La semaine dernière j'ai reçu par la poste un drôle de livre, soit le volume 1 de l'Encyclopaedia Glaçonnica. J'en connaissais l'origine, car le compositeur et metteur en scène François Sarhan, dont j'admire le travail, m'avait annoncé l'arrivée imminente d'un colis et je connaissais le pseudonyme qu'il utilise parfois, signant ici et là Henry Glacon Sarhan, Professor Glaçon ou d'autres déclinaisons propres à la fantaisie provocatrice de son auteur. Comment se fier à un homme qui s'inspire ou collabore avec Jacques Roubaud, Jan Švankmajer, William Kentridge, Lewis Carroll, Ulrike Meinhoff ou le Marquis de Sade ? Ou comment ne pas considérer avec le plus grand sérieux un compositeur joué par des orchestres comme l'Ensemble Modern ou l'Ensemble Isctus ? Il m'apparaissait aussi comme une évidence qu'il ait rédigé une encyclopédie, certes avec une vingtaine de prête-noms imaginaires aux surprenantes compétences scientifiques, ayant remarqué sur ma propre fiche Wikipédia que j'étais assimilé aux encyclopédistes, sorte de mouvement dont nous ferions partie sans l'avoir cherché avec Charles Ives, İlhan Mimaroğlu, Frank Zappa, René Lussier, Jonathan Pontier ou John Zorn ! En 2016 j'avais surtout écrit l'article François Sarhan, entre rock inventif et musique contemporaine évoquant ses CD, ses vidéos et son blog.


Je comprends d'autant mieux les pseudos ou le "ils" se substituant malicieusement au "je" que j'en usai moi-même en signant des œuvres inavouables, créant des fakes virtuoses ou composant mon propre centenaire. Je crois aussi me souvenir que Marcel Carné se faisait passer pour son majordome en changeant de voix lorsqu'il répondait au téléphone ! C'est sans compter les facéties d'Orson Welles, Romain Gary, Jorge Luis Borges ou Joan Fontcuberta. De même le célèbre Adagio d'Albinoni est aujourd'hui connu pour avoir en fait été composé au XXe siècle par le musicologue Remo Giazotto alors que certains prétendent qu'il ne fut pas le seul acteur de la supercherie, Maurice Roche y aurait trempé probablement !


Comment alors évoquer ce volume de l'Encyclopaedia Glaçonnica consacré à la musique et aux poissons, ouvrage de 320 pages 21x28cm fortement illustré, premier de douze se revendiquant comme une référence pour contenir des informations imaginaires dans tous les domaines de la connaissance et si possible d'une manière incompréhensible ? Notez que François Rabelais utilisa le premier en français le terme encyclopédie, dans le chapitre 20 de Pantagruel. Je ne vois pas d'autre manière que d'ouvrir le grand livre au hasard et de le feuilleter au petit bonheur la chance. L'Encyclopaedia Glaçonnica me sembla un puits sans fond où un pont s'enfuit, les synapses se dissipant dès que je tentais de rapprocher une idée d'une autre, aussi abracadabrante. J'avais commencé par les chansons-seconde, l'interdiction de certains mots pendant les rêves, les ombres sonores, et combien d'artistes fictifs plus brintzingues les uns que les autres... Comme dans toute encyclopédie on finit par s'y perdre, corps et âme. Puisque j'avais déjà trouvé une vidéo relatant ce travail de titan, Sarhan m'indiqua une autre de ses productions récentes, son journal de voyage tenu sur plusieurs mois au gré de ses déplacements européens, encore inédit. Comme sa pièce L'Nfer composée en 2006, il s'agit d'une création radiophonique de deux heures, riche et inventive, qui ravirait les fans de l'ACR...
Sur le site glaconpublishing consacré à Henry-Jacques Glaçon et son Encyclopædia, les deux premiers volumes sont en vente pour 50€ chacun (bilingues, signés et tirés à 100 exemplaires, évidemment à compte d'auteur, quel éditeur se risquerait à publier un truc si bizarre ? La banalité paye toujours mieux que l'originalité), mais pour l'instant, en attendant leur impression, le troisième monte à 2000€ et le quatrième à 4000€ (un seul exemplaire entièrement fait à la main). "Objet difficile à ramasser" est la façon dont Cocteau considérait son œuvre. Le terme convient parfaitement à toute celle de François Sarhan.