Comment se fait-il qu'après quelques secondes d'un disque ou d'un film l'on comprenne que c'est fait pour soi ? Il aura suffi de quelques clochettes et d'un soupçon de percussion, et c'était dans la poche ! J'ai toujours adorer pénétrer la jungle où l'on ne voit rien, mais où tout se devine par le son. Endossant je ne sais quelle peau de bête le saxophone d'Oliver Lake rejoint la trompette de Baïkida Carroll comme deux frères de lait. À ces deux gars du Missouri se joignent le percussionniste brésilen Naná Vasconcelos et le pianiste franco-chilien Manuel Villarroel, et là s'anime la forêt ; les arbres dansent frénétiquement, des mélodies poussent comme s'il en pleuvait, le jazz ravive ses racines profondes. Les quatre musiciens se sont retrouvés en juin 1974 à Paris, capitale du free jazz depuis quelques années, et ils ont enregistré pendant trois jours au Studio Palm, grâce à Jef Gilson, pianiste, compositeur, mais également ingénieur du son et producteur. C'est un des très rares disques signés Baïkida Carroll. Sur la seconde face le trompettiste et le saxophoniste dialoguent comme deux drôles d'oiseaux qui se prennent au jeu. Ils l'ont pourtant appelé rue Roger, une petite rue du 14ème arrondissement. Hommage au même quartier, ils retrouvent leurs camarades Porte d'Orléans. La cuica de Naná est simiesque, les percussions bruissent, la trompette wah-wah, le piano scande, le saxophone se dé(h)anche, l'un après l'autre brisent le silence. La première face se partageait entre Orange Fish Tears et Forest Scorpion affirmant l'exotisme. On sent évidemment le cousinage avec l'Art Ensemble of Chicago qui sont à moins de 500 kilomètres de Saint Louis, une broutille au pays des grands espaces. La flûte nous ramène à la forêt du début. Début du monde. Monde de liberté et de rêves éveillés.

→ Baïkida E.J. Carroll, Orange Fish Tears, LP (25€) ou CD (12€) Souffle Continu Records, en numérique (7,90€) sur Bandcamp