaire lorsque je parle bricolage. J'assume mes racines d'intello jusqu'au bout de mes brindilles. Nous avons vendu l'ancienne porte battante sur eBay et la nouvelle cloison va permettre de stocker le bois à l'abri et soulager la cave, les archives et le réduit du jardin. Mais c'est pas tout ça , je dois maintenant écrire un billet qui m'excite beaucoup plus sur tchatchhh puisqu'il va concerner la gastronomie, un sport plus dans mes cordes !

samedi 31 mai 2008

Agnès Varda et ses 80 balais


Elle les a même eu hier soir, et c'est le fils de 16 ans du scénographe Christophe Vallaux qui a eu l'idée de demander aux amis d'Agnès de venir chacun chacune avec un balai pour en faire un bouquet d'anniversaire. La photo prise devant sa porte, sur le trottoir de la rue Daguerre, montre l'octogénaire du jour, toujours aussi pimpante, étreignant celui que Françoise a customisé en le bombant de rose fluo, d'orange sanguine et d'or. J'y ai noué un petit cadeau et Yolande Moreau a réussi à raccrocher le pompon fuschia qui s'était décollé du manche. Les deux nôtres détonent au milieu de la rutilance de l'ensemble. Les seuls à avoir servi, ils possèdent une histoire, atterrissant chez Agnès après de très nombreuses heures de vol. Au milieu de la foule des amis, j'en retrouve deux qui me touchent particulièrement.
La première est Luce Vigo qui me rappelle que je fus le premier à mettre en musique À propos de Nice, le film muet de son père, le cinéaste Jean Vigo. C'est aussi le premier ciné-concert que le Drame créa, c'était en 1976. Vingt-cinq autres chefs d'œuvre cinématographiques suivront, qui nous firent faire le tour du monde. Nous abandonnâmes lorsque le genre devint une mode, lassés peut-être aussi de rester trop longtemps dans la fosse d'orchestre ou derrière l'écran. La dernière fois que j'avais été en contact avec Luce, c'était pour l'annuaire des anciens élèves de l'Idhec qu'elle aura mis trois ans au lieu de trois mois à rassembler.
Le second est un autre vieux monsieur dont j'ai toujours aimé le travail. Un des tableaux de Jacques Monory illustrait la pochette de Carnage, le dernier 33 tours d'Un Drame Musical Instantané. Plus tard, l'Ekta "Technicolor" d'une toile détruite nous servit de carte postale. Enfin, nous composâmes la musique du film que la vidéaste Dominique Belloir réalisa sur ses toiles pour la Cité des Sciences et de l'Industrie et qui accompagne, je crois, encore le public qui fait la queue devant le Planétarium. Monory, un sourire toujours aussi charmeur, me parle de la vanité du monde qui ne cesse de croître, un monde stupide et terrible auquel il continue paradoxalement de s'accrocher. N'est-ce que de la curiosité ? Un jour où nous parlions de ses monochromes bleus, il me confia : "la nature m'écœure !". Je pensai bizarrement à Varèse dont le titre Déserts est souvent compris de travers.
Si, au détour d'un couloir, une pancarte clame "J'ai mal partout", en voilà trois qui n'ont pas de quoi se plaindre. La vie est belle, à condition de s'exprimer dans la résistance et le partage. Hier soir, Agnès rayonnait.

mardi 27 mai 2008

Pensées circonflexes


Hier matin, il faisait encore assez beau pour monter sur le toit et tuber le conduit de la cheminée. Il paraît que cela devrait réduire notre consommation de fuel dont le prix vient d'ailleurs de dépasser 1 euro le litre. Ça grimpe, ça grimpe. Voilà des années qu'on nous le dit, mais personne ne croyait vraiment à la pénurie, et personne ne croit non plus à ce qui se prépare comme à la réalité cynique, honteuse et mensongère qui a poussé les Américains à envahir l'Afghanistan et l'Irak, à faire ami ami avec l'Arabie Saoudite et maintenant à lorgner sur l'Iran ou le Vénézuela, sans compter les tentatives de déstabilisation de la Chine via le Tibet new age fantasmé par les Occidentaux en mal de gourou. Ne pas croire que les Russes ou les Français soient en reste sur le sujet... À y regarder de près, on risque de prendre le globe pour une toupie. Le pétrole grimpe et nous avec. Aux rideaux, citoyens ! Faites en des drapeaux de toutes les couleurs pour escalader les barricades... J'adore la vue du toit. Il n'y a rien de mieux que de changer d'angle, avec ses yeux ou à l'intérieur du crâne. La lecture de Žižek (Bienvenue dans le désert du réel) me porterait-elle sur le ciboulot ? Il a une façon formidable de retourner les évidences comme une chaussette. La philosophie et la psychanalyse seraient-elles la poésie mise à l'épreuve de la pratique ?
Comme on faisait des pointes sur les tuiles, on en a profité pour dégager le lierre mort qui avait colonisé la gouttière, mais, surtout, j'ai ramassé la vieille antenne télé en râteau dont la rouille avait sectionné le mât. Pas étonnant que la réception hertzienne se soit détériorée ! Crâne, antenne en râteau, mât, faut-il que les mots soient en haut pour porter des chapeaux circonflexes ? Je suis aussi descendu dans l'abîme recevoir la suie dans la figure lorsqu'apparut le tuyau en aluminium au-dessus de la chaudière. C'est justement pour l'éviter qu'on tube. Françoise passe et repasse le disque de Bernard. Du toit, on voit la cheminée de la voisine d'en bas qui n'a pas de chapeau, elle chauffe la pluie qui dégringole dedans, parce que depuis, ça tombe dru.
Le soir, nous avons démonté la porte arrière du garage. J'avais imaginé rentrer des voitures dans ce qu'est devenu le jardin. J'ai préféré les arbres aux automobiles. Certaines n'apprécient pas les platanes, d'autres si. Un érable est en train de prendre. Derrière la porte jaune, il y a de grandes fleurs de pavot orange et des fuchsias qui grimpent le long du mur du voisin. Tout grimpe, sauf les salaires. L'idée de Françoise est de remplacer cette porte pivotante (qu'elle a mise en vente sur eBay) par un mur et une porte vitrée qu'Hélène avait aperçue abandonnée sur un trottoir près de la Place des Fêtes. Du côté extérieur de la future cloison on pourra mettre le bois de chauffage à l'abri et à l'intérieur on construira des étagères pour accumuler encore plus de cochonneries. Les trier une fois de temps en temps, c'est aussi de la poésie. C'est dommage qu'elles encombrent le reste du temps. On ne fait de la place que pour pouvoir l'occuper. Ça me scie. J'aime les grands espaces. J'imagine le ciel à l'envers comme un océan de moutons noirs. Cette menace a du bon !

samedi 26 avril 2008

Professor Bad Trip


Si Franck ne jouait pas ce soir au Zebulon de New York avec l'accordéoniste Andrea Parkins, il serait venu écouter l'interprétation de Professor Bad Trip par l'Ensemble Intercontemporain à la Cité de la Musique. Vigroux m'a fait connaître l'œuvre de Fausto Romitelli comme les étudiants de l'Ircam m'avait parlé de Sciarrino six ans plus tôt, le soir mémorable où j'ai rencontré Françoise aux e-magiciens de Valenciennes. Lorsqu'ils ne sont pas versés dans les sempiternels revivals, ce que les plus jeunes écoutent est toujours riche d'enseignement. J'avais noté la date en septembre et nous y voilà !
La première partie réunit l'enivrant Steve Reich avec Eight Lines et le conventionnel Philippe Hurel avec son concerto pour piano, Aura. Si Reich continue de nous donner le vertige en nous entraînant dans les méandres de la musique répétitive, Hurel nous laisse de marbre malgré son intéressant travail sur les quarts de ton. Musique bourgeoise de rigueur : comme la plupart des compositeurs dits "contemporains", par son acceptation surannée de la modernité, il la caricature en défendant les attributs de la classe sociale qui l'a engendré(e). Entr'acte.
Françoise remarque qu'elle a rarement entendu un compositeur contemporain aussi contemporain que Romitelli, et Sylvain Kassap de renchérir en insistant sur la réécoute indispensable de la version discographique de Professor Bad Trip par l'Ensemble Ictus, dont le répertoire correspond mieux au génial italien disparu en 2004 à l'âge de 41 ans que l'E.I.C. C'était tout de même amusant de voir Pierre Strauch s'escrimer au violoncelle électrique fuzz aux côtés de Vincent Segal à la basse, le seul de l'orchestre à oser hocher la tête ! Des trois leçons de Romitelli, la dernière laissa la mieux transparaître la magie de son art, mélange réussi de toutes les musiques "contemporaines ", au sens propre cette fois, au sein d'un langage et d'une syntaxe parfaitement maîtrisés. Les trois cordes, les trois vents, le piano, la percussion y côtoient la guitare et la basse électriques comme la bande électronique sans que cela choque à aucun moment. Romitelli se permet même de faire jouer du kazoo et de l'harmonica miniature à ses interprètes. Tout coule de source, même si c'est celle du Styx.
Pendant le concert, je scrute la salle et constate à quel point elle est éclairée. Généralement, on la noie dans le noir pour focaliser l'attention sur la scène. Dans les concerts de rock, de jazz ou de variétés, on sent bien que ça remue, on n'a pas besoin de souligner sa présence par l'image. Rien à cacher, tout le monde se tient bien. Franchement, même si c'était une belle soirée, cela manquait furieusement de soufre.

vendredi 28 mars 2008

Recompositions d'Aldo Sperber


J'ai d'abord connu Aldo Sperber peintre et sculpteur. Probablement avait-il eu d'autres vies encore avant cela ? J'adorais ses collages qu'il encadrait après leur avoir donné du volume. Dans le salon, Françoise accrocha une valise lumineuse creusée par un petit autel où trône un personnage kitsch en coquillages et posa un vase constitué de deux ampoules électriques évidées, soudées à une forme de poids et mesures et au manche d'une fourchette...
Je n'ai pas été convaincu d'emblée lorsqu'Aldo est passé à la photographie. Lorsque l'on change d'outils et de support, il faut souvent un peu de temps et beaucoup de travail à l'artiste pour retrouver ses billes éparpillées dans cette nouvelle cour de récréation. Et puis voilà, Sperber refonde son site Internet et classe ses œuvres en quatre catégories : extérieurs, intérieurs, monde des jouets, portraits. Toutes forment un ensemble de situations cocasses, d'illusions suggestives, de parties cachées où l'humour se joue souvent sous l'angle des dimensions.
Dans la partie Indoor, on reconnaîtra quatre images du Ciné-Romand et deux où le chat Scotch a prêté sa fourrure. Toy World renvoie les modèles à leur matière plastique, désincarnant les corps pour souligner leur conventionnalisme. Des appendices rhabillent les portraits. Toutes les images, souvent drôles, parfois très inquiétantes, réfléchissent le monde du rêve et de l'inconscient...

jeudi 27 mars 2008

La femme est le prolétaire de l'homme


En jetant un coup d'œil en arrière aux images qui illustrent les billets récents qui s'affichent lorsque je déroule l'écran, je note que beaucoup traitent de femmes lorsqu'elles n'en sont pas les incitatrices. Je ne m'en étais pas aperçu. Le Journal des Allumés est mis en pages par Daphné Postacioglu, Lucie Cadoux m'indique des films d'animation, Anne Montaron nous enregistre en concert avec Ève Risser et Yuko Oshima tandis qu'Agnès Varda nous filme, le blog de Fani croque toute cette jeunesse à belles dents, la voix de Channy Moon Casselle flotte dans le salon, Françoise est partout, Marie-Dominique Robin enquête sur Monsanto, les dessins érotiques de Melinda Gebbie sont magnifiques, Maïwenn signe un film bouleversant, enfin Louise Bourgeois coiffait hier le tout de sa sensibilité et de son intelligence... J'aurais pu remonter jusqu'aux premiers jours du mois, Sonia Cruchon dirigeant l'équipe pour les Ptits Repères, Karine Lebrun, Christine Lapostolle et Danièle Yvergniaux aux Beaux-Arts de Quimper comme Barbara Dennys aux Arts Décos d'Amiens, Marjane Satrapi avec Persepolis, Danièle Huillet laissant seul son Straub, etc.
Le statut des femmes a bigrement changé depuis un demi-siècle. Nous n'entendrons heureusement bientôt plus qu'il y a peu de compositrices ou de grandes peintresses dans l'histoire de l'art. Dans le passé, les femmes devaient arrêter leurs activités créatrices dès lors qu'elles enfantaient. Pour les plus résistantes, leur mari signait à leur place ou elles prenaient un pseudonyme masculin. Les écrivaines ont donné le ton, telle Colette se dégageant de la tutelle de Willy. Combien d'Alma Mahler durent se taire et de Gertrude Kolisch s'effacer devant son Schönberg ? Edward et Nancy Kienholz signent désormais ensemble, comme Christo avec Jeanne-Claude...
Si les femmes prennent le pouvoir en art, elles singent brutalement les hommes en politique ou dans l'entreprise. Là où règne la violence, il n'est pas facile de développer sa spécificité féminine et de s'imposer. La parité passe par l'indépendance. Dans le monde du travail (comme si l'art n'en était pas !), le féminisme a encore de beaux jours devant elles. Dans l'esprit des mâles, tout reste encore à faire, et leurs "compagnes" en sont hélas imprégnées. Les jeunes gens ne peuvent imaginer à quel point le statut des femmes a changé. Elles n'eurent le droit de voter en France qu'à partir de 1944 et d'ouvrir un compte en banque sans l'accord de leur mari qu'en 1965 ! Les combats menés tout au long du siècle dernier portent lentement leurs fruits. Je me faisais régulièrement engueuler lorsque je soutenais que les femmes artistes n'expriment pas la même sensibilité que les hommes. En 1981, lorsque nous engageâmes un tiers de filles dans le grand orchestre du Drame, l'esprit du groupe respira la santé ! Mais chaque fois que nous bouclons un nouveau numéro du Journal, nous nous rendons compte que la gente féminine est encore bien peu représentée. Françoise note tout de suite que tel festival a un jury 100% masculin ou que parmi les films présentés il y a encore si peu de réalisatrices. En 1975, alors que j'étais assistant sur le disque produit par le Parti Communiste célébrant l'année de la femme, le Comité Central refusa la phrase d'Engels qui donne son titre à cet article. Elles sont là, mais on ne leur laisse encore que des strapontins. À suivre.

mardi 18 mars 2008

Retour sur mon duo avec Nicolas Clauss


Donc, le lendemain, pour mon duo avec Nicolas Clauss à L'Échangeur, je n'emporterai pas de clavier. Mon instrument principal devient mon micro devant lequel je chante, joue de la flûte et de la trompette à anche. Je transforme tous les sons en temps réel, les miens comme ceux que Nicolas produit en jouant de ses modules interactifs, avec mon Eventide (une sorte de synthétiseur d'effets que j'ai programmés) et mon AirFX que je module sans le toucher en faisant au dessus de lui des passes "magnétiques" (en fait, optiques, puisqu'il s'agit d'un rayon avec un système de repères en 3D). Jamais nous ne sommes parvenus à faire aussi bien ressortir l'humour grinçant de Jumeau Bar, les effets amplifiant les intentions critiques que véhicule ce petit bar de campagne. Après un White Rituals des plus SM, voix et flûte aidant, j'accompagne L'ardoise avec mon Tenori-on dont je joue ce soir pour la première fois. J'oscille entre le côté kawaï (mignon) des dessins d'enfants et les sujets graves qu'ils évoquent. Lorsque je n'installe pas le cadre, décor qui permettra tous les possibles et parfois même l'impossible, je cherche surtout la complémentarité avec les images projetées par Nicolas. Nous terminons notre petite prestation par de délicats et lugubres Dormeurs qui s'écroulent au combat comme des quilles s'affalant sous leur propre poids et font sonner leur marche ralentie au son d'une martiale trompette à anche. Rebelote. Nicolas et moi sommes aux anges, impatients de recommencer l'expérience du duo, et heureux d'avoir participé à une si belle soirée. Françoise Romand a réagencé quelques extraits de notre prestation pour le petit film qu'elle a réalisé.
Mirtha Pozzi et Pablo Cueco avaient ouvert le bal par leur duo de percussion, avec Étienne Bultingaire aux manettes. Grosse surprise du remarquable jeu théâtral de Didier Petit qui partage la scène avec son violoncelle et le chorégraphe Mic Guillaumes. Final avec Jean-François Pauvros transformant son instrument en vielle et revenant progressivement vers ce qu'elle est, une guitare électrique vrombissante.
Le surlendemain, je vais écouter Pascal Contet maltraitant délicatement son accordéon devant l'installation végétale de Johnny Lebigot, Lucia Recio donnant la réplique aux sculptures en bois que José Lepiez caresse astucieusement, et les WormHoles dirigés de main de maître à l'archet par l'ami Didier Petit, grand organisateur de ce somptueux et malin mini-festival, hôte parfait, qui sait mieux que personne ce que signifie la générosité... Lucia passe d'un registre à l'autre, tantôt grave et bruitiste, tantôt rock et coupant ; Camel Zekri à la guitare en demi-teintes et Edward Perraud au jeu inventif et grinçant, Bultingaire aux effets métropolitains complètent ce quintet original dont la clarinettiste Carol Robinson est l'invitée et que je n'avais pas revue depuis l'enregistrement de Sarajevo (Suite). À l'entrée (et à la sortie !), Théo Jarrier et Hervé Péjaudier tiennent la boutique de disques installée sur des tréteaux de fortune et ça marche. Lors du concert au Triton, les vinyles du Drame étaient partis comme des petits pains, les plus jeunes étant friands de 33 tours. Même succès pour le nouveau Journal des Allumés que je suis allé chercher à l'imprimerie de Montreuil, livré en primeur à L'Échangeur... (à suivre)

lundi 17 mars 2008

Retour sur le concert avec Donkey Monkey


J'attendais que Françoise Romand ait monté cet extrait de notre concert pour revenir sur ma rencontre musicale avec Donkey Monkey, le duo formé par la pianiste alsacienne Ève Risser et la percussionniste japonaise Yuko Oshima. Le résultat fut à la hauteur de nos espérances. La complicité humainement partagée s'est laissée transposer naturellement sur la scène du Triton. La première partie, s'appuyant sur des morceaux du duo, était plus popisante tandis que la seconde, basée sur mes programmations virtuelles, était plus explosée. Comme chaque fois, il en faut pour tous les goûts et nous avons entendu assez de commentaires pour saisir que les uns ou les autres préfèrent tel ou tel morceau. C'est toujours ainsi. Si l'on écoute les avis des spectateurs, il faut en récolter suffisamment pour que tous les passages trouvent leurs admirateurs ou leurs détracteurs. Tout entendre, mais n'en faire qu'à sa tête, en l'occurrence un être tricéphale dont les méninges carburent au-delà de la vitesse autorisée. Après cette première rencontre sans véritable répétition, nous nous sommes découverts dans l'action. Je perçois ce que je pourrais améliorer à mon niveau : soigner les codas et développer les complicités avec chaque musicienne indépendamment de leur duo, dramatiser mon apport par des ambiances de reportage et des évènements narratifs, étoffer mon instrumentation acoustique lorsque les morceaux durent plus que prévu, par exemple j'emporterais bien le trombone et le violon vietnamien, mais je supprimerais les projections sur écran difficilement compréhensibles pour le public en les remplaçant par des compositions où l'improvisation libre se construit autour de modèles dramatiques.
J'en saurai plus après avoir écouté l'enregistrement de la radio. Nous avions en effet commencé la soirée par un petit entretien avec Anne Montaron puisque France Musique diffusera la soirée le 23 avril à 22h30 dans le cadre de son émission "À l'improviste".
Les filles ont lancé le mouvement, je les ai rejointes en commençant à jouer depuis les coulisses avec un petit instrument improbable que j'ai acheté dans un magasin de farces et attrapes il y a près de 40 ans ! C'est une sorte d'appeau dans lequel je dois souffler comme un malade pour en sortir de puissants sons de sax suraigus. Sur le dessus de cet instrument tricolore affublé d'une petite percussion en métal sur bois, je bouche le trou unique pour rythmer mes phrases. J'accompagne mon solo de déhanchements suggestifs tandis que je rencontre l'objectif d'Agnès Varda venue filmer notre performance en vue de son prochain film provisoirement intitulé Les plages d'Agnès. Mes guimbardes tiennent alternativement le rôle de basse et de contrepoint rythmique au duo excité du piano et de la batterie. Le second morceau est plein d'humour, Ève et Yuko chantant en japonais un blues nippon que j'accompagne avec des effets vocaux qui vont de l'électroacoustique déglinguée à des imitations yakuzesques de comédiens nô. La première partie se clôt sur un longue pièce de pluie où les sons tournent des unes à l'autre sans que l'on ne sache plus à qui sont les gouttes qui éclatent ici et là. Ève a préparé le piano avec des tas de petits objets étranges tandis que Yuko est passée au sampleur... Après l'entr'acte, les filles s'amusent à suivre ou contrarier de nouvelles gouttes, cette fois sorties tout droit du diagramme de FluxTunes projeté sur l'écran derrière nous, ping-pong qui nous oblige à rattraper les notes comme si c'était des balles. Les trois garnements étalent ensuite leurs jouets pour trois petits solos et une coda en trio (carillon, toy-piano, jeu de cloches, synthétiseurs et Theremin à deux balles) suivi d'un duo de pianos où Ève doit sans cesse rebondir face à mes quarts de ton renversés. Nous terminons par un zapping de ouf où je joue du module Big Bang face aux deux filles qui usent, abusent et rusent irrévérencieusement avec leur répertoire pour me couper systématiquement et alternativement la chique. Le petit rappel est on ne peut plus tendre, Ève s'étant saisie de sa flûte traversière, Yuko nous enchantant de sa langue maternelle et ma pomme terminant dans le grave de ma trompette à anche. Nous espérons maintenant pouvoir remettre ça un de ces soirs, ça, une véritable partie de plaisir !
Sauf les rares jam-sessions où je ne jouais que du Theremin, c'est la première fois que je jouais aussi peu de clavier. Mes touches noires et blanches et mes programmes construits au fil des années incarnent une sécurité dont je souhaite me débarrasser. Aussi, le lendemain, pour mon duo avec Nicolas Clauss à L'Échangeur, je n'en emporterai carrément pas... (à suivre)

mercredi 12 mars 2008

Répétition avec Donkey Monkey


Françoise filme les répétitions qui ont lieu au Studio GRRR. Il y a du vent, dans le jardin les clochettes tintent avec véhémence, et de la fenêtre on voit le forsythia et le cognassier du Japon, branches constellées de petites fleurs jaune ou rouge. Yuko Oshima joue de la batterie Gretsch, que nous a prêtée Le Triton (où nous jouons demain jeudi), et d'un échantillonneur virtuel qu'elle transforme avec des effets analogiques. Tandis qu'elle chante en japonais, je fais le yakuza en prenant une voix grave et rauque, on s'y croirait. Je me suis entraîné avant et pendant mon voyage au Japon en 1996 lorsque nous avons monté les expositions sur la fête foraine à Kumamoto et Osaka avec Raymond Sarti et Zeev Gourarier. Ève Risser est obligée de "préparer" mon grand Yamaha droit, un U3, mais elle aura heureusement un piano à queue pour le concert. Elle chante aussi en japonais et joue de la flûte traversière. Ni l'une ni l'autre, nous n'emporterons nos Theremin comme nous l'avions annoncé, nous avons suffisamment de matériel à trimbaler comme ça. J'utilise beaucoup ma voix que je transforme avec le H3000, je joue de petits instruments à anche et des guimbardes, j'ai mon sempiternel synthétiseur VFX et les machines virtuelles, développées avec Frédéric Durieu, que je projetterai sur un écran au-dessus de moi et dont je transforme les sons avec un effet dont l'interface est un rayon infra-rouge en 3D. Nous nous entendons bien, c'est un régal. J'apprécie beaucoup notre façon de procéder, en évitant de trop répéter, mais en mettant en place la suite des morceaux, choisissant les timbres, évoquant nos intentions, soignant les transitions. La première partie est constituée de pièces du répertoire de Donkey Monkey sur lesquelles je me greffe et que les filles adaptent à la situation. Je donne le ton de la seconde, cette fois c'est à Ève et Yuko de rentrer dans mon monde. Il y a encore des zones de flou que nous devons mettre au clair aujourd'hui. C'est drôle comme j'ai passé une bonne journée à les écouter et à m'égosiller devant le micro, mais je suis ratatiné, comme elles d'ailleurs. Nous devons encore prendre le temps de nous reposer et de préparer le matériel. C'est la partie que j'aime le moins de ce travail, je risque chaque fois de me coincer le dos, alors je rêve d'une salle de spectacle où tout serait installé et où je n'aurais plus qu'à jouer...

jeudi 21 février 2008

Les miettes du purgatoire


Formidable ! Des téléspectateurs ont enregistré le court-métrage que Françoise Romand avait réalisé pour Strip-Tease et l'ont mis en ligne, ce qu'elle ne pouvait se permettre. En effet, la nièce des deux jumeaux a demandé que Les miettes du purgatoire ne soit plus diffusé à la télévision. Or cette interdiction a fait plus de publicité au film que si il était resté un épisode parmi d'autres de la célèbre série. Il est, grâce à elle, devenu "culte" et Internet permet de découvrir ce petit joyau qui tranchait déjà avec le style de Strip-Tease. Car Françoise ne se moque pas de ses personnages, elle vibre en compassion avec eux comme dans toutes ses autres œuvres. Cette tendresse a chaque fois tissé une complicité avec celles et ceux qu'elle filmait, lui permettant de tourner comme personne.
Les deux parents sont aujourd'hui décédés, et seul reste en vie l'un des deux frères, Yves, qui ne voit d'ailleurs aucun inconvénient à ce que le film soit projeté. À la mort d'Alain, la famille aurait aimé brûler tous ses tableaux, effaçant ainsi ce qui pouvait sembler incorrect dans cette morale morbide qui compose le charme discret de la bourgeoisie.
Il est passionnant de mettre en relation Les miettes du purgatoire et le long-métrage Mix-Up ou Méli-Mélo que Françoise tourna sur deux bébés échangés à la naissance, jumelles à leur manière croisée. À propos de Mix-Up, voir le site DVDBeaver qui a récemment réalisé une page autour du film avec de belles captures d'écran.

dimanche 16 décembre 2007

Connexion Internet itinérante illimitée


Tandis que je prends ma première photographie avec mon iPhone, je m'aperçois que l'appareil est en train de relever mes mails alors qu'il n'y a aucun réseau wifi dans le hall du Théâtre de Chaillot. Je m'en inquiète le lendemain matin auprès d'Orange qui m'apprend que le réseau Edge le permettant est compris dans le forfait et ce de façon illimitée. Je crains évidemment quelque facture exubérante qui additionnerait les suppléments imprévus. Le préposé me met par contre en garde contre la même opération si je me trouvais à l'étranger. Il en profite pour essayer de me vendre une assurance à 9 euros par mois couvrant la perte, le vol, avec fourniture express d'un nouvel appareil, l'iPhone étant une marchandise extrêmement convoitée par les voleurs à l'arraché. Il paraît que la soirée de lancement fut une aubaine pour les adeptes de ce sport brutal.
Hier soir, comme nous étions coincés dans un embouteillage, Françoise me suggère de regarder le site Sytadin depuis mon portable. Je n'y avais pas pensé. L'habitude est de regarder sur mon ordinateur comment ça roule avant de quitter la maison, mais cette fois j'ai oublié. Je suis épaté d'arriver à me connecter depuis le périphérique alors qu'il n'y a aucun réseau wifi. J'en profite pour envoyer un mail à Pascale depuis la voiture et cela fonctionne parfaitement depuis mon compte Gmail, sans coût supplémentaire. Je trouve juste que la batterie s'épuise assez rapidement. Plus tard, au lieu de faire des kilomètres à pieds inutiles pour rejoindre les amis, j'aurais dû penser à cliquer sur leur adresse, le plan se serait ouvert, un peu comme si j'avais eu un GPS, option encore inexistante sur l'iPhone. N'empêche que je suis aux anges avec mon nouveau jouet...

mercredi 5 décembre 2007

Rose, 80 ans


Françoise a passé un temps fou à trouver la bonne compression du petit film qu'elle a réalisé pour l'anniversaire de sa maman. Faute d'être tous là, elle avait demandé aux amis et amies passés à La Ciotat depuis vingt ans d'envoyer à Rosette un petit mail pour fêter ses 80 ans. Pour adapter en film cette littérature épistolaire, Françoise a choisi iChat. Dessinant quatre plans se partageant le cadre, le dispositif met en scène tous les protagonistes, y compris YouTube qui imprime sa marque en bas dans le coin. Elle s'y entend pour tourner les moments de vie en fête inattendue. Les réponses se sont précipitées à l'image de l'accueil ciotadin que ses parents ont prodigué à tous les amis de passage. Rosette ne se laisse pas distancer par les nouvelles technologies, nageant dans le bain virtuel comme dans la Méditerranée qui rafraîchit le bas de la colline juste en dessous de chez elle.

mardi 27 novembre 2007

Le panache


Pour conclure le délicieux dîner vietnamien composé par Claire d'un phó et d'un poulet au saté, Sacha, qui a d'autres talents que celui de designer sonore, avait apporté de quoi élaborer le dessert. Sur un épais coussin de crème Chantilly à la fleur d'oranger et au sirop d'érable trônait une pâte de dattes au réglisse et mandarine entourée de pépins de grenade, pignons et petits morceaux de pommes. Le syphon qu'il utilise également pour de savantes émulsions me rappelle mon père qui avait l'habitude de s'en faire une montagne recouvrant son assiette. Pfruuuuuit de Chantilly... Ma mère lui faisant remarquer qu'il était tout de même au régime, il répondait que ce n'était "que du Luft", de l'air !
Légers et aériens, les petits carnets de Claire imprimés sur des marges de papier se déplient pour nous emporter au dessus des nuages tandis que ses photographies nous plongent dans des abysses en suspension. D'une balade interactive à Tokyo à la contrebasse chorégraphique de Youen Cadiou, Claire promène une sensibilité féminine à fleur de peau, confrontant les corps aux éléments, en mouvements amples et sensuels. Les quatre carnets font un cadeau très mignon quelle que soit la saison (4 euros l'un, 14 l'ensemble). D'une planète à l'autre, Étienne fit une démonstration de Super Mario Galaxy sur Wii Nintendo, tandis que Karine et Françoise se défonçaient en échangeant quelques balles. Goûtant peu les jeux d'adresse, malgré l'impression physique étonnante que procurent les manettes vibrantes et sonorisées, je restai à la fenêtre avec le panache qui avait décoré mon assiette.

mercredi 7 novembre 2007

XXO, la mecque du design vintage


À Romainville, dans un hangar abracadabrant de 3500 m2 s'entassent ou s'exposent des milliers de divans, fauteuils, bureaux, tables, luminaires rassemblés par trois fondus de mobilier design qui ont commencé en chinant aux Puces de Vanves et Saint-Ouen. Leur collection, digne d'un musée, couvre les années 1950 à 2000. C'est à louer ou à vendre, et il y en a pour toutes les bourses, tout dépend des créateurs évidemment : Peter Shire (j'adore Memphis), Eames, Panton, Gehry, Starck, Paulin, Leonardi, Thor-Larsen, Humberto & Fernando Camapana, Mourgue Colombo... Le catalogue de XXO est en ligne sur leur nouveau site et la grotte d'Ali Baba est ouverte au public du lundi au vendredi de 9 h 00 à 18 h 30 sans interruption. Un émerveillement.


À part vendre aux entreprises ou aux particuliers, XXO loue évidemment son mobilier pour le cinéma et la télévision. Je m'extasie devant les meubles vintage, la plus importante collection en Europe de mobilier des sixties et des seventies. Si tous les copains décorateurs connaissaient l'adresse, Françoise l'a trouvée dans le Parisien en sirotant son café au coin de la rue. Elle a craqué pour un petit divan bleu et vert transformable en conversation que l'on aperçoit dans Le rêve du chat. Les deux dossiers en quart de cercle peuvent pivoter chacun jusqu'à 180°.

dimanche 4 novembre 2007

Grand-mères courage


Lors de sa dernière visite à New York, Françoise a réalisé un petit film sur les grand-mères américaines qui manifestent contre Bush, intitulé ''Les mamies font de la résistance''. Elles militent contre l'intervention américaine en Irak et pour le retour des soldats américains. Voilà quatre ans que les Grandmothers Against The War se rassemblent tous les mercredis sur la 5ème Avenue, devant le Rockefeller Center. Cette Granny Peace Brigade a fait des émules dans quinze autres grandes villes des États Unis. Même si elles ont été arrêtées, poursuivies en justice (et acquittées), les octogénaires n'en démordent pas, elles se battront jusqu'au bout contre la guerre en Irak ou ailleurs. Brandissant des banderolles, distribuant des tracts contre le recrutement, demandant à s'engager elles-mêmes dans l'armée, elles se sont assises sur le trottoir (pas facile à leur âge !) et elles ont marché...
Merci à Nydia pour les informations et à toutes les grand-mères courage (elles ont entre 60 et plus de 90 ans) qui nous montrent que l'âge n'empêche pas de vivre !

lundi 29 octobre 2007

Françoise sur eBay


Françoise s'est évité un déménagement en vendant ses meubles de Barbès sur eBay. Bonnes affaires pour celles et ceux qui ont remporté les enchères. Le lit à baldaquin est parti à 2,50 euros ! Tout n'a pas été aussi catastrophique heureusement. Il reste encore quelques bibelots qu'elle brique avant de les placer sur le site marchand. Elle a un peu de mal à s'organiser pour éviter que les enchères se terminent un vendredi ou un samedi soir. Plus on laisse l'objet longtemps en exposition, plus l'enchère peut grimper, puisque le nombre des clients potentiels augmente sur la durée. Les prix de réserve dissuadent les acheteurs, alors souvent Françoise démarre à un euro. Elle fait des photos de tout cela sous tous les angles, et hop ! Le seul problème, c'est que son désir d'acheter est aussi fort que celui de vendre, délire partagé par de nombreux eBayeurs. Ceux qui se sont déplacés pour emporter leurs lots étaient tous au demeurant charmants.
Parfois il y a des anicroches, pas en ce qui la concerne, mais la Poste a perdu la magnifique paire de lunettes Matsuda que Bernard avait achetée à Donna en Floride. Vous avez alors soixante jours pour vous plaindre et régler le litige.

samedi 6 octobre 2007

Nabaz'mob à Amiens pour la Nuit Blanche


Nous partons ce matin à Amiens pour présenter Nabaz'mob, notre opéra pour 100 lapins communicants. La ville a adhéré à cet évènement initialement parisien, qui s'est en outre étendu à plusieurs capitales étrangères. Antoine et moi dirigerons la meute de ces coquins à 21h et 23h à l'Auditorium Dutilleux. En dehors des œuvres ou des spectacles, la Nuit Blanche est une occasion de sortir et de parfois découvrir des lieux alternatifs dans son quartier. L'année dernière, nous avons eu la surprise de constater un nombre incroyable d'initiatives dans le nôtre, une nuit off en marge de la programmation officielle ! La Nuit Blanche proprement dite est une opportunité pour nombreux artistes de toucher un large public avec des installations artistiques ambitieuses, difficiles à monter dans des conditions ordinaires.
Ce n'est pas le cas de nos 100 lapins qui ont commencé à gambader de ville en ville, s'échappant de la tâche domestique pour laquelle ils ont été initialement programmés. 100 rebelles parmi 200 000 Nabaztag vendus à ce jour ne peuvent mettre en péril le succès de la petite bête. Chacun sait pourtant que les révolutionnaires constituent une force dynamique qui permet au système de perdurer en l'empêchant de s'endormir sur ses acquis.
Pour ne pas reproduire les problèmes de synchro, donc de tempo, rencontrés à Nantes (interprétation au demeurant fort intéressante !), nous emportons trois routeurs beaucoup plus puissants, des ombrelles, comme à New York. Sur le site de l'opéra, nous avons récemment ajouté les derniers articles de presse (Le Monde, Libération, 20minutes...) et le court reportage tourné par France 3. La caméra d'Antoine s'étant enrayée à Nantes, nous comptons filmer le spectacle cette fois-ci. Nous savons que le film de Françoise a été déterminant dans la tournée de Nabaz'mob. Antoine me raconte que, lors d'une création d'Atau, il a vu débarquer une équipe de télé au complet pour pouvoir ensuite vendre la performance à des festivals. Il n'y a rien de plus convaincant qu'une vidéo.
Lorsque nous dirigions le grand orchestre d'Un Drame Musical Instantané (1981-1986), Youenn Le Berre et Didier Petit m'avaient reproché d'éditer systématiquement l'enregistrement des premières représentations qui étaient fatalement moins au point que les suivantes. Pour des petites structures comme les nôtres, si nous n'avions pas produit le disque de la première, il n'y aurait probablement pas eu de seconde. Vingt ans plus tard, je rééditerais bien les enregistrements originaux augmentés de quelques captations plus tardives.
En ce qui concerne Nabaz'mob, nous n'avons pas eu ce problème, même si chaque représentation s'avère différente, selon les conditions techniques (phénomènes aléatoires de la programmation) et scéniques (disposition et sonorisation variables). Nous attendons chaque nouvelle interprétation de nos petits robots avec la plus grande joie et curiosité.

dimanche 16 septembre 2007

Un plan de Paris


Françoise se débrouille toujours pour partir au dernier moment, en oubliant ci ou ça et à me stresser alors que je ne suis même pas du voyage. Une névrose en vaut une autre, je suis plutôt du genre à partir une demi-heure en avance. La ponctualité stigmatise bien des comportements. J'avais donc commencé la journée par chercher l'adresse de Xana sur le plan de Brooklyn pour que Françoise arrive à bon port, les taxis jaunes se perdant souvent dès qu'ils sortent de Manhattan (MapQuest est l'équivalent de Mappy). De son côté, elle réussit à faire faire demi-tour au taxi bleu, pensant avoir oublié ses lunettes qui étaient évidemment dans son sac.
L'après-midi, plus calme et ensoleillée, s'est déroulée en sauts de puce dans le XIème et le XXème au guidon de mon Brompton que je réparai avec succès, mais non sans mal. Il est enfin doté de quatre petites roues pour le traîner façon caddie et d'un feu arrière qui fonctionne ! Hormis la marche à pieds, y a-t-il un moyen de locomotion plus agréable que la bicyclette pour découvrir Paris ? Depuis que je roule sur deux roues, j'ai l'impression d'être en vacances lorsque je conduis et de découvrir la ville comme un touriste. Je m'arrête sur les ponts qui enjambent la Seine, je regarde les vitrines, les cariatides qui ornent les façades, les passants... Et je fais des photos comme si c'était des cartes postales. Celle-ci, prise depuis le toit du Musée du quai Branly, montre le contraste de trois époques : ça, c'est Paris ! Nouvel, Eiffel et je ne sais qui. J'ai également profité de ma journée off pour me faire ratiboiser la colline avant de remonter celle de la Porte de Ménilmontant.

samedi 15 septembre 2007

Paris-Lorient-Paris dans la journée


Passant par la rue du Départ (sans recevoir 20 000 balles) pour m'éviter les dix minutes de couloirs souterrains de la station Montparnasse au quai du TGV, je tombe sur une vitrine des Galeries Lafayette avec nos lapins fétiches : en reflet, Shoot 'em Up (Descendez-les !) ; sur l'écran : A priori il n'y a aucune raison... Belle annonce pour la reprise de notre opéra à Nantes la semaine prochaine pour le Festival Scopitone !
Dans le train, une vieille dame ronchon hurle "Vous n'avez pas soif, derrière ?". Elle n'arrêtera pas de se retourner jusqu'à s'en prendre à ma voix "porteuse"... "Un vrai moulin à paroles !". Difficile de dire le contraire. Si je parle pourtant tout doucement, ma gamme de fréquences ressemble bigrement à la sienne. Elle n'arrive pas à se concentrer sur son magazine pipole. J'ai beau faire des efforts de murmures, ses tympans vibrent en sympathie avec mes cordes vocales. Nous préparions discrètement notre entretien concernant l'appel d'offre pour une installation muséographique immersive projetée sur onze écrans. Nous faisons rire nos interlocuteurs en divaguant sérieusement sur l'océan, mais cela ne peut encore en rien augurer de leur choix. Il faisait beau, l'air était pur, comme un parfum de vacances, un leurre.
J'aurais souhaité prendre un cliché breton, hélas la ville reconstruite après les bombardements alliés est aussi lisse qu'un centre commercial. J'entends tout de même une mouette à l'instant de grimper dans le TER bondé qui m'emporte vers Rennes. Arrivé à Paris, il n'y a pas de taxi. Il n'y a jamais de taxi à la Gare Montparnasse. Je finis par en alpaguer un à Vavin qui ferait bien le tour de Paris pour me ramener à la maison. Je suis pressé de rentrer, Françoise s'envolant dans quelques heures pour New York où elle va préparer la ressortie de ses films sur le territoire américain. L'histoire se répèterait-elle ?

samedi 8 septembre 2007

Aldo scotché


La couleur des photographies d'Aldo Sperber (liens vers PictureTank, films et Ciné-Romand) est souvent franche, comme les cases d'une bande dessinée dont la colorisation crue oriente la lisibilité du scénario. Instants posés sans référence cinématographique, les images arrêtées s'insèrent dans une action entre un avant et un après. Les modèles semblent poser pour un peintre. J'ai évidemment choisi cette image à cause de Scotch. Évaluant le danger, le chat joue de ses prunelles vertes tandis que la marionnette rouge sang est suspendue au hors champ d'une fenêtre que l'on devine. Françoise et moi avons prêté décor et accessoires contre chacun un galurin de la styliste Catherine Cardine, rue du Faubourg Saint-Honoré, dont Aldo photographie toues les collections. Sur le divan de la salle de cinéma, Sophie, journaliste de rock, tient les ciseaux du coupeur de pouces de Crasse-Tignasse.

mercredi 22 août 2007

Répit


Même couleurs pour Françoise en plissé d'Issey Miyake et Pascale en gentille woman fermière servant leur petit déjeuner à Dada, Flika et Pilgrim tandis que Bambou et Médor, hors champ, gambadent allègrement dans la prairie attenante. Toute une faune gardoise, moustiques nocturnes et matous matois inclus, volettent et se frottent à nous aux heures des siestes du Midi. Jean travaille sa flûte zavrila dans une chambre du fond pendant que Mathilde roule vers Nîmes où Björk, ce soir, envahira les arènes. Je ne fais rien.

lundi 20 août 2007

Du poisson frais au soleil


Après le lever du soleil, on n'attrape plus rien. Tout se passe à l'aube ou au crépuscule. Jean-Claude a pêché un monstre de près de 4 kilos, appelé denti à cause de ses dents pointues, et des bias, une sorte de maquereau espagnol. Les petits sont beaucoup plus vivaces que le gros. Si l'on tire trop fort sur la ligne, ils la cassent vite fait. La photo tient des poids et haltères. Le denti suffit à huit gourmands pour le repas de midi, les bias pour le dîner et il en reste pour aujourd'hui.
Ce matin, nous devions nous lever aux aurores pour accompagner le père de Françoise sur la Cuilleras, son pointu ou barquette marseillaise, mais le Mistral s'est levé, donc pas nous. L'an passé, nous avions fait une pêche miraculeuse de sévereaux. Une autre fois, j'avais rapporté un petit baracuda. Jean-Claude connaît les coins comme sa poche et la manière de les approcher... Il sait aussi les cuisiner !

dimanche 19 août 2007

Troc


Pascale a eu pitié de mes oignons et nous a invités dans son havre de paix où nous la rejoindrons dans quelques jours. Au vu des prix pratiqués par la SNCF en période estivale lorsque l'on ne s'y prend pas trois mois à l'avance, nous avions décidé de rester là malgré mon impérieux besoin de changer d'air. Françoise a tenté le coup sur Trocdesprems et miracle, elle a dégotté deux billets pour Toulon à 20 euros ! Il ne restait plus qu'à trouver quelqu'un pour la maison et Scotch, et nous voilà repartis sur la route. Première escale, La Ciotat, sa plage, ses poissons, ma seconde famille.
À Paris, je n'arrivais plus à me reposer. Il fallait recharger les batteries en vue d'une rentrée qui s'annonce animée : les lapins toujours, Nabaztag lui-même et l'opéra avec Antoine qui réunit cent de ces petites bêtes (représentations les 19 et 20 septembre à Nantes pour Scopitone, le 6 octobre à Amiens pour la Nuit Blanche, le 20 à Amsterdam...), la suite des enregistrements avec Franck Vigroux, de nouvelles écoles où dispenser la bonne parole du son sur l'image (Autograph, Sainte Geneviève...), les finitions du film de Pierre-Oscar, un Pop'Lab pour Annick, le nouveau numéro des Allumés, etc. Idem pour Françoise qui prépare son nouveau Ciné-Romand et la rétrospective de ses films à l'Entrepôt, Peep-Chat avec le Théâtre Paris-Vilette, la sortie dvd de Appelez-moi Madame, etc.
Mais oublions tout ça et consacrons-nous aux joies de la villégiature ! Pour me mettre dans le bain, je picore tomates, raisins, figues, prunes et dévore à pleines dents les canards sauvages que les filles ont plumé pendant que je plantais un poivrier et un caprier. Jean-Claude part à la pêche à cinq heures du matin, mais je n'ai pas le courage de me lever pour l'accompagner...

vendredi 3 août 2007

Amie Siegel fait fondre le réel


Quittant Berlin où elle avait été artiste en résidence et passant voir Françoise à Paris avant de rejoindre Harvard où elle venait d'être nommée en charge du cinéma expérimental, Amie Siegel avait sous son bras deux films.
Le premier, Empathy, est un long métrage sur l'intimité des rapports entre le psychanalyste et son patient. Les psys sont réels, tandis que les patientes sont jouées par des comédiennes, mais rien de cela ne se voit tant la direction d'acteurs est maîtrisée. Cela se comprend lorsque la réalisatrice américaine le souhaite pour aussitôt nous le faire oublier. Si la plupart des praticiens ronronnent d'une langue de bois pare-feu, celui que j'appelle "le crocodile" se livre à l'objectif avec une sincérité hors du commun. Derrière la fente de ses yeux, on sent l'animal prêt à bondir. Mais la patiente n'est pas une proie envisageable et il refermera ses mâchoires sur ses propres fantasmes. Amie Siegel laisse traîner ses clefs pour offrir aux spectateurs les indices de la relation qu'entretient la cinéaste avec ses sujets : la perche entre dans le champ, Amie fait mine d'apprêter sa comédienne, extraordinaire Gigi Buffington, comme si la caméra ne tournait pas encore, le début même du film montre que les tricheries sont de mise comme dans tout documentaire (documenteur explicité par Varda !), les auditions pour le rôle principal sont-elles jouées ou vécues, etc. La passe est réussie lorsque le plateau de jeu bascule, le transfert s'opérant, le psy glisse du fameux fauteuil au divan d'Amie !


Amie Siegel avait découvert les copies des films que Françoise avait laissées dans les archives de l'Université d'Harvard à Boston. Elle avait été impressionnée par Mix-Up comme par Appelez-moi Madame (Call Me Madam). Le premier est sorti en dvd chez Lowave, le second pourrait être édité prochainement. Toutes deux aiment mêler documentaire et fiction, jouer des faux-semblants et entraîner leurs personnages réels sur les pentes taquines de la reconstitution et de la mise en scène. Sublime coïncidence, Amie reconnaît la monteuse, Maguy Alziari-Siegel, en photomaton sur le générique de Mix-Up, c'est la femme de son cousin américain à Paris. En regardant le second film qu'elle nous a laissé nous comprenons qu'Amie est une réalisatrice avec de beaux jours devant elle. Françoise me dit qu'elle a déjà ressenti cette complicité lorsqu'elle rencontra Atom Egoyan il y a vingt ans... Ce n'est pas tous les jours que l'on fait de pareilles rencontres.


Le court-métrage Berlin Remake est une installation pour deux écrans (split screen). Le bonus montre le film in situ dans le cadre d'une exposition. Sur l'écran de droite sont projetées plusieurs séquences de films est-allemands des Studios DEFA entrecoupées de noir, sur celui de gauche Amie Siegel montre les mêmes lieux qu'elle a filmés à plusieurs décennies de distance. Elle a conservé le son de "l'original". Si les cadres et les mouvements de caméra sont identiques, la réalisatrice a, cette fois encore, joué de la mise en scène pour parfaire l'illusion. Elle a disposé des personnages aux places stratégiques du cadre comme le monteur cherche les contrastes de lumière pour réussir ses passages d'un plan à un autre. Mais ici voir les deux images en même temps troublent le regard, exhorte l'émotion et la réflexion, nous renvoyant à notre propre histoire. Le cinéma n'est-il pas l'art de reproduire les émotions passées de chacune et chacun ? Cantonner l'installation à une évocation du temps qui passe dans un endroit, il est vrai, chargé de sens, Berlin Est, est une grave erreur. C'est la sempiternelle question de l'identification qui est nous est renvoyée par ce miroir sorcier, une glace à trois faces où le visiteur, à son tour, devient l'acteur d'un monde imaginé par la metteuse en scène. Berlin Remake est un pas de plus vers l'immixtion de la fiction dans le réel et sa réciprocité. Une mise en abîme qui défie la loi des genres.

dimanche 29 juillet 2007

Nabaztag en Russie : 100 Набазтагов в Центре Помпиду


100 Набазтагов в Центре Помпиду
Видео
Юлия Выдолоб / Рецензии / 1 из 86 Обозреватель
«Афиши»
Nabaztag — это пластмассовый заяц, который подключается к Wi-Fi, шевелит ушами и мигает светодиодами. Сразу надо сказать, что практической пользы от него вообще никакой. Конечно, вам будут рассказывать, что зайчик еще может читать новости на английском и французском, проигрывать mp3-файлы, оповещать, что пришла почта, работать будильником и так далее. Но, согласитесь, все это можно делать и без зайчика. А вот когда видишь, как пластмассовое существо медленно поводит ухом и пускает по животу ряд разноцветных огней — вот тут спокойными остаются только самые бессердечные. Патологическую любовь с первого взгляда — или по крайней мере жгучий интерес — Nabaztag вызывает практически у каждого. И зачем он мигает, в принципе, уже неважно (хотя мигает он потому, что ищет сеть, или принимает сообщение, или читает RSS-поток, или не нашел сети и т.п., — все это подробно расшифровано на nabaztag.ru). Поклонников у зайчика в мире уйма. Они наряжают его в очки и покупают наборы цветных ушей, фотографируют в цветущем саду и выкладывают во Flickr; а два француза и вовсе собрали сто Набазтагов и заставили их синхронно мигать и издавать звуки в Центре Помпиду (см. youtube.com). Смотрится это по-настоящему жутко.
17 июля 2007 г.
En illustration du site russe, on retrouve le film que Françoise a tourné sur la création de notre opéra au Centre Pompidou. Représentations de Nabaz'mob prévues à Nantes (Scopitone, 20 septembre), Amiens (Nuit blanche, 6 octobre), Amsterdam (20 octobre).
Versions anglaise, américaine, espagnole, italienne, allemande de Nabaztag déjà disponibles ou en cours d'enregistrement (même ce dimanche !). Le lapin viserait-il à devenir maître du monde ? HAL s'inquiète.

samedi 7 juillet 2007

Version censurée en ligne sur Free TV perso


J'ai raconté l'histoire du film de Françoise, Si toi aussi tu m'abandonnes, le 16 avril et annoncé le lancement de TVPerso sur le canal 13 de la FreeBox dimanche dernier. En voici une application, la version censurée par la télévision est accessible sur VideoClub en tapant le code 33642 ou en cherchant dans Divers. Cinquante deux minutes pour apprécier la différence si vous êtes abonnés à Free et que vous avez vu la version formatée produite par Image et Compagnie, la société de Serge Moati, lorsqu'elle est passée sur France 3. Une occasion exceptionnelle de voir le film tel que Françoise Romand l'a réalisé, avant les coupes et les ajouts, avant que tout ce qui concerne la religion, les Scouts d'Europe (liés au Front national) et la famille adoptive du jeune Colombien soit censuré, avant que le film ne devienne un portrait à charge... L'idéal serait de pouvoir comparer les deux versions, ce qu'a rapporté Poptronics lors de la projection aux Beaux-Arts programmée par Addoc... L'Humanité d'hier vendredi consacre une page sur le documentaire en danger dont un article sur l'histoire de ''Si toi aussi tu m'abandonnes'' signé Marie Barbier.

Lire la suite

mercredi 6 juin 2007

Rémanence


Perception rétinienne de la machine. Sur iChat, l'écran conserve la dernière image de notre conversation. Depuis l'intégration d'une caméra aux derniers Mac, les échanges vidéos se multiplient. Pierre-Étienne me montre son épaule trois fois démise et parle de son métier de pilote de Boings depuis le village de Navata en Catalogne, Fred me laisse espérer des nouvelles de FluxTune depuis son château de St Laurent-le-Minier, Françoise envoie ce cliché ciotaden alors que je prends congé de Giraï qui, malgré ses 97 ans, jubile de ces avancées julesverniennes. C'est devenu très simple. Il suffit d'un double-clic pour amorcer la connexion. Ce n'est pas qu'un gadget pour se voir en plus de s'entendre. Je montre une mise en pages, vérifie des numéros, précise les dimensions d'un objet... Plein écran. Nous nous amusons à faire courir deux réalités simultanées comme dans le projet iKitchenEye de Françoise. On peut s'y mettre à trois ; une foule d'applications vont se découvrir d'elles-mêmes.
Derrière moi, on aperçoit la valise d'Aldo Sperber, des années où il réalisait plus de sculptures que de photographies. La figurine dans la cavité centrale s'allume le soir, comme un autel païen à une divinité du voyage. Si c'est cela, c'est raté, je fais du sur-place. Je suis en peignoir de bain malgré une heure très avancée de la journée. J'ai beau commencer très tôt, 6 heures ce matin, j'ai du mal à m'arrêter de travailler. Même pour aller faire ma toilette. Si je suis invité à une vidéo-conférence, je fais attention de ne pas être à poil ! Je me débrouille néanmoins pour ne pas faire le tour du cadran dans cet état. Ce serait déprimant, destructurant. Sur la capture-écran, je vois ma fausse incisive qu'il faudrait remplacer. Auparavant, on s'en rendait compte seulement lorsqu'elle était éclairée par une lumière noire. Ma main expose impudiquement ses lignes à tous les chiromanciens.

vendredi 4 mai 2007

À côté de mes pompes


Le spectacle d'hier soir au Triton a été un plaisir sans mélange. Les neuf étudiants des Conservatoires s'en sont sortis comme des chefs. Quant à Somnambules, j'ai pu jouer avec Éric dans la même complicité que j'ai entretenue avec Francis et Bernard dans le Drame pendant des années. Étienne a fait planer son lyrisme au-dessus de nos rythmes emmêlés. Nicolas n'a plus qu'une idée, c'est de recommencer. J'y reviendrai, évidemment.
Mais ce matin, en bon somnambule, je me lève pour ranger mes instruments dans le studio pendant que Françoise défait ses valises. Elle est revenue avec une petite cargaison d'Havaianas. Les tongues brésiliennes, vendues 6,50 euros à Sao Paulo, sont commercialisées 45 euros en France. Je crains que ce ne soit pas du commerce équitable.

vendredi 27 avril 2007

Remontée mécanique


J'ai été très sensible aux messages de sympathie envoyés en commentaires du billet d'hier ou par mail. Le soleil a également produit l'effet escompté et, après le Conseil d'administration des Allumés où nous avons préparé la soirée du 29 mai (billets allumés des 31 mars et 16 avril), j'ai pédalé jusqu'à la Maison de la Radio pour enregistrer en différé une émission de David Jisse et Yvan Amar qui sera diffusée le 1er mai à 15h sur France Culture, deux jours avant notre spectacle. En introduction j'ai joué un petit morceau électronique sur le synthé-jouet made in China que Françoise avait dégotté chez Tati le Noël précédent et, en coda, j'ai effectué un petit zapping flûte-guimbarde-Steinway. Mon adaptation minimaliste de l'Internationale, premier mai oblige, dépassait la durée de l'émission et vous ne l'entendrez pas, mais les morceaux improvisés comme la sélection des extraits musicaux m'ont plu (Michel Houellebecq - Elsa à 9 ans chantant Cause I've got time only for love - la trompette de Bernard dans Trop d'adrénaline nuit). L'entretien est très vivant, mais les séquelles des jours précédents se devinent au travers de mes bégaiements inhabituels. L'émission Un Poco Agitato porte bien son titre ! Un poco piu.
En roulant vers le studio, je croise Pierre à qui son déménagement à Marseille semble avoir magnifiquement réussi. Il a bonne mine et ne se dépare pas d'un sourire que les tracasseries parisiennes avaient depuis longtemps effacé. Cela fait plaisir à voir. En repensant à sa mine hilare rosie par le sud, je tente une décalcomanie en sprintant rue de Rivoli. Sur le chemin du retour devant le Cirque d'Hiver, je manque d'écraser Otar Iosseliani dont j'apprécie pourtant la fantaisie ethnographique (coffret vivement recommandé chez blaq out, d'où il sort probablement). En gravissant la rue des Panoyaux, je m'arrête à la librairie-galerie Le Monte-en-l'air, spécialisée dans la bande dessinée de qualité, pour acheter le pavé Tous coupables ! dont j'ai annoncé la parution, mais qui ne sort réellement qu'aujourd'hui. Petite déception, le bouquin est en noir et blanc, pour les couleurs on se réfèrera donc aux sites signalés dans mon billet, mais le pavé est très agréable à tenir entre les mains et pour 16 euros vous ferez un acte civique en vous faisant radicalement plaisir.
Arrivé en haut de la côte, le numéro de mai de Jazz mag m'attendait dans la boîte aux lettres. Spécial Archie Shepp, il me plaît d'autant que Guy Darol, dont j'apprécie particulièrement le style et l'idée dans ses chroniques ici et dans Muziq, a pondu un article élogieux et circonstancié sur mon duo avec Houellebecq (voir aussi mes billets du 28 janvier, 1er et 3 février). Quelques pages plus loin, je suis interviewé par Émilie Quentin au sujet des Allumés du Jazz. Mon "autoportrait dans les toilettes du TGV" est pataphysiquement attribué par Goaty à un certain Robert Ouayate.
Le soir s'achève sur un savoureux poulpe grillé que je n'aurai pas volé. Tikka oseille-curry-yaourt-ail. Les mésaventures de disque dur (déjà remplacé, mais vierge !) m'avaient totalement coupé l'appétit. Je passe en cuisine avec une pensée émue pour Françoise qui doit être arrivée à Sao Paulo où elle est avec Anny, chez leur tante Mathilde, 97 ans. Interrogatoire au menu brésilien pour une enquête familiale qui n'en est pas à son dernier rebondissement !
Retour en arrière. Je m'aperçois avec stupeur que les dernières illustrations de chaque billet annoncent la journée du lendemain ! Ce n'est pas la première fois que cela arrive. Après une entrée en fanfare, l'arbre coupé précède la faucheuse et le disque terrien qui lui même anticipe la mort du disque dur, la route bitumée annonce celle sur laquelle Belmondo est étendu... La photo couleur de mon instrumentarium enraye la loi des séries.

mercredi 25 avril 2007

Crash et Craque


Crash et Craque sont dans une galère. Crash tombe en rade. Qui est-ce qui reste dans le bateau ?
Hier, le disque dur de mon PowerBook a crashé, définitivement. C'est insensé, mais je n'avais pas fait de sauvegarde depuis un moment alors que mon ordinateur montrait des signes de faiblesse. La roue arc-en-ciel tournait sans cesse, m'empêchant de travailler ou de faire quoi que ce soit. J'ai perdu six mois de photos (les séjours à New York et Séoul, Nabaz'mob au Javits Center, la pause sans connexion dans la montagne, les deux Ciné-Romand, etc.), un mois d'administration (comptes, factures...), mon planning (argh ! là j'ai tout oublié), des milliers de mails et des tas de trucs que je n'imagine même pas, tant je me sens annihilé, ou, plus exactement, trépané. Un grand trou de mémoire que j'avais pourtant plus d'une fois envisagé. Je ne comprends pas mon imprudence. Heureusement, il me reste les archives du blog, jour après jour, tant que ça dure... Allez savoir... J'en ai profité pour commander un MacBook Pro, mais ça ne m'arrange pas vraiment. À toute chose malheur est bon : la garantie AppleCare de trois ans du portable arrivait à échéance dans deux jours ! On me remplacera certainement le disque dur, mais ça me fait une belle jambe ! C'est la seconde fois qu'un portable me lâche à quelques jours de la fin de garantie. C'est tout de même plus sympa que les machines à laver ou les aspirateurs qui tombent systématiquement en panne dans la semaine où ils ne sont plus assurés.
Si vous m'avez écrit récemment, si vous avez de nouvelles coordonnées, n'hésitez pas à me renvoyer tout cela, j'ai perdu énormément de mails et d'adresses... Si vous m'avez envoyé des photos ou si je vous en ai données, pensez à me renvoyer des copies. Face à cette petite catastrophe, je suis resté étonnamment calme, je ne sais pas si je dois m'inquiéter ou m'en réjouir. Je dis toujours que nous gardons trop de choses. Cette fois, c'est radical, même si tous ces 0 et ces 1 ne prenaient pas tant de place. Un incendie ou la visite de cambrioleurs sont plus ravageurs. Il faut que je m'y fasse. Je vais me replonger dans les comptes, comme si je n'avais que ça à faire, avec notre création du 3 mai, les lapins qui se bousculent au portillon et les séances pour le film réalisé par Pierre-Oscar Lévy à organiser. Ensuite il faudra réinstaller tous les logiciels sur le nouvel ordi, retrouver les codes, refaire surface... Alors un conseil, faites toujours plus de copies de sauvegarde que vous ne pensez en avoir besoin et si vous achetez un Mac portable, n'hésitez pas une seconde en souscrivant à l'extension de garantie, ça vaut largement l'investissement. Par contre, on peut s'interroger sur la solidité de ces petites merveilles !
Comme je remontais à bicyclette par République, j'en ai profité pour faire réparer mes lunettes orange. Avec la séance d'ostéo d'hier matin, j'ai pensé que je pourrais être un autre homme, un homme neuf, mais lorsque le soir est tombé, mon énergie a faibli et je suis devenu hagard.

lundi 16 avril 2007

Si toi aussi tu m'abandonnes


C'est une sale histoire : comment une œuvre d'auteur devient un produit formaté pour la télé ; comment, malgré un procès gagné contre un producteur indélicat, le "final cut" du réalisateur est bafoué par le mépris des décideurs, de ceux qui s'arrogent de penser à la place du public. Le film diffusé n'est pas de Françoise Romand.
Résumons. Françoise Romand réalise Si toi aussi tu m'abandonnes, un film sur l'adoption internationale, en faisant le portrait d'un jeune Colombien adopté par une pieuse famille française. Le film terminé ne plaît pas à France 3 parce qu'il n'impose pas "une" lecture mais qu'il joue de ses ambiguïtés, posture incompatible avec la "politique" actuelle des chaînes. Françoise, bonne fille, entend les critiques et rectifie son montage, mais refuse d'ajouter un commentaire qui prend les spectateurs pour des débiles à qui il faut tout expliquer, comme le lui ordonne le puissant Serge Moati, patron d'Image et Compagnie, la société de production. Elle ne souhaite pas non plus interviewer les "spécialistes" tel le directeur de la DDASS ou je ne sais quel psy de service. Elle résiste également à couper la scène du cauchemar de José qu'elle a demandé au plasticien Nicolas Clauss d'illustrer en animation Director. Françoise a toujours fait entrer la fiction, la mise en scène, dans ses documentaires (Mix-Up ou Méli-Mélo, sorti en dvd chez Lowave, Appelez-moi Madame, Les miettes du purgatoire, un autre film interdit de Françoise qui ébrèche la religion, ou Thème Je en sont de brillants témoignages). Elle n'a jamais non plus écrasé ses films avec le moindre commentaire. La production réclame 23 884,01 euros pour faire modifier le film par une autre réalisatrice, mais Image et Compagnie est heureusement déboutée, Françoise se battant sur le fait que son film est fini et que la manip reviendrait à court-circuiter le final cut cher à l'exception culturelle française. La Scam prend en charge les frais d'avocat ; Agnès Varda, Gérard Mordillat, Marcel Trillat, Pascale Dauman, Jean-Pierre Thorn, Ange Casta et le monteur Julien Basset témoignent en sa faveur. De la partie adverse, Serge Moati est cité comme unique témoin !! Après deux ans d'emmerdements, le jugement accorde le droit moral à la réalisatrice et des dommages et intérêts, il est vrai, très symboliques, officiellement elle a gagné le procès.
La semaine dernière, sans l'avertir, France 3 diffuse le film dans le cadre de "La case de l'Oncle Doc" (la référence à l'Oncle Tom, le collabo par excellence, n'est pas inintéressante). Stupeur et tremblements, c'est la version Image et Compagnie qui passe à l'antenne ! La musique que j'ai composée est remplacée par celle du compositeur de Ripostes (évitant ainsi tout conflit avec la Sacem), les animations de Clauss sont pratiquement toutes supprimées (prétexte initial de la chaîne : "c'est pour Arte, on dirait du Michaux"), mais surtout le sens du film est totalement modifié. Là où Françoise montre de la compassion pour son personnage, la version Image et Compagnie en dresse un portrait à charge. Là où Françoise montre les responsabilités de la famille d'adoption qui a d'ailleurs refusé d'être filmée, on se dit que les parents n'ont vraiment pas eu de chance de tomber sur un enfant violent ; cela ne donne certainement pas envie d'adopter un gamin ! Dans la version diffusée, tous les entretiens avec José tournés à l'église ont été expurgés, tiens tiens (je les avais sonorisés aux grandes orgues de Sainte Elisabeth). Les accointances avec les Scouts d'Europe ont ainsi été gommées. Par contre, nombreux nouveaux témoignages chargeant le jeune Colombien ont été ajoutés. Pas assez puisque la version diffusée ne fait que 45 minutes malgré les documents d'archives abondants et insignifiants qui jalonnent la chose. La commande initiale était évidemment de 52 minutes, durée du film de Françoise. Il faudrait rentrer dans les détails du jugement pour comprendre comment le producteur et la chaîne prétendent contourner le droit de la réalisatrice en diffusant un film honteux, tant dans les méthodes employées que dans le résultat.
Le film de Françoise, le seul "auteurisé", est une œuvre de création où le travail sur le son, l'image et le montage est exemplaire. C'est le portrait complexe d'un jeune homme prisonnier d'une toile d'araignée aux ramifications sociales passionnantes qui, sans doute, sont à l'origine de sa personnalité acquise, tandis que la version formatée présente un reportage affligeant, banal, ennuyeux, qui laisse croire que la cause de la violence de José vient de ses racines lointaines... La comparaison entre les deux devrait faire l'objet d'une analyse dans toutes les écoles de cinéma et les débats citoyens, car c'est la démonstration éclatante de ce qu'est le formatage. Des documentaristes se sont d'ailleurs récemment réunis au sein du ROD, le Réseau des Organisations du Documentaire, pour dénoncer le formatage de leurs films et assurer la pérennité et l’essor du documentaire sur les chaînes des télévisions publiques. "Dénonçant la politique affichée et officielle (c'est pas courant de voir cela noir sur blanc) de France Télévision d'influencer ses réalisateurs et scénaristes de documentaires dans le sens du poil du public, pour qu'il ne zappe pas... Tout leur site est un appel à la réflexion sur le thème de la difficulté de réaliser des documentaires de création aujourd'hui (merci Antoine pour ce lien précieux)." À suivre.

vendredi 13 avril 2007

Sarkozy par Onfray


Pascale m'envoie le texte du blog du 3 avril du philosophe Michel Onfray dont Françoise dévore les livres depuis quelques semaines. L'Université du goût initié par Michel Onfray a attiré l'attention de Françoise qui travaille sur un projet de théâtre et Internet autour de la cuisine pour le Théâtre Paris-Villette. Le blog d'Onfray est hébergé par le Nouvel Observateur, mais l'entretien avec Nicolas Sarkozy dont il est question ici et dont la lecture est vivement conseillée est une commande de Philosophie Magazine.

On a l'impression que les élections présidentielles concernent plus les médias que le fait politique. On n'en est pas encore aux shows à l'américaine, mais pas loin. Le cirque médiatique ressemble plus à un match de catch qu'à un débat idéologique. La télé-réalité a envahi tous les secteurs de la vie citoyenne. Tout est noyé dans les flonflons et les tours de passe-passe. La boîte à mails est inondée de faux comme le prétendu sondage du CEVIPOF donnant Le Pen en première place. Je cite Pascal Perrineau, directeur du Centre d'Etudes de la Vie Politique en France : La rumeur persistante qui prête au CEVIPOF la réalisation d'une enquête selon laquelle J.M. Le Pen aurait 20% d'intentions de vote, N . Sarkozy 19%, S. Royal 18%, F. Bayrou 11% n' a aucun fondement. La dernière enquête du CEVIPOF a été réalisée du 5 au 19 février 2007 (4ème vague du baromètre politique français) et les intentions de vote recensées dans la perspective du premier tour de l'élection présidentielle étaient alors les suivantes : 31% pour N. Sarkozy, 25% pour S. Royal, 15% pour F. Bayrou, 12% pour J.M. Le Pen. Mais j'ai honte de me laisser aller à livrer ces chiffres tout aussi manipulatoires. N'y a-t-il rien de plus anti-démocratique qu'un sondage ?
Vérifier ses sources avant de tomber dans le panneau des manipulations du Net. La peur a fait voter à 82% pour Chirac, permettant ainsi à Sarkozy d'accéder au pouvoir. La peur est encore le moteur de ces nouvelles élections. Quelle connerie les Français, qu'ils se pensent de droite ou de gauche, s'apprêtent-ils à faire cette fois-ci ?
Lorsque ce n'est pas de la peur, pas mal de filles (et de gars) disent vouloir voter pour une femme, qu'au moins cela changera ! Ça part d'un bon sentiment, mais, Anglaises, auraient-elles voté Margaret Thatcher pour autant ?

lundi 2 avril 2007

Retrouver la mémoire...


Françoise était persuadée que j'avais déjà écrit un petit billet sur le Père-Lachaise, mais je suis incapable de le retrouver. Le système de recherche du logiciel DotClear n'est pas très au point. Par exemple, si on cherche les billets écrits sur le cinéma par rubrique, le blog affiche seulement les plus récents et ne propose pas les précédents. Pour y arriver, il faut d'abord choisir une rubrique, puis sélectionner chaque mois l'un après l'autre. Ou bien il faut chercher un mot rare, pas trop utilisé dans l'ensemble des billets. Grrr, je me casse la tête, mais ai-je jamais écrit de billet sur le plus beau jardin de Paris ?
J'ai tapé "cimetière" dans le champ idoine. Rien de morbide pourtant dans ce musée de sculptures où les gisants et les statues produisent de fortes émotions. Le journaliste Victor Noir, tué en duel, est le plus célèbre avec ses parties proéminentes, nez, braguette et bout des godillots, usées à force d'être astiquées par des jeunes femmes espérant devenir fécondes. Mais rien sur Noir ni Blanqui, gisant bien maigre, mais pas aussi décharné que les images des camps dont les évocations font face au Mur des Fédérés. Tant de communards ont été fusillés ici même. Dans une autre section du cimetière, en haut, juste en face de la grande entrée, Le Monument Tiers a été plastiqué plusieurs fois... Louis Adolphe Thiers, le fossoyeur de la Commune...
J'essaye le mot "jardin", magnifique en toutes saisons, comme aujourd'hui au printemps, ou feuillu et fleuri l'été, aux nuances automnales ou encore recouvert de neige... Mais rien, pas de "réserve" non plus. C'est pourtant la plus grande réserve d'arbres et d'oiseaux de Paris. "Promenade" ne donne pas plus de résultat, pourtant c'est magique, en plein de cœur de la ville, le silence, la nature. Des arbres s'enlacent et ouvrent les tombes, des souvenirs s'effacent, d'autres jaillissent de la terre. Des familles entières sont réunies, l'histoire de la France, toutes origines confondues, des anonymes aux plus célèbres, apparitions, disparitions...
Quelques derniers essais me rappellent ma fille "Elsa" que je promenais chaque jour en face, lorsque nous habitions devant la station de métro Père-Lachaise. Je l'y ai souvent filmée à l'époque des films de famille. Je ne les regarde jamais. C'est elle que cela branchera plus tard, si les cassettes sont encore lisibles. Trop de films étouffent l'intention. Mon père nous a laissé une soixantaine de minutes en 16mm, c'est bien assez. On reconstitue le reste. On le rêve. De toute manière, le passé n'a rien à voir avec son enregistrement. L'invention de Morel en montre bien les limites.
"Zouzou" était le roi des chats du Père-Lachaise, mais qui s'en souvient vingt ans après ? Toutes les vieilles sur les bancs autour de Casimir Périer, dont la tête abritait un essaim de guêpes qui tournait autour comme une couronne, le connaissaient. Elles l'ont probablement rejoint. Je me demande si certaines bestioles ne sont pas restées ici en clandestins. Le cimetière des animaux à Asnières est fait pour les bourgeois, les autres sont dans des jardins, ou dans le souvenir... Une chose m'inquiète, nous n'avons croisé aucun matou cet après-midi. Où sont donc passés les chats du Père-Lachaise ?
Reste "Françoise" (j'ai commencé par elle, il faut bien que j'essaye) qu'en éternel père-lachaisien je guide au travers des tombes, regrettant les plans de pommes de terre autour de Parmentier remplacés par de vivaces iris, découvrant celles et ceux enterrés depuis les dix dernières années puisque je m'en suis éloigné tout ce temps, mais dix ans, qu'est-ce que c'est ? Et vingt que mon père est au columbarium. Il fait si froid tout en bas que sa poussière doit être bien conservée. Son nom sur le marbre me fait une drôle d'impression. Jean Birgé, 1917-1988. Il aurait 90 ans. Il faudra donc que j'arrive à 87 ou 88 si je veux connaître ma fille à mon âge puisque je suis devenu père à peu près au même que lui. Vertige du microscopique. Poussière d'étoiles. Les siècles ont érodé la pierre, la mousse a envahi le creux des noms qui y sont gravés, on entretient de vieilles tombes qui ont l'air neuf, le souvenir fait revivre les disparus... C'est la vie éternelle, un temps du moins... Avant l'oubli... Mais ai-je jamais écrit ici quoi que ce soit sur le Père-Lachaise ?
La semaine dernière, Françoise était venue. Tout le monde attendait Pascale Dauman, parce qu'elle était en retard, retenue dans le XVIème pour des histoires de formulaires, même pour son dernier voyage...
En sortant, nous croisons Antoine qui vient de faire un tour lui aussi pour se changer les idées. Un jour que nous travaillions là en marchant, nous avions tous deux été filmés pour le Journal de 20 heures. Comme le bout où je réponds à l'intervieweuse est passé à l'antenne, Antoine rit encore de ma façon d'être partout, sans même faire exprès, même quand ça n'a aucun rapport avec mon travail. Mais voyons, ce blog est-il autre chose qu'une promenade au Père-Lachaise ?

mercredi 21 mars 2007

L'habit ne fait pas le moine


Pour son cinquantième anniversaire lundi soir, Jean-Pierre Vivante m'avait demandé de présenter la soirée qui réunissait au Triton nombreux de ses amis musiciens. Je crois m'être sorti honorablement de l'exercice de style en jouant la sobriété et en misant sur le rythme des enchaînements. Pourtant je reste perplexe devant mes prestations publiques de médiateur, craignant qu'elles n'occultent mon travail artistique. Le matin même je présentais un projet des Allumés à la Fédération des Scènes de Jazz, même impression... Mon investissement bénévole dans le milieu associatif gomme le reste. Si mon blog ou mes conférences se comprennent comme l'expression de la nécessité de transmettre, mon travail éditorial pour le Journal des Allumés ou d'autres organes de presse oblitère mon ?uvre que les nouveaux venus semblent ignorer. La mémoire s'efface. C'est pourtant sa fonction de se diluer dans le temps. Jean me faisait remarquer ce matin qu'il avait entendu hier un orateur parler de nos musiques comme si elles étaient nées il y a 25 ans. 25 ans, cela coïncide avec l'arrivée de la gauche au pouvoir. Mais le jazz et les musiques improvisées datent de bien avant ! Il est indispensable d'identifier ses racines si l'on veut produire de beaux fruits ! Ces constatations sur la méconnaissance de mon travail artistique n'ont heureusement trait qu'au petit milieu du jazz où je ne me suis jamais senti très à l'aise et pour cause. J'ai toujours été trop indiscipliné face aux différentes chapelles qui le composent. Le Drame m'a heureusement permis d'y exercer mon art sans vraiment le fréquenter, car, avec Francis et Bernard, nous partagions les mêmes critiques à son égard : superficialité, apolitisme, machisme mâtiné d'homosexualité refoulée (ça mériterait qu'on s'y attarde, j'y reviendrai), un univers ras-des-pâquerettes qui tranchait avec nos préoccupations quotidiennes. Il s'agit de trouver les collaborateurs avec qui partager les lubies. Lendemain de fête un peu douloureux. La fragilité est notre terreau. Je reste un rêveur qui compose des illusions.


Comme pour me contredire, à la fin de la soirée du Triton, la scène déclarée "ouverte" généra une jam-session des plus juvéniles avec une distribution des plus enviables. La section rythmique soudée composée de Sophia Domancich au piano, Hugh Hopper à la basse et Simon Goubert à la batterie contribua grandement à la qualité de l'improvisation. Trois chanteuses se complétaient admirablement dans leur diversité, sans négliger des instants de grande complicité : Élise Caron (aérienne), Pascale Labbé (quasi punky) et Marianne James (slam & soul). Le violoncelliste Vincent Courtois, le claviériste Benoît Delbecq, le guitariste Patrice Meyer, le trombone Yves Robert alternaient chorus et effets de masse. En voyant Médéric Collignon délirer au centre de la scène, je l'ai rejoint sans aucun de mes instruments habituels. Plus on est de fous plus on rit. Après que Thomas de Pourquery ait jeté l'éponge, je me lance dans une suite d'interventions bizarres qui m'asséchent la bouche, passant de la guimbarde à la flûte de nez (varinette) sans oublier un petit instrument sans nom, jouet d'enfant ou appeau pour noces et banquets qui sonne comme un saxophone fuzzy. Je vois avec amusement les mines interrogatives de chacun chercher d'où peut bien venir ce son hystérique. Personne ne semble se rendre compte que cette jam-session est le vrai miracle de la soirée (en dehors d'un duplex avec Anahi en Uruguay dont personne ne croit la réalité) alors qu'il n'y a presque plus personne dans la salle (dernier métro oblige). Tous et toutes viennent de jouer avec un plaisir sans mélange, car détachés de toute image à défendre, se laissant aller au plaisir d'être ensemble, au risque du pire et du meilleur.
J'ai oublié de préciser que j'avais poussé la fantaisie jusqu'à me vêtir de mon célèbre kilt et d'une tunique où le mot "suicide" est imprimé noir sur blanc. Tout va bien. La prochaine manche se jouera au Triton le 3 mai avec le nonet composé des étudiants de trois conservatoires et, en seconde partie, Somnambules qui réunira Nicolas Clauss, Etienne Brunet, Eric Echampard et moi-même. En avant, la musique !

La première photo est de Françoise Romand, les deux autres, dont celle avec Médéric, de Madi qui en propose 218 sur son propre site ©Marie-Emmanuelle Brétel.

mardi 20 mars 2007

Photos-Romand par Aldo Sperber (III)


Après la Patience raisonnée de samedi matin, l'impatience des entrées en scène. Éole et Philou esquissent le même pas de danse en attendant les premiers visiteurs. Admirez l'ensemble sans même avoir besoin de se regarder. Éole, qui a gardé son manteau et son faux-col, a un jeu de jambes qui fait des miracles (voir billet d'hier). Philou, qui s'occupe du vestiaire, est aussi danseur de claquettes. Il gardera ses gants blancs, même pour dîner sans fourchette. Il est le boy en pagne de Thème Je.
La porte est entr'ouverte pour surveiller l'ascenseur transportant les invités. Certains préfèrent gravir à pieds les six étages. Est-ce de la peur ou du courage ?


Louisette, Léon, Isabelle et Gisèle jouent à la canasta sans faire attention à la télévision qui déverse son flux ininterrompu. Assis sur le canapé pour quelques minutes, les frères Goeury se font happer par la comédie de Françoise, Vice Vertu et Vice Versa. Ils en oublient les habitants qui eux-mêmes suivent les consignes de Françoise : ne faire aucun cas des visiteurs qui traverseront toute la soirée leur appartement. Chacun est absorbé par ses activités. Les deux groupes s'ignorent mutuellement. Leurs chemins se seront croisés sans qu'ils ne s'adressent jamais la parole. Annie Gentes suggère qu'il y a une passerelle entre les deux univers, et qu'à certain moment de son existence on aurait pu choisir l'inverse. La tentation de s'engouffrer alors dans l'autre vie devient prenante. Marcher sur le fil, est-ce une forme du border line ? Rien n'est jamais joué.
L'absence d'un des personnages en fait le centre de l'instant saisi par Aldo Sperber. Il n'est signalé que par un petit livre posé sur la table. Son évocation donne tout son pouvoir à l'hors-champ photographique.


Silence. Moment d'écoute. J'aurais dû enregistrer le son des souterrains. Le visiteur ne voit rien, mais il est entouré d'une profusion de signes graphiques dont certains représentent une énigme, un peu comme en musique.


Agnès de Cayeux oscille entre les deux écrans, elle envoie un SMS à un ami pour lui dire de rappliquer dare-dare. Derrière Nicolas Bigards, on entrevoit la Butte Montmartre éclairée par les lumières de la ville. Comme eux, lascivement allongé, Bernard Vitet assiste à la projection d'Appelez-moi Madame. Il est fortement question de le sortir en dvd comme Mix-Up ou Méli-Mélo l'an passé. Regarder les spectateurs depuis l'écran me fait revenir en arrière. Il y a plus de trente ans. Nous assistions à une séance en relief du Frankenstein de Paul Morrissey. Lorsque je me suis retourné sur mon fauteuil, toute la salle portait des lunettes de soleil...


Danièle Obadia regarde Mix-Up ou Méli-Mélo
">Mix-Up ou Méli-Mélo dans la chambre du fond. La pratique quotidienne du yoga lui confère un port altier. Aldo Sperber a pris cette photographie et la précédente le samedi 10 mars. Les autres sont du 17.


Dans la salle de bain, la baignoire ressemble à un cercueil où gît Yves dans la boîte à images des Miettes du purgatoire. Ceux et celles qui connaissent le film savent qu'il écoute religieusement de la musique concrète. C'est pourtant le seul survivant du film.


Plus tard dans la soirée, après une centaine de visites, Philou et moi avons l'air moins flamby. Mathilde lit le projet de Françoise, Peep-Chat. J'ai les yeux fermés, mais j'avance toujours.

lundi 19 mars 2007

Ciné-Romand façon Gala (II)


Gros succès pour le deuxième et dernier samedi du Ciné-Romand à Barbès.
Aldo Sperber prend une nouvelle série de superbes clichés (publiées sur ce blog dès demain mardi ; en attendant je m'y colle) tandis que Françoise Romand filme les réactions de ses invités à son installation qui s'étend cette fois dans plusieurs bâtiments de l'immeuble, avec visite du labyrinthe souterrain et remontée par le fragile monte-charge vers les chambres de bonne donnant sur le Sacré-Cœur et la Tour Eiffel... Derrière la porte de l'une d'entre elles se joue le polar Passé-Composé. En dessous, dans l'entrebâillement d'un rideau, on aperçoit Thème Je projeté sur un mur. Tout cela a été inventé et monté par Françoise pour présenter ses œuvres dans leur globalité en les insérant dans une installation théâtrale qui rappelle ses méthodes de travail et son regard original sur la vie. Pascale Labbé parle d'une mise en relief (de relier et de réel), Annie Gentes de glissement, Sarah Badet d'érotisme du voyeur, Agnès Delauche du "fantasme accompli d'être le passe-muraille", Blandine Stintzy d'un moment de fiction pour de vrai, nombreux disent être ravis d'avoir rencontré des "vivants"...


Lucille Hadzihalilovic, Françoise Romand, Atom Egoyan, Arsinee Khanjian, Anny Romand, Marie Debray, et devant, Philou et Karim Mahiout. Ma pomme (verte) en contrechamp. Devant l'afflux des visiteurs, les guides, beaucoup plus nombreux que la semaine dernière se chamaillent en rigolant pour être du prochain voyage. Patrice, Annabelle, Olivier, Adriana, Philou, Pascale, Romina, Chloë, Anny, Olivia se repassent discrètement les quatre doubles des clefs de la cave pour garder la surprise intacte.


Un vendredi soir noir de monde, Marie qui venait juste d'adopter Éole l'a emmené en voiture de Barbès à Bastille, et il s'est perdu. Les chances de le retrouver étaient quasi nulles. Le lendemain matin, devant sa porte, elle retrouve Éole qui est revenu tout seul sur ses quatre pattes ! Mathieu Potte-Bonneville et Franck Vigroux attendent l'ascenseur tandis que d'autres visiteurs arrivent. Franck oubliera son sac dans le grand salon, mais il n'aura aucune chance de le retrouver devant sa porte le lendemain matin. Nous le rassurons par mail dès que nous rentrons à Bagnolet.


Depuis 14h, Louisette et Léon jouent à la canasta avec Giselle et Raymonde. Ils tiendront jusqu'à la clôture, à 23h ! Sur l'écran, Anne Jacquemin et Florence Thomassin interprètent la comédie de Françoise, Vive Vertu et Vice Versa. Giulia et Michel reçoivent Caroline, Nathalie et Andrew. Les acteurs du réel jouent leurs rôles sans faire attention aux visiteurs qui traversent leurs appartements en faisant preuve d'une grande discrétion. Maxime, quatre ans, joue le jeu de ne pas dire bonjour aux visiteurs, mais il fera tout de même un petit signe à la jeune Alma. Caroline Rossignol et Yiyao Yang, croisant trois locataires qui montent un imposant canapé par l'escalier de service, demandent à leur guide si c'est prévu dans le scénario ! Idem pour la panne d'ascenseur dans l'obscurité de la cave où Patrice, qui guide Pierre Nicolas Combe du Cinéma L'Entrepôt et ses amis, leur fait croire que tout est prévu…


Jean-Denis Bonan et Anny trinquent dans la cuisine devant le pâté de foie, les tartes aux épinards et le mezzé libanais. Les webcams sans fil installées par Philippe Ramelet montrent Philou, Olivia Ekelund et des vues des autres appartements. Un moniteur trône face à la cuvette des cabinets, l'autre est dans le salon. Raymond Sarti (j'ai raté la photo) parle de l'étonnante inversion des rôles, les postes de télévision semblant refléter la réalité tandis que les scènes vécues donnent l'impression que nous sommes des personnages de fiction. Tous poussent Françoise à continuer dans cette direction, "c'est le genre d'installation rêvée pour les Nuits Blanches."



Devant la porte d'entrée, posent Agnès Delauche et Maÿlis Puyfaucher (la voix française de Nabaztag), puis Karine Lebrun et Sacha Gattino, tous deux très chics en Issey Miyaké dont Sacha continue à sonoriser les défilés. Suivent deux couples mère-fille, Pascale Labbé et Mathilde Morières, Anny Romand et Adriana Santini.



À gauche, Patrick Gufflet, directeur du Théâtre Paris-Villette où Françoise créera cet hiver ''Peep-Chat", spectacle mêlant théâtre et Internet, et les frères Goeury... En bas à gauche, les guides, Patrice Pujol et Chloë Ramet, et derrière, Adriana et Annabelle, attendent que les groupes remontent pour accompagner les nouveaux arrivants. Pendant qu'Aldo, assisté de Mina, règle son temps de pause, Cathy Chauvet lit les alexandrins que Dominique Martin vient d'écrire sur le livre d'or. Les témoignages ne sont pas tous décryptables. Certains sont en arabe, en chinois, en arménien ou en thaï ! Agnès Varda y a écrit "De passage parmi des gens et des écrans, j'ai eu le plaisir de grapiller des grains en grappes, des bouts de films, des pousse-à-revoir-en-entier..." Beaucoup, comme Marine Leys, écrivent que "ça donne le sourire", Philippe Demontaut qu'il rentrera désormais dans son appartement autrement, Chloé Abittan évoquent les deux côtés de l'écran...



Dans l'entrée, Antoine Schmitt, Chloé et leur fille Alma qui trouvera dans le décor de Françoise de quoi exercer ses talents de coureuse à pieds, font face à Camille Delamarre, Patrice et Mathilde. Annie Gentes compulsant le dossier de presse raconte qu'elle a l'habitude d'échanger son appartement pour les vacances. C'est rentrer dans l'intimité des gens en leur absence, avec un mode d'emploi. Elle trouve beaucoup de similitudes avec l'installation du Ciné-Romand. En bas à droite, Maguy Alziari, Don Siegel et Sophie Erkelbout...


Yann-Yvon et Elsa jouaient la veille au Cabaret Sauvage avec Le vrai-faux mariage, filmé par Elsa Dahmani pour un album de La caravane passe. Le film sera composé de captations du spectacle et d'une partie fiction tournée à Plèchti même ! Dans le miroir, on m'aperçoit prenant la photo à côté d'Elsa, Didier Silhol et Philou. Isabelle et Didier nous aideront à charger tout le matériel dans l'Espace. Il est quatre heures quand nous allons nous coucher.
Françoise a réussi son pari. Elle a adapté l'imaginaire de ses films à la réalité et fait basculer les visiteurs dans une fiction 3D temps réel, j'ajouterais (comme on disait lorsque j'étais enfant) en chair et en os ! Si le titre n'avait été utilisé par un autre rêveur, cela pourrait s'appeler naturellement De l'autre côté du miroir sans que l'on sache quel est l'original et son reflet. En présentant la majorité de ses films et en les insérant dans un dispositif scénographique et participatif, Françoise montre que son œuvre ne peut se réduire à un seul support (le cinéma ou la télévision) et qu'elle s'adapte parfaitement à toutes les transpositions, éclairant ainsi sa démarche et affirmant ses choix.

samedi 17 mars 2007

Patience


Le nouveau programme du Ciné-Romand de Françoise réserve de nouvelles surprises. Nouveaux guides, nouveaux acteurs du réel, invités-surprise, un passage secret, la vue d'une fenêtre convoitée par l'équipe du Da Vinci Code et toujours ses films, mais déplacés, Mix-Up ou Méli-Mélo, Appelez-moi Madame, Les miettes du purgatoire, Passé-Composé, Vice Vertu et Vice Versa, Dérapage contrôlé, Thème Je...
C'est ce soir à Barbès et je n'aurai pas le temps de rédiger mon Carnet mondain avant lundi. Le temps de tout démonter, comme la semaine dernière, il sera trop tard pour que je m'y attèle. Pour patienter, j'ai choisi une photo d'Aldo Sperber qui a pris samedi dernier quelques magnifiques clichés de l'installation, probablement retravaillés sur Photoshop. Le couloir derrière lui était rose, la télé émet le bleu, mais d'où vient le jaune ? Peut-être seulement les quelques secondes du temps de la pause... Mina a laissé la porte ouverte pour le photographe. Ses lunettes ont l'air noires. Trop de lumière ? La photographie me rappelle le peintre Jacques Monory, un réalisme décalé dans des monochromes juxtaposés. Orson Welles suggérait d'enlever un paramètre à la réalité pour faire naître la poésie. Que fait Mina sur la cuvette des chiottes ? Le couvercle est-il fermé ? Elle ne s'est pas déculottée. Elle regarde la télé posée sur la machine à laver. Ça ne tourne pas. En réalité, l'écran diffuse un puzzle des webcams retransmettant les images en direct des autres appartements du groupe d'immeubles. Mais en regardant ce qu'en a fait Aldo, je n'arrive pas à le croire. C'est toute une histoire. Mais je suis incapable de la raconter.


La pochette du dernier 33 tours d'Un Drame Musical Instantané, Carnage, était un détail d'un tableau de Monory (Explosion). Plus tard, il nous a offert un Ekta d'une œuvre détruite, Technicolor, pour une carte annonçant les projets du Drame. L'une et l'autre œuvres m'inspirent le thème d'une pièce musicale. C'est exactement ce que je cherche.

jeudi 15 mars 2007

Atom à Bagnollywood


Au dernier passage d'Atom, nous avions regardé Citadel, son film tourné à Beyrouth en dv qu'il présentera début mai au Centre Pompidou. C'est l'histoire du retour de sa compagne Arsinee dans son pays natal après vingt-huit ans d'absence et de ce qui ne devait pas être vu. De retour avec elle, cette fois à Bagnolet, il choisit un film de Jacques Tati pour montrer notre salle de projection à leur fils Arshile. Comme Atom me demande quel film je projette lorsque je veux faire une démo, je choisis Kaipochee, une scène de Hum Dil De Chuke Sanam, film de Bollywood réalisé par Sanjay Leela Bhansali avec Salman Khan. Écran large, son 5.1 particulièrement enveloppant et rebondissant, musique jubilatoire d'Ismail Darbar... La chorégraphie exceptionnelle emballe Atom qui découvre ici le cinéma populaire hindi contemporain. Les dizaines de cerfs-volants qui se croisent dans le ciel répondent au formidable ballet se déroulant sur les terrasses d'un inimaginable palais de rêve. Chaque fois que je repasse cette séquence, je suis aussi excité que pour Les demoiselles de Rochefort...


À table, nous comparons les mœurs françaises et canadiennes, les fractures libanaises et les réflexes arméniens. Comme Atom nous raconte sa merveilleuse installation sur la mémoire avec la participation des collectionneurs de bandes et de magnétophones (nous avons emprunté le dvd à la Médiathèque), je lui montre la bobine de fil magnétique qui appartenait à mon père. C'est ce qui a précédé le ruban 6,35. Arsinee évoque les passages couverts parisiens. Arshile espère que Nabaztag est branchable à Toronto (il faut que je me renseigne demain auprès de Maÿlis... Après Agnès Varda, j'ai appris aujourd'hui que François Rabbath possédait un de nos lapins communicants !) et s'étonne que les réseaux wi-fi à Paris soient presque tous protégés par des mots de passe alors qu'en Amérique du Nord on trouve à se connecter un peu partout grâce aux bornes personnelles. C'est une autre mentalité. Françoise, qui a cuisiné une délicieuse joue de bœuf (!), a beau avoir réussi la création de son Ciné-Romand samedi dernier reste tendue devant la perspective de sa reprise samedi prochain. Si elle ne fait que quelques petites inversions de projections dans l'appartement principal, elle renouvelle complètement les participations du voisinage. La régie reste copieuse pour mettre en place le dispositif complet et la réception des invités exige de nombreux guides. De mon côté, je prépare la soirée exceptionnelle au Triton pour laquelle Jean-Pierre m'a demandé de jouer Monsieur Loyal...

mercredi 14 mars 2007

Bifurcations


Aux feux rouges, les cyclistes qui traversent la capitale s'échangent des remarques printanières sur la beauté des choses. Arrivé à Radio France, Bruno Letort m'interroge pour Tapage nocturne au sujet de mon nouveau cd avec Houellebecq (diffusion sur France Musiques jeudi soir à minuit). Je profite du soleil pour aller faire des emplettes. Françoise m'emmène au Mouton à cinq pattes acheter des pantalons aux couleurs vives comme de jolis fruits pour trois francs six sous : orange, vert pomme, jaune citron. Je trouve l'intégrale d'Edith Piaf en 20 cd pour un prix ridicule, mais je suis stupéfait qu'aucun nom d'auteur ne figure nulle part sur le coffret édité par EMI. Par contre les galettes sont superbes, noires comme les anciens disques en bakélite ou en vinyle...
Le soir, nous sommes invités chez Chantal et Bruno Latour "à partager nos expériences d'artistes et de chercheurs autour d'un plateau de fromages et de vins". Olivier Vallet présente le travail de la compagnie des Rémouleurs (image ci-dessus), marionnettistes et montreurs d'ombres. Chacun raconte ses prochains spectacles et ses projets. Tout ouïe, nous échangeons quelques vues. Il est question de l'effacement du cadre. L'ambiance est sympathique, nous faisons des découvertes. Après Iconoclash et Making Things Public au ZKM, Bruno aborde le sujet de sa prochaine exposition intitulée Bifurcation. De son côté, Chantal Latour anime aussi avec Omer Corlaix les soirées de l'Appart, un club de rencontres entre compositeurs et interprètes. Ces salons semblent d'un autre siècle, mais est-ce le XIXème ou le XXIIème ?
Tard dans la nuit, nous grimpons vers chez nous en passant par notre itinéraire préféré à bicyclette. Nous évitons la montée Père Lachaise Gambetta en empruntant la rue Oberkampf, puis à droite et à gauche en baïonnette vers la rue des Panoyaux que nous suivons jusqu'à l'escalier qui mène rue Sorbier pour déboucher Place Martin Nadeau. Il suffit de pousser le vélo le long des marches et le tour est joué. À Pelleport, nous roulons sur le trottoir pour prendre la rue du Surmelin, qui est dans le mauvais sens, jusqu'à la Porte de Ménilmontant ; nous sommes presque arrivés.

lundi 12 mars 2007

Ciné-Romand façon Gala (I)


Françoise Romand regarde Appelez-moi Madame (photo de tournage) entourée d'Agnès Varda (voir les pieds d'Agnès Varda !) et Agnès Cazenave (qui est à l'origine de Mix-Up, Dérapage contrôlé et ce film justement). La lumière de la Butte Montmartre filtre à gauche par la fenêtre. Huguette et Ovida Delect chantent Le temps des cerises.
Derrière les rideaux de l'entrée, on aperçoit Thème Je projeté sur le mur d'une autre chambre. Françoise s'adresse à la caméra dans le décor de son précédent appartement de Pigalle qu'elle a vendu pour produire le film.


Le dispositif de webcams wi-fi installé par Philippe Ramelet permet de surveiller ce qui se passe dans les autres appartements que l'on visite et de gérer le flux des visiteurs. Loca-Images et l'A.P.R.E. ont prêté le reste du matériel qui manquait. En bas de l'écran, on voit Annabelle faire le guide dans l'appartement de Patrice et Andrew où est projeté le polar Passé Composé (avec Feodor Atkine, Laurence Masliah et Anny Romand). On reconnaît nos hôtes sur le site Internet ikitcheneye montré dans leur cuisine, site qui préfigure le projet Peep-Chat que Françoise prépare pour le Théâtre Paris-Villette à la rentrée dans le cadre de x-réseau. Sur les murs sont accrochées des photos de nus au jardin prises par Stéphane Serafini pendant le tournage de Thème Je. Patrice, Andrew et leurs invitées ignorant totalement les visiteurs, ceux-ci ont l'étrange impression d'être passés de l'autre côté de l'écran. À l'étage du dessous, les nombreux convives du dîner d'Isabelle cèdent parfois à la tentation d'échanger quelques phrases de dialogue avec les nouveaux venus qui sont amenés par petits groupes par Annabelle, Olivier, Françoise, Aldo ou Anny... Je fais moi-même une des visites en racontant comment Françoise et moi nous sommes connus ici pour un autre jeu de piste qu'elle avait imaginé pour me séduire. Chez Valérie comme chez Isabelle, les postes de télé diffusent en boucles la comédie Vice Vertu et Vice Versa (avec Florence Thomassin, Anne Jacquemin, Marc Lavoine et Serge Dupire) qui raconte justement l'histoire de deux filles qui habitent sur le même palier...
Agnès Varda, experte en installations ludiques, joue les "garçons" d'ascenseur.


Anny Romand et Élise Griffon grapillent quelques en-cas dans la cuisine. Dans un autre bâtiment de la cour, Isabelle a également invité ses voisins à dîner. Françoise a réussi à transposer dans le réel sa manière de diriger "les comédiens" dans ses documentaires. La réalité et la fiction s'entremêlent. La réalisatrice recompose le passé. Tous les acteurs de la soirée se retrouveront vers 23h dans son appartement.


On aperçoit l'immeuble par la fenêtre de la cuisine où John, Mark Rappaport et Antonio Fischetti regardent Les miettes du purgatoire dans le congélateur.
José Berzosa et d'autres reviendront samedi prochain. Les acteurs seront tous différents, les appartements visités seront nouveaux. Seule l'installation dans celui de Françoise sera la même. On assiste à la projection de Mix-Up ou Méli-Mélo dans une troisième chambre. Dans la baignoire est plongé un moniteur avec Dérapage contrôlé. Dans les w-c est posé un second moniteur pour suivre les web-cams depuis son siège.


Jean-Pierre Mabille et Michèle Suraci signent le livre d'or dans l'entrée. Sandra Basch, Hélèna Villovitch et fils posent pour moi, mais avec prudence. Plus tôt dans la soirée, Sonja Wiemann a coincé les doigts de Bruno Amable dans la grille de l'ascenseur !


Je squatte la cuisine en fée du logis tandis que Bettina Clasen et Aldo Sperber (qui est à l'origine des Miettes) me tiennent le crachoir.
Annabelle Basurko, l'assistante à la réalisation de Françoise, et Alain Wagner, qui prendra les deux photos qui suivent, écoutent le récit des tribulations de chacun dans les escaliers, extrêmement variées selon les visites. Beaucoup de monde. Gros succès. Pas de blâme.


Fin de soirée : Bernard Vitet, Pascal Kané, Isabelle Vorle, Patrick Beurard-Valdoye, Agnès de Cayeux, Philippe, Olivier Berne, l'assistant à la production de Françoise, François de Morand... La dernière visite se termine à 23h avec Étienne Brunet qui arrive de la Cigale, mais la soirée se terminera beaucoup plus tard devant de sublimes pâtisseries orientales achetées en haut de la rue du Faubourg Poissonnière. Comme on ouvre les fenêtres sur la nuit, on voit la Tour Montparnasse, la Tour Eiffel, le Sacré-Cœur et le métro aérien à la station Barbès.

P.S.: rentrés à Bagnolet, nous apprenons que nous avons raté le feu d'artifice. Une canalisation de gaz a éclaté au coin de la rue. Une flamme de trois étages de haut jaillit dans un bruit assourdissant. Le feu s'éteint. Les pompiers évacuent les riverains. Une heure passe avant que les employés du gaz trouvent le robinet. Lorsque nous arrivons à la maison, tout est calme. Seul Scotch nous guette dehors et bondit prévenir Ouist et Snow qu'ils vont enfin pouvoir dîner.

dimanche 11 mars 2007

Jean Epstein, le lyrosophe


De tous les films muets que nous avons mis en musique avec Un Drame Musical Instantané depuis 1976, ceux de Jean Epstein sont certainement parmi mes favoris. Nous les avons d'abord interprétés en trio, puis nous avons recréé La glace à trois faces à Corbeil en 1983 avec notre orchestre de 15 musiciens. Denis Colin à la clarinette basse remplaçait Youenn Le Berre qui jouait habituellement de la flûte, du sax et du basson. J'avais découvert ce film lorsque j'étais étudiant à l'Idhec avec Jean-André Fieschi qui avait réalisé un Cinéastes de notre temps sur la Première Vague en collaboration avec Noël Burch. Si Germaine Dulac, Louis Delluc et Marcel L'Herbier (dont nous avons "accompagné" L'argent, 3h10, certainement l'une de nos plus belles réussites) m'avaient intéressé, j'ai tout de suite été séduit par l'adéquation du fond et de la forme chez Epstein. Son Bonjour Cinéma est une petite merveille tant graphique que littéraire éditée en 1921 par la Sirène dirigée par Blaise Cendrars. Je me suis plongé dans ses Écrits avec la même passion, fasciné par ses théories sur le son qui corroboraient ce que je définirai moi-même dans mon travail. Le gros plan sonore par ralentissement du son est resté pour moi une référence. Je me réfère ici à ses films plus récents comme Le tempestaire ou Finis Terrae, mais ce qui m'occupe cette fois sont ses films muets. Baissez le son des films en lien sur Google Video et laissez-vous porter par la magie des images. Si le silence vous pèse, mettez sur votre platine n'importe quel disque de Debussy, cela fera très bien l'affaire !


1927. La glace à trois faces. Le portrait d’un homme à travers trois femmes. Les fragments de plusieurs années viennent s’implanter dans un seul aujourd’hui. L’avenir éclate parmi les souvenirs... Le découpage est simple. Nous accompagnions "la bourgeoise" dans un style impressionniste, à la fois superficiel et élégant. Nous passions au jazz, assez free, pour "la bohème" et dans un registre plus tendre avec "l'ouvrière", un peu techno dans les dernières interprétations. Car si les principes narratifs et critiques étaient souvent les mêmes, chaque traitement variait d'un concert à l'autre, et particulièrement au fil des années puisque nous avons continué jusqu'en 1992. Absolument pas iconoclastes, mais résolument inventifs, nous essayions de nous hisser à la hauteur des inventions de l'image et du montage, nous agissions tout simplement comme si le réalisateur nous commandait la partition aujourd'hui. Les films muets sont souvent beaucoup plus créatifs que ceux qui ont suivi. Ils posent la grammaire du cinéma, sa syntaxe en se permettant toutes les outrances sans être contraints par ce qui se fait ou ne se fait pas. Le muet est l'âge d'or du cinématographe en tant qu'art, le septième du nom dit-on. Après les flonflons de la fête du village, nous terminions La glace à trois faces par le drame proprement dit, avec la course effrénée arrêtée par une hirondelle, le bec meurtrier frappant l'homme en plein front.


1928. La chute de la maison Usher. Le ralenti, les surimpressions, les travellings de ce cinéaste poète donnent déjà à Edgar Poe l’inquiétante musique qu’il mérite. C'est à cette occasion que Francis et Bernard adaptèrent pour la première fois L'invitation au voyage de Baudelaire et Duparc. Notre travail était beaucoup plus contemporain, nul besoin de repères historiques. Si La glace est très "modern style", Usher est intemporel et de nulle part, juste dans le rêve et l'inconscient. Nous voulions transposer Edgar Poe en musique, j'utilisais d'ailleurs une thématique empruntée à la version inachevée de Claude Debussy (rendant visite à Peter Scarlet dans son appartement de Ann Street, la plus petite rue de New York, célébrée par la plus courte chanson de Charles Ives, nous remarquons la plaque rappelant que Poe y écrivit Le corbeau...). Les deux films convenaient parfaitement au style d'Un Drame Musical Instantané. J'ai été très triste lorsque Marie Epstein, qui nous avait soutenus pendant des années, choisit une autre bande-son que la nôtre pour sortir La glace en salles. Elle nous confia que notre interprétation était la plus créative, mais elle préférait une musique qui ne fasse pas d'ombre au film de son frère. Nous avons souvent été confrontés à cette pensée absurde, reléguant le son à une pâle illustration...
Nous avons donc toujours tenté d'être aussi inventifs que les réalisateurs du passé, recréant, par exemple, le laboratoire de l'ouïe imaginé par Vertov lorsque nous montâmes L'homme à la caméra en janvier 1984 avec le grand orchestre à Déjazet. Aujourd'hui, le ciné-concert est devenu une mode, un genre. On a oublié que le Drame inaugura le retour à cette forme dès 1976. Nous avons fait le tour du monde avec les films d'Epstein, Caligari ou la Jeanne d'Arc de Dreyer, inscrivant vint-deux films à notre répertoire dont l'intégrale Fantômas de Feuillade pour le Centenaire du cinéma en Afrique du Sud ou des raretés de Pathé et Christensen au Festival d'Avignon... Nous n'acceptions jamais de composer une nouvelle musique si d'autres s'en étaient déjà chargés. Il y a tant de trésors de l'époque du muet. Nous voulions faire découvrir ces merveilles. C'est dire que nous fûmes les premiers à nous coltiner ceux que nous avions choisis. Lorsque les programmateurs que nous avions initiés sentirent le filon, ils nous écartèrent savamment pour en tirer le prestige. Le temps d'Orsay et des grandes commémorations était venu. Notre paranoïa nous poussa un peu bêtement à l'esquive. Nous avions peut-être aussi envie de sortir de la fosse d'orchestre ou de derrière l'écran. On y reviendra.

P.S.: j'avais préparé ce billet à l'avance sachant que je serais exténué à la sortie de l'extraordinaire soirée de Françoise à Barbès. Je tenterai de relater le Ciné-Romand demain quand j'aurai développé les photos et que nous serons rentrés à la maison. Je mets en ligne depuis les lieux de l'installation avant de rentrer...

samedi 10 mars 2007

Le 10 mars 2007

Françoise s'y connaît en festivités. Il y a trois ans, elle organisa mon anniversaire-surprise avec autant de convives que de bougies. Avec la complicité d'Elsa, elle avait invité mes amis, dont certains venus de très loin, dans l'espace comme dans le temps. C'est resté le plus mémorable de tous mes anniversaires. La pauvre n'a pas de chance avec le bourru que je suis. Incapable de lui rendre la pareille, je n'ai pu que l'emmener en voyage dans des lieux certes idylliques, mais dans des conditions beaucoup moins extravagantes que celles issues de son imagination. Sa dernière ressource est de s'offrir elle-même la fête dont elle rêve, faisant coïncider la date de sa naissance avec une fantastique installation contemporaine.


Françoise se réapproprie son histoire à travers ses films, mêlant fiction et documentaire, recherches d'identité et fantômes extirpés des placards. Ce soir, elle met toute son œuvre en scène dans l'appartement où elle vivait lorsque nous nous sommes rencontrés et qu'elle a entièrement décoré. Avec Annabelle et Olivier, elle a mis ses voisins à contribution, leur demandant de "jouer" leurs propres rôles. Les visiteurs devront suivre un "je" de piste d'un bâtiment à l'autre, comme le numéro qu'elle me fit le 1er janvier 2003, le plus beau jour de l'an de ma vie. J'avais figuré le joker annoncé de son film Thème Je, me voici modèle indirect d'une nouvelle fantaisie.


Je ne peux rien dévoiler de cette folie d'artiste pour laisser à ses invités le plaisir de la découverte. Disons seulement que les écrans pullulent et parfois dans des coins incongrus, que les câbles longent les murs lorsque la wi-fi des webcams ne suffit pas et que la figuration dite intelligente est nombreuse. Le mixage est fonction de la visite. La mise en scène s'efface devant l'improvisation. Le Ciné-Romand est en place, n'attendant plus que la nuit pour commencer.
Bon anniversaire, mon amour !


Les deux premières images du feuilleton-mail sont de Françoise Romand, la troisième d'Aldo Sperber.

jeudi 8 mars 2007

Saga de Xam


C'est incroyable comme les nouveaux médias font remonter les souvenirs à la surface. On croirait être resté en apnée pendant des siècles, et puis une question suivie d'une évocation font boule de neige. Pan ! Dans le mille. On en reprend pour trente ans. Les événements s'enchaînent comme un fait exprès. Jean-Denis Bonan était mon professeur de montage en première année d'Idhec. Il avait beaucoup d'imagination ou bien des nuits très agitées. Chaque matin il nous racontait son rêve en arrivant à l'école. Je l'ai toujours connu souriant. Je l'avais revu il y a quinze ans alors qu'il exposait des bouteilles de sable peint chez Alberto Bali, un voisin de mon immeuble en face du Père Lachaise. J'ai eu le plaisir de le retrouver grâce à Françoise qui avait été son assistante.
Googlisant le dessinateur "Nicolas Devil", Jean-Denis tombe hier soir sur son nom dans un de mes premiers billets d'août 2005.


Jean-Denis m'écrit qu'ils étaient très proches dans les années 70, exposant ensemble à Zurich. Il possède même une des planches originales de Saga de Xam, le livre fondateur de la nouvelle bande dessinée française, où il figure au moins deux fois : "en chanteur (mais on ne voit pas que je chante) et une fois (cette fois-là sans ressemblance) en moine lubrique dont le cerveau est composée de femmes nues (c'est cette planche que Nicolas m'a offerte il y a longtemps)". Il lui en avait aussi donné un exemplaire "avec une splendide dédicace, mais on (lui) a volé." Comment Jean-Denis sait-il que je connais Saga de Xam et que j'ai récupéré l'exemplaire de mon père l'année dernière ? Sait-il que je fus l'assistant de Jean Rollin, l'auteur du scénario, et que j'ai raconté le tournage de son film Lèvres de sang vendredi dernier ici-même ? Ou bien est-il tombé par hasard sur le commentaire que j'écrivis en marge d'un billet du blog d'Étienne Mineur le 9 mars dernier, il y a presque un an jour pour jour, ce qui expliquerait tout, enfin, pas tout, mais le début du tout :

Réalisé par Nicolas Devil d'après un scénario de Jean Rollin, épais cadavrexquis de Barabara Girard, Merri, Nicolas Kapnist, Philippe Druillet, Devil, photos de Tony Frank, couleurs de J-P Gressin, Annie Merlin, Jacqueline Sieger...On y croise des dizaines de personnages : Gingsberg, Artaud, Barbarella, Dylan, les Stones, Étienne Roblot, Zappa, J-J Schul, Kalfon, Julian Beck, Lovecraft, Valérie Lagrange, Patryck Bauchau, Edouard Niermans, Lennon, Cassius Clay, les Hell's Angels, les provos, dans une explosion graphique digne d'une bible psychédélique. Livré avec une loupe ! (éd. Éric Losfeld, 1967)

Mon père avait été contrebandier avec Losfeld, passant des livres érotiques à la frontière belge ! Tout s'enchaîne. C'est toi qui emploie le mot Incroyable ! dans ton mail, mon cher Jean-Denis, mais tu ne savais pas à quel point. Xam, Rollin, Losfeld, mon père, l'Idhec, Françoise... Le livre est devant moi. C'est cet épais volume aux pages cartonnées qui m'initia à la bande dessinée adulte. C'était aussi la seule trace de culture psychédélique à la maison avant mon voyage aux États Unis en 68. Glissées entre les pages de Saga de Xam, je découvre les fiches où j'avais recopié les phrases déchiffrées en m'aidant du code pour lire les dialogues cachés du livre. J'avais 15 ans, mais déjà plus toutes mes dents, conséquence d'un accident en cour de récréation. Si je reproduis quelques pages du livre, c'est l'ensemble que j'aurais aimé feuilleter avec vous...

Et avec toi, mon cher Jean-Denis, qui me donna le goût du montage cinématographique lorsque j'avais 18 ans. Cette fois encore, de l'autre côté du pont, les fantômes vinrent à (notre) rencontre !

mercredi 14 février 2007

Entièrement


J'ai déjeuné avec ma fille au restau thaï. Le soir j'ai regardé un film de Frears. L'histoire d'un producteur qui montait une revue musicale. Samedi dernier, Françoise m'a entraîné à la médiathèque de Bagnolet. J'ai parcouru un livre sur Sidney Bechet. Il était question de la catastrophe financière qu'avait représentée l'opérette Nouvelle-Orléans au Théâtre de l'Étoile. Un conflit social entre la direction du théâtre et son personnel ; Sidney se faisant porter malade pour assister à un match Salle Wagram. Mon père a mis sa vie à rembourser cette faillite. Histoire de conscience. Et moi, je suis là. À vivre mes rêves.
Papa, j'ai repensé au mien, mort il y a bientôt vingt ans. J'aimerais bien lui passer un coup de téléphone. Je ne crois pas à quoi que ce soit de rassurant après la vie, si ce n'est le repos, bien mérité si possible. Pourtant, j'ai imaginé un jour le rejoindre. Drôle d'idée. L'infini. Les atomes. Je m'aperçois que je l'oublie petit à petit. Pour être précis, ne restent que les émotions, un regard, le rire et ses pleurs de joie, sa voix, je ne sais plus, ça s'efface ; il me manque. Je n'ai pas pu retenir mes larmes. Ça faisait longtemps. Maman m'a appelé cet après-midi. C'est bon d'entendre une voix que l'on aime. Je pense aussi à Elsa et à Françoise. À chacune de nos solitudes. À chacun.
Il y a du vol à vieillir. L'héritage. On prend la place de ceux et celles qui nous ont précédés. Insidieusement. Sans qu'on en décide. On les pousse peu à peu. En approche. On bouge en fonction d'eux. Avec ou contre. J'étais redevenu un petit garçon. Pas un peu. Entièrement. Celui de mon père.

mercredi 6 décembre 2006

De l'omme

Au cours de l'après-midi, Françoise avait filmé Pascale à Radio France pendant qu'elle improvisait sur le thème de la sorcellerie pour l'émission de Bruno Letort, Tapage nocturne. De mon côté, j'enregistrais des centaines de phrases lagomorphes pour Nabaztag. Le soir, en rentrant du Théâtre de Chaillot où nous avions assisté à la dernière pièce de Jacques Rebotier, De l'omme, nous croisons par hasard Vincent Leterme sur le quai de la station Bastille. Vincent est le pianiste attitré de Georges Aperghis, l'autre grand auteur de théâtre musical en France. Cinq minutes plus tôt, nous les évoquions tous deux dans la rame de la ligne 9 qui nous ramenait de Trocadéro.


Jacques Rebotier est poète, dramaturge, homme de théâtre et compositeur. Toujours aussi critique de l'univers que l'omme bâtit à grand renfort de destructions massives et de perversions mercantiles, il continue de donner des coups de pieds dans la fourmilière et refuse catégoriquement de tourner (en) rond, fût-ce avec ses caddys, volés dans quel supermarché ? Nous voilà bien ! Sa compagne, Virginie Rochetti, qui signe scénographie, costumes et vidéo (ainsi que les deux photos illustrant ce billet), dit qu'il faut bien finir avec panache... C'est ce qu'on appelle des pessimistes gais, et je crains bien d'en faire partie. Chez Rebotier, on rigole franchement des absurdités de ce monde, de sa dérive suicidaire, de ses tics morbides. Son travail sur le langage est digne des meilleurs Oulipiens. Il fait rebondir les mots comme des balles de ping pong (d'énormes jumping balls gris argenté) entre les lèvres de ses six formidables comédiens. Pas d'ambiguïté, ici l'on joue. Comme de sales gamins qui refusent de grandir, mais ayant acquis la maturité de l'expérience. Pas facile de tenir plus de deux heures en scène en fuyant toute dramaturgie classique, zappant d'une séquence à l'autre, puzzle géant où tout s'emboîte en mises en boîtes gigognes et musique légère. Je connaissais évidemment Élise Caron pour avoir partagé, un soir de 1996, la scène avec elle en hommage au poète André Velter, et surtout pour notre collaboration l'année dernière, lors de la soirée de clôture des Rencontres d'Arles de la Photographie dans le Théâtre antique. Mais ici, point d'improvisation, son esprit vif est au service du texte. Élise l'interprète avec un humour infatigable, que vingt ans de travail avec Rebotier affinent à chaque nouvelle rencontre. Les six comédiens sont des artistes complets, sachant chanter sans leur chien, le robot Aïbo, jouer de l'accordéon, de la contrebasse ou faire marcher une grande marionnette à fils. Mais la révélation de ce soir est Gilles Privat dont un monologue extraordinaire nous laisse sans voix, mais pas sans rire. Ses duos avec Élise sont autant de scènes inoubliables. Les contes cruels que l'auteur met en scène ne sont rien d'autre que ce qui nous a faits, la mutation à l'œuvre, la catastrophe annoncée... Tout cela se joue donc en chansons et c'est drôle...


Ça tombe bien que nous y soyons allés hier soir, car aujourd'hui la troupe fait grève comme la plupart des intermittents du spectacle et de l'audiovisuel. La manifestation démarrera à 14h30 de Palais Royal pour se diriger vers Matignon. Question de vie ou de mort pour des milliers d'entre nous. Pour rappeler les derniers mots de la pièce : on est bien nazes.

mardi 5 décembre 2006

Mix-Up ou Méli-Mélo


Il est rare qu'une critique me fasse autant plaisir. Je me suis fixé une conduite de tout lire, tout écouter, mais ne jamais suivre aucun avis, car, pour peu qu'on vive assez longemps, l'on rencontre toujours quelqu'un pour aimer le vilain petit canard ou détester l'objet adulé. On sait aussi que peu importe la teneur, l'important est qu'on en parle. Notre "existence" en dépend.
Cette fois, je ne suis pas directement concerné, puisqu'il s'agit d'un article paru aujourd'hui dans les Cahiers du Cinéma sur le premier film de Françoise, sorti en 1985. Mix-Up ou Méli-Mélo, tourné en anglais, a rencontré un considérable succès aux États-Unis, mais n'a eu que très peu d'écho en France. Il avait été programmé sur Antenne 2 en semaine à 14h et les canards de télé étaient passés complètement à côté. Sa sortie en salles était également restée très confidentielle. Deux célèbres journalistes américains s'étaient entichés du film, Vincent Canby dans le New York Times, et Jonathan Rosenbaum, du Chicago Reader, qui n'hésita pas à classer Mix-Up comme "son film favori parmi son choix des dix meilleurs films en 1988" ! Dans 1000 Essential Films - Notes on the Top 100, Rosenbaum le classera encore parmi les 15 meilleurs films des années 80 aux côtés de Chris Marker, Ridley Scott, Jean-Luc Godard, Martin Scorcese, John Cassavetes, Alain Resnais... Comme cela arrive souvent, suivirent le Village Voice, le Los Angeles Times, etc. Récemment, Adam Hart réalisa un long entretien avec Françoise dans Senses of Cinema.
J'avoue avoir trouvé injuste et incompréhensible le black out hexagonal qui dure depuis vingt ans. J'ai rencontré Françoise Romand sans n'avoir vu aucun de ses films et je l'ai aimée. J'étais donc plutôt inquiet lorsqu'un soir, seul, je me suis risqué à projeter deux de ses films, malgré son interdiction formelle de les regarder à la suite ! Après avoir été estomaqué par l'invention, la sensibilité et l'originalité de Mix-Up, je ne pus résister à l'envie de découvrir Appelez-moi Madame, tourné l'année suivante. Aucun superlatif ne convaincra mes lecteurs sous la plume d'un rédacteur amoureux. Allez donc vous faire votre opinion vous-même, le dvd est distribué par Lowave. Sur son site, Françoise offre un extrait du synopsis en bonus inédit montrant que Mix-Up a été construit comme un film de fiction. Aucun de ses films n'obéit à la classification habituelle, tous jouent de l'ambiguité entre fiction et documentaire. Tous ont trait à la recherche de l'identité, jusqu'au plus récent, le dérangeant Thème Je qui cherche encore son circuit de distribution.
Depuis un an, je feuillette les Cahiers du Cinéma dans l'espoir qu'un journaliste signalera l'édition dvd de Mix-Up. C'est donc avec la joie du midinet que je reproduis ici l'article de Jean-Philippe Tessé.


Je pourrais encore ajouter que Mix-Up sortit trois ans avant La vie est un long fleuve tranquille d'Étienne Chatillez, que Tom Luddy proposa à Françoise de produire son prochain film pour Coppola, mais que les filles sont ainsi faites qu'elles laissent souvent passer les opportunités sans s'en soucier, que Françoise sait si bien mettre en confiance ses personnages qu'ils deviennent des camarades de jeu, les familles de Mix Up comme Ovida Delect dans Appelez-moi Madame, militant communiste, marié et père d'un adolescent, qui devient transsexuel à 55 ans, aidé par sa femme, ou les jumeaux des Miettes du purgatoire (court métrage pour l'instant interdit par la nièce de l'un d'entre eux) ou encore les élus de Dérapage contrôlé. On attend enfin avec impatience la programmation sur France 3 de Si toi aussi tu m'abandonnes, film sur l'adoption enfin débloqué après un conflit douloureux avec son producteur indélicat, un certain Serge Moati dont les propos furent hélas fortement contredits par sa pratique. Nous y reviendrons, mais il serait extraordinaire d'en projeter les deux versions, celle de la réalisatrice qui a fini par avoir gain de cause grâce au soutien de la profession et celle de la production, formatage télé exemplaire. Le premier est un film d'auteur tendre et critique, le second était un portrait à charge, engraissé d'un commentaire soporifique prenant les spectateurs pour des demeurés. Mix-up ou méli-mélo ?

samedi 2 décembre 2006

Le soir de la générale


Ce soir, Françoise retourne voir la pièce qu'interprète seule en scène sa sœur, Anny Romand. J'ai eu la chance d'admirer la création, en Avignon à l'été 2005, de ce travail qui m'a semblé se rapprocher du nouveau roman, par son exigence, son souci du détail et sa profondeur analytique, plus déstabilisante que rassurante. Anny, plantée sur ses deux pieds, vacillant sans tomber, expirant sans broncher son texte d'une heure pleine, Anny réussit une véritable performance d'actrice. Au théâtre, j'ai toujours souffert pour les comédiens, et cette fois le rôle est à la mesure de mon fantasme. Mémoire, incarnanation (je conserve sciemment mon lapsus), exhibition, la fragilité du théâtre me rend malade, et là je suis soufflé. Si souffler n'est pas jouer, ici c'est du sérieux, d'autant que la comédienne est mise en abyme par son personnage. Derrière elle, sur l'écran, les pas de l'autre sont toujours plus menaçants. "Nouveau théâtre", minimaliste, entier, essentiel, la vie d'une femme.

Du jeudi au samedi à 19h au Théâtre Mouffetard, jusqu'au 30 décembre.

samedi 11 novembre 2006

L'île aux fleurs


Je suis trop flemmard ce matin. Je tente de me défiler en cherchant sur YouTube ou DailyMotion quelque court-métrage que j'adore et que j'aimerais vous faire partager. Hélas je ne trouve ni Les saisons d’Artavazd Pelechian ni A Movie de Bruce Conner, ces deux-là ne semblant pas exister non plus en DVD. Je surfe encore un peu sans succès lorsque j'ai l'idée de taper le titre L'île aux fleurs dans DailyMotion. Ce site est l'équivalent français de YouTube ou Google Video. Il n'est pas utile que je parle du film puisqu'il n'y a plus qu'à cliquer dessus pour qu'il démarre. Rien ne vaut l'idée qu'on s'en fait soi-même, pas question de le déflorer, celui-ci ni plus ni moins qu'un autre. La découverte de ces petits bijoux est un tel choc ! C'est en discutant avec Luc Moullet de son Genèse d'un repas que Françoise a évoqué le film de Jorge Furtado. Je me suis aperçu qu'il figurait sur l'excellente double compilation DVD du Festival de Clermont-Ferrand éditée par le magazine Repérages que je possédais et dont l'acquisition est vivement conseillée.
À propos de ces sites qui répertorient des dizaines de millions de films téléchargés librement par les internautes en dépit des lois sur le droit d'auteur, j'ai lu hier un article éloquent dans Libération. Les principales multinationales de la musique et du film passeraient des accords particuliers avec ces sites : elles toucheraient une partie des recettes publicitaires en échange de quoi ils ne poursuivraient pas ces copies illégales difficiles à contrôler tant leur volume est colossal ! Si je comprends bien, c'est une nouvelle manière d'arnaquer les auteurs, puisque ces recettes reviendront aux majors et qu'il n'est pour l'instant absolument pas question de reverser quoi que ce soit aux ayant-droits. Quand les sociétés civiles comme la Sacem, la Sacd ou la Scam se réveilleront-elles ? Quand cesseront-elles de faire le jeu de l'industrie ? La proposition de licence globale pourrait empêcher ces nouveaux abus.
En attendant, profitez de L'île aux fleurs puisque c'est la loi de la jungle...

mercredi 25 octobre 2006

Le making of du Rabbit Theater

...
Françoise a réalisé un petit montage de deux minutes où l'on voit Maÿlis, Antoine et moi mettre en place nos 100 lapins la veille de l'ouverture du Wired NextFest fin septembre. Le spectacle complet dure actuellement une vingtaine de minutes. Le film est en ligne sur le site de l'opéra Nabaz'mob, avec celui de la création au Centre Pompidou augmenté de sous-titres anglais.


En sortant du Javits Center où avait lieu l'exposition, qui a recueilli 70 000 visiteurs en 4 jours, Françoise a filmé le soir qui tombait sur Manhattan et l'a intégré au montage. Les petites lumières des bestioles wi-fi rappellent un peu les fenêtres qui s'allument dans les gratte-ciel. En regardant le nouveau film, on comprend peut-être mieux ce que nous entendons par chorégraphie lumineuse. À moins que nos robots aient menti au questionnaire fourni par les douanes américaines et qu'ils soient en fait des envahisseurs venus d'un autre monde ?

Nombreux billets sur Nabaz'mob en tapant nabaz'mob dans le champ de recherche du blog, en haut à droite de mon nom (sur fond noir)...

mardi 17 octobre 2006

À Séoul l'herbe pousse le lundi


À Séoul, l'herbe pousse le lundi. Ça tombe bien, hier c'était lundi. Nous revenions de l'expo où Somnambules tournait enfin correctement. Pour ce faire, j'ai rampé dans la poussière car la moquette noire n'était pas encore posée dans notre salle et Nicolas a pris deux châtaignes en réglant le son, perché sur un échafaudage de fortune. Ces électrochocs lui ont redonné la frite, car la superficialité des relations humaines commençaient à le miner. Entre les petits rires gênés des Coréennes et la brusquerie des mâles, il n'est pas toujours facile de se frayer un chemin. Nous nous en sortons bien, avec une bonne dose d'humour et une tendresse dont nous ne nous départissons point. Donc, bien que ce soit le bon jour, nous n'avons pas entendu pousser le gazon, mais nous avons croisé des petits bonshommes verts très affairés.


Devant la mairie, un grand ordonnateur corrige l'alignement impeccable des manifestants écologiques qui se sont placés face à son entrée, pancartes et banderoles à la main. Ils sont divisés en trois groupes, les femmes, les jeunes et les vieux. L'un d'eux, un vieux monsieur, a des chaussures à ressorts, trois gros sous chaque semelle. J'aimerais bien en rapporter, mais je doute avoir le temps d'en dénicher l'adresse. À New York, j'avais déjà entrevu les Z-Coil, à peine moins farfelues.
Pas le temps de nous reposer, nous avons rendez-vous pour dîner avec une partie des artistes invités à l'exposition Dual Reality, dont les huit élus parmi les vingt suggérés par Iris Mayr, conservatrice à Ars Electronica. À table, nous avons fini par comprendre que la soupe se mangeait dans le petit bol, tandis qu'il fallait verser le riz dans le grand pour que la serveuse puisse ajouter de l'eau bouillante dans le caquelon afin de constituer un nouveau bouillon, sans parler de la coupelle où transvaser le bœuf depuis la poelle ni de la demi-douzaine de ramequins de panchan. Et ce n'est qu'un début !
Tout le monde rentre en taxis sauf les deux irréductibles Gaulois qui décident qu'une petite marche digestive ne peut leur faire de mal. Nous découvrons que nous pouvons faire une grande partie du chemin en sous-sol, un peu comme à Montréal, ce qui nous évite de monter et descendre sans cesse les escaliers qui permettent de traverser mais n'épargnent ni nos mollets ni nos tibias.


Dans ma chambre d'hôtel, je tchate avec Françoise, puis vidéoconférence à trois avec Rosette. Paris-Séoul-La Ciotat. Mais il est temps d'aller dormir car la journée de demain s'annonce chargée. Présentation à la presse à 11h et ouverture officielle à 17 heures. Avant ça, il nous faut terminer l'aménagement de notre salle obscure, rideau d'entrée, fauteuils pour les passifs de cette œuvre interactive, en réalité (double ?) la version grand écran du site Somnambules. Mais nombreuses installations sont loin d'être prêtes et seul un miracle nocturne permettra à l'ensemble d'exister dans les temps.

jeudi 12 octobre 2006

Transit


Pas beaucoup le temps de bloguer ce matin. Pas dormi de la nuit, vu trois films à la suite dont le très beau Transamerica avec l'excellente Felicity Huffman, méconnaissable si on l'a vue dans Desperate Housewives. L'année dernière, Françoise faisait partie du jury du Tribeca Film Festival qui lui avait accordé le prix d'interprétation féminine. Pendant toute la projection, Françoise avait cru que son rôle de transexuel était joué par un homme !
Arrivée à Roissy pour repartir demain avec Nicolas à Séoul où nous présentons l'installation Somnambules. Éplucher le courrier, payer les factures, appeler la famille, faire la lessive, parer aux urgences.
En guise d'image, la bannière étoilée qui ne tient qu'à un fil. Les Chinois, après les Arabes, rachètent les États Unis. Une économie gonflée à l'hélium, des Bush qui font marcher allègrement la planche à billets, un pays sans racines propres où toutes les avancées ont leur revers, la pauvreté qui s'étend, une prise de conscience qui germe petit à petit, l'addition sera lourde pour tout le monde.


Nydia qui va bientôt jouer le rôle principal d'une pièce de théâtre avec d'autres grannies, les grand-mères en colère, nous a offert un stylo TrueMajority.org avec un menu déroulant.


Sur une face, les dépenses militaires annuelles du gouvernement américain : 729 milliards de dollars dont 287 payés par ses alliés contre 65 la Russie, 55 la Chine et 9 pour l'Axe du Mal (chiffres du Arms Control Center)!


De l'autre, le budget intérieur : 442 milliards de dollars au Pentagone, 49 à la santé des enfants, 39 à l'éducation, 10 à l'aide humanitaire, etc. No comment ?
Concluons en rappelant le site de Mike Rupert, From the Wilderness.

dimanche 17 septembre 2006

Luc Moullet, cinéaste unique à découvrir absolument

...
Après avoir édité La comédie du travail, blaq out sort un coffret de 6 films de Luc Moullet, cinéaste dont la réflexion critique est doublée d'un humour rare et décalé. Je connaissais quelques uns de ses hilarants courts métrages comme Essai d'ouverture (l'épreuve de la bouteille de Coca), Ma première brasse (tourné à La Ciotat), Barres (comment resquiller dans le métro), Cabale des Oursins (sur les terrils du nord)... et surtout son chef d'œuvre, Genèse d'un repas, présent dans le coffret.
Pour ce long métrage de 1978, Moullet part d'une omelette, d'une boîte de thon et d'une banane qu'il a dans son assiette pour remonter toute la chaîne de production jusqu'au (pays) producteur. La rigueur du documentaire n'est jamais mise à mal par son traitement humoristique tant la sincérité de l'auteur est entière. Moullet met en scène ses reportages comme des fictions dont il est souvent le principal protagoniste, soit physiquement, soit par sa voix qui commente l'action dans une saine autodérision. Jean-Marie Straub le considère comme l'unique héritier de Buñuel et Tati. La filiation est juste côté français, mais signalons le Palestinien Elia Suleiman (Chronique d'une disparition, Intervention divine) ou le Brésilien Jorge Furtado de L'île aux fleurs (Ilha das Flores, dvd 25 ans de courts métrages, Repérages), court métrage extraordinaire évoqué avec Luc Moullet lors de notre rencontre au Forum des Images l'an passé.
Si Genèse d'un repas est un film marxiste exemplaire, aussi grave que drôle, Anatomie d'un rapport est un film féministe, mêmes adjectifs, tourné deux ans auparavant. La coréalisation d'Antonietta Pizzorno, sa compagne, a apporté au film une lucidité rare pour l'époque, même si la relation qu'entretiennent les hommes et les femmes avec leur sexualité n'a hélas pas beaucoup changé depuis trente ans ! Le film avait alors été interdit au moins de 18 ans. Dommage, tant les jeunes gens des deux sexes pourraient en apprendre les uns des autres, de l'égoïsme des garçons comme de la jouissance des filles. La réussite de l'entreprise tient à la liberté absolue que les deux réalisateurs (ci-dessus dans Genèse d'un repas) se sont octroyés l'un par rapport à l'autre.
Ce qui est formidable dans ces récits plus ou moins autobiographiques, c'est la franchise de Moullet à se mettre en scène sans complaisance. On retrouve cette sincérité impudique et loufoque dans le grinçant Thème Je de Françoise Romand, autofiction encore inédite en salles, son meilleur film depuis son premier long métrage, Mix-Up (sorti chez Lowave l'année dernière). Le critique américain Jonathan Rosenbaum avait d'ailleurs rapproché les deux films, Anatomie d'un rapport et Mix-Up, dans un article du Chicago Reader de 1988.
J'ai maintenant hâte de découvrir les autres films de Luc Moullet, présents dans le coffret, dont j'ai longtemps entendu parler et que je n'ai encore jamais vus, Brigitte et Brigitte, Parpaillon, Les contrebandières, Les aventures de Billy le Kid et Les sièges de l'Alcazar qui justifieront certainement un nouveau billet...

dimanche 3 septembre 2006

Name Dropping


Hier, après avoir mis en ligne mon billet, je me suis souvenu du passage de relais de mon Nikon relativement discret au Nokia quasi invisible. C'était l'année dernière à New York. Françoise faisait partie du jury des longs métrages de fiction au TriBeCa Festival fondé par Robert De Niro au lendemain de 9/11 pour redonner un peu d'éclat à son quartier ravagé par la catastrophe. Au premier étage du TriBeCa Grill, autour de notre table étaient réunis l'acteur le plus timide que j'ai jamais rencontré (copropriétaire du restau et de quelques autres du quartier où nous mangerons les jours suivants dont le célèbre Nobu), à sa gauche la chanteuse Sheryl Crow, le réalisateur Darren Aronofsky (Requiem for a Dream), Françoise (Romand), Griffin Dunne (acteur principal d'After Hours), Peter Scarlet (ex-directeur de la Cinémathèque française et actuel directeur du TriBeCa Film Festival), le producteur Mitch Glazer (Lost in translation), Mirsad Purivatra (directeur du festival de cinéma de Sarajevo), son épouse et deux autres pièces rapportées, Grace Hightower (Mme De Niro) et Bibi fricotant avec son petit appareil... Ce sont les trois premiers que l'on voit sur la photo, devant des toiles de Robert De Niro Senior qui encerclent la cinquantaine de convives répartis autour des autres tables. Ce sont évidemment les deux dernières avec qui j'ai discuté tout au long du déjeuner. Nokia, principal sponsor du festival, offrit ce jour-là à chacun d'entre nous un 7610 ! Les jurys devaient concourir eux-mêmes en réalisant un petit film collectif et Françoise fut la lucky winner, gagnant le 6682, resté, semble-t-il, à l'état de prototype. Son portable (3 millions de pixels) lui permet de tourner jusqu'à 45 minutes de film, ce dont elle ne se prive pas.
Comme je suis le seul inconnu de la tablée, De Niro s'adresse à moi pour briser la glace qui gèle l'ensemble des célébrités assises avec lui. J'évite soigneusement tout sujet cinématographique et ne parle que des très beaux tableaux de son papa, de nos enfants, et de musique puisqu'il a l'amabilité de s'adresser à moi. Comme Apple (encore un cadeau, c'est dingue le nombre de trucs que Françoise a rapportés, les plus chouettes étant le siège de massage qui trône au milieu de notre salon et les paires de Nike que nous avons customisées !) sollicite nos goûts musicaux par un petit questionnaire à remplir, je me permets une indiscrétion en découvrant que "Bob" a choisi en n°1 la musique du Dernier Tango à Paris composée et interprétée par Gato Barbieri. Magnifique B.O. en effet, qui bouge le cœur pour peu qu'on le sollicite ! Revenu à Paris, je commençai à prendre des photos avec mon téléphone.
J'ai omis de raconter que j'étais moi-même à New York pour travailler sur le mixage d'un disque du chanteur mahorais Baco et que cela se passait dans une banlieue 100% noire où je jouais l'unique rôle du blanc avec Nico. Le contraste entre les fastes de Manhattan et le rap de Brooklyn était saisissant, mais ça c'est une autre histoire...

lundi 31 juillet 2006

La plus vieille salle de cinéma du monde


Le jour de l'arrivée de notre train en gare de La Ciotat, j'ai raconté la filiation étonnante de Françoise avec l'histoire du cinématographe. En passant en décapotable devant l'Eden Théâtre, j'ai pris une photo du plus vieux cinéma du monde. Aucune carte postale en vente nulle part ! Le 21 septembre 1895, eut lieu, la première projection, sur invitations, du Cinématographe Lumière. C'est là que les spectateurs s'affolèrent devant les images du train fonçant dans leur direction, et non pas à Paris deux mois plus tard, le 28 décembre, au Salon Indien du Grand Café, première séance publique payante du Cinématographe Lumière, car le programme parisien ne comportait pas ce film-ci.
Dès 1892, Antoine Lumière, le père des illustres Auguste et Louis, acquit 90 hectares, de la plage jusqu'à la colline, à la Ciotat. Nombreux de leurs films y furent tournés lorsque la famille s'y réunissait le week-end. Leur résidence, le Palais Lumière, existe toujours également, transformée en appartements.

vendredi 7 juillet 2006

L'Harley sienne


Quel plaisir de revoir Bernard chevaucher sa Harley ! Une nuit il y a deux ans, il s'était fait voler sa moto devant chez lui, rue Pelleport. Depuis, il ne sortait presque plus. Je l'ai toujours connu détestant marcher. Il lui arrivait pourtant de venir à pieds jusqu'ici, de temps en temps. C'était une plaie de lui appeler un taxi tard le soir : parfois les chauffeurs se perdaient, d'autres fois ils devaient prendre quelqu'un d'autre sur le chemin, mystère, il est arrivé que l'on en appelle trois ou quatre avant d'en voir venir un seul. C'était un gag récurrent qui n'arrivait qu'à lui, n'arrangeant pas son côté casanier. Depuis le temps qu'il en parlait, il a fini par avoir les moyens de se racheter le même modèle d'occasion. C'est une bonne époque pour rouler dans le vent, lorsque l'on craint, comme lui, la chaleur. J'avais acheté un casque pour pouvoir jouer les passagers motocyclistes lorsqu'une occasion se présente...
La résistance à la marche à pieds met Bernard en danger, comme ma maman qui a de plus en plus de mal à se déplacer. Je repense à Giraï, l'oncle de Françoise et Anny, qui avait compris que sa vie dépendait de sa mobilité, intellectuelle et physique. Il y a encore deux ans, il n'avait que 93 ans (rescapé du génocide arménien, il ne connaît pas sa date de naissance exacte), il préférait rentrer chez lui à pieds pour entretenir sa santé et profitait du chemin pour chanter à tue-tête des chansons françaises des années 30-40, histoire de faire travailler sa mémoire, autre pôle indispensable de sa mobilité et de son autonomie. Sa fracture du col du fémur a été un coup de frein brutal à ses escapades à pieds ou à bicyclette, il a peur de retomber, alors il marche avec une canne. J'aime beaucoup parler avec lui du temps passé comme des avancées technologiques. Il parle de mon PowerBook comme d'une gigantesque mémoire, ça lui parle. Je pousse Bernard à acquérir un ordinateur pour le sortir de son isolement. Hier, il me disait comprendre que la virtualité accentuait la réalité des individus. Les amis qui ne sont pas connectés au Net disparaissent corps et biens. Bernard adorerait Babylone. En attendant, il passe nous voir et c'est un vrai plaisir de le voir heureux sur sa moto à 72 ans.
À gauche sur la photo, on aperçoit Jonathan qui arrivait à l'instant de New York où il enseigne au Queens College. Chaque été, il vient travailler à Paris sur l'exception culturelle française dans le cinéma et en profite pour voir les copains. Il garde notre maison lorsque nous descendons vers le sud. J'aime bien ses interrogations sur le monde, sur les différentes façons de voir les choses, ici et là-bas. Nous parlons des laissés pour compte, des banlieues enflammées, du potentiel politique qu'elles pourraient représenter alors que les partis traditionnels sont devenus anachroniques. Hier soir, la discussion avec Anny, Françoise, Bernard et Jonathan portait sur les motivations différentes des Américains au Vietnam, ou en Afghanistan et en Irak... Jonathan pense que jamais son pays n'osera attaquer l'Iran qui est un état puissant, rien à voir avec l'Irak. Le ton monte lorsqu'est abordé le rôle de l'Union Soviétique, sa politique hégémonique et son éclatement... Nous louons le courage et la détermination du peuple vietnamien. Quelle idéologie sous-tend les guerres d'indépendance ? Comment cela dégénère-t-il souvent ensuite ? Il y avait longtemps que nous n'avions pas passé une soirée "café du commerce", c'était marrant.

lundi 29 mai 2006

Extrait de Nabaz'mob


Un petit extrait du film tourné par Françoise Romand est en ligne !
Voir billets des 11, 13, 17, 27, 28 mai ainsi que celui du 23 septembre.

samedi 27 mai 2006

Nabaz'mob, opéra pour 100 lapins communicants (3)


Les dés sont jetés, c'est ce soir à 20 heures dans la grande salle du Centre Pompidou pour la soirée de clôture du Web Flash Festival. Les carottes sont cuites, on ne peut plus rien modifier, les 100 lapins sont en place, apportés par leurs propriétaires pour participer à l'événement. Certains les ont customisés, ajoutant un sourire, une banane (Elvis), une culotte en dentelle (Cocotte), une guitare, des lunettes noires, une cravate ou des autocollants anthropomorphiques... Nous aurions dû nous méfier en rédigeant le programme, certaines bestioles prennent un malin plaisir à se décaler prétextant que l'œuvre "joue sur la tension entre communion de l'ensemble et comportement individuel". Alors ?! L'aléatoire fait bien partie du jeu, et le résultat ressemble tout de même à ce que nous avions à peu de choses près imaginé. C'est seulement hier soir que nous avons entendu tous les Nabaztag ensemble interpréter notre étrange opéra. Sur la photo, on aperçoit la silhouette d'Antoine Schmitt qui installe la minuscule webcam renvoyant une image géante sur l'écran tendu derrière la meute. Le dernier filage était très émouvant, chacun retenait son souffle. Françoise Romand ayant filmé les répétitions, nous espérons pouvoir donner une petite idée de ce spectacle lagomorphique à celles et ceux qui n'auront pas pu venir ou avoir de la place. Hallucinant !

mercredi 24 mai 2006

Dérapage contrôlé (1)


Françoise Romand a mis en ligne un extrait de Dérapage contrôlé, un court-métrage de 1994 qu'elle a remonté à sa façon (director's cut !). Trois minutes sur le Florida à Agen, trois minutes d'un tract vidéo, ça ne scratche pas toujours là où l'on s'y attend, deux mondes s'y croisent, deux élus s'y affichent, une bonne dose d'humour, un peu d'espoir...

dimanche 5 mars 2006

Les Portes


Bande-annonce : Les Portes
L'installation d'art vidéo interactif, coréalisée avec Nicolas Clauss, sera présentée à l'Espace Paul Ricard, 9 rue Royale à Paris (Métro Concorde ou Madeleine) du 8 au 21 avril 2006 dans le cadre du Festival NEMO.

Au milieu d’une grande salle obscure, trois portes s’ouvrent sur des écrans de la taille du cadre. Chaque joueur fait pivoter sa porte pour découvrir ou surprendre les scènes où font face une vingtaine d’acteurs. La nudité des âmes, plus présente que celle des corps, les renvoie, comme tous les autres spectateurs déambulant au milieu de l’installation, à leurs propres émotions. Cette mise en espace, en musique et en actions, est avant tout une œuvre sensuelle qui confronte chacun et chacune à soi-même et aux autres, dans son intimité et sa curiosité.
Le secret derrière la porte vient d'un miroir qu'on est nombreux à regarder. La première porte s'ouvre sur une comédie, la seconde sur des ogres, la troisième sur la peau. Après s'être invité, le visiteur peut avoir la surprise de se reconnaître. Pourtant seul face à l'image, il doit composer pour s'intégrer à l'orchestre qui envahit l'espace. Une porte n'est pas seulement ouverte ou fermée, on peut jouer avec.

LES PORTES

Nicolas Clauss conception artistique, scénario, caméra, programmation
Jean-Jacques Birgé musique, scénario, caméra, direction de production

avec Pascale Labbé et Baco (voix), Didier Silhol, Amal Bou Achem, Stéphane Amar, Denis Andrey, Jean-Jacques Birgé, Sara Boisson, Nathalie Caclard, Émilie Chéron, Nicolas Clauss, Karine Delhomeau, Guy Dreux, Olivier Falkowski, Pascal Falkowski, David Fenech, Bertrand Guyon, Jean-Luc Lamarque, Frédéric Lebas, Olivier Poma, Sophie-Laure Raphaël, Charlotte Ricordeau, Françoise Romand, Donghee Tan, Jennifer Tan... Et la participation d’Antoine Schmitt (programmation additionnelle), Matthieu Moreau (constructeur décors) à Mille Plateaux, Interface Z (capteurs)

Coproduction A.P.R.E. / ARCADI - Région Ile de France, avec le concours du Ministère de la Culture et de la Communication (Dicréam) et le soutien de la Société civile des auteurs multimedia (SCAM, bourses d'aide à l'art numérique), de la SACEM et du Cube à Issy-les-Moulineaux
© A.P.R.E. 2005

Voir aussi billet du 10 mars

dimanche 12 février 2006

Vice Vertu et Vice Versa


J'ai découvert hier soir la comédie que Françoise a tournée en 1996.
Je comprends mieux sa fantaisie et ses idées qui peuvent au premier abord sembler abracadabrantes. Sur le papier ou énoncées à voix haute, les choses paraissent invraisemblables, mais sur l'écran tout devient plausible, plus vrai que nature. Plus c'est fou, plus c'est excitant. C'est ainsi qu'un monde se crée. Un monde secret, une vision... Une prostituée de luxe croise sa voisine, une intellectuelle au chômage. Cette rencontre imprévisible va changer le destin de ces deux femmes. En exergue, une phrase de La Rochefoucauld qui cherche à débusquer le vice sous la vertu... C'est produit par JEM pour France 3 et Canal + : dommage que ce ne soit pas plus souvent programmé.

Après nous avons revu, une fois de plus, sans jamais nous lasser, un de ses court-métrages, Les miettes du purgatoire. Aussi fascinant que Mix-Up ! Deux jumeaux de 54 ans vivant toujours avec leurs parents. L'un passe ses journées allongé à écouter de la musique électroacoustique, l'autre peint sans cesse la même tableau abstrait. Leurs journées s'égrainent au rythme des repas et des messes...

Photos de Florence Thomassin, Anne Jacquemin et Marc Lavoine tirées du film Vice Vertu et Vice Versa.

vendredi 18 novembre 2005

Mix-Up et le pâté

Sortie dvd du premier film de Françoise Romand, Mix-Up (1985), édité par Lowave, et recette du succès !

Hier soir, Françoise fêtait la sortie dvd de son premier film, Mix-Up ou Méli-Mélo, salué par le célèbre critique américain du Chicago Reader, Jonathan Rosenbaum, comme un des 15 meilleurs films des années 80, aux côtés de Sans Soleil de Chris Marker, Passion de Jean-Luc Godard, The King of Comedy de Martin Scorcese, Shoah de Claude Lanzmann, Blade Runner de Ridley Scott, Mélo d'Alain Resnais, Yeelen de Souleymane Cissé, Love Streams de John Cassavetes... Le film, petit chef d'œuvre documentaire, raconte, avec nombre d'effets qui tirent vers la fiction et la complicité de tous les protagonistes, l'échange de 2 bébés à leur naissance en 1936. L'humour (''Mix-Up'' a été tourné en anglais en Grande -Bretagne !) et la tendresse de la réalisatrice donnent à ce drame un ton de comédie qui a emballé la salle, ce qui n'avait, paraît-il, pas été si évident à sa sortie en France il y a 20 ans. Le film avait par contre rencontré aux USA un succès phénoménal qui lui permit de faire le tour des télévisions du monde entier. Nul n'est prophète en son pays, ça nous le savons (de toilette), surtout dans notre vieux pays, très snob et somme toute très conventionnel, ce que Françoise n'est pas pour un sou. Ici, Mix-Up est passé une fois à la télé à 14h dans le cadre d'Aujourd'hui Madame en 1986 ! Lorsque j'ai découvert son premier film, quelques mois après que nous soyons ensemble, j'ai été très fier de ma compagne, et un peu rassuré ;-)
Je suggère une petite visite à son site, romand.org, où l'on peut voir quelques extraits d'autres de ses films, en particulier le dernier, qui risque de rencontrer les mêmes difficultés à être reconnu à sa juste valeur, Thème Je, sorte de fiction autobiographique qui n'a rien de politiquement correct, ce qui risque de coincer, cette fois même au pays de l'Oncle Tom ! Et puis courez acheter le dvd édité par Lowave (Librairie de Beaubourg, et très bientôt Fnac et Virgin...)...
Enfin, j'écris tout ceci en préambule de ce qui m'amène sérieusement à bloguer ici ce matin. Françoise a insisté hier soir pour que je réponde à la demande générale en donnant la recette de mon célèbre pâté, recette que je tiens à l'origine de ma copine monteuse Brigitte Dornès qui vit maintenant dans un pays où on mange délicieusement bien, la Catalogne, près de Figueras. Alors voilà :
1. Faire cuire 500g de foies de volaille dans du vin blanc (hier soir c'était du foie de lapin pour la première fois de ma vie de pâtétomane, et c'était drôlement bon, j'avais ajouté aussi une cuillérée à soupe de miel, miel que j'avais moi-même mis en pot à La Ciotat où le papa de Françoise possède quelques ruches).
2. Dans un mixeur, broyer les foies égouttés avec 400g de beurre salé, un peu de poivre, un petit verre de cognac, et le tour est joué ! A partir de là, on peut imaginer toutes les variations, en remplaçant le cognac, en ajoutant des herbes (hier soir j'avais incorporé du persil frisé et du piment d'Espelette), etc.
3. Mettre le résultat au frigidaire, attendre 24 heures, ce méli-mélo peut se conserver facilement une ou deux semaines, mais il est très rare qu'un de ces pâtés vive aussi longtemps... Attention, c'est riche ! Mais tellement bon, vous n'en reviendrez pas, mais vous ne pourrez faire autrement que d'y revenir. Succès assuré. Cela fait 20 ans que je récolte les compliments de mes invités et qu'on me demande la recette. C'est si facile que c'en est pas croyable. Voilà, c'est fait. Je peux commencer mon régime, l'avenir est assuré.
Bon appétit !

lundi 8 août 2005

Cinq mp3 composés par mes soins

Pour le n°3 des Nouveaux Dossiers de l'Audiovisuel consacré au son (février-mars 2005), j'ai écrit un article intitulé "Musique interactive, ou l'art du partage", accompagné d'un CD où figurent 3 pièces composées avec des modules de Somnambules et LeCielEstBleu : Plomberie, Hantée et Roll Over Composer.
Sabine est extrait de la musique du film de Françoise Romand, Profession, femme de...
Le troisième mouvement de Sarajevo Suite et Fin est encore inédit.
Mais je n'ai pas encore réussi à trouver un plug-in qui me convienne pour les mettre en ligne...