70 Multimedia - octobre 2022 - Jean-Jacques Birgé

Jean-Jacques Birgé

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jeudi 27 octobre 2022

L'objet perdu


"L'objet perdu" était le sujet de mon deuxième exercice cinématographique lors de mes études à l'Idhec en 1972. Comme je devais tenir la caméra et faire jouer un comédien épouvantable du cours Simon, j'avais écrit un scénario de filou en filmant l'histoire d'un garçon qui au réveil se regarde dans la glace, perd aussitôt ses lunettes et là tout devient flou ; comme il n'y voit plus rien, il se cogne dans les meubles et chute ; la suite qui se passe dans le noir est suggérée par une partition sonore abracadabrante. Mes choix étaient faits !
Hier midi j'ai perdu mes lunettes de presbyte sur la ligne 11 du métro. Mauvais plan, car j'étais parti pour faire des photos et enregistrer le son au Musée du Louvre. Heureusement, je conserve dans mon porte-feuilles une loupe en plastique mou de la taille d'une carte de crédit qui m'a permis [...] de choisir un onctueux nattō pour me remettre de mes émotions. J'étais complètement désorienté de ne rien y voir, mais l'objet de fortune me permit tout de même de cadrer et de voir les vu-mètres.
Comme j'enregistre la foule des visiteurs dans la salle de la Joconde, je suis surpris de constater qu'au bout d'une demi-heure les commentaires reviennent en boucle, comme si les tableaux suscitaient cycliquement les mêmes réactions, les mêmes mots. Les similitudes finissent par m'angoisser, jusqu'à ce que je comprenne que je suis passé en mode lecture et qu'en réalité j'écoute les voix captées il y a trente minutes et qui, par un semi-hasard, coïncident parfaitement avec les images qui se déroulent sous mes yeux. Je me suis aperçu du subterfuge car, si l'action des visiteurs colle, je ne trouve nulle part autour de moi les lèvres qui expriment synchroniquement leurs dialogues.


En rentrant je demande au guichet de la station Mairie des Lilas si quelqu'un a retrouvé ma paire verte et violette, mais je fais chou blanc. Une base de données peut y être interrogée jusqu'à 19h, ensuite on a encore 48 heures pour tenter les objets trouvés de la rue des Morillons, mais, dans mon cas, j'en serai réduit à en voir de toutes les couleurs, sauf celles-là. Le soir, je découvre mes photos et constate que mon enregistrement remplace magnifiquement le son des Noces de Cana comme l'a suggéré Pierre-Oscar Lévy et qu'il se mélange parfaitement avec la musique du XVIème siècle que j'ai composée pour quatuor à cordes la semaine dernière.
"L'objet perdu" et la disparition récente de Séverin Blanchet dans un attentat à Kaboul me font penser à un autre disparu. Le chef opérateur Dominique Chapuis m'avait demandé comment j'avais réussi à obtenir la lumière étonnante de mon film suivant, "Idhec 72, nouveau scandale financier", un reportage sur un pot où régnait l'ébriété, monté sur "America Drinks and Goes Home", le dernier morceau de l'album "Absolutely Free" des Mothers. J'avais avoué avoir confondu de la pellicule 4X avec de la PlusX, mais que le laboratoire avait rattrapé miraculeusement le coup en faisant une autre erreur ! Chapuis s'impatientant m'avait demandé ce qu'indiquait la cellule. Comme je le provoquai en répondant que la caméra était déjà assez lourde pour mes frêles épaules, pourquoi m'encombrer d'une cellule que j'aurais dû tenir avec l'autre main, je l'écœurai définitivement. L'année suivante je choisis l'option montage plutôt que lumière qui rassemblait deux fois plus d'étudiants. Nous comprenions mal pourquoi, sachant que le montage est l'école de la réalisation.

Article du 2 mars 2010

mardi 4 octobre 2022

Un manuel du graphiste


C'est presque toujours à l'occasion de ses vernissages que j'ai le plaisir de croiser mon cousin Michel Bouvet (nos grands-pères étaient frères, mais j'avais tardivement identifié notre cousinage alors que j'étais directeur musical des Soirées des Rencontres d'Arles depuis plusieurs années et qu'il en était le graphiste attitré !), un des plus célèbres affichistes français. Mercredi dernier était inaugurée l'exposition Un manuel du graphiste à la librairie Eyrolles, boulevard Saint-Germain. J'y croisai Anita Gallego, sa compagne, Étienne Robial (connu, entre autres, pour les éditions Futuropolis et l'identité graphique de Canal+ ; et puis il a racheté la maison de Bernard Vitet rue Charles Weiss et l'a entièrement rénovée), le duo M/M (connu entre autres pour sa longue collaboration avec Björk), Yann Legendre (dont je viens de dévorer sa nouvelle bande dessinée, Vega)... Pas vu Michal Batory que j'avais découvert lorsque nous travaillions sur l'exposition Le métro a 100 ans, Ruedi Baur avec qui j'ai bûché un an sur l'étude du métro du Grand Paris... Il y avait beaucoup de monde dans la petite galerie. Ils sont tout de même soixante à avoir participé au livre réalisé par Michel Bouvet et Fanny Laffitte !
Ce Manuel est un très bel objet broché de 192 pages avec plus de 80 œuvres graphiques commentées, 17 entretiens avec des professionnel/le/s (Sandrine Maillet, Cléo Charuet, Alain Le Quernec, Morgane Vantorre, Silvia Dore, Francis Laharrague, Nicolas Massadau, François Hébel, Alain Arnaudet, Marc H. Choko, Daniel Lefort, Diego Zaccaria...) et de nombreux travaux d'étudiant/e/s. Michel Bouvet y répète que "le graphisme est partout", souvent invisible mais absolument nécessaire, il aborde aussi le volet pédagogique de son activité, le processus de création et les coulisses de la production. Je n'ai pas encore tout lu, c'est copieux. J'ai eu la chance de travailler avec de formidables graphistes comme Étienne Mineur ou Étienne Auger, des artistes qui ont illustré mes pochettes de disques comme Jacques Monory, Jean Bruller (Vercors), Mattioli, Raymond Sarti, Kvèta Pacovská, Valérie Moënne, Marie-Christine Gayffier... Là je découvre ou redécouvre Jan Bajtlik, Florence Bamberger, Jean-Paul Goude, Mono Grinbaum, Mitsuo Katsui, Keizo Matsui, Henning Wagenbreth, Garth Walker, Maja Wolna... Au travers de sa propre expérience, Michel Bouvet évoque les mérites de la contrainte et le cassage des codes, la relation avec les commanditaires, la mise en forme des idées, la transformation de l'information en communication, sa lisibilité... Si c'est un bel objet, l'aspect didactique du Manuel est fondamental. Je vais donc m'y replonger ces jours-ci, alors que la pile automnale de mes lectures grandit de jour en jour, comme les disques à écouter et les films à regarder. Ce ne doit jamais être aux dépens de mes compositions musicales dont l'organisation remplit le planning des prochaines semaines.

→ Michel Bouvet & Fanny Laffitte, Un manuel du graphiste, avec plus de 60 invité/e/s du monde entier, Ed. Eyrolles, 26€
→ Exposition "Vive le graphisme !" chez Eyrolles 55 bvd Saint Germain à Paris jusqu'au 22 octobre